Opinion
Pourquoi la
Turquie a vendu la Syrie ?
Leila
Mazboudi
Vendredi 18 novembre
2011
On
est certes bien loin de cette
photographie historique qui avait réuni
le président turc Abdallah Gull au
président syrien Bachar ElAssad et au
président iranien Mahmoud Ahmadinejad.
Pourtant, elle ne date pas de très
longtemps. 2010.
On avait rêvé alors
qu’Ankara s'approchait de l’axe
Téhéran-Damas, celui de la résistance et
de la confrontation au projet américano
sioniste. Surtout que des visites
similaires, bilatérales ou trilatérales
avaient eu lieu, et qu’elles avaient
succédé aux déclarations
grondantes du Premier ministre turc
Recep Tayyeb Erdogan contre le président
israélien Shimon Perez, à
Davos,
suite à l’offensive meurtrière Plomb
durci contre la bande de Gaza. Et puis,
il ne faut jamais oublier la position de
la Turquie qui a refusé l’invasion de
l’Irak !
Mais depuis, il y a eu les soulèvements
arabes, et surtout la rébellion en
Syrie, orchestrée et soutenue par les
Occidentaux et leur alliés arabes.
Coup de théâtre :
alors qu’on s’attendait à une position
équilibrée et réconciliante de la
part de la direction turque, qui puisse
trouver un terrain d’entente entre les
différents antagonistes, c’est tout à
fait le contraire qui a eu lieu.
Ankara
prend parti à plein et adhère totalement
aux thèses de l’opposition syrienne pro
occidentale. Bannissant le régime
syrien, le présentant comme étant en
train de tuer son peuple, refusant de
voir les manifestations de soutien au
président syrien, dénigrant la dimension
armée de la contestation, et allant même
jusqu’à refuser aux opposants de
l’intérieur le statut de représentants
du peuple syrien, le réservant à
ceux du Conseil national syrien (à en
croire les propos de son chef de la
diplomatie)!
Du côté des principes,
il est difficile de croire les
allégations des dirigeants turcs, se
disant soucieux des revendications des
peuples de la région, et désireux
d’instaurer les démocraties dans la
région.
Avec
le peuple bahreïni, Ankara n’adopte pas
du tout la même politique.
Elle n’affiche pas non plus de
revendications de liberté chez ses
alliés arabes, le Qatar, l’ Arabie, les
Emirats, le Maroc et la Jordanie, où des
dynasties caduques perdurent depuis des
dizaines de décennies et des milliards
de pétrodollars ont été distribués pour
taire toute contestation.
Certains analystes évoquent des
relations historiques entre le parti
turc au pouvoir «Développement et
Justice », d’obédience islamique, avec
les Frères musulmans, principale force
de l’opposition syrienne de l’exil.
D’autant plus que tous les deux
appartiennent à la même confession
islamique !
Cette thèse comprend nécessairement une
part de vérité, même si le chef de la
diplomatie turc Ahmad Davutoğlu s’est
défendu, avant de se rendre à Ankara, «
de mener une politique à caractère
confessionnel ».
Mais ce principe, car
il s’agit bien d’un, ne peut expliquer à
lui seul l’acharnement de la Turquie
contre le régime syrien.
Davutoğlu a en personne lancé à la même
occasion précitée que « la Turquie
suit une politique d’équilibre entre les
principes et les intérêts».
Justement c’est du côté des intérêts que
les choses paraissent plus claires.
Deux
évènements ayant eu lieu ces derniers
jours l’illustrent.
Le premier, militaire fait état que 4
drones américains de type «
Predator » ayant été déplacés de l’Irak
en Turquie. Leur mission consiste à
soutenir la Turquie contre les rebelles
kurdes du PKK qui mènent une lutte
acharnée depuis une quarantaine d’années
contre le gouvernement central pour
obtenir l’indépendance de leurs régions.
Ankara qui s’efforce
par tous les moyens pour s’acquérir ces
appareils en avait dans un premier temps
acheté à Israël. Mais elle a dû les
restituer lorsqu’elle s’est rendue
compte qu’ils sont défectueux. C’est
l’une des raisons de la dégradation de
ses relations avec Tel Aviv.
Elle a tenté de se les acquérir de la
France et de l’Italie. Là aussi, les
israéliens sont parvenus à entraver
l’accord.
On
sait depuis le mois de septembre dernier
qu’elle les a demandés à Washington, et
que les membres du Congrès tentent de
bloquer leur vente à cause de Tel Aviv
aussi.
Maintenant qu’elle les a dans sa base
aérienne d'Incirlik, il faut deviner
qu’un marchandage a eu lieu, vu que ce
genre de transaction se fait donnant
donnant.
La Turquie ne peut
désormais plus que tourner dans l’orbite
de Washington. Il ne faut donc plus
s’étonner qu’Erdogan s’offusque à pleine
bouche contre ElAssad.
Autre
information, relevant du domaine
économique : Ankara s’attend à davantage
d’investissements qataris chez elle, en
l’occurrence la création d’une station
de gaz liquéfié destiné à l’Europe, dans
le cadre d’une gazoline reliant la
région du Golfe aux pays de l’Union
européenne. Des investissements
bancaires sont également convenus,
rapporte le ministre des finances turc,
Mohammad Chimchek, lors d’un forum des
investissements organisé à Doha.
Une générosité
pareille de la part des autres états
pétroliers golfiques devraient avoir eu
lieu.
Au lendemain des ententes turco-syrienne
et turco-iranienne, rois et émirs du
Golfe se sont empressés de convier Gull,
Erdogan et compagnie. Question de
contrer avec les ambitions iraniennes et
syriennes. Avec un acharnement que
l’on ne trouve guère lorsqu’il s’agit
par exemple de faire adhérer la
Palestine à l’ONU, et que les Américains
et les Israéliens l’entravent...
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