Opinion
Attaque ou pas
contre l'Iran : le ping-pong médiatique
Leila
Mazboudi
Vendredi 16 mars 2012
Depuis la dernière
rencontre entre le président américain
et le Premier ministre israélien, au
cours de laquelle le premier a rejeté la
proposition du second de mener ou de
donner son feu vert pour une attaque
militaire contre l’Iran, on observe un
remue-ménage médiatique hors-norme.
Deux grandes
tendances s’en dégagent.
La première relève
d’une véritable campagne d’intoxication.
Des informations démenties le lendemain,
par les Américains surtout, s’attellent
à laisser croire que l’attaque contre
l’Iran est inévitable tôt au tard, et
qu’en attendant les Israéliens
s’acquièrent les moyens de la mener,
avec le consentement des Américains et
leur assistance.
Dans ce cadre,
s’inscrit l’information diffusée par le
journal israélien Maariv au lendemain de
la mission de Netanyahou à Washington,
comme quoi les Etats-Unis se sont
engagés à fournir les bombes anti
bunkers et les avions
d’approvisionnement en air, (lesquels
semblent faire défaut à l’arsenal
israélien), et que la Maison blanche
s’est empressé de de nier.
Une autre
information du même calibre, impliquant
aussi Washington, puis démentie par elle
a été diffusée par le journal russe
Kommersant, à la foi d’une source
diplomatique russe. Elle prétend que la
secrétaire d’état américaine Hilary
Clinton a envoyé à l’Iran un ultimatum
via son homologue russe Serguei Lavrov.
Son contenu étant que ce pays jouera
lors des prochaines tractations avec le
groupe des six « sa dernière chance ».
La porte-parole de Mme Clinton a nié
tout.
Nul doute que les
deux informations ont de commun de
vouloir amortir le refus d'Obama
d'attaquer l’Iran. Laissant entendre que
les Américains agissent à l’opposé de
leurs paroles, et qu’en fait, ils
préparent le terrain pour la mener,
voire plus, qu’ils commencent à
s’impatienter. Ce qui équivaut à laisser
croire que cette attaque est désormais
imminente.
Dans cette
rhétorique s’inscrit l’information
diffusée également via le Maariv, que le
Premier ministre israélien a obtenu le
feu vert de la part de la plupart des
ministres membres du cabinet ministériel
de sécurité restreint de frapper l’Iran,
sans feu vert américain. Drôle de
révélation en ce moment, alors que la
séance se devait être secrète. Les
medias arabes farouchement anti iraniens
comme le koweitien as-Siyassa (la
politique) n’ont pas manqué de rajouter
du leur, pour plus de dramatisation,
titrant « Netanyahou a pris la décision
d’attaquer l’Iran ».
Jamais guerre sans
les Américains
De l’autre côté du
versant, on retrouve dans les médias une
autre tendance qui insiste pour
démontrer qu’une frappe israélienne sans
les Etats-Unis n’est pas réalisable.
Et pour citer comme exemple, l’article
publié par le New York Times le mois de
février dernier rapportant les avis de
responsables et d’experts militaires
proches des cercles de décision lesquels
affirment qu’Israël n’a pas les moyens
de mener une telle attaque qui puisse
mettre fin au programme nucléaire
iranien.
La chaine de
télévision américaine CNN semble elle
aussi suivre la même voie empruntant
aussi les mêmes données du New York
Times, et étayant ses conclusions grâce
à des informations du magazine américain
militaire Jane's.
Ainsi, pour l’un comme pour l’autre il
est toujours question d’une implication
d’une centaine d’avions dans une
éventuelle attaque. A première vue, le
chiffre peut paraitre terrifiant, mais
il n’en constitue pas moins un sérieux
point faible. D’abord parce qu’il
investit presque la totalité de la force
aérienne israélienne qui convient à une
mission pareille, en l’occurrence les
F15i et les F16i.
La revue militaire américaine le
constate et signale que les Israéliens
ne possèdent qu’une escadrille (25
avions) de F15i, et 4 de F16i.
(C’est-à-dire un total de 125 pour les
deux).
Mais le magazine omet de signaler qu’une
participation massive de l’aviation rend
facile à l’adversaire de les pourchasser
!
Autre difficulté
mise en exergue par ces medias : vu que
les avions devraient traverser une
longue distance, il leur serait donc
nécessaire de s’approvisionner dans
l’air : or les Israéliens ne possèdent
pas assez d’avions d’approvisionnement :
7 QC 707 et 4 Herculus (selon Jane's
aussi).
S’agissant des
bombes que les Israéliens pourraient
utiliser, le magazine militaire exclut
qu’ils puissent avoir acquis les
anti-bunkers américains de type GBU 57,
de 13.600 Kg, lesquelles peuvent
s’enfoncer dans une profondeur de 40-60
mètres selon la nature du béton ou des
rochers, ni les bombardiers capables de
les transporter, les B2 et les B52. Ils
devraient donc se contenter des GBU 28
(de 2270 Kg), transportables à trois
dans chaque F15. D’où la nécessité de
l’implication d’un grand nombre
d’avions.
D’autant plus qu’il
n’y a pas un seul site à frapper, comme
en Irak et en Syrie, mais 8. Plus encore
: les plus importants, Natanz et Fordo
sont les plus difficiles à détruire. Et
puis, concernant ce dernier site, situé
dans une montagne près de Qom, une
frappe risque fort d’avoir l’effet
inverse, fait remarquer Emilie Tsorly.
Selon cette experte de Dgins,
l’effondrement de son entrée sans le
détruire pourrait le protéger d’une
frappe supplémentaire. Sachant que tous
ces sites sont sous la protection du
système de défense S 200 et Hack (expert
Jim Ahloran à la CNN).
Les experts
estiment aussi que le choix des
trajectoires pose aussi un sérieux
problème: celle passant par la Turquie,
la plus longue, parce que les relations
sont mauvaises ; celle passant par
l’Arabie (bien plus courte) est
impossible car officiellement, il n’y a
pas de liens entre les deux ; et enfin
celle qui franchit la Jordanie puis
l’Irak, la plus privilégiée permet une
avance de trois heures aux Iraniens pour
les détecter et se préparer à répliquer.
Washinton Times
contre CNN et Jane's
Au lendemain du
programme de la CNN, effet ping-pong
oblige, une réplique point par point, se
trouvait toute prête dans un magazine
(qui s’est voulu à l’origine être une
alternative conservatrice au Washington
Post, et connu pour ses scoops ayant
trait aux services secrets américains,
et dont beaucoup se sont révélés être
faux): le Washington Times. Selon lui,
Israël aura recours à l’effet surprise,
à tel point que les Iraniens ne s’en
rendront compte que lorsque les attaques
seront terminées, qu’Israël est devenu
expert dans ce genre d’opérations citant
les deux cas irakien et syrien ;
qu’Israël aura recours à des bombes anti
bunker qu’il s’est acquis des Etats-Unis
en allusion au GBU 57 et non ceux
téléguidées par Laser, que les
Israéliens seront protégés des ripostes
iraniennes grâce au Dôme d’acier et aux
abris. Toute au long de l’article, il
est sans cesse question d’une
contribution américaine, voire que les
Américains seront de mèche dans
l’attaque.
Les sondages aussi
retrouvent leur compte dans cet échange
médiatique. Lorsque le Haaretz a signalé
que 56% des Israéliens étaient hostiles
à une attaque israélienne contre l’Iran
sans les Etats-Unis, la Reuters a trouvé
bon de sonder l’opinion des Américains,
lesquels exprimaient, eux aussi à 56%,
leur soutien d’une frappe si le
développement d’une arme nucléaire par
l’Iran s’avère vraie.
Tirer les
conclusions d’un tel remue-ménage
médiatique serait bien hâtif.
S’agirait-il d’un face à face sérieux
entre l’administration américaine et
israélienne, médias interposés ? Sachant
que l’ex-président américain Georges
Bush avait lui aussi refusé de mener une
attaque contre l’Iran en 2008, après une
campagne acharnée qui la présentait
comme immédiate et avant une autre
campagne qui la présentait inévitable.
Ou alors serait-ce un écran de fumée
pour occulter les préparatifs d’une
attaque ?
Au moment ou la
région est en ébullition, toutes les
réponses relèvent de l'aléatoire. Seuls
les évènements à venir apportent les
certitudes.
Force est de
constater que face à ce pêle-mêle
déroutant, combien est pertinente la
réaction iranienne. Tout en criant à la
guerre psychologique, elle se prépare au
pire scénario.
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