Opinion
Le martyr de la
démocratie libérale
Koffi
Cadjehoun

Vendredi 27 octobre
2011 La mort de Kadhafi ne doit
nullement nous laisser croire
que cet exemple incarne
l'alternative à l'impérialisme
et au colonialisme. Kadhafi est
un chef tribal qui est mort
assassiné par la tribu qui avait
accepté de coopérer avec l'OTAN
sur ce coup (certains des
Misrata). Mais telle la légende
du Phénix, la mort symbolique de
Kadhafi signifie que l'homme va
renaître de ses cendres et que
quel que soit le temps que cela
prendra il ne va pas accepter le
sort d'autodestruction que les
désaxés de l'OTAN et leurs
contrôleurs des mondes de la
finance lui promettent. Kadhafi
a été assassiné à Syrte par les
commandos de l'OTAN, puis il fut
livré en pâture à la vindicte
des abrutis et autres dégénérés
venus Misrata qui hurlaient des
"Allah Akbar!" antimusulmans
tandis qu'ils le lynchaient -
lui tirant une balle dans le
ventre avant de l'achever d'une
balle dans la tête.
http://oumma.com/Kadhafi-a-t-il-ete-livre-a-ses Pauvres types. On mesure les
effets de la doctrine
impérialiste du double standard
chère à un Cooper selon laquelle
le standard démocratique vaut
pour l'intérieur de l'Occident
alors qu'à l'extérieur la loi du
plus fort devient permise. On
considère que les tribus
libyennes sont des peuplades
arriérées et dégénérées qui à
l'exemple de ces hordes de
combattants manipulés et hors
d'eux (drogués?) sont juste
capables de semer le chaos et la
discorde, la sauvagerie et la
barbarie. Il est normal que les
civilisés de l'OTAN se soient
servis d'eux pour punir le chef
tribal Kadhafi qui avait refusé
de leur obéir et de céder le
pouvoir. Le racisme qui
transparaît de cette morale peut
se vérifier avec la réponse
hallucinante de Hillary Clinton
qui ose rire à propos de ce
lynchage et parodier les paroles
de César. C'est au moins lucide : les
dirigeants de l'Etat américain
se comportent en impérialistes
déboussolés, à cette précision
près qu'ils n'agissent pas pour
le compte politique des
Etats-Unis, mais pour le compte
des factions financières
apatrides qui composent l'Empire
britannique et qui désespérées
par leur désintégration
inexorable sont prêtes à toutes
les monstruosités pour prolonger
leur toute-puissance éperdue. On
mesure à quel point le racisme
du double standard énoncé par
Cooper le théoricien de
l'impérialisme postmoderne
européen se vérifie avec
l'assassinat atroce et
médiatisée de Kadhafi, qui
n'aurait pas été envisageable il
y a une décennie encore. Les
responsables politiques d'alors,
surtout au nom de la démocratie,
n'auraient jamais entériné une
pareille scène de vengeance qui
fait suite au pseudo-assassinat
(fictif) sous prétexte de
vengeance juste d'Oussama et aux
assassinats ciblés un peu
partout dans le monde de
soi-disant membres d'al Quaeda
ou d'ennemis des Etats-Unis (y
compris de citoyens américains),
sans jugement et au nom de la
démocratie. Avant le 911, la
souveraineté des Etats avait
encore un sens, alors que
désormais au nom de l'ingérence
démocratique on peut dévaster un
pays et passer (seulement pour
un temps, au début) pour
démocrate. Le visage d'Obama la catastrophe
atlantiste et des dirigeants
occidentaux affidés est en train
d'apparaître clairement. Ce sont
des pervers qui subvertissent le
sens de la démocratie aux fins
de l'impérialisme et de formes
politiques que l'on peut nommer
néo-fascistes : le lynchage de
Kadhafi exprime la preuve
médiatique de cette
dégénérescence dans l'extrémisme
et la violence et de
l'irresponsabilité des
dirigeants occidentaux qui l'ont
commandité, approuvé, élaboré.
Quant aux populations
occidentales qui la plupart du
temps se fichent de cette
réalité (la montée du chaos et
du néo-fascisme) pour le moins
inquiétante, voire soutiennent
la sauvagerie au nom de leurs
petits intérêts égoïstes à
courte vue, elles se comportent
comme aux pires moments de
l'histoire, comme des couards et
des autruches, comme lors de la
montée des fascismes européens
dans les années trente (déjà en
pleine crise financière), quand
la plupart préféraient fermer
les yeux et cautionner
l'inacceptable plutôt que de
faire preuve de courage et de
lucidité. Qui s'oppose au Nouvel Ordre
Mondial dont on voit la hideur
la plus évidente en Libye depuis
février 2011, en Irak ou en
Afghanistan (notamment)? Qui
décrypte l'imposture de
l'ingérence démocratique, elle
qui en Libye a encore accru sa
virulence mortifère? Quelques
dizaines de milliers de morts en
huit mois (bagatelle), un pays
détruit (bagatelle bis),
un nouveau gouvernement fantoche
à la botte des colons d'Occident
et, cerise sur le gâteau, le
lynchage symbolique de l'ancien
chef d'Etat, qui dénote par sa
mort en martyr la terrible
épreuve que traverse l'humanité
- au-delà du cas libyen déjà
emblématique. Mais pour les
nombrilistes Occidentaux qui
estiment plus ou moins que la
Libye est encore trop loin de
l'Occident pour mériter une
attention soutenue et que l'on
finira bien par s'en sortir et
par sauvegarder le principe de
l'immanentisme selon lequel seul
compte l'intérêt du désir,
qu'ils se rassurent : le feu qui
dévaste tout au loin, la
politique de la terre brûlée et
du chaos, ont déjà commencé très
vite par revenir ici, dans le
coeur de l'Occident, là où l'on
vous susurre avec des avis
experts qu'il ne peut rien se
produire parce qu'on vit en paix
depuis plus d'un demi siècle.
A côté de la théorie du double
standard, qui légitime la
sauvagerie de psychopathe
assumée hors de l'Occident
démocratique et libéral, on
trouve pour entériner la
dégénérescence des régimes
libéraux et la mort effective du
libéralisme britannique une
autre théorie divine, concoctée
par le conseiller de
l'ultraconservateur libéral
britannique Cameron Philipp
Blond : le retour au
corporatisme néo-médiéval, qui
consiste à démanteler les acquis
de l'Etat-nation et à les
remplacer par des structures
locales privatisées et d'ordre
féodal. Le féodal équivaut au
tribal. Cette théorie survient à
point nommé pour légitimer la
crise financière terrible et
justifier du remplacement de
l'ordre né de la Paix de
Westphalie par le désordre du
chaos, si tant est que
l'expression oxymorique d'ordre
du chaos recèle une quelconque
consistance.
Les théories d'un Cooper donnent
une inflexion et une direction à
la politique étrangère des
démocraties libérales qui
soutiennent l'Empire
britannique; les théories d'un
Blond orchestrent et encadrent
de manière complémentaire le
fonctionnement interne de
l'Empire britannique à la dérive
: on démantèle la notion de
public et on la remplace par la
privatisation, qui revient à
accroître la loi du plus fort
entre rapports strictement
privés. La norme du public
permettait de remplacer la loi
du plus fort privée par le
principe républicain du public. Le lynchage qui est arrivé à
Kadhafi est bien entendu une
projection de l'état dans lequel
se trouve la Libye dévastée et
plus encore l'Empire britannique
en faillite, avec lequel Kadhafi
a toujours collaboré dans
l'espoir de parvenir à une
entente tarabiscotée qui
profiterait au peuple libyen,
une fédération intertribale sur
le modèle de la fédération
impériale. Mais le tribalisme
libyen n'est jamais que l'image
de ce que souhaitent les Blond
avec leur apologie du retour au
corporatisme médiéval : Kadhafi
avait réussi à imposer un modèle
seulement supérieur de
tribalisme qui demeurait confiné
aux limites du tribalisme; les
impérialistes ont détruit la
Libye et attisé les luttes
intertribales pour proposer un
retour au corporatisme médiéval,
pour le moment à l'extérieur de
l'Occident.
Un Blond ne propose rien d'autre
que le retour au modèle tribal
travesti en apologie postmoderne
du médiévalisme; et Cooper ne
fait rien d'autre que légitimer
le tribalisme sur la question
des rapports avec l'étranger :
le tribalisme favorise les
relations fondées sur le rapport
de force et l'absence de
principe. C'est l'option
rebattue que défendent depuis
les conférences de Yalta et
Pugwash les stratèges de
l'Empire britannique,
singulièrement quand ils opèrent
sur le territoire américain,
comme ce Kissinger qui prétendit
s'inspirer du modèle de
Metternich pour défendre ce
modèle impérialiste des rapports
fondamentalement de force entre
Etats. Sans doute que les
stratèges désaxés actuels
derrière Hilary Clinton
(notamment ceux du Pentagone
autour du NSC et du nouveau
JSOC) partagent cette conception
quand ils poussent leur
représentante à verser dans des
déclarations stupides et
suicidaires sur le modèle
simpliste de César l'Empereur
romain.
Le tribalisme défendu par les
impérialistes britanniques prend
acte de la régression de la
domination qui n'est plus en
mesure de permettre un certain
ordre international fondé sur
l'impérialisme financier. Du
coup, on demeure dans
l'impérialisme, mais en
promouvant le fondement le plus
inférieur et régressif : le
féodalisme ou petite unité
tribale. Kadhafi en Libye avait
réussi à agréger les
innombrables tribus régionales
en une fédération intertribale.
C'est vers ce fédéralisme
bigarré et instable que tendent
les préconisations de Blond, à
ceci près que le postmodernisme
tribaliste en déclin introduit
la supériorité du féodalisme
britannique (et des territoires
de l'Occident qu'il contrôle)
sur le restant du monde. La
supériorité occidentale
impérialiste repose sur la
domination financière et
militaire.
On le vérifie en Libye, où
l'OTAN incomparablement
supérieur en termes militaires a
détruit le pays sans aucune
pitié pour son développement
honorable depuis quarante ans.
Aucune compassion démocratique
ou humaniste : mais le
fonctionnement de la City est-il
démocratique? L'oligarchie
implique qu'une petite élite
domine le monde. L'oligarchie
britannique domine les États
plus libéraux que démocratiques
d'Occident, la fédération à
l'extérieur de laquelle c'est le
chaos qui règne. Ce schéma
terrifiant, dont on mesure la
monstruosité non viable en Libye
(les résistants libyens auront
le fin mot, sur le modèle
vietnamien), implique une
destruction croissante de
l'espace intérieur suite à la
destruction de l'espace
extérieur.
Le double standard adossé sur le
modèle du féodalisme postmoderne
finirait en chaos total
(démantèlement chaotique) : mais
je suis trop optimiste au regard
de l'histoire pour croire que
l'homme ne réagira pas de
manière constructive. En termes
libyens actuels : le martyr
abject de Kadhafi (sans
idéaliser le personnage, en
particulier certaines de ses
actions passées) constitue le
sacrifice final qui ne sauvera
pas son peuple et son pays -
mais de de manière plus générale
qui amorce et annonce le salut
l'humanité entière. Le martyr
est le témoin de son temps. Le
martyr Kadhafi en dit long sur
ce que les démocrates libéraux
sont (des zombies) et sur le
péril majeur qui court si l'on
ne fait rien pour prendre les
bonnes mesures : sortir du
libéralisme d'un point de vue
politique; sortir de
l'immanentisme d'un point de vue
religieux (culture et
religieux).
Publié le 27
octobre 2011 avec l'aimable autorisation
de l'auteur
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