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Au cours du réel
Jusqu'où veut-on des
cendres ?
Koffi Cadjehoun
Samedi 23 janvier 2010
Hallucinant : la grande messe du vingt
hères, le rituel
compassé, l'officiel théâtral, la componction tragique, s'est
commuée en une caisse de résonance pour la propagande
oligarchique à tendance people.
La télévision française a toujours répercuté les opinions au
pouvoir. Maintenant que l'effondrement systémique est à son
acmé, la télévision répercute sans fard ni
uppercut l'effondrement
terminal du sens. La nouveauté, c'est l'officialisation de cet
officiel de pacotille. L'Hyperréel traduit la distance de plus
en plus prégnante entre le désir qui se prend pour la réalité et
le réel qui s'écarte du désir. Nous en sommes à un point
d'outrance où l'outrage devient risible.
Que l'on en juge par l'événementiel le plus nauséabond. Le
tremblement de terre d'Haïti a causé la mort d'un nombre
incalculable de personnes dans cette île pauvre, largement
victime de l'impérialisme occidental. Les reporters affluent
pour dispenser leur voyeurisme empreint de pathétique auprès de
téléspectateurs larmoyants et dépassés. Les stars de Hollywood
et d'autres fonds de commerce s'engagent en faveur de la
Nouvelle Grande Cause. On avait le Soudan, on avait le tsunami
de 2004, désormais, on a le tremblement de terre de Haïti.
Après Lisbonne 1755, Haïti 2010. Ça donnes des chiffres ronds.
Au fait, le clown
bellâtre au sévice de la
cause soudanaise a-t-il songé à s'engager pour l'Irak? A-t-il
divulgué la présence fortuite d'un pipeline passant près du
Darfour, entre Doba (Tchad) et Kribi (port camerounais)? Pour un
philanthrope, c'est fort en café, cette omission mazoutée.
What else? Le couple
glamour et
tout à fait spontané
Brad Pitt/Angelina Jolie a-t-il songé à dénoncer le martyr de
Gaza au lieu de pratiquer la charité par adoption? On continue?
Par réelle charité, on va s'arrêter.
Sous de Gaulle, le vingt heures de l'ORTF était déjà orienté
côté pouvoir. Ce n'est pas la propagande qui a changé. C'est le
ton. Oligarchique et élitiste. Antirépublicain et ultra-libéral.
On loue le célèbre, on célèbre comme l'essentiel du pouvoir ce
qui auparavant n'était que manifestations périphériques et
superficielles de mondanités et de spectacles. Cette fois, que
voit-on? Carla Bruni-Sarkozy, que des mauvaises langues ont
baptisé Première Dinde de France, rapplique dare-dare avec sa
guitare pour soutenir les familles françaises qui dans leur
bonté infinie adoptent des enfants haïtiens. Serait-ce que Carla
cherche le moyen d'éviter la censure que des conseillers lucides
lui auraient imposée pour préserver l'image de la République?
Il semblerait plutôt que Carla soit dépêchée avec sa guitare en
représentante de charme de la République. Écoutons le message du
journaliste dépêché toutes affaires cessantes pour nous
entretenir de cet événement grave et capital.
Les informations qui appartenaient à des revues
people pour vieilles
grands-mères désœuvrées sont-elles devenues le menu courant de
la politique? "Carla Bruni est venue offrir dit-on le premier
cadeau de la République française : sa beauté et sa guitare, au
travers de ses musiques douces et magnifiques"." Véridique! Tu
parles d'un cadeau. Qualitativement, c'est un fardeau. Que
s'est-il passé pour que des journalistes reconnus sombrent dans
le potin mondain le plus stupide qui soit? Quelle dérive s'est
emparée de la République pour qu'on l'utilise à des fins
antirépublicaines et clairement oligarchiques?
Non, vous n'avez pas été la victime d'une hallucination
sardonique. Aussi hilarant que le canular paraisse, Carla Bruni
est présentée comme une grande compositrice. Pour que l'on
présente la Première dame de la République France comme une
chanteuse people et
caritative, il s'est passé quelque chose. Une dégringolade
effarante? Une subversion évidente? Le glissement de sens qui
nous emmène insensiblement de la république démocratique vers le
totalitarisme aristocratique? Comme un indice, le journaliste
s'appelle Loïc de la Mornais. C'est un nom qui s'accommode de la
dérive oligarchique, incluant la récupération des anciens
patronymes de l'aristocratie.
Le reporter Mornais serait passionné par les questions d'espace.
Mornais a-t-il accouché d'un rêve mort-né en redescendant de la
Lune vers la boue? Comment passe-t-ton de la conquête spatiale à
Carla Bruni? Vers la conquête spectrale? Qui maque-t-on? Eh
bien, nous tenons là un signe tangible du fonctionnement
oligarchique. De l'évolution de la république vers l'oligarchie.
Les médias sont une caisse de résonance. L'ordre actuel est à la
promotion de l'oligarchie financière, avec sur le devant de la
scène des personnages de moins en moins influents et de plus en
plus benêts. Cas de Carla B., plus que jamais en défilé utile?
Le système se porte tellement mal qu'il ne trouve à dépêcher que
des cas de nullité, confondant politique, art,
show-business et
peoplisation. L'indice
de l'état du système se mesure à la valeur des représentants
présentés. Le journal de vingt heures qui s'aligne sur
l'actualité people des
magazines de la presse à ragots chic, c'est consternant. Il ne
faut plus s'étonner que les journalistes consentent à propager
des contre-informations énormes. Ce sont de vulgaires
bas-parleurs. Au lieu de nous entretenir de l'histoire
esclavagiste de Haïti ou de l'existence de techniques à
tremblements de terre, les journalistes nous abreuvent d'actions
caritatives, de dames patronnesses et de folies bergères.
A force de nous abreuver, ils nous mèneront vers l'abattoir.
C'est vil, c'est triste, c'est pervers. Si l'on comprend que
dans cette logique de caste, les
people représentent le
peuple, c'est encore plus triste : le degré de bêtise en dit
long sur la stratégie des élites financières au pouvoir.
Utiliser des paravents exhibitionnistes qui déconsidérés
déconsidèrent. Confondre le désir avec le réel. Jouer sur la
pitié la plus médiocre pour promouvoir le Nouvel Ordre
Oligarchique. On sait que l'idéal cadavérique ne tiendra pas :
cette nullité consommée,
c'est une sommation sans poudre.
Publié le 25 janvier
2010 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Les analyses de Koffi Cadjehoun
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