Opinion
Dernière marche
Koffi
Cadjehoun
Dimanche 6 novembre
2011
La Libye
pourrait constituer la dernière
marche (dans tous les sens du
terme) avant l'escalade vers la
guerre mondiale. Le Moyen-Orient
jouerait le rôle des Balkans
lors de la Première guerre
mondiale. Nous assistons à une
internationalisation et une
mondialisation de la crise, qui
avant se trouvait circonscrite
en Europe. L'Occident essaye
d'externaliser sa crise et use
du moyen illusoire de son
internationalisation.
L'assassinat symptomatique de
Kadhafi conjugué à une campagne
militaire intense en Libye a
abouti à la destruction du pays,
de ses infrastructures, de son
niveau de vie. Cette campagne
virulente est logique dans la
phase d'effondrement de l'Empire
: l'oligarchie adopte un
comportement de plus en plus
différencié, inégalitariste et
violent entre les intérêts
qu'elle représente et qu'elle
entend conserver, voire
promouvoir (son intérieur), et
l'extérieur, qu'elle détruit de
plus en plus et qu'elle exploite
sans vergogne. C'est exactement
ce qui se produit en Libye, où
la situation libyenne en tous
points scandaleuse n'est pas un
problème circonscrit à ce pays,
mais un problème qui concerne le
Moyen-Orient dans son ensemble :
la ligne de fracture se joue là
parce que l'affrontement se
situe entre la zone atlantique
en effondrement et la zone
pacifique qui en dépend mais qui
en même temps cherche à s'en
émanciper et à la dominer.
En ce sens,
la guerre qui se joue déjà et
qui risque de finir en
déflagration nucléaire folle (à
partir de la situation iranienne
notamment) indique que nous
sommes confrontés au problème de
la gradation de l'oligarchie.
Les pays impérialistes
transatlantiques réunis autour
des factions financières
britanniques accroissent leur
emprise oligarchique pour
essayer de contrer leur
effondrement inéluctable; les
pays de la zone transpacifique,
qui sont des pays émergents et
qui dépendant grandement des
échanges avec la zone
transatlantique, n'entendent pas
contrer cette montée de
l'oligarchie par des principes
plus républicains ou plus
solidaires, mais par une
tentative de remplacer la
suprématie oligarchique
atlantique par leur propre
suprématie oligarchique (en gros
pacifique).
Une guerre
mondiale nucléaire pourrait
accoucher d'une souris :
destruction, chaos (comme en
Libye), et plus encore, absence
totale d'horizon politique pour
le développement humain pendant
des décennies, voire des
siècles, remplacé par des
querelles intestines et
médiocres pour l'obtention de
tel ou tel intérêt factionnel.
La Libye constitue un cas
d'observation intéressant de ce
qui nous concerne tous de par le
monde : la Libye n'a rien gagné
dans la guerre démocratique de
2011. Elle est détruite de part
en part; et pire encore, elle
est devenue un chaos tribaliste
qui oscille entre les règlements
de comptes incessants (comme en
Somalie) et l'islamisation
importée par la campagne de
l'OTAN et décidée par les
stratèges atlantistes (comme
pour le cas de la Bosnie, al
Quaeda n'est pas une hydre
religieuse anti-occidentale,
mais une marionnette de l'antioccidentalisme
primaire instrumentalisé par les
Occidentaux).
Le cas libyen
indique comme dans le cas des
écrits du stratège Cooper
(gourou de l'euro-impéralisme
postmoderne) le clivage entre
l'oligarchie et son extérieur :
entre l'ordre élitiste et le
chaos - clivage d'une telle
acuité et d'une telle radicalité
qu'il permet de légitimer la
différence qualitative entre
l'oligarchie comme principe
supérieur et le chaos comme
principe inférieur. C'est ce
qu'on note lors de l'assassinat
de Kadhafi, puisque l'on s'est
focalisé sur l'assassinat en
tant que tel de l'ancien chef
d'Etat libyen en dénonçant les
conditions de lynchage atroces
sans pour autant remarquer
l'essentiel : le symbole est
mort, mais pas seul. Combien
étaient-ils avec lui? On parle
de dizaines, peut-être
soixante-dix véhicules
bombardés, ce qui implique sans
doute une bonne centaine de
morts.
Pourquoi
ne retient-on que l'assassinat
scandaleux de Kadhafi au regard
des critères du droit
international (passablement
rapiécé et remplacé de plus en
plus par la loi du plus fort
travestie en principe stupide
d'ingérence démocratique)?
Pourquoi ne considère-t-on
médiatiquement que la mort
abjecte de Kadhafi, supplicié
par les valets du CNT (pour le
lynchage quelques dizaines de
mercenaires venus de Misrata)?
Parce que nous vivons dans une
époque d'oligarchie où selon ces
critères seule compte la
personnalité, la célébrité.
Kadhafi est-il mort en pharaon?
Dans la mentalité oligarchique,
seule compte la mort de Kadhafi,
alors que dans le système
républicain, toutes les vies
sont importantes, celle de
Kadhafi comme ceux qui
l'accompagnaient (et dont
certains n'étaient pas des
soldats ou mercenaires
anonymes,
mais des personnalités de son
entourage politique ou de son
gouvernement détruit par l'OTAN
et le Qatar).
Historiquement, cette manière de
procéder rappelle les
enterrements de grands
dignitaires en Inde ou en
Egypte, qui impliquent que les
épouses et les domestiques
suivent, enterrés eux vivants.
La mort des anonymes porches de
la personnalité en compte pas.
Ils ne peuvent continuer à vivre
sans la personnalité à laquelle
ils sont attachés. La vie du
seigneur est si dominante, si
importante (imposante) qu'elle
nécessite qu'elle soit
accompagnée dans la mort par les
vies secondaires et inférieures,
précisément les proches
inférieurs. Il s'agit de séparer
qualitativement la valeur des
individus selon le critères des
couches sociales. Aristote
appuie cette interprétation avec
sa théorie de la multiplicité de
l'être, posant le problème en
termes d'inégalités sociales.
Dans l'histoire récente de
l'assassinat d'Oussama (encore
un assassinat illégal et
dangereux), on trouverait des
similitudes et matière au
rapprochement.
L'observateur n'a jamais pu
constater par des images ou des
preuves qu'Oussama avait été
assassiné, puis jeté à la mer,
selon la version dispensée par
les commanditaires exécuteurs
américains (qui n'en seraient
pas à leur premier mensonge, ni
depuis dix ans, ni sur ce sujet
digne de plaisanterie). Oussama
a été assassiné en compagnie de
plusieurs personnes, des femmes
et des gardes du corps, nous
précise la VO. Outre que toute
théorie criminologique
élémentaire enseigne à ne pas
accréditer ce genre de version
sans bénéficier de preuves
élémentaires de
l'identification, les médias
comme avec l'assassinat de
Kadhafi ont signalé l'assassinat
d'Oussama sans jamais préciser
qu'elle n'était pas la seule
mort sur ce coup. Mort
métonymique en ce qu'elle
servirait à recouvrir toutes les
autres morts secondaires.
Méthode aussi glauque que
croissante, puisqu'avec Oussama,
c'était quelques personnes
anonymes qui étaient mortes en
compagnie du terroriste; tandis
qu'avec Kadhafi ce sont des
centaines de compagnons qui ont
péri dans les bombardements et
les combats associés.
Et l'on pourrait sans peine
ajouter à cette liste les
milliers de morts de Syrte,
ville originaire de Kadhafi dans
laquelle il s'est retranché ces
dernières semaines en sachant
pertinemment quelle serait sa
fin proche et qui a été rasée
comme le fut Falloujah en Irak
en 2003, à ceci près que
Falloujah fut rasée par les
Américains pour éradiquer al
Quaeda, tandis que Syrte fut
rasée par al Quaeda et les
mercenaires de l'OTAN pour punir
les habitants autochtones de
Syrte qui avaient eu le front de
ne pas obéir aux ordres des plus
forts. Précision connexe : l'on
pourrait tout aussi bien ajouter
encore les dizaine de milliers
de suppliciés consécutifs à la
campagne militaire injuste de
février à octobre 201, dont les
dizaines de suppliciés officiels
punis par tortures (mais
n'accédant pas au statut de
reconnaissance officielle et
people,
du fait qu'ils sont des
officiels mineurs, de l'assez
petite bière en comparaison de
Kadhafi). Nous assistons à l'oligarchisation
du monde, et notamment dans les
compte-rendus journalistiques.
Si bientôt le parti de la guerre
contre l'Iran l'emporte en
Grande-Bretagne, aux États-Unis
ou en Israël, les médias aux
ordres, de vulgaires pantins en
propagande, comme l'a reconnu le
"lieutenant-général canadien"
Bouchard dans un entretien avec
Radio-Canada (31 octobre 2011),
claironneront qu'Ahmadinejad a
été bombardé (voire telles
personnalités de la Révolution
iranienne), en omettant les
milliers de victimes immédiates,
ni les victimes à venir (surtout
s'il s'agit de bombardements
nucléaires), puisque ces
victimes, anonymes, méritent de
ce fait oubli et mépris.
Publié le 6
novembre 2011 avec l'aimable autorisation
de l'auteur
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