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Réseau Voltaire
L'Allemagne et Israël viennent-ils de signer des accords
secrets ?
Karl Müller
Benjamin Netanyahu et
Angela Merkel, lors du Conseil des ministres commun
des cabinets israélien et allemand à Berlin (18 janvier 2010)
Berlin, le 8 février 2010
Le spectaculaire Conseil des ministres conjoints d’Israel et
d’Allemagne, qui s’est tenu le 18 janvier à Berlin, avait-il
pour seul objectif la signature d’accords secondaires de
coopération ou les deux Etats ont-ils conclu des accords
stratégiques secrets ? Pour Karl Müller, éditorialiste de « Zeit
Fragen », la chancelière Angela Merkel engage les Allemands à
leur insu sur une voie qu’ils n’ont pas débattue, et encore
moins choisie.
Dans son livre One Palestine, Complete : Jews and Arabs
Under the British Mandate [1]
l’historien israélien Tom Segev a démontré que le gouvernement
britannique avait, pendant la Première Guerre mondiale, cédé au
mouvement sioniste, notamment à l’une de ses personnalités
importantes, Chaim Weizmann, par la suite devenu le premier
président de l’Etat d’Israël, sur toutes les questions touchant
la Palestine. Cela ne se passa pas par conviction, mais dans
l’idée que les Juifs pourrait utiliser leur « influence largement
étendue dans le monde » pour « influer sur l’issue de la guerre
mondiale ». Pour les Britanniques il s’agissait, selon Tom Segev,
de gagner le mouvement sioniste à leurs fins. Les droits de la
population arabe, largement majoritaire en Palestine, n’avaient
aucun poids.
Les professeurs états-uniens de sciences politiques, John J.
Mearsheimer et Stephen M. Walt, ont démontré dans leur livre
intitulé « Le lobby pro-israélien et la politique étrangère
américaine » [2]
que, depuis plusieurs décennies, la pièce maîtresse de la
politique moyen-orientale des Etats-Unis a été le soutien
inconditionnel à Israël et que ceci ne peut s’expliquer par des
intérêts stratégiques communs ou des impératifs moraux, mais
bien par la puissance politique des groupes de pression
pro-israéliens aux EtatsUnis mêmes.
D’où vient ce soutien inconditionnel à Israël ?
Dans l’Allemagne d’aujourd’hui, on prétend que le soutien
inconditionnel à la politique israélienne viendrait, sans qu’on
puisse le remettre en doute, de la responsabilité du pays pour
les six millions de morts juifs pendant la Seconde Guerre
mondiale et le pouvoir national-socialiste en Allemagne. Cet
argument n’est toutefois pas solide, étant remis en cause chez
une partie des Juifs eux-mêmes. Il suffit de rappeler des livres
tels que celui de Norman G. Finkelstein L’industrie de
l’Holocauste : réflexions sur l’exploitation de la souffrance des
juifs [3],
ou d’Avraham Burg, Vaincre Hitler : pour un judaïsme plus
humaniste et universaliste [4].
Lors de la commémoration du 27 janvier, lorsque le président
d’Israël, Shimon Peres tint un discours au Bundestag, il y eut
une autre commémoration juive avec l’appel suivant : « Des Juifs
religieux – survivants et victimes de l’holocauste – présentent,
pour la première fois depuis la fondation de la République
fédérale allemande, leur point de vue de l’histoire. Ils
insistent sur le fait que la direction de l’Etat sioniste n’a
pas le droit d’utiliser les victimes juives de la Seconde Guerre
mondiale pour opprimer le peuple palestinien – cela d’autant
moins que ce peuple n’est en rien responsable des crimes du
régime hitlérien. » On se demande alors pourquoi la politique
allemande soutient inconditionnellement la politique d’Israël.
Est-ce un soutien pour la violation du droit
international et des droits humains ?
Cette question est d’autant plus importante qu’il apparaît
clairement – ce dont la politique allemande est parfaitement
consciente – que ce soutien est en faveur d’une politique qui
viole depuis des décennies le droit international, le droit
humanitaire et les droits humains, tous ces droits inscrits dans
la Constitution allemande. Ce soutien va à une politique
responsable, au cours des années passées, directement ou
indirectement, de conséquences désastreuses : en 2003 la guerre
contre l’Irak (cf. Stephen J. Sniegoski : The Transparent
Cabal. The Neoconservative Agenda, War in the Middle East, and
the National Interest of Israel [5],
en 2006 la guerre contre le Liban, ainsi que la guerre en
permanence contre le peuple palestinien. Et maintenant, la
politique israélienne pousse de toutes ses forces vers une
guerre contre l’Iran.
Le rôle d’Angela Merkel
Ce nonobstant, les gouvernements allemands se sont toujours
plus liés à la politique israélienne, le plus ouvertement depuis
qu’Angela Merkel est chancelière – ce qui n’a pas manqué d’être
remarqué sur le plan international [6]
et perçu comme un obstacle aux efforts constructifs de l’Union
européenne en faveur du Proche-Orient.
En 2005 déjà, Angela Merkel avait tenté de placer l’alliance
avec Israël sous la raison d’Etat. Depuis, elle n’a cessé de
développer cette tendance et d’en faire une volonté
gouvernementale : dans l’accord de coalition du nouveau
gouvernement on trouve non seulement que « le gouvernement
allemand se sent particulièrement responsable envers Israël »,
mais encore envers « Israël en tant qu’Etat juif » (page 113 de
l’accord de coalition) – alors même qu’actuellement encore 20 %
de la population de ce pays sont des Arabes et environ 5 % ne
sont ni juifs ni arabes. Toutefois, le ministre des Affaires
étrangères israélien, Avigdor Liebermann, de même que le
gouvernement israélien n’utilisent plus que l’appellation « Etat
juif ».
Merkel parle de sanctions, sans s’occuper d’un
mandat du Conseil de sécurité …
En janvier, les échanges des gouvernements
germano-israéliens, et quelques jours plus tard une visite du
président de l’Etat d’Israël en Allemagne, ont attiré
l’attention sur les relations entre les deux pays.
Le but de ces deux rencontres apparut clairement lors de la
conférence de presse d’Angela Merkel et de Benjamin Netanyahu le
18 janvier [7].
Merkel ne se contenta pas d’évoquer de façon générale l’objectif
de « renforcer la coopération dans la politique étrangère et de
sécurité », mais aborda le problème de l’Iran : « Nous,
Allemands, avons déclaré clairement que si l’Iran ne change pas
d’attitude, nous participerons à des sanctions étendues. Nous
souhaitons bien entendu, qu’elles puissent être appliquées dans
le cadre du Conseil de sécurité des Nations Unies. On va
préparer le terrain dans les semaines à venir. » Puis la
chancelière ajouta : « Si cela n’était pas possible, alors
l’Allemagne s’allierait à d’autres pays poursuivant le même
objectif pour appliquer de telles sanctions. »
… et l’agitation guerrière en Israël
Le Premier ministre israélien a pu, sans être contredit,
s’adonner à une agitation guerrière pendant la conférence de
presse, en utilisant un argument historique douteux : « Le
deuxième point concerne l’Iran. Ce pays a montré son vrai visage
au cours de l’année dernière. C’est un régime qui tyrannise sa
propre population. Or on sait de l’histoire récente qu’un régime
qui tyrannise sa propre population s’apprête à étendre sa
tyrannie au monde entier. […] Je pense qu’au cours de la
première moitié de ce XXIe siècle nous devrons, en tant que
communauté internationale, montrer que nous sommes décidés à
agir. »
Le président de l’Etat d’Israël se lança dans le même genre
de discours, lors de son apparition devant le Bundestag, sous le
titre « Plus jamais ! », en s’écriant : « On ne devra plus
jamais ignorer des dictateurs sanguinaires qui se cachent
derrière des masques démagogiques et tiennent des discours
criminels. Mes amis, représentants du peuple allemand, les
menaces de détruire notre peuple et notre Etat [ce qui ne fut le
cas d’aucun gouvernement iranien – Note de l’auteur] sont
proférées à l’ombre d’armes de destruction massive [dont
l’existence est alléguée sans aucune preuve – Note de l’auteur]
qui se trouvent aux mains d’êtres irrationnels, irresponsables
et qui ne disent pas la vérité » [8].
Y a-t-il des accords secrets entre l’Allemagne
et Israël ?
La question se pose de savoir ce que les deux gouvernements –
l’allemand et l’israélien – ont décidé lors de leurs
négociations, en ce qui concerne cette question.
S’agissait-il uniquement « d’une extension des relations
culturelles », « de projets communs pour l’adduction d’eau dans
les pays en voie de développement » et l’extension « de la
coopération entre les classes moyennes allemandes et
israéliennes » ? C’est ce qu’on trouve dans la déclaration à la
presse du gouvernement allemand le 18 janvier.
Ou bien a-t-on conclu des accords secrets à propos de l’Iran
dans le dos des populations ? On doit se poser cette question ;
car il est tout à fait inhabituel que deux gouvernements se
rencontrent au grand complet. Une telle rencontre des
gouvernements allemand et israélien s’est déroulée pour la
première fois sur sol allemand – après la visite du gouvernement
allemand en Israël il y a deux ans.
Est-il nécessaire que deux gouvernements, au grand complet,
se rencontrent pour discuter de relations culturelles,
d’adduction d’eau et de coopération entre les classes moyennes ?
Deux articles de journaux, parus quelques jours plus tard,
confirment la nécessité de se poser des questions. Le 25 janvier,
le quotidien allemand Junge Welt citait une nouvelle
étude de la Heritage Foundation [9]
On y lit que le gouvernement états-unien doit reconnaître à
Israël le « droit » de se lancer contre l’Iran dans un geste de
« légitime défense ». Les Etats-Unis devraient s’attendre à une
riposte violente de l’Iran et se préparer à intervenir dans
cette guerre, voire à y participer d’entrée. Car : « en
supposant que les Etats-Unis seraient attaqués par l’Iran en cas
d’agression de la part d’Israël, il serait logique de s’allier à
Israël déjà au début d’une guerre préventive. »
Le correspondant de Washington du journal Die Welt fit
acte d’agitation guerrière le 25 janvier : les prises de
position actuelles du gouvernement allemand en ce qui concerne
l’Afghanistan et l’Iran sont « l’expression d’une préparation
psychologique pour un conflit probablement majeur dans le Golfe
persique, dont l’Allemagne ne peut pas se tenir à l’écart du
fait de son histoire ». L’article se répand dans un scénario de
guerre et conclut : « Angela Merkel prépare l’Allemagne à une
défense commune avec Israël. »
La diplomatie secrète avant la Première Guerre
mondiale a conduit à la guerre
Il y a plus de 90 ans, alors que dans les décennies avant la
Première Guerre mondiale les populations dans la plupart des
pays européens étaient traitées comme des serfs, dominés par une
clique, il était d’usage courant de préparer les guerres par une
diplomatie secrète, en cercle fermé. Ce fut le cas du
gouvernement allemand de cette époque : Lors de la « crise de
juillet » en été 1914 des accords secrets entre le gouvernement
allemand et celui de la monarchie des Habsbourg empêchèrent
d’éviter la guerre. Les deux gouvernements estimaient avoir agi
de façon intelligente. Mais le résultat fut une guerre mondiale
avec des millions de victimes, une guerre mondiale qui
transforma l’Europe et le monde de façon radicale et
irréversible. Le premier point du « programme en 14 points » du
président des Etats-Unis, Woodrow Wilson, pour un monde après la
guerre, avait la teneur suivante : « Des traités de paix clairs,
conclus publiquement. Il ne devra plus y avoir d’accords
internationaux secrets, mais bien au contraire la diplomatie
devra toujours être menée ouvertement et honnêtement au vu et au
su de tout le monde. » [10]
Aujourd’hui, l’ONU enregistre tous les accords
internationaux. Ceux qui ne sont pas enregistrés ne sont pas
reconnus ni par elle ni par la Cour internationale de justice.
Malgré cela, la diplomatie secrète ne fut pas éliminée au cours
de ces derniers 90 ans. Et ce ne fut pas pour le bien de
l’humanité. Alors que le gouvernement israélien interdit au
ministre du Développement de Belgique, un partenaire de
l’Allemagne dans l’UE, l’entrée dans la bande de Gaza encerclée
et que ce dernier proteste vivement, et avec raison, contre ce
procédé, le gouvernement allemand complote avec le gouvernement
israélien soi-disant pour des « projets d’avenir ». Pendant
combien de temps le monde, l’Europe, les Allemands
accepteront-ils ces comportements ?
Ce qu’on exige d’Angela Merkel
La politique proche-orientale d’Angela Merkel porte la
responsabilité de l’absence de paix dans cette région et des
nombreuses victimes qui en découlent. Elle a contribué à
empêcher que la guerre contre le Liban ne fût rapidement
terminée. C’est ainsi qu’il y eut toujours plus de victimes dans
une guerre qui s’éternisait. Elle a apporté son soutien aux
crimes de guerre lors de l’attaque de la bande de Gaza fin
2008/début 2009.
Combien faudra-t-il de victimes en Palestine, du fait de la
politique allemande envers cette région, avant qu’on devienne
raisonnable ? Qui se déclarera responsable au cas où des
armements allemands, par exemple des sous-marins allemands,
sèmeront le malheur dans une nouvelle guerre au
Proche-Orient ? [11]
Il est grand temps d’exiger que tous les accords avec Israël
soient publics. La politique allemande doit, elle aussi,
respecter le droit international, le droit humanitaire et les
droits humains. Il faut cesser de livrer des armes à Israël !
L’Allemagne ne doit pas participer à une nouvelle guerre !
Documents joints
An Israeli Preventive Attack on Iran’s Nuclear
Sites :
Implications for the U.S., par James Phillips, Heritage
Fondation, 15 janvier 2010
(PDF - 394.6 ko)
Source
Horizons et débats (Suisse)
[1]
One Palestine, Complete : Jews and
Arabs Under the British Mandate, par
Tm Segev, (Little, Brown, 2001).
[2]
The Israel Lobby and US Foreign
Policy, par John J. Mearsheimer et
Stephen M. Walt (Farrar Straus Giroux, 2007). Version
française : Le lobby pro-israélien
et la politique étrangère américaine
(La Découverte, 2007)
[3]
The Holocaust Industry :
Reflections on the explotation of Jewish Suffering,
par Norman G. Finkelstein (Verso Books, 2000). Version
française : L’industrie de
l’Holocauste : réflexions sur l’exploitation de la souffrance
des juifs (La Fabrique, 2001).
[4]
Vaincre Hitler : Pour un judaïsme
plus humaniste et universaliste, par
Avraham Burg (Fayard, 2008).
[5]
The Transparent Cabal : The
Neoconservative Agenda, War in the Middle East, and the National
Interest of Israel, par Stephen J.
Sniegoski (IHS Press , 2008).
[6]
« Embracing Israel Costs Merkel Clout », par Judy Dempsey, in :
The International Herald Tribune
du 20 janvier 2010. Version française : « Les
relations d’Angela Merkel avec Israël empêchent la solution du
conflit au Proche-Orient »,
Réseau Voltaire,
8 février 2010.
[7]
« Press
conference with Bemjamin Netanyahu and Angela Merkel »,
Voltaire Network,
18 janvier 2010.
[8]
« Address
by Shimon Peres at the German Bundestag »,
Voltaire Network,
27 janvier 2010.
[9]
An Israeli Preventive Attack on
Iran’s Nuclear Sites : Implications for the U.S.,
par James Phillips, Heritage Fondation, 15 janvier 2010.
Document téléchargeable au bas de ctte page. James Phillips est
un des porte voix du complexe militaro-industriel etats-uno-israélien.
Il est membre du Committee on the Present Danger.
[10]
« Les
quatorze points du président Wilson »,
par Woodrow Wilson, Réseau Voltaire.
[11]
Cf. « L’Iran
dans le collimateur des Dauphins »,
par Manlio Dinucci, Réseau Voltaire,
15 juillet 2009.
Sommaire du
Réseau Voltaire
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