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L'EXPRESSIONDZ.COM
TRIBUNAL
SPÉCIAL POUR LE LIBAN
La
justice internationale manipulée?
Karim Mohsen

31
mai 2007 Le Conseil de sécurité
s’apprêtait, hier, à adopter une résolution créant un
tribunal «international» pour le Liban. La
question du jugement de l’affaire de l’assassinat de
l’ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, prend une
nouvelle dimension qui risque de faire franchir le Rubicon au pays
du Cèdre. En effet, l’adoption par le Conseil de sécurité de
l’ONU -en début de soirée d’hier- d’une résolution
portant création d’un tribunal «spécial» pour le
Liban n’est pas faite pour calmer les esprits ou aider à
solutionner les problèmes dans lesquels se débat le pays. En réalité,
ce tribunal «spécial» porte déjà en lui toutes les
tares de la manipulation, car essentiellement voulu et exigé
autant par la majorité pro-occidentale, menée par le Premier
ministre Fouad Siniora et le leader de la majorité parlementaire
«antisyrienne» Saad Hariri (fils du défunt Rafic Hariri)
et par les trois grandes puissances occidentales que sont les
Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne, coauteurs de la résolution
sus-citée.
D’abord, pourquoi un tribunal «international» alors
qu’il n’y a pas eu de crime international qui aurait pu en
justifier l’intitulé, comme cela fut le cas pour la mise en
place des tribunaux «spéciaux» pour l’ex-Yougoslavie,
le Rwanda, la Sierra Léone et le Cambodge pays dans lesquels des
génocides et crimes de guerre et crimes contre l’humanité ont
été commis. Dès lors, les raisons à la base de la création de
tels tribunaux internationaux «spécialisés»
n’existent pas pour ce qui est du Liban et singulièrement de
l’affaire Rafic Hariri, tué le 14 février 2005 en même temps
que 22 autres personnes dans un attentat criminel.
Aussi, donner une dimension internationale à un crime politique
local perpétré à l’intérieur des frontières libanaises
-l’affaire Hariri est certes pénible et compliquée au regard
de la situation particulière qui est celle du Liban- est à tout
le moins douteux d’autant plus que le Conseil de sécurité,
dont la dominante politique est évidente, a joué -sous les
pressions conjuguées de la France et des Etats-Unis, notamment-
un jeu trouble, instrumentalisant l’instance onusienne à des
fins autres que celles que la Charte de l’ONU lui attribue.
L’assassinat de Rafic Hariri a été, de fait, une aubaine pour
Washington et Paris avides de régler son compte à la Syrie.
D’ailleurs, dans la résolution 1559 de septembre 2004 (présentée
conjointement par les États-Unis et la France, avec l’appui de
l’Allemagne et du Royaume-Uni) le Conseil de sécurité a demandé
instamment «à toutes les forces étrangères qui sont encore
sur le territoire du pays (le Liban) de s’en retirer» et a
également demandé «que toutes les milices libanaises et non
libanaises soient dissoutes et désarmées». En application
de cette résolution, la Syrie s’est définitivement retirée du
Liban le 29 avril 2006 après 29 ans de présence au pays du Cèdre,
cela, conformément à l’accord de Taef qui mit fin en 1990 à
quinze années de guerre civile au Liban. Entre-temps, il y eut
l’assassinat, dans un attentat terroriste à la voiture piégée,
de Rafic Hariri.
Or, chose totalement inhabituelle, le Conseil de sécurité vote
une résolution, la résolution 1595, par laquelle est créée «une
commission d’enquête internationale indépendante afin
d’aider les autorités libanaises à enquêter sur tous les
aspects de cet acte de terrorisme, et notamment à en identifier
les auteurs, commanditaires, organisateurs et complices». Un
juge allemand, Detley Mehlis, est désigné à la tête de la
commission.
Mais M.Mehlis se fait remarquer en dirigeant une enquête
ostensiblement orientée en accablant la Syrie, tout en désignant
du doigt Damas comme étant le (ou l’un des) commanditaire(s) de
cet assassinat. Très controversé, le juge allemand a dû céder
sa place et fut remplacé par le criminologue belge, Serge
Brammertz, qui s’est montré plus prudent, sinon plus habile,
puisque la finalité était d’arriver à la constitution d’un
tribunal international dont la mission serait de juger de fait la
Syrie -à travers quelques-uns de ses responsables des services de
renseignements ayant séjourné au Liban et présumés partie
prenante dans l’assassinat de l’ancien Premier ministre
libanais. C’est ainsi que le Conseil de sécurité vote le 29
mars 2006 la résolution 1664 par laquelle le secrétaire général
de l’ONU est prié de «négocier avec le gouvernement
libanais un accord visant la création d’un tribunal
international fondé sur les normes internationales de justice pénale
les plus élevées».
Le gouvernement Siniora a effectivement négocié avec l’ONU la
création d’un tel tribunal, tributaire cependant de l’accord
du président libanais, qui s’oppose fermement à
l’internationalisation du jugement des assassins de Hariri,
d’où le blocage de l’accord intervenu entre Siniora et le
Conseil de sécurité. L’adoption de la résolution en cause
passe donc outre à l’opposition d’une large partie de la
communauté libanaise. Nonobstant ce fait paradoxal, qui met à
mal les principes de non-ingérence et de gouvernance, cette
intervention internationale dans un problème interne au Liban a
eu pour retombée de diviser davantage les communautés libanaises
entraînant la démission, en début de l’année, des ministre
chiites du gouvernement d’union nationale avec pour conséquence
la paralysie du pays et l’ouverture d’une crise politique aiguë.
Hier, au Liban, si la majorité dirigée par Siniora et Saad
Hariri pavoise et attendait la confirmation par le Conseil de sécurité
de la création du tribunal international -lequel selon le projet
de résolution entrera en vigueur le 10 juin prochain-
l’opposition dite «pro-syrienne» prend date, comme
l’affirme hier dans la presse libanaise le député Ali Hassan
Khalil qui avertit: «N’espérez pas que nous reconnaissions
ce tribunal, ni directement ni indirectement». Aussi, loin
d’apporter la sérénité ou de contribuer à faire éclater la
vérité sur l’assassinat de Rafic Hariri, le tribunal «spécial»
pour le Liban risque surtout d’aggraver la tension au pays du Cèdre
et d’élargir le fossé déjà béant entre les communautés
libanaises. Veut-on démembrer le Liban que l’on aurait pas procédé
autrement. Cette dérive et ses retombées sur le devenir du
Liban, le Conseil de sécurité devra en assumer toutes les conséquences. Publié avec l'aimable autorisation de l'Expression
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