Message de Gaza
Une journée de siège à la Bande de Gaza
Dr.Kamil el Shami
11 mai 2008
Par une chaude matinée, dans la Bande de Gaza, alors que j'étais
en train de donner une conférence à l'université sur les
activités agricoles, j'ai été assailli par les souvenirs. Il y a
quelques années, je travaillais comme professeur à l'université
de Sebha en Libye et je me suis rappelé les années difficiles
passées dans cette ville assiégée par d'immenses mers de sable.
Je me suis souvenu des difficultés rencontrées pour obtenir une
bouteille de gaz dont j'avais besoin. C'était une journée chaude
et le vent de sable soufflait. Au bout de deux heures, je
n'étais qu'à la moitié de la queue et cette démarche se répétait
presque tous les jours. Il faut avoir une grande force et une
patience infinie pour vivre dans le désert. C'est la leçon que
j'ai apprise du peuple libyen que je respecte.
Hier ressemble à aujourd'hui, le siège est le même, la
souffrance est la même. Les noms et les lieux peuvent être
différents mais, après ma conférence,
j'ai été obligé de faire la queue afin d'avoir un peu de
diesel pour ma
voiture, tout comme en Libye autrefois.
Ensuite, bien que j'eus faim, j'ai décidé de faire une petite
promenade avant de rentrer prendre le déjeuner chez moi. J'ai
pris la direction de la banlieue Ouest. Après quelques minutes,
je me suis retrouvé sur la route de Soi . C'était la route
qu'empruntaient les Nomades et qui reliait l'Egypte à la Syrie.
Le mauvais entretien de cette route saute aux yeux, une grande
partie n'est pas pavée, elle est à l'abandon. Comme de
nombreuses autres routes détruites par le siège imposé. De
pauvres maisons rurales, entourées de petits champs, bordent
cette route. Je me suis arrêté devant des charrettes et quelques
petits troupeaux de brebis . Je voulais jeter un coup d'oeil sur
leur faiblesse et sur leur maigreur à cause du manque de
pâturages, ravagés par l'occupation et à cause du manque de
fourrage découlant du siège.
Soudain, j'ai entendu deux hélicoptères. Je suis descendu de
voiture, comme toujours dans ces cas-là. Peu après, j'ai entendu
deux bombardements successifs. J'ai reçu un appel de ma femme,
folle d'inquiétude comme à chaque bombardement. Puis un de mon
fils Ashraf de son portable. Il avait été très effrayé. Il se
trouvait dans un taxi avec d'autres personnes, sur le chemin de
son université de technologie, à 50 mètres environ de la voiture
bombardée.
Sur le chemin du retour, je voyais les gens s'asseyant dans les
rues. Je m'imagine que toute la Bande de Gaza passe son temps
dans les rues à cause du chômage. Les gens n'ont rien d'autre à
faire que d'attendre les bons d'aide distribués par les
associations, des partis palestiniens aux organisations
internationales .... la queue était toujours là. En fait, le
pétrole disponible dans la Bande de Gaza, ne couvre que 10% des
besoins.
La situation n'était pas meilleure devant les boulangeries.
Elles ne sont pas nombreuses à ouvrir dans ces conditions. Tout
le monde veut s'assurer la quantité de pain minimum nécessaire à
la survie et on doit attendre des heures et des heures pour
enfin l'avoir.
Je me suis dirigé vers la banque pour retirer une somme d'argent
afin de l'avoir sous la main en cas d'invasion. Quelle
surprise de trouver la porte fermée ! Une affiche annonçait que
la banque n'ouvrait que deux heures par jour en raison des
coupures de courant et du manque de diesel nécessaire à
l'utilisation du générateur et en raison du manque de monnaie
liquide.
Une journée difficile sur tous les plans.
Avant de rentrer, je me suis rappelé que je devais acheter le
médicament de ma vieille mère qui souffre d'hypertension. Mais
le pharmacien, bien qu'il soit un ami, n'a pas pu satisfaire
entièrement ma demande. Vu la pénurie de médicaments, il n'a pu
me donner que la moitié de la dose prescrite.
Puis je suis arrivé dans ma rue, quasiment bloquée par une tente
plantée pour les obsèques d'une vieille femme. C'était une
voisine. J'ai pris place parmi les consolateurs, Ils parlaient
des problèmes actuels, des marchandises, des denrées, des
matériaux de construction importés lors de l'invasion des
Gazawis dans les territoires égyptiens et qui touchent à leur
fin. Heureusement qu'il y aura encore assez de
ciment pour enterrer cette vieille femme.
Le soir, j'ai essayé de suivre les infos sur l'une des chaînes
mais c'était impossible. Les drones, ces avions sans pilote,
perturbaient la réception. Les Gazawis les appellent ZANANA par
rapport à leur bourdonnement.
J'ai été contraint d'écouter les infos à la radio. Un
journaliste a éveillé mon attention en annonçant que le
responsable des relations publiques, le responsable du comité
quaternaire ainsi qu'un ex-chef d'état européen allaient se
rendre en Egypte afin de discuter de l'ouverture permanente du
passage de Rafah et de l'allègement du siège. Je me suis souvenu
de Juha, un personnage des légendes arabes qui, après avoir
entendu dire que sa belle-mère l'aimait avait répondu que,
certainement, elle avait perdu la tête.
Ici, les gens ne font pas confiance à ce qu'ils entendent dans
les medias. En effet, des responsables européens sont déjà venus
dans la région mais rien n'a changé. Comme si la Bande de Gaza
était un grand pays qui devait être puni.
Comme d'habitude, toute la famille s'est réunie pour discuter de
l'actualité. Une phrase de ma fille Esmeralda qui est en
huitième, m'a laissé bouche bée :
„ Je souhaite me réveiller un jour sans connaître
personne et que personne ne me connaisse „
Je suis étonné de constater que même les enfants savent très
bien ce qui se passe autour d'eux et qu'ils ressentent
profondément la
catastrophe dûe au siège.
Sans savoir, dans le silence des frères et des étrangers, quand
prendra fin cette détresse.
Dr.Kamil el Shami
Professeur à l'université et
ecrivain
à la Bande de Gaza
shamikamil@yahoo.com
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