Opinion - IRIS
« ...Ce n'est pas
une révolution, Sire ... »
Kader
A. Abderrahim
Mohamed VI
Vendredi 24 juin
2011
Contrairement à la Tunisie ou à
l’Egypte, où les mobilisations
populaires massives ont fait tomber
des régimes dictatoriaux et
corrompus, au Maroc le Roi a pris
l’initiative, compte tenu de la
situation régionale, de proposer des
réformes avant que la situation
n’échappe à son contrôle.
Réformes a minima
Le vendredi 17 juin le Roi Mohamed VI
a, dans un discours solennel à la
Nation, développé les lignes forces de
son projet de réforme constitutionnelle.
Comme prévu il a annoncé une révision de
la Constitution. Cependant Mohammed VI
conserve l’essentiel de ses pouvoirs.
Les manchettes de la presse hexagonale
ont été, pour le moins surprenantes :
« Monarchie parlementaire »,
« révolution », « réduction des pouvoirs
du Roi »…, la presse française est
tellement en phase avec le régime
marocain, qu’elle a abusé et forcé sur
les superlatifs, après le discours
royal. Peu de recul, quasiment aucune
distance critique.
Pourtant c’est bien une révision
minimaliste de la Constitution, sur
laquelle les marocains doivent se
prononcer par référendum le 1er
juillet prochain. En réalité, le Roi
reste la clé de voute du système
politique au Maroc, même s’il élargit
les prérogatives de son Premier
ministre, car il conserve les moyens de
le brider. Le Mouvement du 20 février,
fer de lance de la contestation, est
déçu. Il ne s’est pas fait une opinion
en lisant la presse française mais en
analysant, par lui-même, le discours
royal. Et, contrairement à l’annonce du
Roi reprise en chœur par les médias
français, le Maroc n’est pas près de
devenir une monarchie parlementaire où
le Roi règne sans gouverner. C’est bien
ce que le Mouvement des jeunes du 20
février a compris en appelant à
manifester, à se mobiliser contre le
projet de révision constitutionnelle. Le
Mouvement, qui lutte pour une
« constitution véritablement
démocratique et une monarchie
parlementaire », a prévu de faire
campagne pour le boycott du référendum.
L’analyse critique du Mouvement des
jeunes est fondée. Il y a eu des petits
progrès. Il faut noter, en premier lieu,
l’avancée qui fait de la langue
amazighe, une des deux langues
officielles du pays avec l’arabe. En
terme de pouvoirs, les évolutions,
minimes et d’un verrouillage aisé,
portent sur les prérogatives du Premier
ministre. Désormais, il sera désigné,
par le Roi, au sein du parti arrivé en
tête des élections législatives. Le
Premier ministre pourra tenir un Conseil
de gouvernement pour discuter de la
politique générale du pays, ce qui ne se
faisait qu’en Conseil des ministres sous
la présidence du Roi. Le Premier
ministre aura désormais le pouvoir de
dissoudre le Parlement, possibilité
réservée jusque-là au Roi et son pouvoir
de nomination est étendu en matière de
fonctions civiles.
Commandeur des croyants et
chef des armées
L’élargissement des prérogatives du
Premier ministre s’accompagne cependant,
de verrous qui peuvent les rendre
inopérantes. La tenue d’un Conseil de
gouvernement est liée à un accord
préalable du Palais Royal sur son ordre
du jour. Le Roi peut ainsi opposer son
veto à tout sujet qui ne lui agrée pas.
Même le pouvoir de désignation aux
fonctions civiles accordé au Premier
ministre est lié à l’approbation
préalable du Roi. En contrepartie de
cette modeste délégation de pouvoir, le
Roi demeure le chef de l’exécutif et la
référence religieuse en tant que
« Commandeur des croyants ». Il reste un
souverain qui règne et qui gouverne. Il
est le chef des armées, et les
désignations au sein de l’institution
militaire relèvent de son seul pouvoir.
Il préside le Conseil des ministres qui
est le lieu du pouvoir exécutif. Le Roi
peut dissoudre le Parlement et sa
personne demeure sacrée. Le projet de
Constitution joue sur la terminologie.
S’il n’évoque plus la « sacralité » du
Roi, il souligne que le monarque est le
« Commandeur des croyants et chef de
l’État » et que sa personne est
« inviolable ». L’évolution est
tellement minimaliste qu’elle ne pouvait
satisfaire un mouvement de jeunes qui
veut une démocratisation « réelle ».
Une « réformette » pour en
finir avec le Printemps
Mohammed VI veut fermer rapidement la
parenthèse, avec le référendum prévu le
1er
juillet pour lequel il dira « oui ».
Pour Mohammed VI, le « Printemps » a été
constitutionnalisé. Mais, même s’il peut
bénéficier de l’appui de la presse
française, beaucoup au Maroc relèvent
que le Roi applique simplement la
fameuse formule qui consiste à faire
« bouger quelque chose pour que tout
reste en place ». On peut parier
qu’après la réformette, ce sera la
répression pour les jeunes du 20 février
qui sont déjà violemment attaqués par la
presse du Makhzen. Pour le Roi et le
Makhzen, la fête du Printemps est sur le
point de prendre fin.
Kader A. Abderrahim, Professeur associé
California University, Chercheur associé
à l’Iris, Maître de conférences à
SciencesPo Paris
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Publié le 25 juin 2011 avec l'aimable
autorisation de l'IRIS.
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