Berlin, le 8 février 2010
Angela
Merkel, qui revendique être la plus sioniste des chanceliers
allemands, mène à titre personnel une politique de soutien sans
condition à l’Etat d’Israël en contradiction avec la position
officielle de son pays en faveur d’une paix équilibrée entre
Palestiniens et Israéliens. Cette attitude paralyse l’Union
européenne au Proche-Orient, observe la correspondante à Berlin
du « New York Times ».
Il existe quelques thèmes de politique étrangère dont Angela
Merkel n’aime pas parler. L’un, c’est l’Afghanistan. L’autre
c’est le conflit israélo-palestinien, comme on a pu l’observer de
nouveau lors de la conférence de presse qu’elle a tenue avec le
Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou le 18 janvier à
Berlin [1].
Interpellée sur la question de la politique israélienne des
colonies et le blocus de Gaza, elle a minimisé le problème :
« Il serait temps de relancer le processus de paix » – puis elle
a abordé le sujet suivant.
Des responsables du gouvernement allemand trouvent très
difficile de critiquer Israël, parce que l’Allemagne porte la
responsabilité de l’holocauste et à cause du devoir moral que le
pays s’est imposé en faveur de l’existence de l’Etat d’Israël.
Cela vaut surtout pour Mme Merkel qui voudrait nouer une
relation plus étroite avec Israël. La position de la chancelière
a rendu plus difficile encore la tâche de l’Union européenne de
s’exprimer d’une seule voix au Proche-Orient.
Mais la ligne politique de Mme Merkel est incohérente. Fin
2005, lorsqu’elle a été élue chancelière pour la première fois,
elle a mis en avant les droits de l’homme et la paix. Elle a
critiqué la politique chinoise concernant les droits de l’homme
et en 2007 elle a pris la décision très controversée de
rencontrer à la chancellerie fédérale le Dalai Lama. La Chine
l’a mise en garde contre les conséquences sérieuses qui en
découleraient, par exemple de suspendre des contrats économiques
très lucratifs. Mais à part l’annulation de quelques réunions à
un échelon supérieur, il n’y a eu que peu de réactions.
Lorsque Mme Merkel a rencontré quelques organisations non
gouvernementales que Vladimir Poutine avait essayé d’interdire,
les relations entre Berlin et Moscou se sont refroidies. C’était
tout.
Mais en ce qui concerne le Proche-Orient, Mme Merkel n’a
montré que peu d’intérêt pour les conditions de vie misérables
des Palestiniens de la bande de Gaza, pour les colonies
israéliennes et pour la politique répressive d’Israël. Des
députés allemands et des analystes politiques disent que de tous
les chanceliers de l’après-guerre, c’est Mme Merkel qui est la
plus engagée en faveur d’Israël.
« La chancelière est extrêmement proche d’Israël », a déclaré
le député conservateur Ruprecht Polenz, président de la
Commission des Affaires étrangères du Bundestag. Si proche qu’on
n’a pas entendu Mme Merkel critiquer les bombardements
israéliens de Gaza fin 2008 qui ont coûté la vie à un grand
nombre de civils. C’est tout à fait à l’opposé de sa prise de
position lorsque les autorités iraniennes ont agi avec violence
contre l’opposition qui dénonçait la falsification de l’élection
présidentielle. A cette occasion, elle a été l’un des seuls
chefs d’Etat qui a critiqué publiquement le régime, et elle a
même demandé une réélection.
M. Polenz estime que chaque chancelier allemand est
responsable de défendre Israël à cause de l’holocauste. « Nous
ne sommes pas neutres » déclare-t-il lorsqu’il s’agit de
l’attitude de Berlin face au Proche-Orient, « mais cela ne
signifie pas que nous n’avons pas le droit de faire part de notre
opinion à nos amis israéliens. »
Avec Mme Merkel c’est différent. En tant que chancelière elle
s’est fixé elle-même trois priorités : de meilleures relations
avec les USA, une relation beaucoup plus étroite avec Israël et
l’intégration au sein de l’Union européenne. Ces thèses
seraient, d’après Gerd Langguth, professeur de sciences
politiques à l’université de Bonn et biographe de Merkel, « ce à
quoi Mme Merkel croit profondément. »
Suite à la crise financière mondiale, les relations de la
chancelière avec le président Barack Obama se sont détériorées,
d’autant plus que les USA ont ouvertement critiqué l’Allemagne
de ne pas en faire assez pour endiguer la crise. En ce qui
concerne l’intégration de l’Union européenne qui dépend de la
coopération de la France et de l’Allemagne, rien n’a changé.
Mme Merkel et le président français Nicolas Sarkozy n’ont lancé
aucune nouvelle initiative qui aurait mieux unifié l’Europe afin
de la rendre plus crédible en tant qu’acteur mondial. Par
ailleurs, Mme Merkel a souvent préféré les intérêts allemands
aux intérêts européens.
Israël reste son seul succès. « Mme Merkel a une relation
émotionnelle avec Israël et avec le peuple juif », estime
M. Langguth. Mme Merkel a choisi sa propre voie face à Israël
avec lequel elle poursuit sa politique de « relation
spéciale », [2]
même après les bombardements de Gaza. S’opposant aux conseils de
diplomates allemands, Mme Merkel, en même temps présidente de
l’Union chrétienne-démocrate conservatrice fidèle à Israël, a
appelé Israël un « Etat juif » dans le traité de coalition avec
les démocrates libres en octobre dernier. Les Israéliens étaient
ravis. « C’est le but de notre politique de faire reconnaître
Israël comme un Etat juif par les autres Etats », a expliqué
Efraim Inbar, directeur du Begin-Sadat Center for Strategic
Studies de l’Université Bar-Ilan située près de Tel Aviv.
La réunion du 18 janvier à Berlin était donc sans aucun doute
de première importance. C’était la première fois que les
gouvernements allemand et israélien se rencontraient en
Allemagne. Mme Merkel a inauguré cette consultation spéciale –
qui n’a jusqu’à présent eu lieu sous cette forme qu’avec peu de
pays, parmi lesquels la France, la Pologne et la Russie – après
sa visite en Israël en 2008. A l’époque elle a eu l’honneur rare
de pouvoir parler devant la Knesset, le Parlement israélien.
Muriel Asseburg, spécialiste du Proche-Orient au sein de la
Stiftung Wissenschaft und Politik allemande de Berlin, estime
que la voie de Mme Merkel en ce qui concerne Israël est liée au
fait qu’elle a grandi en Allemagne de l’Est communiste. « Cette
attitude est en relation avec celle de l’ancienne Allemagne de
Est qui a refusé la reconnaissance à Israël et qui n’a jamais
accepté sa responsabilité pour le Troisième Reich, la Seconde
Guerre mondiale et l’holocauste. Merkel a tenté de se distancier
de ce point de vue et de prendre la responsabilité pour ce passé
est-allemand », constate Mme Asseburg.
Donc, pendant que Mme Merkel dit, lors de la conférence de
presse du 18 janvier, qu’il serait temps qu’Israël et les
Palestiniens s’engagent de nouveau dans un processus de paix,
Mme Asseburg affirme que Mme Merkel « ne s’exprime pas
publiquement de manière critique face à la politique israélienne
et l’occupation ». L’objectif de Mme Merkel n’est pas d’intégrer
en priorité le processus de paix aux relations entre l’Allemagne
et Israël. Ce qui est prioritaire, c’est de renforcer les liens
avec Israël sans tenir compte du conflit [au Proche-Orient].
Ce choix contredit la position officielle de l’Allemagne qui
est de soutenir sans équivoque le processus de paix et la
solution des deux Etats pour assurer ainsi aussi bien la
sécurité d’Israël que de répondre aux attentes des Palestiniens.
Mais les spécialistes disent que cette ligne de conduite n’est
plus suivie. « Une position critique concernant la politique
d’occupation et de colonisation ainsi qu’un engagement allemand
actif dans le processus de paix devrait en réalité découler de
la responsabilité historique de l’Allemagne et ne devrait pas
être victime du tabou de l’holocauste », estime Mme Asseburg.
Cela n’aura pas lieu sous Mme Merkel. Cela signifie qu’Israël,
durement critiqué par d’autres Etats de l’UE, aura toujours un
allié spécial en Europe. Et dans un proche avenir, l’Europe ne
sera pas capable d’exercer une influence qui pourrait aider à
résoudre le conflit israélo-palestinien.
Judy Dempsey,
Correspondante du New York Times à Berlin
Source : The International Herald Tribune du 10 janvier
2010.
Traduction Horizons et débats