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in Christian
Science Monitor
Le
hommos amènera-t-il Israéliens et Palestiniens à s’asseoir à
la même table ?
Joshua
Mitnick
in Christian Science Monitor, 25 juillet 2007
http://www.csmonitor.com/2007/0725/p07s02-wome.html
Tous les week-ends, le village arabe israélien d’Abu Gosh, situé sur une
des collines qui entourent Jérusalem, est envahi par un flot de
promeneurs israéliens affamés.
Ils viennent ici en quête de hommos, et les rabatteurs de restaurants en
concurrence féroce dirigent les automobilistes vers des gargotes
célèbres. Qualifiant Abu Gosh de « coin à hommos valant
le détour », Rami Dourant explique ce qui l’amène à
venir ici, bien qu’il puisse trouver ce plat à base de pois
chiches dans n’importe quelle ville juive israélienne.
« Nous devons respecter la tradition arabe », répond ce
psychologue d’entreprise sortant du restaurant Haji, d’Abu
Gosh. « Les juifs, parfois, font des innovations, en matière
de hommos, qui sont du n’importe quoi. »
Si les étrangers savent qu’il s’agit d’une purée de hommos méditerranéenne
appétissante, que l’on peut trouver chez moult traiteurs, pour
les Israéliens et les Palestiniens, il s’agit d’un plat de résistance
savoureux, que l’on dévore à pleines bassines, partout, des
camps de réfugiés poussiéreux de la Cisjordanie jusqu’aux
bars branchés fréquentés par les bobos de Tel Aviv. A la fois
aliment de base et délicatesse recherchée, le hommos est une icône
culinaire qui joue le rôle d’un prisme analysant le lien
complexe entre deux peuples voisins, mais en conflit permanent.
Les plus critiques voient dans les déclinaisons israéliennes du hommos les
simples sous-produits de décennies d’expropriation des terres
palestiniennes. Mais d’aucuns voient dans cette acculturation
une lueur d’espoir qu’une réconciliation est possible, en dépit
des sombres perspectives politiques du processus de paix.
« A mes yeux, la gargote à hommos est un lieu culturel, où les
cultures israélienne et arabe communiquent et coopèrent entre
elles », dit Shooki Galili, rédacteur d’un blog en hébreu
intitulé « Hommos pour tous ». « En ce qui me
concerne, je ne fais aucune différence entre cuisine israélienne
et cuisine arabe : je mange ce qui me plaît. » Le blog
de Galili met en ligne des critiques gastronomiques à
l’intention de ces Israéliens prêts à faire des heures de
trajet – généralement jusqu’à des villages arabes perdus
– en quête d’une obscure ‘hummusiyyah’, ces gargotes à
hommos, réputées servir la meilleure version de cette purée de
pois chiches. De fait, en une contrée où les Arabes et les juifs
sont la plupart du temps séparés, voire ségrégués les uns des
autres, ce plat à mouillettes est une des rares choses qui les
rapprochent.
Chez les Palestiniens, ce plat est consommé au petit-déjeuner. Les Israéliens
accros au hommos au moment des petits creux ou de l’apéro
l’ont célébré au point d’en faire un symbole culinaire
national. Ils sont fiers de consommer désormais deux fois plus de
hommos que leurs voisins arabes, indique la société Tsabar
Salads, le principal fabriquant israélien.
Le hommos a fait d’Abu Gosh sans doute un des villages arabes les plus
visités en Israël, mais ce n’est que dans les années 1990
qu’un restau à hommos, sis dans le village d’Abu Shukri, est
devenu légendaire, chez les Israéliens.
Expliquant les raisons de l’attractivité d’Abu Gosh pour les touristes,
Raed Ibrahim, un serveur du restaurant Haji, dit que les juifs
sont attirés dans ce village par « son atmosphère. Vous
savez : la mosquée, les minarets, tout ça… »
Quand on lui objecte la charge émotionnelle, pour les Israéliens, de leur
conflit avec les Palestiniens, il explique : « Ici,
c’est différent. Les Israéliens adorent Abu Gosh. Le hommos
attire les gens ici, et ils voient bien qu’ils n’ont
strictement rien à craindre. »
Plat ancestral chez les peuples du Levant – le Liban, la Syrie, la
Palestine et la Jordanie –, le hommos est omniprésent pour deux
raisons : c’est un plat économique, et qui tient bien au
ventre.
Bien que le hommos tel qu’on le connaît aujourd’hui ait été,
pense-t-on généralement, popularisé par les Arabes de la Méditerranée
orientale, des traces de culture du pois chiche remontant au 7ème
siècle avant Jésus-Christ ont été trouvées au cours de
fouilles archéologiques effectuées dans la ville cisjordanienne
de Jéricho.
La première attestation, dans la région, d’un plat ressemblant au hommos
remonte à l’occupation de la Terre sainte par les Croisés.
Mais un historien israélien, Meir Shalev, a affirmé dans un
article récent intitulé « Le hommos est à nous »
qu’il y a des allusions à ce plat dans le Livre de Ruth.
L’ironie de deux peuples en conflit mais partageant les mêmes passions a
servi de toile de fond au film ‘West Bank Story’, qui a valu
un Oscar à Ari Sandel ; ce film évoque une idylle
transculturelle dans le contexte de la concurrence effrénée que
se livrent entre eux les fast-foods, au Moyen-Orient.
Mais, pour certains Israéliens, le hommos symbolise, de fait, la réconciliation.
Une équipe de chercheurs de l’Université Hébraïque de Jérusalem
et de l’Université de Tel Aviv a tiré la conclusion que les
teneurs élevées en tryptophane – un acide aminé – des pois
chiches stimule la production du récepteur nerveux responsable de
la sensation de « bien-être » : la sérotonine.
« Le hommos, c’est quelque chose qui unit tout ce qui se trouve
autour », affirme Dudi Menovitz, PDG de Tsabar Salads.
« Quand trois ou quatre types s’attablent, au restaurant,
à tous les coups l’un d’entre eux commande une bière, un
autre un steak et un troisième du poisson. Mais tout le monde
plonge son pain pita dans le même plat de hommos. Que de
symbolisme, dans ce geste ! »
Habib Daoud, chef et propriétaire de Ezba, un restaurant palestino-libanais
dans le Nord d’Israël, définit son identité culinaire comme
libanaise, son identité nationale comme palestinienne et son
identité civique comme israélienne. M. Daoud affirme voir dans
la nourriture un dénominateur commun entre les juifs et les
Arabes.
« Cela force les deux nations à franchir les frontières »,
dit-il. « Vous savez, dans les restaurants à hommos, il
n’y a jamais beaucoup de place : les juifs et les Arabes
doivent s’asseoir aux mêmes tables. Cela oblige les gens à
faire connaissance. »
En revanche, Liora Gvion, auteur israélienne d’une étude sociopolitique
de la cuisine palestinienne est moins enthousiaste quant aux
perspectives de réconciliation autour d’un plat de hommos.
« Penser que le hommos serait un point de rencontre entre les deux
peuples, c’est vraiment gonflé, c’est de la chutzpah. Les
Israéliens se sont approprié le Hommos, et voilà
qu’aujourd’hui, après se l’être approprié, ils veulent
bien le rendre aux Palestiniens, et ils disent : « appelons-le
lieu de rencontre » ? Aucun Palestinien qui se respecte
ne marchera dans cette combine », dit-elle.
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
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Crème
glacée ? Vous avez dit crème glacée ?
Mohammad, chef du restaurant al-Naji, sis à Abu Gosh,
qualifie son hommos (particulièrement onctueux, il est
vrai)
de ‘crème glacée’. Il affirme que sa recette relève
du secret professionnel |
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