CounterPunch
Un avant goût de futur ?
Israël dans une impasse stratégique
Jonathan Cook

Jonathan Cook
Samedi 21 mai 2011
Nazareth - Il
y a des scènes extraordinaires. Dimanche, des téléphones
portables ont filmé la marche d’au moins 1000 réfugiés
palestiniens à travers le no-man’s land vers une des
frontières les plus étroitement gardées du monde, celle qui
sépare la Syrie du plateau du Golan occupé par Israël.
Tout en agitant des drapeaux palestiniens,
les marcheurs ont bravé un champ de mines et ont arraché une
série de palissades pour permettre à plus de 100 personnes
de courir vers le territoire contrôlé par Israël. Pendant
qu’ils serraient dans leurs bras des villageois druzes
habitant de l’autre côté, on pouvait entendre des gens
dire : "Voilà à quoi ressemble la liberté."
A la différence des années précédentes, la
journée de la Nakba n’a pas été une simple commémoration de
la catastrophe qu’ont subie les Palestiniens en 1948 quand
leur patrie a été transformé par la force en Etat juif. Elle
a rappelé un instant aux Palestiniens que, en dépit du fait
qu’ils étaient dispersé contre leur gré depuis longtemps,
ils avaient encore la capacité de se battre ensemble contre
Israël.
Dimanche dernier, dans sa violente
répression des manifestations sur plusieurs fronts - en
Cisjordanie, à Gaza, à Jérusalem et aux frontières de la
Syrie et du Liban - Israël ressemblait davantage au
proverbial petit garçon qui a le doigt dans le trou du
barrage qu’à une super puissance militaire.
Le "printemps arabe" palestinien arrive et
Israël n’a aucune stratégie politique ni diplomatique pour y
faire front. Et donc Israël a utilisé la seule arme de son
arsenal - la force brute - contre des manifestants désarmés.
Le long des frontières du nord, au moins 14
manifestants ont été tués et des douzaines blessés tant à
Majdal Shams dans le Golan que près de Maroun al-Ras au
Liban.
A gaza un adolescent a reçu une balle
mortelle et 100 autres manifestants ont été blessés au
moment où ils arrivaient en masse aux points de passage. A
Qalandiya, le check point principal crée par Israël pour
empêcher les Palestiniens de Cisjordanie d’aller à
Jérusalem, au moins 40 manifestants ont été grièvement
blessés. Il y a eu aussi des heurts dans des villes
importantes de Cisjordanie.
Et à l’intérieur d’Israël, les Palestiniens
du pays ont organisé pour la première fois leur propre
marche dans le coeur d’Israël en agitant des drapeaux
palestiniens à Jaffa, la ville palestinienne autrefois
célèbre qui est devenue depuis 1948 un humble faubourg de
Tel Aviv.
Avec leur manque de discernement habituel
les dirigeants israéliens ont dit reconnaître "l’empreinte"
de l’Iran sur les événements de la journée -comme si les
Palestiniens manquaient par eux-mêmes de raisons de se
plaindre et de manifester.
Mais en réalité, cela fait des mois que les
services secrets israéliens préviennent que de telles
manifestations de masse sont inévitables, à cause de
l’intransigeance du gouvernement de droite israélien à un
moment où Washington s’intéresse de nouveau à la création
d’un état palestinien et en raison du sentiment répandu par
le printemps arabe que "le changement est possible".
Suivant l’exemple des manifestants égyptiens
et tunisiens, des Palestiniens ordinaires ont utilisé les
nouveaux médias sociaux pour organiser et coordonner leur
protestation -défiant en la circonstance les murs, les
palissades et les checkpoints qu’Israël a érigés partout
pour les séparer les uns des autres. C’est Twitter, et non
Téhéran, qui a guidé les manifestations.
Bien que les manifestations ne soient pas
encore une troisième Intifada, elles laissent présager ce
qui va arriver. Ou, comme l’a dit un commandant israélien,
elles ressemblent de façon inquiétante à "un échauffement"
en préparation du mois de septembre, époque à laquelle les
leaders palestiniens qui viennent de se réunifier, menacent
de défier les USA et Israël en demandant à l’ONU de
reconnaître un état palestinien dans les frontières de 1967.
Ehud Barak, le ministre israélien de la
défense, a aussi manifesté son inquiétude en disant : "Nous
ne sommes qu’au début de ce processus et nous pourrions
avoir à affronter des problèmes beaucoup plus compliqués."
Israël devrait tirer plusieurs leçons, dont
aucune n’est agréable, des affrontements qui ont eu lieu ce
week-end.
La première est qu’Israël ne peut plus
régler le problème du printemps arabe en fermant simplement
les écoutilles. Les soulèvements que ses voisins arabes
affrontent signifient que ces régimes n’ont plus la
légitimité de décider du sort de leur population
palestinienne en fonction d’intérêts personnels étriqués.
De la même manière que le gouvernement de
l’après Mubarak en Egypte est plutôt en train d’alléger le
blocus sur Gaza que de le renforcer, la situation délicate
du régime syrien le rend moins apte ou désireux de retenir,
et encore moins de tuer par balle, des manifestants
palestiniens qui se rassemblent aux frontières d’Israël.
La seconde leçon est que les Palestiniens
ont compris la signification de la récente réconciliation
entre les Fatah et le Hamas. L’établissement d’un
gouvernement d’unité, montre que les deux factions rivales
ont tardivement réalisé qu’elles ne pouvaient pas progresser
dans leur lutte contre Israël tant qu’elles étaient divisées
politiquement et géographiquement.
Les Palestiniens ordinaires sont arrivés à
la même conclusion : en face des tanks et des avions de
combat, la force des Palestiniens réside dans un mouvement
national de libération unifié qui refuse de se laisser
définir par la politique de fragmentation d’Israël.
La troisième leçon est qu’Israël a profité
du calme relatif à ses frontières pour renforcer
l’occupation de la Cisjordanie, de Jérusalem et de Gaza. Les
traités de paix avec l’Egypte et la Jordanie, en
particulier, ont permis à l’armée israélienne de consacrer
toute son énergie au contrôle des Palestiniens qui se
trouvaient sous sa coupe.
Mais Israël a-t-il assez d’hommes pour
lutter sur plusieurs fronts contre des révoltes
palestiniennes coordonnées et soutenues ? Peut-il supporter
une telle pression sans se livrer au meurtre de masse de
manifestants palestiniens désarmés ?
La quatrième leçon est que les réfugiés
palestiniens ne resteront sûrement pas sans réaction si, en
septembre, leurs intérêts n’étaient pas pris en compte par
Israël ou si la requête palestinienne pour un état à l’ONU
n’était pas à la hauteur de leurs aspirations.
Les manifestants palestiniens de Syrie et de
Liban ont montré qu’ils ne resteront pas en marge du
printemps arabe palestinien. Ce message n’a pas été perdu
pour le Hamas ni le Fatah au moment où ils se mettent à
élaborer une stratégie commune pour les prochains mois.
Et la cinquième leçon est que les scènes de
protestations palestiniennes sur les frontières d’Israël
vont enflammer l’imagination des Palestiniens partout et
qu’ils vont se mettre à envisager l’impossible -exactement
comme les manifestations de la place Tahrir ont galvanisé
les égyptiens jusqu’à les conduire à croire qu’ils pouvaient
se débarrasser de leur dictateur.
Israël est dans une impasse stratégique et
diplomatique. Le week-end dernier il a peut-être eu un
premier avant-goût de ce qui l’attend désormais.
Jonathan Cook est un
écrivain et journaliste de Nazareth en Israël. Ses derniers
livres sont “Israel and the Clash of Civilisations : Iraq,
Iran and the Plan to Remake the Middle East” (Pluto Press)
et “Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human
Despair” (Zed Books). Son site web est :
www.jkcook.net.
Pour consulter l’original :
http://www.counterpunch.org/
Traduction : D. Muselet
© LE GRAND SOIR - Diffusion non-commerciale
autorisée et même encouragée.
Merci de mentionner les sources.
Publié le 21 mai 2011
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