Le Grand Soir
Un juge dénonce le
système judiciaire à deux vitesses d'Israël
Jonathan Cook
Jonathan Cook
Mardi 17 novembre 2009
Un juge israélien a rendu un jugement historique
la semaine dernière quand il a décidé qu’un adolescent arabe
devait bénéficier de la "protection" du système judiciaire et
qu’il a ordonné qu’il ne soit pas condamné, bien qu’il ait été
reconnu coupable d’avoir lancé des pierres sur un véhicule de
police au cours d’une manifestation contre l’offensive d’Israël
à Gaza l’hiver dernier.
Le ministère public réclamait la condamnation de
l’adolescent âgé de 17 ans, résidant à Nazareth, ville située au
nord d’Israël, pour avoir fait prendre des risques à un véhicule
qui était sur la route, une accusation passible d’une peine
pouvant aller jusqu’à 20 ans d’emprisonnement, ce qui
permettrait de dissuader d’autres membres de la communauté arabe
d’Israël de commettre à nouveau de tels actes.
Mais le juge Yuval Shadmi a déclaré que la
discrimination dans le traitement des mineurs juifs et arabes
dans le système pénal israélien, particulièrement dans les
affaires qu’il a qualifiées de délits "motivés
par l’idéologie", étaient de "notoriété
publique".
Dans le verdict, il a écrit : "je
dirai que l’Etat n’a pas le droit de caresser d’une main les
délinquants "idéologues" juifs, et de fouetter de l’autre main
les "délinquants idéologues" arabes".
Il s’appuyait plus particulièrement sur le
traitement indulgent de la police et des tribunaux vis-à-vis de
jeunes colons juifs qui avaient agressé des soldats en
Cisjordanie et qui avaient manifesté violemment contre le
retrait israélien de la Bande de Gaza en 2005, et des
extrémistes religieux qui avaient passé de longs mois à
combattre la police pour empêcher l’ouverture d’un parking à
Jérusalem le jour du sabbat.
Abir Baker, avocate d’Adalah, une association
légale qui défend les 1,3 millions d’Arabes israéliens, a
déclaré que c’était la première fois qu’un juge d’un tribunal
correctionnel reconnaissait que l’état d’Israël menait une
politique discriminatoire systématique en exigeant des peines
beaucoup plus sévères pour les citoyens arabes.
"Nous constatons cela depuis
longtemps, mais c’était très difficile pour nous d’être
crédibles devant un tribunal", a-t-elle déclaré. "Maintenant,
il existe une jurisprudence que nous pourrons évoquer pour le
même genre d’affaire".
L’adolescent avait été arrêté au cours d’une
manifestation sur une route près de Nazareth quelques jours
après le début de l’offensive contre Gaza en décembre dernier.
Des dizaines de manifestations avaient eu lieu en Israël au
cours de cette offensive de quatre semaines, ce qui avait
conduit à l’arrestation de 830 manifestants à la suite
d’opérations souvent violentes, selon les groupes de défense des
droits des êtres humains, menées par la police israélienne.
L’immense majorité de ceux qui avaient été
arrêtés, selon les associations, étaient des citoyens arabes,
même si des Juifs y avaient également participé. Adalah raconte
qu’à la suite de cela, 250 manifestants avaient été inculpés,
parmi lesquels presque tous étaient arabes et la moitié étaient
mineurs.
Le juge Richard Goldstone, dans son rapport
rédigé pour les Nations Unies sur l’agression contre Gaza publié
en septembre dernier, écrit qu’il a été "frappé"
par le fait que, bien qu’il y ait eu des contre-manifestations
violentes de Juifs d’extrême droite, la police n’avait,
semble-t-il, procédé à "aucune arrestation".
Il indique également que, d’après les rapports
qu’il a consultés, la majorité des manifestants arabes se sont
vu refuser la libération sous caution et ont été détenus pendant
de longues périodes, même pour des affaires où ils n’encouraient
que des peines légères.
A propos du système pénal, M. Goldstone conclut
que "le traitement discriminatoire des citoyens
juifs et palestiniens d’Israël par les autorités judiciaires,
comme le reflètent les comptes-rendus qu’il a reçus, est très
préoccupant".
La décision du juge par le tribunal des mineurs
de Nazareth semble confirmer ces conclusions.
Mr Shadmi écrit dans son verdict que, depuis ces
dernières années, les autorités israéliennes ont deux approches
fondamentalement différentes concernant les crimes commis par
des mineurs.
Il signale que dans des affaires de violence
commises par des jeunes Juifs contre les forces de sécurité, les
poursuites judiciaires sont généralement gelées, voire annulées,
avant d’en arriver à l’inculpation. Il n’a jamais entendu dire,
ajoute-t-il, qu’un mineur juif ait été incarcéré pour de tels
délits, alors que la plupart des mineurs arabes sont condamnés à
des peines de prison.
Le juge reconnaît qu’il a failli être amené, à
la demande du ministère public, à condamner ce mineur (dont on
ne peut citer le nom à cause de l’âge) à une lourde peine de
prison. Mais, en dernier ressort, dit-il, il a été persuadé par
l’argument de la défense que des affaires similaires de "violences
idéologiques" impliquant des jeunes juifs – comme les
agressions de colons envers des soldats – ne se soldaient que
rarement, pour ne pas dire jamais, par des peines de prison.
"Si l’Etat estime que les
méfaits commis par idéologie sont relativement exemptés de
sanctions quand il s’agit de mineurs, alors, il faut que cela
soit appliqué à tous les mineurs, quelle que soit leur
nationalité ou leur religion".
Au début de l’année, le ministère de la Justice
recommandait que 40 colons juifs accusés de s’être opposés au
retrait israélien de Gaza soient graciés sous prétexte que leurs
actions "étaient motivées par un événement
historique inhabituel et que les auteurs n’étaient pas des
criminels". Selon les articles publiés dans les médias
israéliens, de nombreux colons arrêtés lors des manifestations
contre le désengagement ne seront jamais poursuivis.
M. Shadmi a enjoint l’adolescent de Nazareth de
ne pas commettre d’agression contre la police pendant deux ans
contre une caution de 1300 dollars. A l’issue d’une procédure
réservée aux délits commis par des mineurs, il a simplement
condamné l’adolescent à 200 heures de travaux d’intérêt public.
Le verdict a été accueilli avec surprise par la
famille de l’adolescent. Le père a déclaré aux médias
israéliens : "Dieu merci, nous avions un juge
comme lui, qui n’est pas motivé par le racisme. Ce verdict
amènera peut-être l’Etat d’Israël à réaliser qu’il est temps de
cesser de traiter la population arabe en ennemis".
Le ministère public a annoncé qu’il comptait
faire appel de la décision.
Gideon Fishman, professeur de sociologie à
l’Université d’Haïfa, qui a réalisé une enquête sur la politique
de sanctions pénales en Israël, déclare qu’il n’était pas au
courant que des recherches avaient été effectuées sur la
politique discriminatoire menée par le ministère public contre
les mineurs. Cependant, il dit être sûr qu’il y a un parti pris
systématique.
"Le juge a raison de s’élever
contre une politique qui est plus indulgente envers les
délinquants juifs. C’est une politique menée par le ministère
public délibérément et non pas accidentellement, et qui nuit à
la confiance envers l’institution".
Le juge Shadmi n’a évoqué que la discrimination
concernant les condamnations dans les tribunaux israéliens.
Les Palestiniens des Territoires Occupés sont
jugés dans des tribunaux militaires en s’appuyant sur des lois
et des procédures différentes qui ont été violemment critiquées
par les associations de défense des droits de l’homme.
Jonathan Cook est écrivain et journaliste, et
vit à Nazareth, Israël.
Ses deniers livres sont : Israel
and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the Plan to
Remake the Middle East (Pluto Press) and
Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair
(Zed Books).
Titre original de l’article :
"Arab Teens Need “Protecting from Israeli Justice”
Judge Warns of Israel’s Two-tier Legal System
Publié le 17 novembre 2009 dans Dissident Voice
http://dissidentvoice.org/2009/11/arab-teens-need-protecting-from-israeli-justice/
Site de Jonathan Cook
http://www.jkcook.net/
Traduction et note : Des
bassines et du zèle
http://blog.emceebeulogue.fr/ pour le Grand
Soir
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