WSWS
Le « débat » Obama-Cheney et la menace de
dictature aux Etats-Unis
Joe Kishore
Dick Cheney
Vendredi 22 mai 2009 L’incroyable
confrontation publique entre le président Barack Obama et
l’ancien vice-président Dick Cheney survenue jeudi matin a
dévoilé la fragilité du gouvernement constitutionnel et la
profonde crise de la démocratie américaine.
Lors de son discours public aux Archives
nationales de Washington, Obama a accusé la précédente
administration de violer la Constitution. Ce discours d’Obama,
consacré à la défense de sa décision de fermer le camp de
prisonniers de Guantanamo, avait été planifié à la dernière
minute. L’objectif était clairement de contrecarrer l’attaque de
Cheney, le président en ayant été averti.
L’attaque est survenue seulement quelques
minutes après la fin des remarques d’Obama. Cheney, s’adressant
à des membres d’un groupe de réflexion de droite du
renseignement, a dénoncé le président de façon provocatrice et
acerbe. Tournant en dérision les critiques d’Obama sur la
politique d’ « interrogatoire musclé » de l’administration Bush,
autrement dit la torture, l’ancien vice-président a presque
accusé le président de vouloir aider et encourager les ennemis
des Etats-Unis.
Cheney se trouve au centre d’une campagne
de plus en plus incisive visant à mobiliser l’opposition au
Congrès et, encore plus inquiétant, parmi ses alliés politiques
et sympathisants dans l’armée et la Central Intelligence Agency,
contre l’administration Obama. Le développement de l’influence
de cette campagne a été reflété par le vote écrasant mercredi au
Congrès qui s’est opposé au plan d’Obama de fermer la prison de
Guantanamo. Le Sénat, dont la plupart des démocrates, soutenu
par le témoignage du directeur du FBI, Robert Mueller III, qui a
soulevé la menace posée par le transfert potentiel de
prisonniers vers les pénitenciers des Etats-Unis, a voté contre
la proposition de fermeture de Guantanamo.
En tentant de défendre les politiques de
son administration, Obama a présenté ses propres décisions comme
un certain effort d’arrière-garde désespéré pour rétablir le
gouvernement constitutionnel aux Etats-Unis après huit ans
d’illégalité endémique de la part de l’administration
précédente.
Il a souligné la gravité de la menace
posée au pouvoir constitutionnel en faisant remarquer qu’il
prononçait son discours dans un couloir qui affichait les
documents fondateurs de la démocratie américaine : la
Déclaration d’indépendance, la Constitution et la Déclaration
des droits. Obama rappela à son auditoire qu’il avait « juré de
préserver, protéger et défendre la Constitution », et déclara
que « nous ne devons jamais, par opportunisme, tourner le dos à
ces principes durables ».
Obama a affirmé que sous la précédente
administration, « notre gouvernement a pris des décisions basées
sur la peur plutôt que la prévoyance; et bien trop souvent notre
gouvernement a changé les faits et les preuves pour les adapter
aux prédispositions idéologiques ».
Appelant au rétablissement de « la loi et
du jugement en bonne et due forme », Obama a déclaré que « les
décisions prises au cours des huit dernières années ont établi
une approche légale improvisée pour combattre le terrorisme qui
n’était pas efficace et qui ne pouvait être soutenue : un cadre
qui n’était pas basé sur nos traditions légales et institutions
de longue date et qui ne s’est pas laissé guider par nos
valeurs ». Les politiques de l’administration Bush, a-t-il dit,
ont miné « la loi ».
Dans la section la plus significative de
son discours, qui nous informe sur la nature des luttes
politiques qui ont fait rage aux plus hauts échelons de l’Etat,
Obama a déclaré que les opposants de sa politique « adopte une
perspective qui peut être résumée ainsi : “Tout est permis”.
Leurs arguments suggèrent que l’objectif de la lutte contre le
terrorisme peut justifier tous les moyens et que le président
devrait avoir toute l’autorité voulue pour faire ce qu’il
désire, admettant qu’ils soient d’accord avec ce président. »
Ayant recours à des euphémismes
contredisant le sérieux de ses déclarations, Obama a mis en
garde contre la présence de puissantes forces qui étaient prêtes
à rompre avec les normes constitutionnelles : « De temps en
temps, a-t-il dit, certains pensent que la sécurité et le succès
des Etats-Unis exigent que nous nous éloignions des principes
sacrés enchâssés dans cet édifice. Nous pouvons entendre de
telles voix aujourd’hui. »
La voix principale à laquelle il faisait
référence était celle de Cheney. Le président ne se serait pas
senti obligé de répliquer à l’ancien vice-président si Obama le
percevait comme un excentrique de droite mécontent. En fait,
Obama sait que Cheney, celui qui prenait vraiment les décisions
dans l’administration Bush et l’homme qui avait dirigé un
gouvernement secret, détient une énorme influence au Pentagone,
à la CIA et dans d’autres sections moins connues de la
bureaucratie du renseignement et de l’armée qui exerce un vaste
pouvoir et qui n’est responsable devant personne.
Dans ses remarques devant l’American
Enterprise Institute, Cheney est passé à l’offensive contre
Obama, traitant personnellement avec mépris l’administration et
le président.
Les critiques d’Obama des méthodes
d’interrogatoire « sont très injustes envers ceux qui
travaillent dans les renseignements et les avocats qui méritent
beaucoup mieux pour leurs services dévoués, » a déclaré Cheney.
« Le danger ici est la perte de l’emphase sur la sécurité
nationale et ce que ça requiert. »
Sur un ton menaçant, Cheney ajouta : « Je
conseillerais à l’administration d’être très prudente à
l’avenir. »
L’ancien vice-président a pratiquement
accusé Obama d’aider les terroristes et de commettre une
trahison.
« Divulguer les mémos des interrogatoires
étaient absolument à l’opposé des intérêts de sécurité nationale
des Etats-Unis, » a-t-il déclaré. « De l’information top secrète
se retrouvent maintenant dans les mains des terroristes, qui
viennent de recevoir un important ajout dans leur manuel
d’entraînement. Partout dans le monde, les gouvernements qui
nous ont aidés à capturer des terroristes vont craindre que des
opérations conjointes sensibles soient compromises. Et ceux qui
travaillent à la CIA se demandent s’ils peuvent dépendre de la
Maison-Blanche ou du Congrès pour obtenir un appui lorsque les
choses vont se corser. »
Ces mots étaient particulièrement
provocateurs et inquiétants, vu qu’ils évoquent délibérément des
souvenirs des ressentiments de ceux qui travaillaient à la CIA
contre l’administration Kennedy après l’invasion manquée de la
baie des Cochons en 1961.
Cheney a joyeusement fait remarquer que la
décision de divulguer les mémos a été opposée par des gens à la
tête de l’administration Obama, incluant le directeur de la CIA,
Leon Panetta, et le directeur du renseignement national, Dennis
Blair.
Cheney s’est moqué de la « fausse
indignation » de ceux qui ont critiqué les méthodes
d’interrogation employées par l’administration Bush. « Au cours
de ma longue expérience à Washington, peu de choses ont suscité
autant d’indignation artificielle et de faux moralisme que les
méthodes d’interrogation utilisées contre quelques terroristes
capturés. » Il ajouta que les critiques de ces méthodes « ne
sont pas dans une position pour sermonner quiconque sur les
“valeurs” ».
Sans ambiguïté, l’ancien vice-président a
défendu les techniques d’interrogation de l’administration Bush,
insistant que « complètement exclure les méthodes
d’interrogations musclées dans le futur est imprudent à
l’extrême ».
Il a continué en dénonçant la décision
d’Obama de fermer Guantanamo, en lançant un avertissement : « Je
pense que le président trouvera, après réflexion, que d’amener
les pires terroristes aux États-Unis sera cause de grands
dangers et regrets dans les années à venir. »
Ce n’est pas une exagération que
d’affirmer que cette confrontation publique entre Obama et
Cheney n’a pas de précédent dans l’histoire américaine moderne.
Croire que cet échange amer entre le président et l’ancien
vice-président ne soulève pas d’importantes questions sur la
viabilité de la démocratie américaine est le comble de la
complaisance.
Soyons clairs : Cheney parle pour les
sections puissantes de la classe dirigeante, soutenue par des
sections substantielles de l’appareil militaire et des services
du renseignement, qui sont profondément hostiles à la
démocratie.
Quant à Obama, sa propre position est
minée par des contradictions politiques profondes et insolubles.
Son plaidoyer pour que la constitution soit respectée est
complètement infirmé par le fait que son administration a
accepté sans question les prémisses essentielles sur lesquelles
étaient basées la politique étrangère de l’administration Bush :
les Etats-Unis mènent une lutte desespérée contre le
« terrorisme ».
Tout en s’opposant à certains gestes de
l’administration Bush, Obama évite prudemment de défier le
mensonge politique fondamental à l’origine de tous ses crimes.
« Al-Qaïda planifie activement une autre
attaque contre nous » a déclaré Obama dans le même discours
mardi. « Nous savons que cette menace planera sur nous pour
longtemps et que nous devons utiliser tous les composantes
de notre pouvoir pour la défaire. » Et en fait, a affirmé
Obama, son administration mène cette lutte de façon plus
cohérente en « luttant contre les extrémistes en Afghanistan et
au Pakistan qui nous ont attaqué le 11-Septembre ».
Si Obama dit la vérité (que
l’administration précédente a adopté une politique où « tout
était permis »), alors les responsables doivent être poursuivis
en tant que criminels politiques. Au lieu de cela, Obama est
venu à leur défense en les décrivant comme étant trop zélés dans
la poursuite d’une noble cause. « Confronté à des menaces
incertaines, a-t-il dit, notre gouvernement a pris une série de
décisions rapides. Et je crois que ces décisions étaient
motivées par le désir sincère de protéger la population
américaine. »
En deux occasions, Obama a insisté que
personne ne serait amené en justice pour les politiques de huit
dernières années. Il s’est opposé à la création d’une commission
indépendante et a insisté qu’il n’y aurait aucune tentative de
« se concentrer sur le passé ».
En indiquant qu’il ne poursuivra les
conspirateurs autour de Cheney, Obama ne continue en fait que sa
politique de couardise et d’accommodation qui a caractérisé son
administration depuis sa mise en place. Chacune des ces
concessions a encouragé les sections les plus à droite de l’Etat
et a facilité la conspiration contre les droits démocratiques.
La temporisation d’Obama, ses reculs
constants, sont déterminés par les intérêts de classe qu’il
représente. Peu importe les critiques qu’il fera de la politique
de l’administration Bush, Obama a les mêmes objectifs
essentiels. En termes de sa politique intérieure, il a continué
à donner d’immenses sommes aux banques et aux investisseurs de
Wall Street. En termes de politique militaire, il continue
l’occupation de l’Irak tout en élargissant la guerre en
Afghanistan et au Pakistan. Sa défense de la légalité est
contredite par le fait que son administration a remis sur pied
les commissions militaires pour juger les prisonniers de
Guantanamo, a refusé de publier les photos sur la torture et, en
général, a maintenu les mesures antidémocratiques de son
prédécesseur.
Malgré les avertissements que donne Obama
sur l’érosion de la démocratie aux Etats-Unis, son
administration, par ses actes mêmes, en facilite et en accélère
l’effondrement. Il est impossible de combiner la guerre
impérialiste avec la démocratie. La dernière ne peut survivre
sans une opposition à la première.
Obama est incapable d’exposer le véritable
contenu social et politique de l’attaque de Cheney, parce que
cela demanderait d’exposer les objectifs politiques et les
intérêts de classe réactionnaires qui motivent la « guerre au
terrorisme ». De plus, cela demanderait un appel à une large
mobilisation du peuple américain en défense des droits
démocratiques. Mais dans une époque où l’administration met en
œuvre une politique intérieure qui défend les intérêts de
l’élite financière, l’administration Obama n’a pas l’intention
de soulever le mécontentement populaire.
La défense des droits démocratiques ne
peut être entreprise par aucune faction de la classe
dirigeante. Les institutions de la démocratie américaine sont
déjà dans un état avancé de désintégration.
La défense des droits démocratiques dépend
de l’organisation politique indépendante de la classe ouvrière.
(Article original anglais paru le 22 mai
2009)
Copyright 1998 - 2009 -
World Socialist Web Site- Tous droits réservés
Publié le 26 mai 2009 avec l'aimable autorisation du WSWS
|