on PalestineThinkTank.com, 5 septembre 2009
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Récemment, Uri Avnery, dirigeant du Gush Shalom (Bloc de la
Paix, ndt) et « coqueluche » des sionistes de gauche, a écrit
plus qu’à son habitude des articles demandant à ses lecteurs de
renoncer au « rêve » sioniste et il a décidé d’ajouter son grain
de sel à l’appel palestinien au boycott d’Israël, pour dénoncer
fermement ledit boycott. Jeff Blankfort, écrivain, journaliste
et animateur radio, l’interpelle, pour la énième fois.
Hello Uri,
Je viens de lire ta réaction à certaines
critiques soulevées par ton opposition au boycottage d’Israël.
Ayant pris conscience il y a bien longtemps des limites de ton
militantisme et de ta vision du monde, cela ne m’a nullement
étonné. Tu as manifestement investi trop de temps et trop
d’énergie, depuis tant d’années, dans la normalisation de la
dépossession des Palestiniens de leur patrie par Israël pour
reconnaître l’injustice qui fut non seulement inhérente à la
création de l’Etat d’Israël, mais qui lui fut même nécessaire.
Le passage du temps n’efface en rien cette injustice et peu
importe le nombre de fois où toi et d’autres vous invoquerez
l’Holocauste nazi. Le dé de la création d’un Etat juif en
chassant les Palestiniens de leurs maisons et de leurs villages
avait déjà été jeté bien des années avant qu’Hitler ne parvînt
au pouvoir, si bien que la question de l’hitlérisme ne saurait
trouver de place dans ce débat.
Les arguments contre la création d’un Etat
juif en Palestine, soulevées par des juifs antisionistes et non
sionistes, remontant aux premières années du siècle dernier,
étaient bien connus, et tous ont apporté la preuve de leur
exactitude. Il n’est donc nullement étonnant que la légitimité
d’Israël n’ait été reconnue ni par les Palestiniens ni par les
autres peuples du Moyen-Orient. De fait, les sionistes en
avaient fait la publicité dans le monde entier, avec fierté, le
présentant comme une entreprise de colonisation de peuplement…
jusqu’à ce qu’une telle terminologie soit passée de mode. Le
fait qu’Israël ait été créé en des temps où le reste du monde
était engagé dans une période de décolonisation fut une garantie
supplémentaire, s’il en était besoin, de son rejet. Sans
l’influence de ses partisans aux Etats-Unis et en Europe,
et sans les armes qui s’y déversèrent afin de le soutenir,
Israël, à l’instar de l’Algérie française, n’aurait été rien
d’autre qu’un bref épisode aberrant de l’Histoire (il convient
de noter, à cet égard, que c’est le soutien d’Israël au régime
colonialiste français contre la Résistance algérienne qui amena
la France à être le principal fournisseur d’armes d’Israël,
jusqu’en 1967).
Tu sais aussi pertinemment qu’afin de
maintenir Israël en tant que Sparte du Moyen-Orient, le « lobby
pro-israélien » tient depuis longtemps le Congrès des Etats-Unis
sous sa coupe, étranglant le peu de ce qui restait de la
démocratie américaine. Ne te rappelles-tu pas d’avoir décrit la
manière dont un président américain après l’autre a tenté de
résoudre le conflit israélo-palestinien et dont chacun d’entre
eux fut contraint,
par Le Lobby, de se retirer battu du champ de bataille ? Et qu’après chacune de leurs défaites, le vol de la
terre palestinienne et la croissance des colonies continuaient ?
Qui en a payé le prix, à ton avis ?
Comme tu l’as sans doute deviné, je suis
contre l’existence de l’Etat d’Israël ou de tout Etat juif, quel
qu’en fût le nom, fondé sur la notion qu’un juif originaire de
n’importe où dans le monde a plus que le droit de vivre dans ce
que l’immense majorité du monde connaissait et reconnaissait
comme étant la Palestine qu’un Arabe palestinien né dans ce pays
ou que les membres de sa famille. Si la situation actuelle n’est
ni immorale, ni raciste, alors nous devons trouver à ces
adjectifs une nouvelle définition. Mais toi, apparemment, tu ne
le penses pas ; tu rejettes les opinions de ceux qui sont de cet
avis. (La notion selon laquelle Israël ou n’importe quel pays
puisse être la patrie d’une personne qui n’y est pas née et qui
ne connaît aucun proche qui y soit né n’est qu’un exemple
supplémentaire d’à quel point les sionistes ont déformé le
langage afin de tenter de justifier l’injustifiable). Ton échec
à trouver un argument allant à l’encontre de l’idée d’un Etat
unique devient patent, quand tu écris que les Français et les
Allemands ne se sont pas mis d’accord pour vivre ensemble. Tu
crois vraiment que l’on puisse faire la moindre comparaison
entre les deux situations ? Les Français seraient donc en train
d’occuper l’Allemagne ? Ou vice-versa ? Et l’on ne m’aurait rien
dit ??
Je ne cesserai sans doute jamais d’être
stupéfait par tes efforts continuels visant à séparer les colons
de ceux des juifs qui vivent à l’intérieur de la Ligne Verte,
comme si la majorité des habitants d’Israël proprement dit
n’étaient pas responsables de l’élection d’une série de tueurs
professionnels en tant que leurs Premiers ministres, année après
année, qui ont, tous, augmenté et agrandi les colonies. Il n’y a
eu aucun sondage d’opinion des Israéliens (je les ai tous
consultés) depuis 1988, au début de la première Intifada, dont
la moitié des répondants n’aient pas appelé à l’épuration
ethnique des Palestiniens de la Cisjordanie et de la bande de
Gaza. Combien de colons y avait-il là en 1988 ?
Dans ta belle démocratie, tout juif ou
toute juive valide, à l’exception des hassidim, a joué le rôle
d’un occupant en Cisjordanie ou à Gaza tout au long des
quarante-deux années écoulées. Ce sont des innocents ? Hier,
j’ai regardé, sur Al-Jazeera, des soldats israéliens en train de
tirer des grenades lacrymogènes et un liquide vert nauséabond
contre des Palestiniens non-violents qui manifestaient contre le
mur d’acier qui coupe leur terres à Ni’ilin, après quoi ces
soldats ont pris pour cible le reporter d’Al-Jazeera.
Attend-on de nous que nous soutenions ces jeunes voyous en
uniforme israélien ? Ceux qui les haïssent devraient être
condamnés, et non pas les voyous et ceux qui les ont envoyés là-bas ?
Tu utilises le mot ‘paix’ à
tout bout de champ, mais
jamais tu n’utilises le mot ‘justice’. C’est ce qui vous
distingue, toi et tes collègues sionistes, des Palestiniens et de ceux qui les
soutiennent sincèrement.
L’occupation dérange ta conscience, ton sentiment d’identité, en
ta qualité d’Israélien, mais jusqu’à quelle point affecte-t-elle
ta vie ? Mettre un terme à l’occupation, de quelque façon que ce
soit, t’apportera la tranquillité de l’esprit et le temps de
finir tes mémoires. Eh bien, là, maintenant, essaie, si tu le
peux, d’imaginer que tu es dans la peau d’un Palestinien, qui a
été soumis à l’arbitraire d’un squatter israélien toute sa vie.
Rechercherais-tu simplement la paix, l’absence de ce squatter
israélien, ou rechercherais-tu et exigerais-tu que justice soit
faite ?
Ta conclusion ne fait que traduire ta
confusion. Tu écris que tu veux qu’ « Israël soit un
État
appartenant à tous ses citoyens, sans distinction d’origine
ethnique, de sexe, de religion ou de langue ; avec des droits
entièrement égaux pour tous », et pourtant tu supposes qu’il y
aura « une majorité hébraïsante », qui permettra à ses
« citoyens arabophones… de chérir leurs liens étroits avec leurs
frères et leurs sœurs palestiniens… ». S’il n’y a plus de
distinction entre un citoyen et un autre, entre un juif et un
Arabe, alors comment peux-tu imaginer que la majorité continuera
à être hébraïsante ?
Ou bien alors, peut-être envisages-tu la
possibilité que la population arabe palestinienne d’Israël, qui
est d’ores et déjà largement bilingue arabe-hébreu deviendra la
majorité, ce qui ferait qu’Israël, dès lors, ne serait plus un
État juif ?
Si tel est le bien cas,
peut-être
y a-t-il encore un peu d’espoir, en ce qui te concerne.
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
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