Opinion
Les tensions
montent entre la France et le Qatar
au sujet de la guerre au Mali et de la
Tunisie
Jean
Shaoul
![](sheikh-hamad-bin-khalifa.jpg)
L’émir du
Qatar, Sheikh Hamad bin Khalifa al-Thani,
le 6 mars 2012 (Photo Reuters)
Lundi 4 mars
2013 Les tensions
s’aggravent entre la France et le Qatar
avec des accusations que la pétro
monarchie est en train de financer et
d’armer des séparatistes et des
militants islamistes liés à al-Qaïda au
Mali et, plus généralement, de propager
l'intégrisme islamique en Afrique.
La France a étroitement collaboré avec
le Qatar pour évincer Mouammar Kadhafi
en Libye. Elle est également
actuellement en train de coopérer avec
Doha ainsi qu’avec Riyadh et Ankara pour
mener une guerre sectaire dans le but de
renverser le président syrien Bachar al-Assad
et d’isoler l’Iran. Mais maintenant un
retour de flamme s’est produit car la
politique du Qatar contrecarre les
intérêts géostratégiques et commerciaux
de la France au Mali et en Tunisie qui
se trouvent au centre des projets de la
France de recoloniser son ancien empire
en Afrique du Nord et de l’Ouest.
Le premier ministre qatari Cheikh Hamad
ben Jassim al-Thani s’est opposé à
l’intervention française au Mali,
préconisant plutôt le dialogue.
Le premier secrétaire du Parti
socialiste (PS) au pouvoir, Harlem
Désir, a dénoncé ce qu’il a appelé « une
forme d’indulgence » de la part du Qatar
envers les « groupes terroristes qui
occupent le Nord Mali. » Ses remarques
ont été suivies par la visite du
ministre de la Défense Jean-Yves Le
Drian à Doha pour discuter du Mali avec
al Thani. Une
déclaration du ministère de la Défense a
souligné sans équivoque que le Qatar
était « un client privilégié de la
France » dans le domaine de l’armement
et que les « prises de commandes se sont
élevées à 450 millions d’euros pour 200
millions d’euros de matériels livrés »
depuis 2007. Le ministère a aussi fait
remarquer que du 16 février au 7 mars,
un exercice commun se déroulerait au
Qatar – baptisé Gulf Falcon 2013 – et
impliquant 1.300 soldats français et un
nombre identique de Qataris.
La presse française a accusé le Qatar de
souhaiter voir le Nord Mali faire
sécession tout comme elle avait soutenu
la sécession du Soudan Sud du Soudan.
Ceci permettrait au Qatar de forger des
liens étroits avec la nouvelle nation –
qui est supposée être riche en pétrole
et en gaz – et d’étendre ainsi son
influence en direction de l’Afrique de
l’Ouest et de l’Afrique sub-saharienne.
En juin dernier, l’hebdomadaire Le
Canard Enchaîné avait publié un
article, « Notre ami du Qatar finance
les islamistes au Mali ». Il citait des
sources du renseignement militaire
français affirmant que le Qatar
apportait, par le biais de la société du
Croissant Rouge entre autres, un soutien
financier à divers groupes : les
insurgés touaregs du Mouvement national
de la libération de l’Azawad (MNLA), l’Ansar-Dine,
l’organisation al-Qaïda au Maghreb
islamique (AQMI) et son groupe
dissident, le Mouvement pour l’unicité
et le Jihad en Afrique de l’Ouest
(MUJAO). Roland
Marchal, spécialiste de l’Afrique
sub-saharienne a suggéré que des forces
spéciales qataries étaient entrées au
Nord Mali pour former des recrues d’Ansar
El Dine, qui fait partie d’al-Qaïda, une
accusation également avancée par
l’Express. Le Qatar avait poursuivi
une stratégie identique en Libye. En
Tunisie et en Egypte, la monarchie al-Thani
avait financé en 2011 et en 212 les
partis politiques des Frères Musulmans
en tant que partie intégrante de sa
stratégie plus générale de porter au
pouvoir des gouvernements islamistes
basés sur les Sunnites, dans le but
d’écraser l’opposition au sein de la
classe ouvrière arabe, de cibler le
régime chiite en Iran et de renforcer sa
propre position contre l’Arabie
saoudite. Le
gouvernement tunisien conduit par les
Islamistes et qui a remplacé le client
de longue date de la France, Zine El
Abidine Ben Ali, est à présent furieux
contre la campagne menée par Paris pour
le discréditer en réalisant soit un
virement en direction des partis
d’opposition soit en formant un
gouvernement d’union nationale. La
France a été irritée par le refus de la
Tunisie de soutenir officiellement
l’intervention française au Mali ou
d’autoriser les avions militaires
français de survoler son espace aérien.
Le porte-parole présidentiel, Adnan
Manser, a dit craindre que le conflit ne
menace les pays voisins, dont la
Tunisie. Les
tensions se sont encore accrues après
qu'on a appris que les terroristes qui
avaient perpétré l’attaque contre le
site gazier dans le Sud de l’Algérie,
apparemment en représailles à la guerre
française au Mali, étaient passés en
Tunisie qui est également limitrophe de
la Libye et de l’Algérie. D’importantes
caches d’armes qu’on ne trouve pas
normalement en Tunisie, des RPG, des
bombes et des Kalashnikovs, ont été
découvertes à Médenine.
L’assassinat au début du mois de février
de Chokri Belaïd, dirigeant du parti
d’opposition laïc, le Front populaire, a
amené le premier ministre d’alors Hamadi
Jebali du Parti islamiste Ennahdha à
accuser des militants liés à al-Qaïda
d’avoir commis l’assassinat et
d’accumuler des armes dans le but
d’établir un Etat islamique.
Le ministre français de l’Intérieur,
Manuel Valls, a dénoncé le meurtre comme
étant une attaque contre « les valeurs
de la révolution du Jasmin » en Tunisie.
Il a déclaré « Il y a un fascisme
islamique qui monte un peu partout et
cet obscurantisme… doit être évidemment
condamné… puisqu’on nie cet Etat de
droit, cette démocratie pour lesquels
les peuples libyens, tunisiens,
égyptiens se sont battus. »
Valls a aussi réclamé que la France
soutienne les partis d’opposition
pseudo-gauches pour stabiliser la
Tunisie et pour contrôler l’opposition
de la classe ouvrière.
Ces remarques ont suscité une
manifestation des partisans d’Ennahdha,
qui ont scandé des slogans et brandi des
pancartes disant, « La France dehors ! »
et « Ca suffit la France ! La Tunisie ne
sera plus jamais une colonie française
». L’intervention de Valls a été
tellement crue que le porte-parole du
Front populaire tunisien pseudo-gauche,
le président du Parti communiste des
travailleurs de Tunisie, Hamma Hammami,
s’est vue obligé de déclarer : « En tant
que Front populaire nous sommes contre
la France, les Etats-Unis et tout pays
arabe qui s’ingère dans nos affaires
internes. »
L’intérêt porté par la France à ses
anciens territoires coloniaux en Afrique
du Nord et au Sahel est généré par leurs
richesses en ressources naturelles –
notamment le pétrole, le gaz, l’uranium,
l’or et d’autres minéraux précieux – et
la montée des Etats-Unis et de la Chine
dans une région que la France considère
être son propre pré carré.
Le président de l’époque, Jacques
Chirac, avait initialement cherché à
contrer l’Initiative Pan-Sahel (PSI) de
Washington qui avait été promulguée en
2001 et par laquelle les forces
militaires américaines formeraient des
troupes du Mali, du Tchad, de la
Mauritanie et du Niger, sous le prétexte
de la « guerre contre le terrorisme »
annoncée après les attentats du 11
septembre. Plus tard, celle initiative
avait été élargie de façon à inclure
l’Algérie, la Mauritanie, le Maroc, le
Sénégal, le Nigeria et la Tunisie au
titre de l’Initiative transsaharienne de
lutte contre le terrorisme (TSCTI). La
Libye, le Soudan et la Somalie avaient
déjà été identifiés comme étant des
cibles potentielles.
Le PSI et le TSCTI avait donné lieu en
2007 à la mise en place de l’AFRICOM au
sein de l’EUCOM (United States European
Command) basé à Stuttgart, étant donné
qu’aucun pays africain ne voulait
l’accueillir. L’AFRICOM avait pris le
contrôle de la TSCTI. Chirac avait voulu
obtenir le soutien de l’Allemagne, en
invitant en 2007 l’Allemagne au sommet
franco-africain, mais Angela Merkel
avait refusé de contrarier Washington.
La montée de la Chine avait beaucoup
pesé dans la décision du président
français, Nicolas Sarkozy de rejoindre
en 2009 les structures militaires de
l’OTAN et de signer un accord avec la
Grande-Bretagne en 2010 pour intégrer
les armées des deux pays. Le rôle de la
France serait de servir d'auxiliaire de
Washington en Afrique du Nord et au
Sahel, et d'obtenir sa part du butin
résultant de ses projets de
restructuration de la région.
Sarkozy avait cherché à renforcer la
position économique déclinante de la
France en courtisant l’émir du Qatar, en
vendant 80 Airbus à Doha pour sa
compagnie aérienne Qatar Airways, en lui
livrant jusqu’à 80 pour cent de ses
armes et en encourageant le Fonds
souverain du Qatar à acquérir à hauteur
de 70 milliards de dollars US d’actifs
français. La France
a promulgué une loi spéciale exonérant
de taxes l’émir et d’autres
investisseurs qataris qui ont acheté des
valeurs immobilières françaises. Elle a
même proposé à Doha d’adhérer à son
Organisation internationale de la
francophonie (OIF), approuvant les
écoles de langue française qui sont
soumises à l’administration qatarie au
Golfe, au Maghreb et en Afrique.
(Article original paru le 28 février
2013)
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Publié le 4 mars 2013 avec l'aimable
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