Les chroniques vénézuéliennes
Hugo Chavez, un
phare s'est éteint
Jean Ortiz
Mercredi 6 mars
2013 Hugo
Chavez est mort ce mardi à l'âge de 58
ans des suites de complications
respiratoires. Chroniqueur de
l'actualité vénézuélienne pour
l'Humanité.fr, l'universitaire Jean
Ortiz revient sur la vie du président de
la république bolivarienne du Venezuela.
Un phare s'est éteint. Comme Bolivar
lors de son serment de Rome, à 20 ans,
dès le départ, Chavez s'est engagé à
consacrer sa vie à améliorer le sort de
ses concitoyens. Il se réclamait de lui,
et était l'une des consciences de
l'Amérique des peuples. Je me souviens
que, lors de sa première visite à Cuba,
en décembre 1994, il avait déclaré à
l'université : "Un jour, nous espérons
venir à Cuba les bras ouverts, et pour
construire ensemble un projet
révolutionnaire latino-américain". Il
annonçait une "ère d'éveils". Soldat
rebelle, il avait créé le Mouvement
bolivarien avec une vision à long terme
pour rompre avec le bipartisme répressif
et corrompu, inféodé aux Etats-Unis, de
la IV République. Chavez avait une
obsession : que le Venezuela soit
désormais une vraie patrie, une nation
souveraine, indépendante.
Socialisme
endogène
Depuis sa première élection en 1998,
il s'est "radicalisé", et a, par
contrecoup, contribué à politiser
profondément un peuple combattif,
avançant un projet anticapitaliste, sans
doute le plus radical au monde depuis la
chute du Mur de Berlin. Le chavisme ne
relève pas du culte de la personnalité,
mais bien d'une création collective
permanente, pour sortir du
néolibéralisme par la voie électorale,
démocratique, pacifique, et aller vers
un socialisme endogène, participatif, un
pouvoir populaire: des "communes
socialistes", des Conseils communaux...
Chavez était le fédérateur, le
moteur, le centre de gravité d'un
mouvement populaire pluriel, traversé de
différents courants progressistes. Le
peuple l'aimait parce qu'il avait changé
la vie de millions de parias, parce
qu'il avait du panache et du courage.
Lors de la rébellion militaire de 1992,
dont il fut l'instigateur, il alla au
bout de la démarche. Emprisonné, il mit
au point une stratégie de rassemblement
qui cette fois-ci réussirait. C'est le
peuple des "ranchitos" (bidonvilles) qui
descendit sur Caracas pour faire échec
au coup d'Etat de 2002, et sauver son
président.
Exemple
possible
Chavez a fait du Venezuela un pays
central pour toutes les gauches
latino-américaines, et un exemple
d'alternatives possibles pour les
gauches du monde entier. Il eut l'audace
de réhabiliter dès 2004-2005 le mot et
le concept de "socialisme". Un lien
émotionnel, affectif, très fort,
unissait Hugo Chavez et les Vénézuéliens
"d'en bas". Il était comme eux. Le petit
vendeur des rues, devenu président,
tenait ses promesses, lui, le "zambo" de
Sabaneta, le métis de Noir et d'Indien,
qui aimait chanter des chansons de son "llano"
(plaine). J'ai pu mesurer dans les beaux
quartiers, la haine de classe et de race
que lui vouait la bourgeoisie. S'il se
réclamait de Bolivar, ce n'était pas par
opportunisme; il donnait un sens nouveau
au message bolivarien, à la doctrine
politique du Libertador.
Populisme
On l'accusait intentionnellement de
"populisme", ce concept crapuleux et
attrape-tout destiné à discréditer la
révolution bolivarienne. Une analyse
sérieuse du bilan de Chavez, des
rapports sociaux, de sa pratique, des
changements concrets, contredit cette
allégation malveillante. Chavez était
l'homme de l'intégration continentale,
son fer de lance. Pour la première fois
depuis les Indépendances, l'Amérique du
Sud vit une véritable communauté de
valeurs, dans un monde à présent
multipolaire. Chavez en a été le
principal artisan. De 1999 à 2008, il
multiplia par 3 les dépenses publiques
par habitants, fit reculer de 50% la
pauvreté, instaura la santé et
l'éducation gratuites, créa l'ALBA
contre les accords de libre-échange,
contribua à la naissance de la CELAC,
sans les Etats-Unis, isolés désormais à
l'échelle continentale. Voilà pourquoi
cet homme d'une grande stature, d'une
profonde humanité, fut l'un des plus
haïs, diabolisés par l'ensemble des
médias internationaux, par toutes les
bourgeoisies, et les fausses gauches.
Marx et Jésus
Chavez croyait en Marx et en Jésus,
authentiquement. Grâce à lui, les
Vénézuéliens ont bénéficié de nombreuses
"missions sociales". L'une d'elles
consiste à opérer gratuitement de la
cataracte, elle s'appelle "Mission
Miracle". Le miracle de Chavez, c'est
d'être devenu un Chavez collectif, un
"Chavez-peuple". Il y a des morts qui ne
meurent jamais.
© Journal
L'Humanité
Publié le 6 mars 2013 avec l'aimable
autorisation de
L'Humanité
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