Opinion
En marche contre
le traité européen
Jean-Luc Mélenchon
Mardi 28 août
2012
Je publie un post super bref.
J’y traite de nos « estivales citoyennes
» et de notre appel à la marche sur le
traité européen le 30 septembre
prochain. Puis de la méthode « la
muselière ou la gomme » que pratique le
premier ministre du nouveau
gouvernement, Jean-Marc Ayrault. Je
replace à la fin de ces lignes celles
que j’avais données dans mon précédent
post car elles se complètent bien pour
exprimer ma façon de voir et je ne
voudrais pas qu’elles passent tout de
suite dans les eaux sombres de l’oubli
des profondeurs de mon blog. Le tout est
en effet en quelque sorte mon rapport
politique à propos de la stratégie que
je crois utile de mettre en œuvre.
Nous avons fait du
neuf
Nos
« estivales citoyennes » se distinguent
totalement des universités d’été
traditionnelles. Ni défilé mondain comme
le rendez-vous de la Rochelle, ni hall
de gare comme celle des Verts, le but
pour nous n’est pas de se mettre en
scène. Notre objectif était de faire de
ce moment un temps d’action. Je laisse
donc de côté à cet instant tout l’aspect
formation et échange qui représente
pourtant 90 % de l’activité effective du
temps que passent sur place ceux qui
participent aux estivales. De cette
estivale venait une interpellation en
direction de Jean-Marc Ayrault. Elle
permettait un débat public qui aurait
polarisé la rentrée sur la gauche dans
l’opinion du pays. Nous avons essayé
d’être utiles à notre camp. J’y reviens
dans quelques lignes. Mais le plus
important est l’appel à la marche sur le
traité européen le 30 septembre
prochain. Nos « estivales citoyennes »
ont ainsi accompli une fonction d’appel
à l’action de façon concrète et
politique. Nous n’avons pas fait perdre
leur temps à ceux qui sont venus ni à
ceux qui nous ont écouté. Le sujet de
nos estivales ce n’était pas nos
nombrils, notre bronzage, ni nos
vacances, ni l’applaudimètre de nos
porte-paroles comme entre Valls et
Ayrault à la Rochelle, mais l’attente
politique des nôtres et du pays.
Cette campagne
revêt à mes yeux une importance majeure.
Les « bénis oui-oui » du traité européen
le savent ! Seule « la rue », comme ils
disent, peut faire capoter le projet du
PS et de la droite unis pour faire
passer le traité ! Tout leur calcul est
de réussir cette fois-ci comme en
février dernier avec le MES un passage
en force en étouffant toute possibilité
pour le grand nombre de se rendre compte
de ce qui se passe. C’est pourquoi le
nouveau gouvernement se donne tant de
mal à vouloir empêcher que le trouble de
sa propre majorité se voie, alors même
qu’il sait d’avance que le vote de la
droite et des oui-ouistes de l’Assemblée
lui donne une majorité parlementaire. La
présence du « non de gauche » en masse
dans la rue modifie la donne. Il donne à
voir la force intacte de ceux qui
n’acceptent pas. Donc il pèse sur la
décision de chaque député et sénateur au
moment de son vote, comme sur le chef de
l’Etat qui a le pouvoir de convoquer le
référendum. Il donne de la force à la
motion référendaire que déposeront sans
doute nos groupes. Cette marche sera le
marqueur politique qui signalera le
niveau de conscience acquis à propos du
piège qu’est ce traité européen. Sa
réussite ne concerne donc pas un parti,
une personnalité ni même notre Front de
Gauche mais tout le mouvement social.
Notre but n’est donc pas de faire «
notre » marche mais de nous faire
récupérer et de nous dissoudre dans la
marche de tous à gauche contre le
traité.
Je reviens au
deuxième aspect de notre utilisation des
estivales.
L’interpellation de Jean-Marc Ayrault.
En début de semaine il m’avait traité de
haut. Et même de très haut en donnant
une dimension personnelle à sa réplique
contre moi qui ne se trouvait pourtant
pas dans
mon entretien de presse avec le «
Journal du Dimanche ». J’ai donc
repris l’interpellation par un autre
bout. J’ai posé des questions encore
plus précises. Il pouvait y répondre dès
le lendemain. L’offre de dialogue public
que j’avais fait un an avant au même
endroit, en vain, prenait là un nouveau
sens. C’était simple, immédiatement
réalisable. Pour faciliter les choses
j’avais appelé à la tribune des
travailleurs qui se trouvaient dans les
cas que je décrivais dans mon discours.
De cette façon Ayrault le sectaire
n’était pas obligé de me répondre
personnellement. Il pouvait saisir le
prétexte de répondre aux travailleurs.
La liste des sujets choisis pour
l’interpellation n’était pas la plus
rude à affronter pour lui. La gestion
des mandats de l’Etat actionnaire dans
le cas de Thalès, la réquisition de
Fralib après les provocations de la
multinationale Unilever, l’amnistie des
syndicalistes, la punition du chef de
cabinet de Le Foll qui s’est vendu dans
un lobbying contre Gabriel Amard, la
demande de recevoir nos deux présidents
de groupe pour faire le point sur nos
proposition de lois, rien de tout cela
n’était hors de portée pour lui. En
choisissant cette entrée facile pour lui
nous voulions rendre l’échange possible
et fixer le débat à gauche sur le
contenu concret du changement plutôt que
sur les bêtises dilatoires à propos du
rythme de la durée et ainsi de suite !
Vous avez tous vu de quelle façon il a
tout ignoré, tout méprisé. Il faut donc
trouver un autre ouvre-boîte. C’est la
marche du 30 septembre sur le traité.
D’autant que le passage télé de
Jean-Marc Ayrault ce lundi soir sur
France 2 a encore épaissi le voile de
ses intentions.
Le premier
ministre a parlé.
« Qu’a-t-il dit ? » ai-je
demandé sitôt sorti du plateau de Canal
+ où je me trouvais ; « Je ne sais
pas je n’ai pas regardé ! » «
Hein ? Non, je ne sais pas », «
Ah ? Bon ! il parlait ce soir ? » A
la fin quelqu’un me répond : « Ils
disent qu’il a recadré Montebourg sur le
nucléaire ! ». La rentrée du
nouveau gouvernement est faite. La
gauche de retour au pouvoir après dix
ans d’exil et une énorme vague
anti-libérale a un message : recadrer
Montebourg. La nombrilite aigüe des
socialistes s’aggrave.
Ce pauvre Ayrault
m’a l’air
en voie de « cressonnisation »
médiatique. Les moins de trente ans ne
peuvent pas savoir. En moins de deux
mois la parole du premier ministre de
l’époque, Edith Cresson, était devenue
inaudible. C’était d’ailleurs
parfaitement injuste et souvent très
lourdement et stupidement machiste. Mais
l’idée avait fini par s’imposer que ce
qu’elle disait ne portait pas à
conséquence. La politique était
ailleurs. Sarkozy a fait fonctionner son
« collaborateur », François Fillon, de
cette façon, mais cette fois-ci de
propos délibéré. Ce que disait Fillon
n’avait pas d’importance. Seule comptait
la parole du président ou des membres de
son cabinet. C’était délibéré et cela
correspondait à une stratégie globale.
Et bien sûr à une stratégie de
communication. Le but était de submerger
les journalistes d’informations et
d’initiatives, trois les jours, parfois
deux fois par jour et davantage, pour
subjuguer la possibilité de recul et de
regard critique pour donner le sentiment
d’une présidence hyper active, efficace
et réactive. Son fil à plomb c’était de
donner le sentiment que la politique
pouvait changer le cours des choses.
Chaque situation lui servait pour
pousser plus loin le curseur des
solutions libérales. Au cas actuel, quel
est le sens de cette façon de diluer
toute réalité dans un discours sans
ancrage ni fil conducteur concret ?
Mettons de côté l’hypothèse que les
grands taiseux le sont souvent parce
qu’ils n’ont rien à dire. Partons de
l’idée que c’est une méthode et une
stratégie. Laquelle ?
Hollande mise sur
« l’apaisement ».
Le choix d’un bonnet de nuit politique
comme Jean-Marc Ayrault, combinaison
mi-chair mi-poisson du soporifique et de
l’autoritaire l’exprime très bien.
L’aveu de Cécile Duflot à propos de la «
muselière » qu’on lui aurait passée en
entrant au gouvernement et le numéro de
mépris absolu à l’égard du Front de
Gauche dévoile la méthode. J’ai appelé
ça « la muselière ou la gomme » ! En
trois jours nous l’avons vu fonctionner
besogneusement, sans délicatesse mais
très méthodiquement. La stratégie de «
l’apaisement » n’a d’apaisée que
l’emballage du mot. C’est une anesthésie
générale instillée de force.
La « présidence
normale » est une stratégie
de communication qui vise deux
cibles. La première est de reproduire
sans cesse le contraste personnel avec
Sarkozy. Façon de renouveler à
perpétuité ce qu’il estime être la base
de son succès. Façon aussi de tout
ramener à une question de personne. Les
réalités, elles, seraient les mêmes.
Comme les réponses. Le numéro d’Ayrault
devant les jeunes socialistes à propos
de la dette que nous « allons léguer
aux générations futures » est une
pure et simple resucée des refrains
libéraux de l’ère Sarkozy ! Voilà
pourquoi il y aura d’autant plus de
vocalises sur la « normalité et
l’apaisement que pour le reste, comme
dans le cas des roms ou du traité
européen Merkozy, tout a changé pour que
rien ne change ! Mais la seconde est
surtout de tourner la page du contenu
social de la défaite de Sarkozy parce
que ça c’est la base de toutes les «
impatiences » comme ils disent. Eux
connaissent la suite. Martine Aubry a
tout dit crûment en rappelant que ceux
qui ne voteront pas le traité européen
annoncent qu’ils ne seront pas d’accord
avec la suite. Elle a raison. Et vice
versa. Ceux qui le voteront avaleront la
suite. C’est à dire l’austérité à vie.
Dans les journaux
«
Var matin », « Nice matin », « Corse
matin », l’expression qui a été retenue
de mon propos pour résumer notre
positionnement c’est : « Nous sommes
les ayant droits de la victoire de la
gauche ». J’en suis très satisfait,
car cela décrit bien notre état
d’esprit. Pour ceux qui n’auraient pas
la patience de tout lire je surligne ici
un moment de l’entretien qui décrit bien
mon état d’esprit personnel. «
Etes-vous déjà en campagne pour 2017 ?
» demande André Fournon de « Nice Matin
». Voici ma réponse et je vous demande
de bien la noter : « Non, je veux
des résultats tout de suite ! J’essaie
de réveiller l’appétit politique en
mettant des idées concrètes sur la table
! Les socialistes répondent sur la forme
jamais sur le fond. Ils rêvaient de se
débarrasser de nous, pendant la campagne
des législatives. Ils ont une pratique
brutale et monarchique de la République.
Et là ? Cent jours et ils sont déjà dans
leur tour d’ivoire ! »
Pourquoi
s’inquiéter de cela,
m’a-t-on dit parmi mes amis. Est-ce que
cela ne va pas nous servir au contraire
? Précisément non ! Pour moi les
stratégies du pire sont toujours
perdantes pour toute la gauche. Voyez
comment le torpillage de la campagne de
Ségolène Royal par l’état major
socialiste en 2007 nous a coûté cher
pendant cinq ans ! Je sais qu’un certain
nombre de mes lecteurs ne voient pas les
choses de cette façon. Je le comprends
d’autant plus facilement que l’arrogance
des dirigeants du PS braque un nombre
considérable des nôtres. Vous écrivez
beaucoup pour dire que vous n’attendez
rien d’eux et que dans ces conditions je
perdrais mon temps à les interpeller.
Funeste erreur selon moi. C’est renoncer
au sens de la victoire contre Sarkozy
que nous avons rendue possible. Nous
avons fait la victoire, nous voulons
notre dû. Pas des « places » ou des «
postes » comme le pensent les caciques
du PS qui sont incapables d’imaginer que
les autres aient d’autres motivations
que les leurs. Notre dû, cela signifie
le fruit social et écologique du rapport
de force démocratiquement obtenu avec la
droite, la finance, le Medef. Ce sont
des choses très concrètes, des lois très
précises comme celles contre les
licenciements boursiers, l’amnistie des
syndicalistes condamnés pendant le règne
de Sarkozy et ainsi de suite. Nous ne
demandons pas l’application de notre
programme. Celui-ci forme une cohérence
globale. On ne peut en détacher des
petits bouts comme s’il s’agissait d’un
catalogue de mesures à prendre sur
étagère. La cohérence économique de la
relance de l’activité que nous proposons
s’appuie sur un modèle économique global
où la planification écologique et la
reconstitution d’un secteur public
nouvelle génération jouent un rôle
central. Rien de tout cela n’est dans le
programme socialiste. L’élection a eu
lieu. Nous respectons sa décision. C’est
la règle de la démocratie. Mais pour
nous le débat n’est pas clos, il ne le
sera jamais. Il ne faut pas qu’il le
soit. Pour nous la démocratie ne se
limite pas au jour du vote ! Le vote
fait la décision légitime. Il n’impose
pas une conviction. Faire vivre la
diversité c’est aussi maintenir des
voies de recours en cas de difficulté ou
d’échec. Notre démarche reste donc bien
globale, puisque nous continuons à
vouloir convaincre de notre programme
dans son ensemble et que nous sommes
prêts à l’appliquer nous-mêmes à tout
moment, si nous y sommes appelés. Mais
notre action est aussi inscrite dans le
concret immédiat.
Pour cela nous
partons du possible
c’est-à-dire de ce sur quoi le plus
grand nombre à gauche peut se retrouver.
Le but est à la fois d’unir le grand
nombre et de le dynamiser. Mais on ne
peut ni l’un ni l’autre si l’on ne part
pas du sens politique que les électeurs
ont donné à leur rejet de Sarkozy. Et on
ne peut agir efficacement et dans la
durée si on n’a pas la lucidité de
réaliser combien la victoire a été
acquise de justesse, c’est à dire à quel
point la société a pu être travaillée
par les thèses de la droite extrémisée.
Un pouvoir de gauche doit être sans
cesse à la conquête de la conviction
s’il veut durer et agir. Il dure parce
qu’il agit, il agit parce qu’il peut
durer. Au cas présent, nous partons de
ce que les socialistes affirmaient
vouloir faire et qui correspond à cette
double exigence de dynamisation et de
résultat.
Comment me
répondent-ils ?
Par le mépris. Aucun ne répond sur le
fond, c’est-à-dire a propos des projets
de lois ou des décisions que je suggère.
Bien sûr, avec les heures le ton est
monté. Je n’en suis pas surpris et je ne
leur en veux pas. D’une façon générale
je vois bien que la réplique quand elle
ne se limite pas à la forme se concentre
sur le flingage personnel. La loi contre
les licenciements boursiers par exemple
? Je l’évoque, je la réclame dans cet
entretien de presse. Que répondent-ils ?
Rien. Absolument rien. Habituel. Il ne
faut pas s’arrêter à l’aspect tour de
passe-passe ni aux agressions
personnelles. Personnellement celles-là
me sont dorénavant indifférentes. Il ne
faut retenir que leur refus de répondre
sur les mesures concrètes. Ce qui les
aide, évidemment, c’est qu’aucun
journaliste ne leur pose de question à
ce propos. Beaucoup de bavardages donc à
propos de la forme de mon intervention.
Et beaucoup d’attaques personnelles,
parmi les plus burlesques. Je m’amuse
ainsi de voir que mes vacances au
Venezuela deviennent un argument à
charge contre mon argumentation. Michel
Sapin, Jean-Marc Ayrault, Daniel
Cohn-Bendit, y reviennent, lourdement
persuadés qu’ils sont de me diaboliser.
Grand renfort : « Le Monde » publie même
une nouvelle fois son papier de cet été
sur mon passage dans la campagne de
Chavez ! Le ridicule de ce genre de
répétition ne doit pas faire perdre de
vue le but visé. Il s’agit d’établir la
suite que voici : qui fait du social et
se prononce contre le traité est pour
Mélenchon, or Mélenchon c’est Chavez et
Chavez comme tout le monde le sait c’est
le diable ! On ne saurait mieux nous
aider. A notre tour de retourner le
théorème. En posant la question du bilan
des révolutions démocratiques de
l’Amérique latine, et notamment, bien
sûr, de celle du Venezuela. Ce bilan ne
nous fait pas peur. Au contraire.
Si je le propose
ce n’est pas seulement
parce que c’est l’intérêt de la
démonstration de l’efficacité de nos
politiques. C’est un enjeu du débat à
gauche. Car c’est bien ainsi que le
posent les sociaux-libéraux eux-mêmes.
C’est ce que fait Michel Sapin. Il
commence par dire que mon propos est «
hors de la réalité ». Son interview au «
Figaro » met les points sur les « i ». «
Les Français ne sont pas à
la recherche d'un affrontement de plus.
Ils sont lassés des discours
fracassants, ils apprécient au contraire
le climat d'apaisement que leur
apportent le président et le
gouvernement ». Sur Europe 1, il a
complété sa pensée en la situant sur un
terrain plus large. Voici ce que j’en ai
lu sur le site d’Europe 1. «
Interrogé sur la réponse que le
gouvernement compte apporter à
l'équation "rester compétitif et garder
une approche socialiste de l’emploi",
Michel Sapin a opposé deux gauches :
celle du gouvernement… et celle de
Jean-Luc Mélenchon » Ah ? Donc il y
a deux gauches ? Lesquelles cher Michel
? "Mais c’est nous. C’est ça la
social-démocratie. C’est la gauche
d’aujourd'hui. La gauche qui réforme, la
gauche qui apporte des solutions".
Et le journaliste qui rend compte de ces
déclarations, Geoffroy Bonnefey, ajoute
: « Il a ensuite embrayé, expliquant
que "[ce n'est] pas la gauche
tonitruante. Pas la gauche qui manie
uniquement le verbe, pas la gauche
d’Amérique du sud". Oui, vous avez
bien lu. La social-démocratie, le
nouveau gouvernement, fait quelque chose
et la gauche latino ne fait rien, sinon
parler ! Le monde à l’envers ! Certes.
Mais acceptons la confrontation entre
ces deux conceptions de la gauche. Ne
laissons pas passer cette
disqualification méprisante de la lutte
et de l’action des peuples de l’Amérique
du sud passer comme une évidence ! Nous
avons tout intérêt à la comparaison des
résultats et des politiques.
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