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Réseau Voltaire
Attaque contre
l'euro et démantèlement de l'Union Européenne
Jean-Claude Paye
Dominique Strauss-Kahn (directeur
du FMI), Timothy Geithner (secrétaire US au Trésor),
Christine Lagarde (Ministre français de l’Economie) et Elena
Salgado (présidente espagnole du
Conseil des ministre des Finances européens), discutent du plan
de réforme du système financier international
(réunion jointe du FMI et de la Banque mondiale, Washington, le
25 avril 2010).
© IMF
Staff Photographer/Michael Spilotro
Bruxelles, le 6 juillet 2010
Loin d’être l’action de la « main invisible du marché », la
crise de l’euro est le fruit d’une stratégie mûrement préparée
par Christina Rohmer et le Comité des conseillers économiques de
la Maison-Blanche. Il s’agit de sauver l’économie étatsunienne
en contraignant les capitaux européens à se réfugier
outre-atlantique, et en plaçant à terme l’économie des Etats de
la zone euro sous contrôle US via le FMI et l’Union européenne.
Jean-Claude Paye analyse les premières étapes du processus en
cours.
La crise de l’euro résulte d’un choix politique, celui des
autorités de l’Union européenne de mettre en gage la monnaie
commune, au lieu de restructurer la dette souveraine grecque.
Une telle restructuration aurait sauvegardé l’euro, mais aurait
mis à contribution les banques, ces dernières perdant une partie
de leurs créances dans l’opération. Les institutions financières
françaises auraient environ 50 milliards de dette hellénique
dans leurs bilans, tandis que 28 milliards seraient détenus par
des banques allemandes [1]
Cependant, la sauvegarde de quelques dizaines de milliards
d’euros des institutions financières ne justifie pas une telle
prise de risque. L’enjeu fondamental, en mettant la pression sur
la monnaie commune, est de faire payer la crise aux salariés et
ainsi d’effectuer un gigantesque transfert de revenus des
ménages vers les entreprises, principalement vers les
institutions financières.
Une offensive sous direction étasunienne
La taille du transfert est telle qu’il peut être piloté par
les seules institutions européennes, mais conduit par les
marchés et leur bras armé, l’administration étasunienne. La
crise de l’euro a été déclenchée par l’attaque concentrée des
agences de notations étasuniennes Standard & Poor’s, Moody’s et
Fitch contre la dette de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal.
L’abaissement des notes de ces trois pays par les agences
américaines, surtout celle de la Grèce, reléguée dans la
catégorie des investissements spéculatifs, est la conséquence
d’une action concentrée. L’abaissement des notes fait suite à
une série de décisions répétées et très rapprochées. Ces
attaques ont été appuyées par l’appareil d’Etat US, notamment
les déclarations alarmistes du conseiller économique du
président Obama, ancien président de la Réserve fédérale
étasunienne, Paul Volker qui a parlé d’une future désintégration
de la zone euro. L’attaque contre l’euro apparaît comme un
prétexte d’autant plus que « depuis 2004, on savait que les
autorités grecques trichaient » [2]
et cela sans aucune réaction des agences de notation.
Cette offensive contre l’euro est d’abord une action destinée
à ramener aux Etats-Unis les capitaux étrangers nécessaires à la
couverture du déficit croissant de la balance financière des
USA. C’est un signal d’avertissement à des pays comme la Chine
qui avait commencé à rééquilibrer leurs réserves de devises en
achetant de l’euro au détriment du dollar. Pour les Etats-Unis,
il y a en effet urgence en la matière. Jusqu’en 2009, le
financement de leurs déficits et la défense du dollar étaient
assurés par un solde positif des flux financiers. Mais, durant
cette même année, si le mouvement des capitaux reste positif, il
ne parvient plus à compenser les déficits. Le solde devient
négatif d’un montant de 398 milliards de dollars [3].
A un niveau purement économique, l’offensive contre l’euro est
de la même veine que la lutte contre la fraude fiscale, initiée
par le président Obama en 2009 [4].
Il s’agit de ramener les capitaux dans le giron des USA.
Une opération de démantèlement de l’UE
Cette action tactique se double d’une opération stratégique,
celle d’un mouvement de démantèlement de l’Union européenne au
profit d’une union économique couvrant les deux continents. Le
projet de création d’un grand marché transatlantique [5]
en est la manifestation la plus visible. C’est en fonction de ce
deuxième objectif que l’on peut comprendre l’attitude de
l’Allemagne qui, aussi bien au niveau de la lutte contre la
fraude fiscale que celui de l’attaque contre l’euro, a fourni un
appui à l’offensive étasunienne. Cette double attitude est
cohérente avec l’engagement privilégié de cet Etat européen dans
la mise en place d’une union économique transatlantique.
L’Union européenne a été construite autour de l’Allemagne et
structurée selon ses intérêts. Pays économiquement le plus
performant au moment de l’installation du marché commun, il a pu
faire jouer pleinement ses avantages économiques comparatifs,
sans contrainte politique, sans gouvernement économique, ni
transferts importants vers les zones défavorisées. Jusque cette
année, la zone euro absorbe les trois quarts des exportations
allemandes [6].
L’Allemagne, par les déclarations de ses responsables politiques
et de ses banquiers, ainsi que par l’exhibition répétée de ses
hésitations, a contribué à l’offensive contre l’euro. Pour elle,
les bénéfices de cette action sont immédiats. La baisse de la
monnaie commune permet d’augmenter ses exportations hors zone
euro. De plus, ce pays peut financer ses propres déficits à
meilleur compte. La crise et la fuite vers la qualité qu’elle
engendre permet aux obligations allemandes de se placer avec un
taux d’intérêt réduit.
Si, à terme, l’Allemagne donne l’impression qu’elle scie la
branche sur laquelle elle est assise, c’est qu’elle a décidé de
changer de branche et veut s’intégrer dans un ensemble plus
large : le grand marché transatlantique. La « construction
européenne » est à la croisée des chemins. Jusqu’à présent, elle
a permis un développement permanent de l’Allemagne. Ce processus
ne peut plus continuer selon les mêmes modalités. L’UE ne peut
sortir de la crise sans mettre en place un gouvernement
économique gérant une politique économique commune, une
harmonisation du développement et, pour cela, assurer des
transferts financiers conséquents vers les pays et régions
défavorisées. Cette gestion politique est en complète opposition
avec le simple Pacte de stabilité promu par l’Allemagne.
La politique budgétaire de diminution accélérée des déficits,
réimposée au nom de ce pacte, va se faire au détriment du
pouvoir d’achat des populations et ne peut se réaliser sans une
récession économique. La zone euro ne peut plus être le débouché
privilégié des exportations allemandes. L’Allemagne a fait son
choix : celui du grand marché transatlantique et du marché
mondial.
Une mise sous la tutelle du FMI
Au lieu de restructurer la dette des pays défaillants,
l’Europe a mis sur pied deux fonds d’intervention. L’Eurogroupe,
formé par les ministres des finances de la zone euro, a
développé un mécanisme inédit de 750 milliards d’euros de prêts
et de garanties, afin de venir en aide aux pays de la zone euro
qui auraient des difficultés à emprunter sur les marchés
financiers. Le dispositif prévoit 60 milliards de prêts
européens gagés sur le budget de l’Union européenne, 440
milliards d’euros de garanties apportées par les pays membres de
la zone euro, ainsi que 250 milliards d’euros de prêt du FMI,
soit un total de 750 milliards [7].
Ce dispositif de secours est prévu pour une durée de trois
années.
Alors qu’il n’y avait aucune impossibilité financière à
assumer l’entièreté du fonds, l’Eurogroupe choisit de se lier
les mains avec le FMI, dans lequel les USA ont la majorité des
droits de vote. Ce dispositif de servitude volontaire reproduit,
en l’amplifiant, le schéma déjà construit pour venir en aide à
la Grèce. Ce dernier programme est d’un montant de 110 milliards
d’euros, dont 30 en provenance du FMI.
Que signifie la volonté du Conseil européen d’arrimer au FMI
la procédure mise en place pour venir en aide aux pays de la
zone euro ? Si on regarde les recettes appliquées par cette
institution internationale aux pays auxquels il a accordé des
prêts, le mode opératoire est immuable : imposer une baisse du
salaire direct et indirect, la privatisation des services
publics et la suppression des politiques sociales. La politique
du FMI a toujours conduit à un appauvrissement important des
populations [8].
En cas de dépression ou même de stagnation économique, la
« politique de consolidation des dépenses publique » est vouée à
l’échec. Les 750 milliards prévus d’aide serviront à rembourser
les banques au détriment du pouvoir d’achat du contribuable et
ce versement aux institutions financières augmentera d’autant la
récession. Ainsi, mise sous tutelle du FMI et création de fonds
d’aide aux banques sont deux aspects complémentaires d’une même
politique. Il s’agit de procéder à une importante redistribution
des revenus en faveur des entreprises financières.
Quel avenir pour l’Union européenne ?
Une telle opération contre les revenus des populations
nécessite de neutraliser tout processus de décision au niveau
des Etats nationaux, une structure dans laquelle les citoyens
gardent quelques moyens de défense et cela au profit des
mécanismes de marché, placés complètement hors de portée de
toute pression politique. La question est de savoir quel rôle
vont jouer les institutions européennes dans ce processus de
mise sous dépendance des marchés financiers ?
Une première réponse se trouve dans l’accord selon lequel les
budgets des Etats de la zone euro seront mis sous tutelle d’un
organisme composé de la Commission, de la Banque centrale
européenne et le l’Eurogroupe.
Les pays qui n’arriveront pas à ramener leur dette a moins de
60 % du PIB seront amendés par Bruxelles. Ce texte envisage la
possibilité de sanctions même lorsque la limite actuelle de 3 %
du PIB, fixée par le Pacte de stabilité, n’est pas encore
dépassée. L’idée serait de pouvoir déclencher des procédures,
pour déficit excessif, pour les pays dont la dette ne recule pas
suffisamment [9].
Ensuite, une modification des traités n’est pas exclue, afin de
permettre la suspension des droits de vote lors des réunions
ministérielles.
Le modèle allemand, faire inscrire, dans la Constitution, le
principe de l’équilibre budgétaire, soutenu également par la
France, est appelé à se généraliser. Cela supprimerait toute
possibilité, déjà actuellement très faible, d’initiative
budgétaire. Les Etats membres seraient, vis-à-vis de l’Union
européenne, comme les Etats fédérés étasuniens vis à vis de leur
Etat fédéral. Cependant, il ne faut pas se tromper, il ne s’agit
pas là d’un renforcement de la construction européenne, mais, au
contraire, de la dissolution de toute possibilité d’initiative
politique afin de conforter la toute puissance des marchés.
La construction européenne a été imposée par les Etats-Unis
qui, après la guerre, en ont fait une condition d’octroi des
aides du Plan Marshall [10].
Elle a été réalisée autour de l’Allemagne, dont les intérêts
immédiats étaient complémentaires de ceux des USA. L’attaque
contre l’euro et l’opération de démantèlement de l’Union
européenne résultent aussi d’une offensive lancée par les USA et
est également relayée par la première économie de l’ancien
continent, ainsi que par les institutions de l’UE. La Commission
et le Conseil confirment ainsi leur participation à la
décomposition de l’Union et à son intégration dans une nouvelle
structure politique et économique transatlantique sous direction
US, un rôle déjà joué à travers les négociations des accords sur
le transfert des données personnelles des citoyens européens
vers les USA [11]
et les tractations ayant pour objet la création d’un grand
marché regroupant les deux continents. La mise sous la tutelle
du FMI de la gouvernance économique européenne représente une
étape supplémentaire dans la dissolution de toute capacité
d’initiative des pays membres de l’UE et une phase de transition
pour leur intégration dans un ensemble transatlantique. L’euro
sera maintenu comme une simple coquille vide. La suppression de
la monnaie commune ne peut convenir, ni à l’Allemagne, dont le
retour à un mark valorisé comme monnaie refuge serait suicidaire
pour son économie [12],
ni aux Etats-Unis qui n’ont aucun intérêt à étendre la
souveraineté de leur monnaie et l’usage des privilèges qui y
sont attachés.
Jean-Claude Paye,
Sociologue. Derniers ouvrages publiés :
La Fin de l’État de droit, La Dispute 2004 ;
Global War on Liberty, Telos Press 2007.
Documents :
« Plan
de réforme du système financier international », par un
groupe d’expert du FMI et de la Banque mondiale, Réseau
Voltaire, 6 juillet 2010.
« Conclusions
de la mission du FMI en France », par Dominique
Strauss-Kahn, Réseau Voltaire, 24 juin 2010.
[1]
Paul Seabright, « Ce sont les banques que l’on sauve, pas la
Grèce », Le Monde,
le 17 mai 2010.
[2]
Déclaration de Jean Arthuis, président de la commission des
finances du Sénat français, in « Grèce :
le rôle des agences en question »,
AFP, le 28 avril 2010.
[3]
« Les flux financiers et la pérennité du dollar »,
Economie et crise aux USA-Blog Le Monde.fr,
le 19 avril 2010.
[4]
« Le
G 20 : une hiérarchisation des marchés financiers »,
et « Lutte
contre la fraude fiscale ou main mise sur le système financier
international ? », par
Jean-Claude Paye, Réseau Voltaire, les 9 avril et 3 mars 2009
[5]
« Le
futur grand marché transatlantique »,
Réseau Voltaire,
par Jean-Claude Paye, le 4 février 2009.
[6]
Michel Aglietta, « La longue crise de l’Europe »,
Le Monde, le
17 mai 2010.
[7]
« La
zone euro met en place son fonds de secours historique »,
AFP, le 7 juin 2010.
[8]
Raphaël Massi, « Le
FMI attaque »,
International Nieuws Agoravox,
le 13 juin 2010.
[9]
Guillaume Errard, « Déficits :
Bruxelles devra valider les budgets nationaux »,
Le Figaro.fr,
le 6 juin 2010.
[10]
« Histoire
secrète de l’Union européenne »,
par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 28 juin 2004. et « L’histoire
du Bilderberg racontée à Y. Calvi et J.F. Khan »,
par Laurence Kalafatides,
Oulala.net, le 20 mai 2008,
[11]
« Affaire
Swift : un nouvel abandon de la souveraineté européenne »,
par Jean-Claude Paye, Réseau
Voltaire, le 20 décembre 2009.
[12]
Jean-Michel Vernochet, « Euro :
l’hypothèse du pire »,
Réseau Voltaire,
le 18 mai 2010.
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