Opinion
Réponse à la
lettre ouverte de Bernard Debré à Moncef
Marzouki
Jamel Dridi
Photo:
Kapitalis
Mercredi 4 janvier
2012
En écrivant une lettre ouverte à Moncef
Marzouki sur des propos de ce dernier
(sortis de leur contexte), Bernard Debré
se trompe. Une erreur qui cache les
vraies raisons de sa colère.
Par
Jamel Dridi
Par une lettre que je qualifierais de
très musclée, vous avez largement
exagéré les propos du président
tunisien, Moncef Marzouki. Ce dernier
ayant demandé aux dirigeants français de
ne pas jouer sur le sentiment
d’islamophobie existant actuellement en
France dans le cadre des futures
élections présidentielles.
Vous savez très bien, M. Debré, que
Moncef Marzouki, qui possède de
nombreuses attaches tant intellectuelles
que personnelles avec la France, n’a pas
voulu s’en prendre à un pays ami de la
Tunisie.
Vous savez très bien aussi que vous
sortez aussi ses propos de leur contexte
car vous n’ignorez pas qu’ils ont été
prononcés dans le cadre de vœux
chaleureux adressés au peuple français
via l’excellent site Médiapart (que
j’invite à consulter largement).
Vous faites d’ailleurs complètement
fi de ce message de sympathie envoyé
pour n’en retenir qu’une petite partie
que vous sortez de son contexte. Cette
sélectivité m’étonne.
Mais le plus important n’est pas là
car l’énervement que l’on ressent dans
votre lettre tire sans doute sa source
ailleurs. Et cet ailleurs, pour ne pas
passer par quatre chemins, se trouve
sûrement dans la nostalgie d’une ère
délicieuse pour une partie du pouvoir
français. Un temps où les dirigeants
français tiraient les fils des «pantins»
comme Ben Ali pour reprendre votre
expression (expression qui est si juste
finalement). Un pantin Ben Ali qui, pour
rappel, a choyé de nombreux politiques
français avec des séjours gratuits dans
des hôtels de luxe tunisiens quand au
même moment il torturait des hommes et
des femmes qui ne recherchaient que la
liberté. Si vous avez de l’énergie à
dépenser pour défendre l’honneur de la
France, ce serait d’ailleurs plutôt sur
ce terrain qu’il faut le faire car
bénéficier de séjours luxueux de la part
d’un dictateur quand on se dit
représentant d’un pays défenseur des
droits de l’Homme est beaucoup plus
grave.
Là aussi, il y a une certaine
sélectivité dans vos combats qui me
laisse perplexe.
Eh oui, la françafrique, prolongement
de la colonisation, se meurt et ni vous
ni personne ni pouvez rien car pour
paraphraser notre ancêtre commun, Victor
Hugo, l’Afrique est en marche et rien ne
peut l’arrêter. L’Histoire écrit
effectivement sous nos yeux avec de
grands et larges traits la véritable
indépendance des peuples africains.
Certes, il reste encore ici et là
quelques pantins mais tout le monde sait
que leurs jours sont comptés et que leur
papas protecteurs n’ont plus les moyens
de les maintenir sur leur trône face à
leur peuple qui sont démocratiquement en
forme ces temps-ci.
M. Debré, votre colère feinte sur des
propos tenus sur la France ne ramèneront
pas cette françafrique et n’empêcheront
pas la Tunisie d’aller vers la
souveraineté totale quels qu’en soient
le prix à payer et les tentatives
déclarées ou secrètes pour que ce
processus n’aille pas à son terme.
Quant à l’islamophobie, c’est un
sujet inquiétant et hélas si réel dans
notre beau pays qu’est la France. Si
l’on n’en est pas encore à raser les
mûrs en tant que musulmans en France
même si tous les jours des cimetières
musulmans sont profanés, que des femmes
musulmanes voilées à force d’être
stigmatisés se font insulter et cracher
dessus dans la rue, que presque tous les
ans désormais l’Assemblée nationale vote
une loi sur le port du voile, même si
l’on ne rase pas les murs, comme je vous
le disais, pensez-vous qu’elle n’existe
pas en France cette islamophobie ?
Vous allez sans doute me répondre que
non et qu’encore une fois le musulman
français que je suis joue sa petite
musique victimaire. Alors, en bon
rationaliste que vous êtes,
permettez-moi de vous rappeler un
sondage Ifop publié dans le très sérieux
journal ‘‘Le Monde’’ début 2011 qui dit
que «pour environ 40% des Français et
des Allemands, l’islam représente
‘‘plutôt une menace’’ et que 68% des
Français estiment que ‘‘les musulmans ne
sont pas bien intégrés dans leur
société’’». Alors ce sondage, qu’en
pensez-vous ? Niez-vous toujours que
l’islamophobie existe ? Bien évidemment,
je ne veux pas ici vous rappeler la
condamnation pour racisme d’un ancien
ministre de l’Intérieur ni les
déclarations douteuses sur l’islam et
les musulmans par certains politiques.
Mais je peux approfondir la question si
vous le souhaitez.
Pour finir, cher compatriote Debré
(et c’est très amicalement que je suis
prêt à vous offrir un bon couscous
tunisien à l’œil), si lors de la
campagne électorale qui vient nous
pouvions éviter un nouveau débat sur
l’identité nationale qui se
transformerait en attaque en règle des
musulmans comme la dernière fois ou un
énième débat sur le voile ou la burqa ou
une énième longue soirée de palabre sur
une supposée menace terroriste
islamiste… bref si nous pouvions parler
d’autre chose comme de la crise
économique dans laquelle nous sommes,
des inégalités sociales croissantes, des
discriminations à l’emploi dont sont
victimes les jeunes français d’origine
immigrée, etc., ce serait plutôt bien et
peut-être un peu plus constructif.
Quant à ce Marzouki, ce rêveur en
burnous, malicieux, vivant un conte de
fée merveilleux que seule une démocratie
peut offrir (ah moi aussi je me rêve un
jour de devenir président français, moi
le basané que je suis, est-ce possible
?). Quant à ce Marzouki, vous disais-je,
laissez-le dire ce qu’il veut. Vous le
savez si bien docteur Debré, les
médecins, parce qu’ils sont mauvais
politiciens, disent (et écrivent)
souvent de grosses âneries.
Bien à vous.
Blog de l’auteur.
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Publié le 4 janvier 2012 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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