Promenades d'un économiste solitaire
La crise de la
zone Euro et la responsabilité
historique des dirigeants européens
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Mardi 20 décembre
2011
Alors que nous entrons dans la
période des fêtes de fin d’année, la
crise de la zone Euro semble ne pas
vouloir connaître de répit. Le sommet
européen du 5 décembre n’a apporté que
des espoirs, vite déçus par le retour
aux réalités.
La crise est en effet bien plus
profonde que le problème de la dette
souveraine. Si la Grèce, le Portugal,
l’Espagne et l’Italie ont vu leur
endettement public s’accroître dans des
proportions considérables ces dernières
années, c’est en raison de l’écart
croissant de compétitivité avec
l’Allemagne. Ceci s’est traduit par un
déficit commercial croissant avec ce
pays mais aussi – plus subtilement – par
une plus grande sensibilité à la montée
du taux de change de l’Euro depuis 2002.
Ce dernier est ainsi passé de 1 Euro
pour 1,05 Dollars américains en 2002 à
plus de 1,40 pour revenir, vers la
mi-décembre 2011 à 1,30. L’économie
allemande peut résister à une telle
surévaluation, mais pas celles des pays
du Sud de l’Europe. La compétitivité des
pays de l’Europe du Sud s’est ainsi
dégradée face aux autres pays du monde
du fait qu’ils étaient entraînés dans
une spirale de réévaluation pour eux
insupportable.
Cet écart de compétitivité s’enracine
dans des configurations très différentes
des structures économiques et
industrielles des pays de la zone Euro.
De ce point de vue, la monnaie unique
n’a apporté nulle convergence. Pour
qu’il en fut autrement, il eut été
nécessaire de prévoir des mécanismes de
transferts budgétaires importants des
pays comme l’Allemagne vers les pays du
Sud de l’Europe. Mais, l’Allemagne s’y
est refusée dès le départ.
L’endettement public s’est alors
largement accru avec le déficit de la
balance commerciale de ces pays qui
augmentait rapidement avec la
dégradation de leur compétitivité. Ceci
a donné naissance à la crise actuelle.
Elle a commencé à se manifester avec le
cas de la Grèce, puis s’est rapidement
étendue au Portugal, à l’Espagne et a
touché à l’été 2011 l’Italie et la
Belgique.
Cette crise est essentiellement liée
aux incertitudes qui pèsent sur la
solvabilité de ces pays. Mais, avec la
montée des taux d’intérêts auxquels ils
sont confrontés, et du fait des besoins
de liquidités provenant du refinancement
de la dette accumulée et du déficit de
l’année en cours, cette crise de
solvabilité se transforme en une crise
de liquidité. C’est elle qui menace
aujourd’hui la Grèce, qui pourrait être
conduite à faire défaut au début du
printemps prochain, mais aussi le
Portugal et l’Italie.
La crise correspond donc à la
combinaison de trois moments distincts,
mais qui aujourd’hui sont étroitement
liés. La crise de compétitivité,
directement issue des mécanismes mis en
place dans la zone Euro, donne naissance
à la crise de la dette publique,
autrement dit aux doutes sur la
solvabilité de certains pays. Mais, ce
doute induit le tarissement des
capacités d’emprunts, qui se transforme
en une crise de liquidité
particulièrement violente.
Les mesures prises depuis le
printemps 2010, incluant l’accord du 5
décembre dernier, ont eu des
conséquences perverses très importantes.
On a incité ces pays à réduire
brutalement leurs dépenses et à
augmenter leurs recettes pour rétablir
leur solvabilité. Mais, ces mesures ont
détruit la croissance. On a vu ceci se
produire en Grèce, qui connaît
aujourd’hui une dépression de -5,5%,
puis s’étendre au Portugal, à l’Italie
et désormais à la France. La baisse du
PIB se traduit alors par une chute des
ressources fiscales, et le déficit
budgétaire que l’on croyait jugulé
réapparaît. On voit même apparaître des
impayés publics, qui ne sont qu’une
forme déguisée du déficit, comme en
Espagne, ou ces derniers atteignent
désormais près de 130 milliards d’Euros.
Les politiques d’austérité n’ont
jamais été une solution aux crises
d’endettement. Les exemples de la
politique menée par le Président Hoover
aux Etats-Unis de 1930 à 1932, ou par le
Chancelier Brüning à la même époque en
Allemagne, en témoignent. Seule, le
rétablissement des conditions d’une
croissance forte est susceptible de
restaurer la confiance dans la
solvabilité des pays, et par là de
mettre fin à la crise de liquidité.
Mais, les gouvernements persistent à
imposer des mesures toujours plus
draconiennes, plongeant la zone Euro
dans une dépression qui menace d’être de
longue durée.
Désormais, l’existence même de l’Euro
est en cause. Ce ne sont pas les
déclarations tonitruantes des uns ou des
autres qui changeront cette réalité. En
fait, nous avons le choix entre deux
options. Elles présentent, l’une et
l’autre, des inconvénients pour les
autres pays, et en particulier pour les
BRICS et la Russie. Considérons alors
les scénarios qui s’offrent à nous.
Soit dissoudre la zone Euro avant
d’être submergés par la crise de
liquidité, et par des dévaluations
concertées relancer la croissance dans
nos pays. La perte de patrimoine due à
la transformation des titres en Euro en
titres libellés dans les diverses
monnaies nationales désormais dévaluées,
sera alors compensée par la hausse de la
demande intérieure en Europe.
Soit nous persistons à vouloir
défendre l’Euro à tout prix ; l’économie
européenne va alors se contracter en
2012 et 2013, et probablement jusqu’en
2015. Les exportations des pays
émergents, celles de la Chine, de la
Corée ou de la Russie, seront alors
fortement touchées, en volume mais aussi
en prix, et en particulier pour les
matières premières.
Les pays européens sont désormais
face à leurs responsabilités. Auront-ils
le courage de reconnaître que
l’introduction de l’Euro a constitué une
erreur, non pas du point de vue des
principes mais de celui des conditions
concrètes de sa mise en œuvre, et
procèderont-ils à la dissolution de la
zone Euro, ou s’entêteront-ils, tels des
enfants obstinés, dans la défense à tout
prix de la monnaie unique. S’ils
devaient choisir cette dernière
solution, ils porteraient la
responsabilité d’une grave crise
économique mondiale, car on comprend
bien qu’une longue dépression de
l’Europe ne sera pas sans conséquences
sur les autres économies.
L’opinion de l’auteur ne coïncide
pas forcément avec la position de la
rédaction.
Jacques Sapir est un
économiste français, il enseigne à
l'EHESS-Paris et à l'École d'économie de
Moscou (MSE-MGU). Spécialiste des
problèmes de la transition en Russie, il
est aussi un expert reconnu des
problèmes financiers et commerciaux
internationaux.
Il est l'auteur de nombreux livres dont
le plus récent est La Démondialisation
(Paris, Le Seuil, 2011).
© 2011
RIA Novosti
Publié le 21 décembre 2011
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