Opinion
Ali Anouzla ou la
victoire du Makhzen
Jacob Cohen
Photo:
D.R.
Dimanche 27 octobre 2013
Après les satisfecit d’usage –
qui n’éprouverait pas un
soulagement extraordinaire de
voir un homme intègre, un
journaliste engagé, un novateur
médiatique, sortir des geôles
infâmes d’un régime
autoritairement ubuesque ? –
vient le temps des questions.
Il serait indécent de critiquer
l’homme pour avoir
éventuellement cherché un
arrangement avec ses
persécuteurs. La prison, et en
particulier celle où il a été
enfermé, doit être une
expérience terrifiante surtout
lorsqu’on se sait innocent. Et
nul doute que ses geôliers ont
dû recevoir des instructions
pour la lui faire goûter. Et
rien que la perspective d’y
passer plusieurs années aurait
donné des cauchemars à plus
d’un.
Ayant fait un geste magnanime –
comme seule la monarchie
alaouite en a le secret – en
libérant le journaliste, le
Makhzen a atteint ses
objectifs.
Il n’est pas inopportun
d’apparaître comme l’autorité
suprême qui, en dernier recours,
et suite aux sollicitations
venant de toutes parts, fait un
geste d’apaisement alors qu’il
en a été l’instigateur. Il y a
là un renversement de situation
qui frise le machiavélisme.
L’autocrate se mue en bon père
du peuple au-dessus de tous.
Applaudissez bonnes gens ! On
lui donnerait presque la
médaille du juste. Faisons
confiance aux médias serviles
(un quasi-pléonasme au Maroc)
pour nous servir cette belle
fable.
L’autre objectif atteint par le
Makhzen, qui n’a eu de cesse
depuis 1956 de concentrer entre
ses mains la réalité du pouvoir,
de tous les pouvoirs, est de
contrôler toute forme
d’opposition, par tous les
moyens. Seules les méthodes se
sont « adoucies » vu le contexte
international. Avec
l’arrestation et la mise en
examen de
Ali Anouzla, il a réussi à
museler l’un des rares sites
d’informations qui se croyait en
état de droit véritable et non
en démocratie illusoire et
dévoyée.
Qu’adviendra-t-il de ce site ?
Il se sait sous surveillance et
ses journalistes sont à la merci
d’une convocation de justice
initiée par le Palais. Drôle
d’ambiance pour faire son métier
d’informer.
Le dernier objectif recherché
par le Makhzen est de caractère
dissuasif. Terroriser à l’avance
tous ceux qui auraient la
prétention de critiquer le
régime et ses dérives
autoritaires. Avis aux « têtes
brûlées » du
20 février et autres
groupuscules contestataires.
Seule une « opposition »
médiatique soft, respectueuse,
limitée, encadrée, sera tolérée.
Et encore ! Une petite saisie de
temps en temps, ou une amende,
rappellent à bon escient qui est
le Maître. C’est la politique de
la carotte et du bâton dont
Hassan 2 avait déjà montré
toutes les subtilités, nous
laissant une classe politique
dans l’ensemble servile,
timorée, corrompue, avec comme
seul idéal de se faire sa place
au soleil à n’importe quel prix.
Au-delà du destin personnel de
Ali Anouzla, pour qui j’ai un
profond respect et à qui je
souhaite un avenir digne de ses
qualités, les perspectives d’une
démocratie réelle au Maroc
paraissent bien dérisoires. La
faute aussi et surtout à une
élite, prise au sens large, qui
a sombré dans le conformisme et
la lâcheté.
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