Opinion
Justice pour Yvan
Colonna
J.-C. Acquaviva, G. Bedos et A. Paccou
Vendredi 23 août 2013
La Justice peut être injuste. L'histoire
du monde, à travers les siècles, en
témoigne. Nous,
membres de la Ligue des Droits de
l'Homme, considérant qu'Yvan Colonna,
condamné à la prison à vie pour
l'assassinat du préfet Erignac, n'a pas
eu droit à une justice équitable,
décidons, à partir de cette tribune,
d'exposer, sous le regard de l'opinion
publique et de ceux qui nous gouvernent,
les traitements indignes d'une
démocratie, dont cet homme est victime
depuis dix ans.
Le 6 février 1998,
à Ajaccio, Monsieur Claude Erignac,
préfet de région, est assassiné.
L'affaire est
confiée à l'antiterrorisme. D'autres
services de police ne l'acceptent pas.
Entre eux, c'est la guerre. De son côté,
le nouveau préfet de Corse, Bernard
Bonnet, mène son enquête
"officieusement". Conséquences de ce
désordre, des opérations de
police-spectacle pour impressionner
l'opinion publique, des centaines
d'interpellations, la pagaille parmi les
institutions de la République, Bernard
Bonnet, se croyant toujours plus
au-dessus des lois, finalement condamné,
un gouvernement décrédibilisé.
Dans ce contexte,
la police antiterroriste interpelle
quelques individus appartenant à un
commando qui seraient censés être
responsables de cet assassinat. Après
des témoignages extorqués dans des
conditions très douteuses, Yvan Colonna
est désigné comme le tueur du préfet
Erignac. Il décide de prendre le maquis
et clame son innocence dans une lettre
envoyée à la presse. En 2003, il est
arrêté.
Le ministre de
l'intérieur de l'époque se nomme Nicolas
Sarkozy. Très vite, il fait cette
déclaration publique : "La police
française vient d'arrêter Yvan Colonna,
l'assassin du préfet Erignac", privant,
d'entrée, Colonna de la présomption
d'innocence. Suivront selon nous,
Nicolas Sarkozy devenu président de la
République, une instruction partisane et
trois procès "de convenance".
Tous les
témoignages favorables à Colonna - y
compris ceux qui émanent de proches du
préfet - sont écartés.
Une reconstitution
des faits, essentielle en matière
criminelle pour rechercher la vérité,
est organisée, a minima, dix ans après
l'assassinat, à l'occasion du troisième
procès. Mais dans leurs motivations les
juges persistent et signent : Les
témoignages, constants depuis le début
de la procédure, des personnes présentes
le soir de l'assassinat, et qui ne
reconnaissent pas Yvan Colonna, sont
aléatoires. Ceux du commando,
fluctuants, sont utilisés à charge pour
justifier la condamnation.
Le parti des
accusateurs - la corporation
préfectorale, évidemment traumatisée,
des procureurs, des ministres de
l'intérieur, des hommes du Président -
s'est bien mobilisés, menant campagne et
faisant pression efficacement. Fait
invraisemblable, en plein procès, une
Garde des sceaux condamne les propos
d'un avocat de la défense devant la Cour
d'assises spéciale de Paris. Malgré
la vacuité de l'accusation, le doute
qui en résulte, et qui doit profiter à
l'accusé comme le dit le Code de
procédure pénale, la raison d'Etat a le
dernier mot. Yvan Colonna sera condamné
à l'emprisonnement à vie.
La raison d'Etat ne
s'arrête pas là. Elle sévit derrière les
barreaux des prisons. Détenu
particulièrement signalé depuis dix ans
et à ce titre, soumis à une surveillance
renforcée, Colonna est accusé
aujourd'hui par la haute administration
pénitentiaire, de vouloir préparer une
évasion à coups d'explosif. Cette
révélation surprend les personnels qui
ont en charge de le surveiller sur
place. Peu importe. Peu importe
également qu'il ait été considéré comme
un détenu exemplaire dans les prisons où
il aura séjourné, Fresnes, Toulon et
Arles. Il est immédiatement transféré à
la prison de Réau, qui regroupe les
détenus de France les plus dangereux.
C'est bien de cela qu'il s'agit ;
continuer à fabriquer un personnage hors
norme, irrémédiablement dangereux,
l'éloigner un peu plus des siens, et de
la possibilité d'être un jour détenu en
Corse.
Désormais Yvan
Colonna fait appel à la Cour Européenne
des Droits de l'Homme. Nous savons qu'il
lui faudra attendre plusieurs années
avant de connaître les conclusions des
juges européens. Ce temps-là, il le
passera en prison, loin de ses enfants
et de son épouse que l'on punit
également. La vengeance d'Etat n'est pas
la justice. Il faut que cesse
l'acharnement.
Jean-Claude Acquaviva
Guy Bedos
André Paccou
membres de la Ligue des Droits de l'Homme.
Le
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