Libye
Sauver l'Irak de
la faillite par le partage du pouvoir
Iyad Allaoui
Iyad
Allaoui
Vendredi 9 septembre
2011
Bien que ne partageant pas la
vision du monde et des relations
irako-américaines d’Iyad Allaoui, ancien
Premier ministre et un des principaux
« hommes de la
CIA » à Bagdad,
nous pensons intéressant de lire son
analyse de la situation dans le pays.
Traduction: Xavière Jardez
Avec le déroulement du printemps arabe
apportant dans sa foulée, démocratie et
réformes pour des millions d’Arabes, on
prête peu d’attention à la situation
désespérée de l’Irak et de son peuple.
Nous fûmes les premiers à passer de la
dictature à la démocratie mais le
résultat en Irak est loin d’être assuré.
Notre transition pourrait être soit un
élément positif pour le progrès et
contre les forces extrémistes ou soit,
alors, un dangereux précédent augurant
mal pour la région et la communauté
internationale.
Un amalgame de copinage et d’incurie
Les débats font rage à Bagdad et à
Washington sur les conditions d’une
extension de la présence de troupes
américaines au-delà de la fin de
l’année. Si différer semble être
nécessaire, cela à lui seul ne pourra
s’attaquer aux problèmes fondamentaux
qui empoisonnent l’Irak et qui
présentent, pour la stabilité du
Moyen-Orient et de la communauté
internationale, un risque croissant.
L’envoi initial de renforts militaires
US - « the surge » - devait
créer l’environnement propice à la
réconciliation politique nationale et la
remise sur pied des institutions et de
l’infrastructure du pays. Mais, rien n’a
été fait.
Plus de huit ans après la chute du
régime de Saddam Hussein, les services
de base font défaut. La majeure partie
du pays ne dispose que de quelques
heures d’électricité. Les coupures ont
été courantes au cours de l’été. Les
exportations de pétrole, encore et
toujours la seule ressource de l’Irak,
dépassent à peine ce qu’elles étaient
lorsque Saddam a été renversé. Le
gouvernement a été incapable de saisir
l’aubaine que fut l’augmentation du prix
du pétrole échouant ainsi à créer des
emplois réels et durables. L’économie
irakienne est devenue encore davantage
un amalgame de copinage et d’incurie,
caractérisée par un chômage élevé et une
corruption endémique. Transparency
International place l’Irak en
quatrième position parmi les pays les
plus corrompus et le pire pays au
Moyen-Orient.
Maliki s’accroche au pouvoir
avec le soutien de l’Iran
et la basse complaisance des Etats-Unis
La promesse d’une plus grande sécurité
n’a été qu’un vain mot à cause de
la vigueur du communautarisme. Le
Pentagone a récemment fait état d’une
montée alarmante des attaques qu’il
attribue aux milices d’obédience
iranienne. Le dernier rapport du Congrès
par l’inspecteur général spécial
US pour la reconstruction irakienne note
que le mois de juin a été le mois le
plus sanglant pour les troupes US en
Irak depuis 2008. Il conclut que ce pays
est plus dangereux qu’il y a un an. Il
est à regretter que les forces de
sécurité irakienne naissantes soient
noyautées par le communautarisme et des
loyautés partagées ; elles sont à peine
capables de se défendre elles-mêmes,
sans parler du reste du pays. Bien que
n’ayant pas pu réunir un nombre plus
important de sièges aux élections de
l’an dernier, Maliki s’accroche au
pouvoir avec le soutien de l’Iran et la
basse complaisance des Etats-Unis. Il
affiche le plus grand mépris pour les
principes démocratiques et la règle du
droit. Des institutions vitales comme la
commission électorale, la commission
pour la transparence et la banque
centrale irakienne sont placées sous la
tutelle directe du cabinet du premier
ministre. Par ailleurs, Maliki refuse de
nommer aux postes de ministre de
l’intérieur et de la défense des
candidats de consensus comme le voudrait
l’accord de partage du pouvoir signé
l’an dernier.
Le gouvernement a recours à des
méthodes dictatoriales éhontées et à
l’intimidation pour faire taire
l’opposition, passant ainsi outre
aux droits de l’homme les plus
élémentaires. Human Rights Watch
a fait état, en février, de prisons
secrètes où sévit la torture sous
l’autorité de Maliki. En juin, cette
organisation a dénoncé l’utilisation par
le gouvernement de brutes à sa solde
pour cogner, poignarder et même agresser
sexuellement des manifestants pacifiques
à Bagdad qui se plaignaient de la
corruption et de la pauvreté des
services. Ces horreurs font penser aux
réactions autocratiques, aux
manifestations des régimes en perte de
vitesse dans la région, et sont bien
loin de la démocratie et de la liberté
promises à l’Irak.
Est-ce pour cela que les Etats-Unis ont
sacrifié plus de 4 000 jeunes hommes et
femmes et des centaines de millions de
dollars ?
Trop tard pour renverser la vapeur
La pente vers la faillite est devenue
irréversible. Pour le dire simplement,
l’échec en Irak rendra tout objectif de
politique américaine et internationale
au Moyen-Orient difficile sinon
impossible. De la lutte contre le
terrorisme, à la limitation nucléaire,
ou à la sécurité énergétique, ou au
processus de paix au Moyen Orient,
l’Irak en est au centre. Notre pays est
rapidement devenu un contrepoids aux
efforts faits pour résoudre ces
questions au lieu d’assurer le rôle de
modèle régional pour la démocratie, le
pluralisme et un développement
économique réussi qu’il était supposé
être.
Il n’est pas trop tard pour renverser la
vapeur. Mais il faut agir maintenant.
Repousser le départ des troupes US ne
résoudra rien en lui-même. Des
engagements politiques plus concertés
sont demandés au plus haut niveau pour
garantir la liberté et le progrès promis
au peuple irakien, qui a beaucoup
souffert et qui perd patience.
Il est nécessaire, et il est possible,
d’insister pour que l’accord de partage
du pouvoir de 2010 soit appliqué
pleinement avec les contrepoids requis
pour prévenir tout abus de pouvoir et
pour que la formation d’un gouvernement
et de ses institutions soit réalisée sur
une base non communautaire. Les
influences régionales malsaines doivent
être contrebalancées. A défaut, de
nouvelles élections, libres de toute
ingérence étrangère, avec une commission
électorale et judiciaire réellement
indépendante, sont la seule voie pour
sauver l’Irak des profondeurs abyssales.
C’est cette solution que les
journalistes et les dirigeants
politiques irakiens, ainsi que la rue,
demandent avec insistance.
L’invasion de l’Irak en 2003 a
certainement été une guerre par choix.
Mais perdre l’Irak en 2011 est un choix
que les Etats-Unis et le reste du monde
ne peuvent se permettre.
Iyad Allaoui est le chef d’Iraqiya,
le bloc politique le plus important au
sein du Parlement irakien
(législatives de 2010).
*
Source :
http://www.denverpost.com/opinion/ci_18808095
Concernant Iyad Allaoui, lire aussi :
Iyad Allaoui, du Baas à la CIA, par
Gilles Munier (21/7/04)
http://www.france-irak-actualite.com/pages/Iyad_Allaoui_du_Baas_a_la_CIA-2608116.html
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 9 septembre 2011 avec
l'aimable autorisation de Gilles Munier
Le sommaire de Gilles Munier
Le
dossier Irak
Les dernières mises à jour
|