Opinion
Cuba au miroir de WikiLeaks
Sempiternelle obsession américaine
Israel Shamir
Israel Shamir
Vendredi 11 février 2011
Des centaines de milliers de documents émanant du Département
d’Etat des Etats-Unis sous la forme de dépêches en provenance de
centaines d’ambassades et de consulats du monde entier nous
donnent une image saisissante des intérêts et des activités
américains ; c’est sans précédent. Plus étonnant encore :
lorsqu’on parcourt ces câbles qui font la chronique des
multiples facettes changeantes de la diplomatie US, une
constante émerge : l’obsession US pour Cuba.
Absolument partout, de Douchanbé à Paris en passant par les
montagnes du Tadjikistan, de Kiev, en Ukraine jusqu’à Sidney, en
Australie, les diplomates américains sont tout à leur affaire :
ils sont là à épier une petite île au milieu de la Mer des
Caraïbes avec une malice obsessionnelle. Comme un coureur de
jupons professionnel qui se serait fait envoyer paître par une
beauté d’une petite bourgade de province, l’Oncle Sam ne semble
pas en mesure d’oublier l’affront. Les diplomates suivent les
moindres activités de Cuba, ils prennent note de la moindre
déclaration cubaine et ils font état du moindre migrant cubain
entraperçu avec l’enthousiasme de l’ornithologue épiant l’oiseau
rare. Il semble que les Etats-Unis n’ont rien perdu de leur
passion héritée de la guerre froide pour Cuba.
Ainsi, dans le lointain Ouzbékistan, l’ambassadeur américain
fait la promotion de la plaidoirie américaine contre Cuba, il en
fait dûment le rapport à Mme Clinton :
UNCLAS TASHKENT 000524 SIPDIS DEPT FOR WHA/CCA E.O. 12958: N/A
TAGS: PHUM, KDEM, PREL, UZ OBJET : OUZBEKISTAN/JOURNEE DE
SOLIDARITE AVEC LE PEUPLE CUBAIN REF: SECSTATE 46997 (U)
en
marge d’une rencontre, le 5 mai, avec le ministre des Affaires
étrangères ouzbek Norov, l’Ambassadeur a informé le gouvernement
ouzbek de plans US visant à marquer notre solidarité avec le
peuple cubain, le 21 mai. De plus, l’Ambassade a publié un
encart, dans Dostlik (Amitié, ndt), la newsletter de
l’Ambassade, afin de marquer cette date, ajoutant une brève
déclaration à ce sujet sur son site Internet. NORLAND.
Dans quelques jours, les diplomates US « célèbreront une journée
de solidarité avec le peuple cubain ». « Ambassade Tachkent
continue promouvoir et préparer en vue solidarité avec peuple
cubain 21 mai. Avons soulevé ces points responsables officiels
ouzbeks niveau approprié et avons placé informations à cette fin
sur notre site Internet et dans nos publications trimestrielles
en anglais, ainsi que dans la publication en langue ouzbèke
Dostlik.
Eh bien,
voilà un truc
qui me ramène aux années Soixante-dix ! Du temps de Brejnev,
nous autres, les Soviétiques, nous étions régulièrement sommés
d’exprimer notre solidarité avec « le peuple cubain », avec « le
peuple vietnamien » ou avec « le peuple coréen », etc. et cela a
fini par nous raser aux larmes. L’Union soviétique a été
abandonnée à son triste sort largement en raison de cet ennui et
voici que les Ouzbeks (et tous les autres) se voient offrir le
même refrain lassant, sauf que cette fois-ci, « le peuple
cubain » n’est rien d’autre que le code secret désignant les
agents de la CIA à Miami.
L’Ouzbékistan ayant établi des relations diplomatiques avec
Cuba, l’ambassadeur américain avait confié ses sentiments
froissés à un message confidentiel. Commentaire de
l’ambassadeur :
« L’Ouzbékistan n’a que des relations diplomatiques minimales
avec Cuba, mais nous considérons qu’il était important que nous
fassions cette démarche afin que nos interlocuteurs ouzbeks
vissent bien que le gouvernement US soulève les questions de
droit de l’homme dans le monde entier, et pas seulement avec le
GOU » (= le gouvernement ouzbek, ndt).
Une délégation cubaine s’étant rendue en visite en Ouzbékistan,
à l’ambassade US, on épia, comme des amants rejetés. Les Ouzbeks
leur ayant dit de s’occuper de leurs oignons, l’ambassadeur
tricard télégraphia à la maison :
« Le refus opposé par le
ministère ouzbek des Affaires étrangères de discuter de cet
événement avec l’Ambassade [US] est particulièrement risible :
il n’y a qu’une poignée d’employés qui
travaillent au Bureau de
l’Amérique et ces mêmes officiels, qui étaient soi-disant « dans
l’incapacité » de nous donner
une information quelconque, avaient vraisemblablement participé,
à tel ou tel degré,, à l’organisation de la visite de la
délégation cubaine ». Où l’on voit qu’il y a des gens qui
sont infoutus de comprendre que « non », cela peut aussi,
parfois, signifier « non » !
Congelées depuis belle lurette, l’idéologie et la langue de la
Guerre froide sont toujours
de rigueur au
Département d’Etat, comme on peut le constater dans ce câble
expédié depuis l’Ukraine :
La chef de la Commission des Droits de l’Homme du parlement
ukrainien (connu sous le titre d’Ombudsman des Droits de
l’homme) Nina Karpachova était vraiment en forme durant le
congrès du parti des Régions, au mois de décembre. Au cours d’un
discours très enlevé, elle a déclaré que le pire moment qu’elle
eût connu sur le plan professionnel avait été celui, durant la
session 2005 de la Commission des Droits de l’Homme de l’Onu à
Genève, où le gouvernement ‘orange’ de l’Ukraine lui avait donné
l’instruction de voter « contre Cuba, un petit pays insulaire,
qui nous avait [pourtant] aidés ». Pressée, le 16 janvier, de
s’expliquer sur cette remarque lors d’une rencontre avec
l’Ambassadeur, au cours de laquelle celui-ci a remis à Mme
Karpachova des informations concernant le dossier lamentable des
droits de l’homme à Cuba, celle-ci s’est lancée dans une défense
interminable du régime de Castro, rendant un hommage appuyé au
dictateur cubain pour avoir, entre autres choses, éradiqué
l’illettrisme à Cuba et mis sur pied des camps de vacances pour
des enfants ukrainiens affectés par la catastrophe nucléaire de
Tchernobyl, en 1989. Mme Karpachov est même allée jusqu’à
accuser l’embargo des Etats-Unis d’être à l’origine de la
situation économique très difficile de Cuba, après quoi elle a
plaidé en faveur de sa levée.
Boudeur, l’ambassadeur ne s’avouait pas vaincu : il « exprima
sa surprise qu’une représentante d’un parti qui se targue de
croire à la liberté des marchés puisse ignorer que c’est la
politique socialiste du régime Castro qui est la cause première
des problèmes économiques que connaît Cuba ».
Pincé en train de recruter des espions en Bolivie,
l’ambassade US dans ce pays câble à Washington : « L’étudiant
boursier Fulbright Alex van Schaick a signalé au ministère
bolivien des Affaires étrangères, le 7 février, que l’Officier
Adjoint de Sécurité Régionale du Poste (diplomatique US) lui
avait demandé de donner à l’Ambassade des infos sur ses contacts
[personnels] avec des ressortissants vénézuéliens et cubains.
En fin de compte, les Américains ont dû présenter leurs excuses
et le diplomate US en cause a été prié de faire son baluchon.
Les Etats-Unis s’entêtent à exercer des pressions sur l’Onu pour
le contraindre à prolonger l’embargo US contre Cuba, vieux de
plusieurs décennies, mais tous ces efforts sont vains. Tous les
télégrammes diplomatiques relatifs à l’Onu comportent ces mots
particulièrement parlants :
« En ce qui concerne
l’embargo contre Cuba, nous restons isolés ». La liste des
échecs américains à faire adopter des résolutions contre Cuba
par l’Onu est encore plus lamentable que leurs tentatives
moyen-orientales. Cuba est la seule question sur laquelle les
Américains sont totalement impuissants ; ils se heurtent
immanquablement à des résolutions contrant leur politique.
A Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan,
l’ambassadeur US a tenté de draguer le ministre azéri des
Affaires étrangères afin de l’inciter à soutenir l’embargo
américain [contre Cuba], mais il s’est attiré cette réplique
sans appel : « En ce qui
concerne une résolution à propos de l’embargo contre Cuba,
Mammadyarov a dit que l’Azerbaïdjan a toujours « fait partie des
184 pays [opposé à cet embargo, ndt.] » Mammadyarov a ajouté que
plus de mille Cubains ont fait leurs études en Azerbaïdjan
durant la période soviétique, principalement à l’Académie du
pétrole et à la faculté de droit international et qu’une
importante diaspora azérie vit à Cuba. Il a également dit que
l’Azerbaïdjan ne peut avoir beaucoup d’ambassades en Amérique du
Sud, parce qu’il y a très peu d’hispanisants dans son pays et
que, par conséquent, Cuba était un pays important pour
l’Azerbaïdjan, ainsi que le Mexique et le Brésil. Répondant à la
question de l’ambassadeur s’enquérant de savoir quel intérêt
pouvait bien avoir Cuba d’ouvrir une ambassade à Bakou, M.
Mammadyarov a répondu que ce serait la première ambassade
cubaine dans la région du Caucase, ajoutant que Cuba disposait
de plus de 145 ambassades à l’étranger, essentiellement de tout
petits postes diplomatiques, avec seulement de un à deux
diplomates. »
Par contraste, l’Arménie,
après moult prévarication, a accepté de soutenir les Etats-Unis,
et l’ambassadeur à Erevan écrivit que c’était là, de sa part,
« un geste important ».
Les échanges diplomatiques avec Cuba sont confrontés de manière
routinière à des tentatives américaines de sabotage. Ainsi,
l’ambassadeur US à
Vilnius rapportait, non sans fierté :
« L’an dernier, nous
avons réussi à contrer l’effort déployés par d’aucuns, en
Lituanie, de reconnaître Cuba. »
En dépit de ces efforts de sabotage incessants de la part des
Américains, les câbles diplomatiques montrent que le vent du
changement est en train de tourner à l’avantage de Cuba. Ainsi,
un câble secret expédié de
Brasilia détaille
une rencontre de l’ambassadeur US avec un conseiller du
Président (Lula) : « L’ambassadeur a demandé ce que Garcia
pensait des conséquences d’une levée de ses sanctions (contre
Cuba) par l’Union européenne. Gardia a répondu qu’il ne voyait
pas Raul Castro faire une quelconque concession sous la pression
étrangère et que l’initiative de l’Union européenne était un
signe que la perception que les Européens ont de Cuba est en
train de changer. Il a noté qu’au Brésil, aussi bien les patrons
d’entreprises que la presse (qui étaient très critiques pour la
politique brésilienne vis-à-vis de Cuba) ont changé de ton. Les
entreprises cubaines sont désormais intéressées par les
investissements à Cuba et l’on relève moins de critiques à
l’encontre de Cuba dans la presse brésilienne ».
Nous sommes en train de travailler l’Espagne au corps
Le ministre espagnol des Affaires étrangères Dezcallar ayant été
en visite à Cuba, il a immédiatement été interrogé par
l’ambassadeur US à Madrid. Les câbles montrent que les Espagnols
ont tenté de se concilier les Américains en prétendant
que ce voyage à Cuba
n’avait pas immédiatement apporté grand-chose à l’Espagne, mais
qu’à travers son nouvel engagement, l’Espagne serait en mesure
d’exercer plus d’influence et de promouvoir à Cuba les « valeurs
occidentales », tandis que la transition cubaine irait de
l’avant.
Dezcallar a exhorté l’Américain à prendre du recul, à regarder
le long terme et prôné une coordination permanente et discrète
entre les Etats-Unis et l’Espagne. Mais l’ambassadeur n’en est
pas apaisé pour autant. Dans les câbles, il
« soulignait la profonde
déconvenue ressentie par Washington après ce voyage, qui fut non
seulement une surprise, mais quelque chose d’assez
spectaculaire, le ministre des Affaires étrangères de l’Espagne,
une puissance mondiale, s’étant rendu à Cuba et en étant revenu
les mains vides. Il notait que Moratinos n’avait pas rencontré
de dissidents et qu’il n’avait même pas tenté de corriger les
propos tenus par le ministre cubain des Affaires étrangères, qui
avait qualifié les dissidents cubains de « mercenaires »
stipendié par les Etats-Unis ». En voilà autant pour
l’indépendance de l’Espagne ; son ministre des Affaires
étrangères se fait rabrouer comme un écolier !
Un câble envoyé de
Pologne montre que la politique US d’isolement de Cuba
s’érode rapidement : Szlajfer a dit qu’il y a un sérieux
problème en ce qui concerne la politique européenne vis-à-vis de
Cuba. Les Espagnols tentaient de réviser la politique de l’Union
européenne vis-à-vis de Cuba depuis 2004 au motif que la
politique dure de l’UE n’avait eu aucun résultat et que, par
conséquent, il devrait y avoir un changement dans les relations
de celle-ci tant vis-à-vis du gouvernement cubain que de
l’opposition cubaine.
Le gouvernement polonais continue, officiellement, à s’opposer à
toute prise de contact avec le « régime castriste » et à mettre
le petit doigt sur la couture du pantalon devant le diktat US,
mais dans ses câbles, Szlajfer notait que les temps étaient en
train de changer : non
seulement l’Espagne, mais aussi la France et la Grande-Bretagne
sont susceptibles de jouer un jeu différent. Szlajfer
ajoutait que le maintien de sa ligne dure à l’encontre de Cuba
avait entraîné la diminution de l’influence de la Pologne dans
ces pays et finissaient par affecter les opportunités
commerciales de la Pologne dans la région. Concluant son câble
sur une note positive, l’Ambassadeur Fried, du Département
d’Etat, s’efforçait de remonter le moral des Polonais en leur
assurant que les Américains « étaient en train de travailler
l’Espagne au corps ».
La République tchèque continue à se plier aux ordres US. Comme
d’autres avant-postes US en Europe orientale, ils font tout ce
qu’ils peuvent pour isoler Cuba. L’ambassadeur US
rapporte ainsi : Les
Tchèques continuent à rechercher des moyens de rassembler des
soutiens, au sein de l’Union européenne, à une position commune
sur Cuba « qui ait des dents ». Des ONG tchèques mirent sur
pied une conférence anti-cubaine, ce qui leur valut une tape
amicale sur la tête de la part des câbles diplomatiques du
Département d’Etat des Etats-Unis.
Autre pays-client des Etats-Unis : l’Estonie.
Les dirigeants estoniens sont toujours prêts à faire plaisir à
leurs maîtres américains. Un câble confidentiel expédié de
Tallinn se fait le relai d’une condamnation de l’Estonie contre
l’Espagne, coupable d’être trop coulante envers Cuba : Kahn
[un diplomate estonien] a qualifié la position de l’Espagne, qui
assure la nouvelle présidence tournante de l’Union européenne,
d’à la fois « étrange et difficile à comprendre ». L’Espagne est
en train d’essayer d’encourager les pays membres de l’UE à
améliorer leurs relations avec Cuba aux dépens de leurs liens
avec l’opposition cubaine. Par contraste, Kahn soulignait que le
gouvernement estonien est en faveur de relations avec le
gouvernement cubain, mais uniquement en tant que moyen d’inciter
Cuba à aller vers davantage de démocratie. L’Estonie ne saurait
accepter une quelconque politique oublieuse de l’opposition
cubaine. Kahn énonçait ensuite trois éléments fondamentaux de la
politique cubaine de l’Estonie : toutes les rencontres avec le
gouvernement cubain doivent être contrebalancées par des
réunions avec l’opposition démocratique ; Cuba doit libérer ses
prisonniers politiques et Cuba doit être encouragé à
entreprendre des réformes susceptibles d’apporter la démocratie,
la liberté d’expression et la liberté de réunion.
Kahn notait, toutefois, que le GOE (gouvernement estonien)
restant jusqu’ici très distant vis-à-vis de Cuba et recevant le
plus gros de ses informations sur Cuba de la presse, l’Estonie
ne peut être un supporter du changement démocratique à Cuba
aussi ferme et actif que, par exemple, la République tchèque.
Dans un autre câble, l’Ambassadeur d’Estonie se voit demander, à
propos de Cuba :
5) Le pays hôte
(l’Estonie, ndt) propose-t-il ou assure-t-il une aide,
humanitaire ou autre, au peuple cubain au lendemain des dégâts
majeurs causés par les cyclones Gustav (le 30 août) et Ike (le 8
septembre ? – Non.
6) Quelle est la nature
des investissements (et quels sont les noms des investisseurs,
s’ils sont connus) que des entreprises du pays hôte (l’Estonie)
effectuent à Cuba ? Quelles sont les entreprises estoniennes qui
ont participé à la Foire Commerciale internationale de La Havane
(le 3 novembre) ?
- Il n’y a aucun investissement étranger direct, ni dans un
sens, ni dans l’autre, entre l’Estonie et Cuba. Aucune
entreprise estonienne n’a participé à la Foire Commerciale
internationale de La Havane.
7) Y a-t-il des accords commerciaux bilatéraux entre pays hôte
(Estonie) et Cuba ?
- Non, il n’y a aucun accord commercial bilatéral entre les deux
pays.
8) Y a-t-il des programmes d’échanges entre pays hôte et Cuba,
incluant, mais ne se limitant pas à : des bourses d’études pour
des ressortissants du pays hôte poursuivant leurs études à
Cuba ; des voyages à finalité médicale payés par Cuba pour des
ressortissants du pays hôte ; des médecins cubains exerçant dans
le pays hôte ?
- Il n’y a aucun programme officiel d’échanges entre l’Estonie
et Cuba et entre Cuba et l’Estonie.
Les Estoniens sont empressés à soutenir les intérêts US et ils
seront toujours du côté des US, même contre leurs collègues des
pays membres de l’Union européenne. Dans un câble, le
représentant des Etats-Unis à Tallinn, Goldstein, exprimait sa
préoccupation au sujet de la visite du ministre espagnol des
Affaires étrangères Moratinos à La Havane, au mois d’avril ». Il
reçut une réponse extrêmement satisfaisante :
« L’Estonie comprend
totalement et partage la préoccupation américaine, et elle a
soutenu sans état d’âme la République tchèque, la Pologne et
d’autres pays membres de l’Union européenne partageant ses vues
lors des différents forums européens. Mme Juhasoo-Lawrence
ajoutait que l’Estonie comprend ce que sont des dictateurs tels
que Castro et le mal qu’ils peuvent faire à leur peuple, et il
ne voit aucune raison de relâcher la pression sur lui en ce
moment. L’Union européenne, poursuivait-elle, est divisée, sur
cette question, entre les anciens et les nouveaux Etats
membres ».
En revanche, la Biélorussie est bien trop indépendante au goût
des Américains. L’ambassadeur US à Minsk rapporte, chagriné :
« Une délégation cubaine
dirigée par le ministre Ricardo Cabrisas est venue en visite en
Biélorussie et, durant sa visite, le représentant de Cuba a
signé un accord comportant l’achat par Cuba de cent autobus
produits par l’Usine automobile de Minsk (la MAZ), et discuté
d’éventuels achats de matériel agricole et de camions à la
Biélorussie ».
Ensuite, les câbles notent :
« Dans un message de vœux
envoyé en juillet 2007 par Alexandre Lukashenko à Fidel Castro à
l’occasion du « Jour de la Rébellion » de Cuba, le président
biélorusse qualifiait Cuba « de principal partenaire de la
Biélorussie en Amérique latine ». Ils reconnaissent que « des
milliers d’enfants biélorusses affectés par la catastrophe
nucléaire de Tchernobyl (qui s’est produite dans le pays voisin,
l’Ukraine, ndt) ont été envoyés à Cuba pour s’y reposer et être
soignés, depuis 1991 ».
Ces liens sont aussi de nature politique. Un câble expédié
depuis Minsk reconnaît que
la Biélorussie œuvre
activement à remettre au goût du jour le mouvement des Non
Alignés et à proposer Lukashenko en éventuel successeur du
leader cubain Fidel Castro en tant que prochain « Pape » du bloc
anti-occidental. Lukashenko est en effet le leader
anti-globaliste idéal : il est jeune (51 ans), il est dynamique,
audacieux et il dirige une économie en pleine croissance et
stable (jusqu’à présent), au cœur de l’Europe.
Serait-ce la raison de l’hostilité véhémente des Etats-Unis
envers la Biélorussie ? Dans un accès de rage verte, les
Etats-Unis ont refusé à Lukashenko de faire escale en Islande
(pour faire le plein de kérosène) tandis qu’il rentrait du
sommet des Non Alignés, en 2006. L’ambassadeur avait câblé à
Washington afin de
l’informer qu’il avait vérifié si l’Islande avait reçu une
demande d’autorisation d’atterrissage de la part du président
biélorusse Lukashenko, dont on avait appris l’intention de faire
escale en Islande afin de faire le plein de kérosène sur son
trajet de retour du sommet des Non Alignés. Gudjonson avait
répondu que l’Islande n’avait pas reçu une telle demande et il
avait donné l’assurance que toute demande à cet effet recevrait
une réponse négative du gouvernement islandais.
Le câble continue, révélant que
les Etats-Unis et l’Union
européenne ont imposé une interdiction des visas et gelé les
avoirs des officiels les plus odieux du gouvernement biélorusse.
Quand le USG (gouvernement américain) et le Canada) ont refusé
une autorisation d’atterrissage pour faire le plein de kérosène
à une délégation biélorusse rentrant de Cuba en Biélorussie,
Lukashenko a annoncé que son pays procéderait à des rétorsions
en refusant les autorisations de survoler le territoire
biélorusse aux avions transportant des délégations
gouvernementales américaine et canadiennes. Plus récemment, le
GOB (gouvernement biélorusse) a annoncé qu’il allait geler les
avoirs du président Bush et de la Secrétaire d’Etat Condoleezza
Rice déposés dans des banques biélorusses. Ces annonces
demeurent ambigües, voire comiques »… ; c’est sans doute ce
qu’elles avaient toujours eu l’intention d’être !
L’Ukraine ne se plie d’ores et déjà plus aux exigences
américaines.
Un câble daté de Kiev dit qu’en dépit d’une démarche américaine,
un diplomate ukrainien a dit à l’ambassadeur que
Cuba continue à apporter
une aide substantielle aux enfants de Tchernobyl et que
l’Ukraine est hostile à l’imposition d’un embargo commercial à
Cuba par les Etats-Unis. Elle soutiendra la déclaration de
l’Union européenne sur la résolution de l’Assemblée générale de
l’Onu introduite par Cuba condamnant l’embargo économique imposé
par les Etats-Unis à Cuba. Dans un autre câble, l’ambassade US à
Kiev indique : Le parlement ukrainien vient d’adopter une
résolution condamnant l’embargo contre Cuba. L’Ukraine est
reconnaissante envers Cuba pour l’aide médicale que ce pays
continue à apporter aux victimes de Tchernobyl.
Cuba est connu dans le monde entier pour son extraordinaire
engagement à aider tous les pays qui en ont besoin, sans faire
la moindre différence pour des motifs politiques. Après un
tremblement de terre survenu au Pérou, l’ambassade US au Pérou
fut contraindre de reconnaître, dans un câble diplomatique :
l’on indique (ici) que
l’aide cubaine a été bien ciblée et efficace, bien qu’elle n’ait
pas été coordonnée avec celle des ONG. Cuba a envoyé au minimum
deux hôpitaux de campagne, qui ont offert des services de
qualité en matière de traumatologie d’urgence, indiquent les
observateurs. Dans un camp de survivants où une équipe
américaine de l’association Medrete avait envoyée afin d’assurer
des secours, celle-ci a constaté qu’ une équipe cubaine avait
déjà été mise sur pied.
Cuba n’est plus seul.
Les câbles diplomatiques indiquent aussi que lors d’une visite
officielle au Pérou, le Président bolivien Evo Morales a
critiqué les accords de libre échange entre l’Amérique latine et
les Etats-Unis, et il en a appelé à poursuivre la lutte contre
le colonialisme, l’impérialisme et le néolibéralisme. Il a par
ailleurs salué en Fidel Castro un « père » et il a salué la
présence de l’Alliance Bolivarienne pour les Amériques (LBA)
d’Hugo Chavez au Pérou.
Les relations russo-cubaines : davantage de contrats rentables
La Russie n’a pas encore réussi à réparer les pots cassés avec
Cuba, mais indéniablement, elle s’efforce de le faire : le
Premier ministre Poutine a exhorté la Russie à reconquérir ses
positions à Cuba. L’Ambassadeur US à Moscou rapporte plusieurs
événements à venir entre le GOR (le gouvernement russe) et Cuba,
en 2010 :
- la Russie sera l’hôte d’une réunion préparatoire à la
Commission intergouvernementale russo-cubaine sur la Coopération
économique, commerciale, scientifique et technique, qui doit se
tenir en avril 2010.
Le ministre russe des Affaires étrangères Lavrov participera à
la 9ème Exposition des Livres annuelles de La Havane,
en tant qu’invité étranger d’honneur. M. Lavrov sera à la tête
d’une délégation incluant les directeurs du ministère russe de
la Culture et de l’Agence de Presse russe.
Cuba sera l’hôte d’une réunion de la Commission
intergouvernementale russo-cubaine. Le vice-premier ministre
Igor Sechin dirigera vraisemblablement la délégation russe. La
dernière visite de M. Sechin a Cuba s’est déroulée en juillet
2009 ; elle a eu pour résultat la signature de plusieurs
accords, dont l’octroi d’un prêt d’un montant de 150 millions de
dollars à Cuba pour aider ce pays à acheter des engins agricoles
de fabrication russe.
La Russie fournit actuellement de l’aide humanitaire à Cuba sous
la forme de chargements de blé, des projets prévoyant d’en
envoyer à Cuba, cette année, 100 000 tonnes. Par ailleurs, le
GOR envisage d’augmenter le nombre des bourses universitaires
accordées à des étudiants cubains ; cent étudiants cubains ont
bénéficié de telles bourses en 2009 pour étudier dans les
universités de la Russie.
Dans un câble secret/non-destiné à des étrangers (NOFORN),
l’ambassadeur US à Moscou informe le Département d’Etat du fait
que la Russie n’a pas de
préférence, elle est prête à travailler aussi bien avec Raul
qu’avec Fidel Castro. En ce qui concerne la tendance générale,
les relations cubano-russes sont en train de se renforcer, mais
ces relations n’ont pas changé de manière significative depuis
l’accession au pouvoir de Raul Castro en 2008.
Ce câble se poursuivait par un rapport d’un universitaire
russe : la Russie a perçu une différence entre les deux frères
Castro quant à la manière dont ils envisagent les relations
cubano-russes. Raul a passé plus de temps en Union soviétique
puis en Russie que Fidel, et il comprend, de ce fait, mieux la
Russie. La Russie pense que Raul est le plus pragmatique des
deux frères, d’après Davydov ; et qu’il a plus fait pour
encourager les investissements étrangers à Cuba, à partir d’un
certain nombre de pays sources, dont la Russie. Le ministère
russe des Affaires étrangères a confirmé le fait que la Russie
et Cuba recherchent ensemble des opportunités d’investissements
mutuellement bénéfiques à Cuba.
Le Président cubain Raul Castro était en visite à Moscou du 28
janvier au 4 février 2009. Raul Castro et Medvedev ont signé un
certain nombre d’accords… La Russie s’est engagée à envoyer deux
cargos de blé, respectivement d’une capacité de 25 000 et
100 000 tonnes métriques, pour une valeur de 37 millions de
dollars américains. Cuba s’est engagé à acheter ou à louer en
leasing sept avions de ligne fabriqués en Russie. De plus, la
société Kamaz, qui est le plus grand fabriquant de camions de
Russie, s’est dite d’accord pour envoyer ses camions à Cuba et
pour installer à Cuba une ligne de montage en coopération avec
la société cubaine Tradex. Les principaux produits russes
exportés vers Cuba sont les avions, les machines outils et les
équipements. Les principales exportations cubaines vers la
Russie sont le sucre, les produits pharmaceutiques, l’équipement
médical et les cigares.
Le vice-premier ministre russe Igor Sechin a négocié une série
de marchés de coopération économique avec des responsables du
gouvernement cubain,
à Moscou. Un consortium sous direction Gasprom, créé en 2008
afin de développer l’exploitation des champs pétrolifères et
gaziers du Venezuela a signé un accord de coopération avec la
société Cuba Petroleo pour travailler ensemble à l’exploration,
à la production et au raffinage. La société russe Norilsk Nickel
s’est engagée à financer l’exploration de réserves de minerai de
nickel à Cuba, dans
la perspective de les exploiter à l’avenir. Le constructeur
automobile russe AvtoVAZ a signé un marché au terme duquel elle
assurera la maintenance de ses voitures vendues à
Cuba. Le rôle joué
par Sechin dans l’accouchement des relations russo-cubaines
reflète vraisemblablement l’intérêt personnel qu’a Poutine pour
une réaffirmation de la présence russe dans l’hémisphère
occidentale.
Certains câbles diplomatiques débattent aussi de la possibilité
d’une coopération
militaire renforcée entre la Russie et Cuba. Le vice-président
de la Commission de la Douma pour les Affaires internationales
Andrei Klimov a déclaré à l’agence de presse RIA-Novosti que
« si l’Amérique installe des missiles antibalistiques (ABM) à
proximité de la frontière russe, la Russie pourrait, elle aussi,
déployer son système de missiles dans les pays qui seront prêts
à les recevoir ». Leonid Ivashov, président de l’Académie des
Problèmes Géopolitiques, a dit à RIA-Novosti que l’Occident
était en train de créer une « zone tampon » autour de la Russie
et qu’en réponse, la Russie pourrait étendre sa présence
militaire à Cuba, ou dans d’autres régions du monde.
Ces câbles diplomatiques [ultrasecrets divulgués par WikiLeaks]
montrent que le besoin de soutenir Cuba reste d’actualité. Les
Américains feraient bien de demander à leur gouvernement de
cesser de gaspiller leurs ressources dans cette lutte
d’arrière-garde contre une petite île perdue au milieu de la Mer
des Caraïbes…
[Autres articles dans lesquels Israel Shamir a déjà évoqué
Cuba :
Green Lizard
http://www.israelshamir.net/English/Green_Lizard.htm
(texte traduit en français par mes soins sous le titre
Le Lézard vert)
Continue à briller, ô Cuba : Introduction illustrée :
http://www.israelshamir.net/French/Fr37.htm ]
Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier
Le
sommaire d'Israel Shamir
Les traductions de Marcel Charbonnier
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