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The Electronic Intifada

La fureur bien-pensante d'Israël et ses victimes à Gaza
Ilan Pappe

2 janvier 2009

http://ilanpappe.com/?p=82
http://electronicintifada.net/v2/article10100.shtml

Mon retour chez moi, en Galilée, pour une visite, a coïncidé avec l’attaque israélienne génocidaire contre la bande de Gaza. L’Etat [israélien], via ses médias et avec l’aide de ses universitaires, a diffusé une unique voix, unanime – et même encore plus tonitruante que celle que nous avions entendue lors de l’agression [israélienne] criminelle contre le Liban, durant l’été 2006. Israël, une fois de plus, est gonflé d’une fureur bien-pensante qui se traduit par une politique destructrice dans la bande de Gaza. Cette autojustification ahurissante de son inhumanité et de son impunité ne doit pas seulement nous révulser : c’est en soi un sujet qui mérite d’être étudié, si l’on veut comprendre l’immunité internationale [dont jouit Israël] pour le massacre en train de faire rage, à Gaza.

Cette autojustification se « fonde » avant tout, et principalement, sur de purs mensonges transmis par une flambée de propagande qui évoque les jours les plus sombres des années 1930 en Europe. Toutes les demi-heures, un bulletin d’informations, à la radio et à la télévision, présente les victimes, à Gaza, comme des terroristes, et les tueries massives de ces civils, perpétrées par Israël, comme des actes d’autodéfense. Israël se présente à son propre peuple comme la victime innocente, qui se défendrait contre une puissance maléfique. Le monde universitaire a été mobilisé, il est missionné pour expliquer à quel point la lutte [nationale] palestinienne est démoniaque et monstrueuse, dès lors que cette lutte est menée par le Hamas. Ce sont les mêmes intellectuels qui avaient déjà diabolisé le dirigeant palestinien disparu Yasser Arafat, et qui avaient fait perdre sa légitimité à son mouvement, le Fatah, durant la deuxième Intifada.

Mais ces mensonges et ces caricatures ne sont pas encore ce qu’il y a de pire. C’est l’attaque directe contre les derniers vestiges d’humanité et de dignité du peuple palestinien qui est le plus révoltant. Les Palestiniens vivant en Israël ont montré leur solidarité avec les habitants de Gaza, et voici qu’ils sont stigmatisés comme une cinquième colonne à l’intérieur de l’Etat juif ; leur droit à rester chez eux, dans leur patrie, est présenté comme douteux, au motif qu’ils ne soutiennent pas l’agression israélienne. Ceux d’entre eux qui acceptent – à mon avis, ils ne devraient refuser – d’être « interviewés » par les médias locaux sont soumis à un véritable interrogatoire, et non pas interviewés, comme s’il s’agissait de locataires d’une prison du Shin Bet. Leur apparition est préfacée, puis suivie, de remarques racistes humiliantes, et on les accuse d’être une « cinquième colonne », d’appartenir à un peuple « irrationnel » et « fanatique ». Ce n’est pourtant pas là la pratique la plus méprisable. Il y a une poignée d’enfants palestiniens, originaires des territoires occupés, qui sont traités, actuellement, dans des hôpitaux israéliens. Dieu sait quel prix leur famille a dû payer pour les y faire admettre ! La radio israélienne se rend quotidiennement dans les hôpitaux concernés pour demander à leurs parents de dire aux auditeurs israéliens combien Israël est fondé à passer à l’attaque et à quel point le Hamas est mauvais et n’a aucun droit de se défendre.

L’hypocrisie que génère une furie bien-pensante ne connaît pas de limites. Le discours des généraux et des hommes politiques louvoie, de manière erratique, entre les autocongratulations pour l’humanité dont l’armée ferait preuve dans ses opérations « chirurgicales », d’un côté, et la nécessité de détruire Gaza une bonne fois pour toutes – d’une manière humaine, est-il besoin de le préciser ? –, de l’autre.

Cette fureur bien-pensante est une constante dans la dépossession israélienne – et précédemment sioniste – de la Palestine. Chaque agissement, qu’il s’agisse d’une épuration ethnique, d’une occupation, d’un massacre ou d’une destruction, a toujours été présenté comme moralement juste et comme un pur acte d’autodéfense perpétré, contre son gré, par Israël dans sa guerre contre la pire engeance d’êtres humains. Dans son excellent ouvrage The Returns of Zionism: Myths, Politics and Scholarship in Israel [Les Avatars du sionisme : mythes, politique et recherche en Israël], Gabi Piterberg explore les origines idéologiques et les développements historiques de cette furie bien-pensante. Aujourd’hui, en Israël, de la gauche à la droite, du Likoud au parti Kadima, du monde universitaire jusqu’aux médias, on peut entendre cette fureur d’un Etat davantage occupé que nul autre au monde à détruire et à déposséder une population indigène.

Il est fondamental d’explorer les origines idéologiques de cette attitude et d’extrapoler les conclusions politiques inéluctables de sa prévalence. Cette fureur bien-pensante protège la société et les hommes politiques, en Israël, contre toute désapprobation ou toute critique extérieure. Mais il y a bien pire : elle se traduit, toujours, en une politique destructrice contre les Palestiniens. En l’absence de tout mécanisme de critique, à l’intérieur d’Israël, et de toute pression extérieure, chaque Palestinien devient une cible potentielle de cette démence. Etant donné la puissance militaire de l’Etat juif, cela ne peut, inévitablement, que se terminer en des tueries massives, des massacres et une épuration ethnique supplémentaires.

L’autojustification est un puissant facteur d’auto-déni et de récidive. Elle explique pour quelle raison la société juive israélienne ne saurait être émue par des paroles de confiance, par la persuasion logique ou par le dialogue diplomatique. Et si l’on ne veut pas adopter la violence comme moyen de s’y opposer, il n’y a qu’une seule manière d’aller de l’avant : il faut contester bille en tête cette démence bien-pensante, qui n’est qu’une idéologie perverse visant à dissimuler des atrocités humaines. Cette idéologie a un autre nom – le sionisme – et un rejet international du sionisme, et non pas seulement pour telle ou telle politique israélienne parmi d’autres, est la seule façon de contrer cette furie auto-justificatrice. Nous devons nous efforcer d’expliquer non seulement au reste du monde, mais aussi aux Israéliens eux-mêmes, que le sionisme est une idéologie qui justifie l’épuration ethnique, l’occupation et, désormais, des massacres de masse.

Ce qui est impératif, dès maintenant, c’est non seulement une juste condamnation du massacre en cours, mais aussi la dé-légitimation de l’idéologie qui a généré cette politique et qui la justifie moralement et politiquement. Espérons que des voix autorisées, dans le monde entier, diront à l’Etat juif que cette idéologie et le comportement général de cet Etat sont intolérables et injustifiables et qu’aussi longtemps qu’ils persisteront, Israël sera boycotté et soumis à des sanctions.

Mais je ne suis pas naïf ; je sais que même l’assassinat de centaines de Palestiniens innocents ne suffirait pas pour produire un tel revirement de l’opinion publique occidentale ; il est encore plus improbable que les crimes perpétrés à Gaza soient de nature à inciter les gouvernements européens à changer de politique en Palestine.

Reste que nous ne pouvons pas laisser l’année 2009 être simplement une énième année comme les autres, qui aurait moins d’importance que 2008, l’année de commémoration de la Nakba de 1948, qui n’a pas comblé les grands espoirs que nous tous, nous avions, quant à sa capacité à transformer de manière copernicienne l’attitude du monde occidental vis-à-vis de la Palestine et des Palestiniens.

Apparemment, mêmes les crimes les plus horrifiants, tel le génocide en cours à Gaza, sont traités comme des événements de peu d’importance, sans aucun lien avec ce qui a pu se passer jadis, et sans connexion avec aucune idéologie ni aucun système. Durant cette nouvelle année qui commence, nous devons nous efforcer de faire prendre conscience à l’opinion publique de l’histoire de la Palestine et des méfaits de l’idéologie sioniste, car c’est là le meilleur moyen à la fois d’expliquer des opérations génocidaires telle que celle qui est actuellement en cours à Gaza et d’empêcher des choses encore pires de se produire.

Du point de vue académique, cela est déjà fait. Le principal défi que nous ayons à relever consiste à trouver un moyen efficace permettant d’expliquer le lien entre l’idéologie sioniste et les politiques passées de destruction, et la crise actuelle. Il est sans doute plus facile de le faire pendant que, dans les circonstances les plus abominables, l’attention du monde se focalise, une fois de plus, sur la Palestine. Cela serait encore plus difficile en des périodes où la situation semble être « plus calme » et moins dramatique. Dans de tels moments « détendus », l’attention à courte-vue des médias occidentaux ne manquerait pas de marginaliser, une fois de plus, la tragédie palestinienne et de la négliger, soit à cause de génocides horribles en Afrique, soit à cause de la crise économique et de scénarios écologiques apocalyptiques, ailleurs dans le monde.

Les médias occidentaux n’étant vraisemblablement pas intéressés par un quelconque archivage historique, ce n’est qu’à travers une évaluation historique que l’ampleur des crimes perpétrés contre le peuple palestinien tout au long des soixante années passées pourra être dénoncée. Par conséquent, le rôle d’un monde universitaire engagé et de médias alternatifs est d’insister sur ce contexte historique. Ces actants ne devraient pas négliger d’éduquer l’opinion publique et, on peut l’espérer, y compris d’influencer les hommes politiques les plus conscients afin de les inciter à percevoir les événements dans une perspective historique plus large.

De même, nous pourrions vraisemblablement être à même de trouver un moyen populaire – par opposition au moyen universitaire collet-monté – d’expliquer clairement que la politique d’Israël – tout au long des six décennies écoulées – découle d’une idéologie raciste hégémonique, appelée sionisme, protégée par des couches toujours renouvelées d’un blindage de fureur bien-pensante. En dépit de l’accusation prévisible d’antisémitisme, ou que sais-je, il est grand temps d’associer, dans l’esprit de l’opinion publique, l’idéologie sioniste avec des repères historiques désormais familier, des points de repères du terrain palestinien : l’épuration ethnique de 1948, l’oppression des Palestiniens, en Israël, durant les années du régime militaire, la brutale occupation de la Cisjordanie et, désormais, le massacre de Gaza.

Exactement de la même manière que l’idéologie de l’apartheid était l’explication de la politique oppressive du gouvernement sud-africain, cette idéologie [le sionisme] – sous sa forme la plus consensuelle et simpliste – a permis à tous les gouvernements israéliens passés et actuel de déshumaniser les Palestiniens où qu’ils se soient trouvés et se trouve, et de s’ingénier à les détruire. Les moyens pour ce faire ont pu varier, d’une période à l’autre, d’un lieu à l’autre, comme d’ailleurs a varié, lui aussi, le discours servant à camoufler ces atrocités. Mais il existe un pattern, un modèle, évident, que l’on ne saurait étudier seulement dans les tours d’ivoire universitaires, mais qui doit faire partie du discours politique sur la réalité contemporaine de la Palestine d’aujourd’hui.

Certains d’entre nous, à savoir ceux qui sont engagés dans le combat pour la justice et la paix en Palestine, éludent de manière peu avisée ce débat, se concentrant, et c’est compréhensible, sur les territoires palestiniens occupés – la Cisjordanie et la bande de Gaza. Lutter contre les menées criminelles d’Israël dans ces régions est en effet une mission urgente. Mais cela ne devrait pas envoyer ce message que les pouvoirs en place en Occident ont adoptée si volontiers après qu’Israël le leur a soufflé, à savoir que la Palestine, ça ne serait que la Cisjordanie et la bande de Gaza, et que les Palestiniens ne seraient que les habitants de ces deux territoires. Nous devons étendre la représentation géographique et démographique de la Palestine, en racontant l’histoire des événements de 1948 et la suite, et exiger des droits humains et civils égaux à tous ceux qui vivent – ou vivaient – dans ce qui, aujourd’hui, est les Territoires palestiniens occupés ET Israël [c’est moi qui souligne, ndt].

En faisant le lien entre l’idéologie sioniste, les politiques israéliennes passées et les atrocités actuelles [qui en découlent], nous serons en mesure de fournir une explication claire et logique en soutien à la campagne de boycott, de désinvestissements et de sanctions [à l’encontre de l’agresseur israélien]. Défier, par des moyens non-violents, un Etat idéologique bien-pensant qui se permet, avec la complicité d’un monde muet, de déposséder et de détruire le peuple indigène de la Palestine, c’est une cause juste, c’est une cause morale. C’est aussi un moyen efficace pour galvaniser l’opinion publique, non seulement contre la politique israélienne génocidaire actuelle à Gaza, mais, aussi, espérons-le, un moyen qui pourra empêcher de futures atrocités.

De plus, et c’est là quelque chose de plus important que tout le reste, cela fera éclater la baudruche de fureur bien-pensante qui suffoque les Palestiniens à chaque fois qu’elle se gonfle. Cela contribuera à mettre un terme à l’immunité occidentale à l’impunité d’Israël. Sans cette immunité, on peut espérer que de plus en plus de gens, en Israël, commenceront à comprendre la nature réelle des crimes que l’on commet en leur nom, et que leur colère viserait ceux qui les ont enfermés, eux et les Palestiniens, dans ce cycle absurde de bains de sang et de violence.

Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier

[* Ilan Pape est professeur à la Faculté d’Histoire de l’Université (britannique) d’Exeter]



Source et traduction : Marcel Charbonnier


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