Nouvelles et analyses humanitaires
Un avenir sans
tunnel pour Gaza ?
IRIN
On estime
à 13 000 le nombre de voitures passées à
Gaza en contrebande par ces tunnels en
2011
Photo: Marius Arnesen/Flickr
GAZA, 27 août 2012 (IRIN)
L’attaque
survenue ce mois-ci dans la péninsule du
Sinaï, dans laquelle 16 gardes-frontière
égyptiens ont trouvé la mort, a renforcé
les appels à la fermeture du réseau de
tunnels souterrains entre l’Égypte et la
bande de Gaza. Les tunnels sont utilisés
depuis des années pour faire entrer des
biens en contrebande à Gaza et, selon
l’Égypte, pour envoyer des combattants
dans le Sinaï.
Mais le Hamas, qui contrôle la bande de
Gaza, considère qu’il s’agit là d’une
occasion unique.
Publiquement et dans des discussions
avec des responsables égyptiens, le
Hamas a fait pression afin d’utiliser le
point de passage de Rafah, entre
l’Égypte et Gaza, pour les échanges
commerciaux. Ghazi Hamad, vice-ministre
des Affaires étrangères, a dit que la
création d’une zone de libre-échange
pourrait bientôt «
libérer Gaza ».
« Une fois que le poste-frontière de
Rafah servira de plate-forme pour le
commerce, les tunnels seront de
l’histoire ancienne », a dit à IRIN
Azzam Shawwa, ancien ministre de
l’Énergie au sein de l’Autorité
palestinienne.
Les tunnels sont les principales routes
commerciales entre la bande de Gaza, qui
fait partie des Territoires palestiniens
occupés (TPO), et le reste du monde.
À l’exception du poste-frontière de
Kerem Shalom, où la circulation de
marchandises est soumise à de sévères
restrictions, les frontières entre
Israël et Gaza sont demeurées fermées.
Les Principes concertés sur le point de
passage de Rafah, signés en 2005 par
l’Autorité palestinienne et Israël,
prévoyaient la mise en place d’échanges
commerciaux formels, mais l’accord a été
suspendu à la suite de l’accession au
pouvoir du Hamas dans la bande de Gaza
en 2006.
Les relations entre l’Égypte et Gaza ont
également été tendues en raison du
blocus de la bande de Gaza. Elles se
sont cependant améliorées depuis que
l’ancien président égyptien Hosni
Moubarak a été évincé du pouvoir l’an
dernier. À la suite des récentes
attaques – et vu l’impact humanitaire
qu’elles ont eu –, les appels au
changement se sont faits de plus en plus
pressants.
« Au bout du compte, ce qui s’est
produit dans le Sinaï pourrait avoir un
impact positif sur les relations futures
entre l’Égypte et Gaza », a dit à IRIN
Mustafa Sawaf, ancien rédacteur en chef
du Filistin, un journal affilié au
Hamas.
Le 5 août, l’Égypte a fermé le
poste-frontière et commencé à bloquer
certains tunnels. Selon le Bureau des
Nations Unies pour la coordination des
affaires humanitaires (OCHA),
l’importation de carburant et de
matériaux de construction aurait,
depuis, diminué de 30 et 70 pour cent
respectivement et [les pénuries de
carburant auraient entraîné] des
coupures d’électricité allant jusqu’à 16
heures par jour.
Photo:
Andreas Hackl/IRIN |
Une usine
de meubles à Gaza. Les Gazaouis
pourront-ils bientôt exporter ce
qu’ils produisent ? |
La création d’une zone de libre-échange
permettrait à Gaza de se doter plus
facilement d’infrastructures et de
bénéficier d’un meilleur accès aux biens
et à l’énergie, a dit à IRIN M. Hamad,
qui est aussi président de l’autorité
des postes-frontière dans la bande de
Gaza, « mais ça ne ferait pas non plus
de Gaza une sorte de Taïwan. Nous devons
être réalistes. L’objectif, c’est de
redonner une vie normale à ces gens. »
Perspectives pour une zone de
libre-échange
La zone de libre-échange pourrait
permettre à Gaza d’importer et
d’exporter des biens et des matières
premières par le port égyptien d’Al-Arish
sans avoir à payer de droits de douane
aux autorités égyptiennes.
Une autre option serait de créer une
zone franche industrielle qui
permettrait aux Palestiniens de Gaza de
pénétrer librement dans les zones
industrielles égyptiennes pour y trouver
du travail, a dit M. Shawwa.
À la question de savoir si une zone de
libre-échange serait dans l’intérêt
d’Israël, Ilana Stein, porte-parole
adjointe du ministère israélien des
Affaires étrangères, a répondu à IRIN :
« Nous devons attendre qu’il y ait des
suggestions sérieuses de la part des
Palestiniens et des Égyptiens. Une fois
que les choses seront claires, nous
serons prêts à en discuter. »
Les analystes estiment toutefois que le
poste-frontière de Rafah n’est conçu
pour aucune de ces possibilités et qu’il
devra être modernisé. En outre,
l’Égypte, qui peine à faire profiter ses
90 millions d’habitants des fruits de sa
récente révolution, pourrait fort bien
se montrer réticente à accueillir des
travailleurs palestiniens qui, dans un
contexte de pauvreté croissante,
risquent de disputer aux Égyptiens les
rares emplois disponibles.
Des tunnels qui profitent à
certains
Il risque aussi d’y avoir des
oppositions internes. Alors que le
Fatah, le parti politique au pouvoir en
Cisjordanie, soutient l’initiative de
l’Égypte de fermer les tunnels,
alléguant qu’ils « servent des intérêts
privés et ceux d’une petite catégorie de
parties prenantes », les analystes
estiment que les tentatives de fermeture
permanente des tunnels pourraient faire
face à une résistance vigoureuse.
On estime à quelque 500-700 millions de
dollars la valeur des biens qui
circulent par les tunnels chaque année,
qui sont soumis à des droits de douane
d’au moins 14,5 pour cent imposés par le
gouvernement du Hamas depuis le début de
2012, selon un nouveau
rapport de l’International Crisis
Group (ICG).
Plusieurs familles influentes contrôlent
les tunnels et tirent profit de chaque
personne ou marchandise les traversant.
Il en coûte environ 25 dollars pour
faire passer un clandestin et environ
500 dollars pour une voiture. En 2011,
on estime à 13 000 le nombre de voitures
qui ont été passées en contrebande par
les tunnels.
« Huit cents millionnaires et 1 600
quasi-millionnaires contrôlent les
tunnels [et s’enrichissent] aux dépens
des intérêts nationaux égyptiens et
palestiniens », a dit Mahmoud Abbas, le
président de l’Autorité palestinienne,
dans
The Economist.
Les tunnels ont récemment contribué au
boom de la construction. Des
appartements, des parcs et des mosquées
ont en effet été construits avec l’aide
d’investisseurs comme la Banque
islamique de développement (BID), basée
en Arabie saoudite. La transition vers
un avenir sans tunnel devra tenir compte
de ces intérêts.
« Il est vrai que les tunnels
bénéficient à une certaine catégorie de
gens », a dit à IRIN Nathan Thrall,
analyste principal [pour le
Moyen-Orient] auprès de l’ICG. « Mais le
Hamas peut résoudre le problème en les
impliquant dans les échanges commerciaux
légitimes. »
Le Hamas gagnerait également plus
d’argent en droits de douane qu’il ne le
fait actuellement, car les
intermédiaires touchent aussi une partie
des profits. « Je ne crois pas que cet
obstacle soit aussi difficile à
surmonter que d’autres », a dit M.
Thrall.
Des considérations politiques
complexes
L’un des obstacles majeurs est la façon
dont Israël va réagir.
Les appels à l’amélioration des
relations commerciales avec l’Égypte
font craindre qu’Israël en profite pour
se dégager de toute responsabilité
envers Gaza. Si le passage de Rafah est
ouvert aux marchandises commerciales,
Israël pourrait estimer ne plus avoir
besoin de laisser ouvert le passage de
Kerem Shalom, seul point d’entrée
officiel pour les produits
d’importation. « Ce serait la fin de la
responsabilité d’Israël envers Gaza », a
dit M. Thrall.
Une telle mesure pourrait saper les
efforts visant à rétablir l’unité
palestinienne en déconnectant davantage
Gaza de la Cisjordanie. C’est pourquoi
le Hamas lui-même veille à ne pas trop
insister en faveur des importations vers
Gaza.
« Nous ne voulons pas qu’Israël ferme
Kerem Shalom », a dit M. Hamad. « Israël
veut simplement nous pousser vers
l’Égypte. Mais nous considérons que Gaza
fait partie de la patrie palestinienne.
»
« Le débat est grave », a ajouté M.
Shawwa, l’ancien ministre de l’Autorité
palestinienne. « Voulons-nous que Gaza
soit économiquement indépendante ? Cela
pourrait nous conduire à une nouvelle
période de séparation de la Palestine ».
Kerem Shalom est le seul point de
passage où les importations de
marchandises commerciales et
humanitaires d’Israël vers Gaza sont
autorisées. Or, même lorsque ce point
est ouvert, les organisations
humanitaires peinent à s’approvisionner
de manière régulière et en quantité
suffisante pour répondre aux besoins de
leurs opérations.
Certains observateurs supposent que le
nouveau président égyptien, l’islamiste
Muhammad Morsi, pourrait imposer la
réconciliation palestinienne comme
condition à la création d’une zone de
libre-échange. D’autres estiment qu’il
pourrait aussi avancer dans cette voie
en l’absence d’unité palestinienne.
« La relation entre l’Égypte, Israël et
le Hamas est complexe », a dit Abdel
Monem, directeur du Centre Al Ahram
d’études politiques et stratégiques du
Caire. « M. Morsi sait qu’il ne peut pas
vraiment laisser les Palestiniens de
Gaza mourir de faim. Et des membres des
Frères [musulmans] font pression pour
soutenir le Hamas. » D’un autre côté,
l’Égypte est freinée par sa coopération
étroite en matière de sécurité avec
Israël dans le Sinaï, a-t-il dit à IRIN.
« En permettant aux gens de passer, M.
Morsi remplirait ses obligations
humanitaires », a dit un diplomate
européen travaillant à Jérusalem ayant
souhaité garder l’anonymat. « À l’heure
qu’il est, la question de la sécurité
avec Israël est plus urgente. »
Selon Mkheimar Abu Saada, politologue à
l’université Al-Azhar de Gaza, les
Égyptiens se trouvent dans une situation
très délicate : « D’un côté, ils ne
veulent pas que l’on pense qu’ils
coopèrent avec Israël en imposant un
siège sur la bande de Gaza à l’instar de
M. Moubarak. De l’autre, ils ne veulent
pas qu’on les accuse de mettre fin à
leurs relations avec Israël ». Le Hamas
admet donc que ses espoirs de voir la
création d’une zone de libre-échange ont
peu de chance de se réaliser dans un
futur proche.
Pour l’instant, le mouvement se
concentre non sans succès sur des «
options plus réalistes », comme celle de
permettre à davantage de personnes de
passer par Rafah et d’exporter des
produits de Gaza. En mai, l’Égypte a
assoupli les restrictions imposées à
Rafah. Puis, le mois dernier, M. Morsi a
passé un accord avec le chef du Hamas,
Ismaïl Haniyeh, relevant la limite
maximum de personnes autorisées à
traverser la frontière à 1 500 voyageurs
par jour et augmentant la quantité
autorisée de carburant provenant du
Qatar.
« Je pense qu’il y a des chances que
Rafah soit utilisée à des fins
commerciales et pas seulement
d’exportation », a dit M. Hamad, « mais
il est peut-être trop tôt pour que les
Égyptiens donnent une réponse ».Copyright © IRIN
2012. Tous droits réservés.
Publié le 27 août 2012 avec l'aimable
autorisation de l'IRIN
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