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Analyse -
IRIN
Le gouvernement
israélien défie la loi pour protéger les
colonies illégales
IRIN
Itai Hemo
et ses enfants devant sa caravane
installée dans l’avant-poste illégal de
Migron
Photo:
Andreas
Hackl/IRIN
Lundi 23 avril 2012
RAMALLAH/TEL-AVIV, 16 mai 2012 (IRIN)
Les colons israéliens vivant au centre
de la Cisjordanie à l’est de la barrière
de séparation occupent la zone la plus
cruciale pour toute décision future
concernant le statut définitif du pays
dans le cadre d’une solution à deux
Etats. Mais pour les critiques, les
autorités israéliennes sont en train
d’établir un dangereux précédent en
légalisant de nouveaux avant-postes et
en faisant fi de la loi, au lieu de
limiter l’expansion des colonies. «
« Dieu nous a donné cette terre il y a 3
000 ans, » a déclaré un chauffeur de bus
israélien qui se rendait de Jérusalem à
la colonie israélienne de Psagot. «
Cette terre est à nous. Elle n’est pas
pour les Arabes, » a t-il ajouté tandis
que le bus passait de Jérusalem en
Cisjordanie occupée, pour continuer son
chemin à travers le relief escarpé de la
zone située à l’est de Ramallah.
Psagot abrite quelque 1 600 colons
israéliens ; c’est le siège du Conseil
régional Mateh Binyamin, l’un de six
conseils fournissant les services
municipaux aux Israéliens qui sont plus
de 300 000 à vivre en Cisjordanie dans
124 colonies reconnues officiellement.
Toutes les colonies du Territoire
palestinien occupé (TPO) sont illégales,
non seulement selon le droit
international, mais plus de 90
avant-postes – c’est le nom qu’on leur
donne – le sont au regard de la loi
israélienne elle-même. L’une de ces
implantations illégales est Migron, où
quelque 322 colons israéliens vivent
dans des caravanes, sur 36 hectares de
terres appartenant à des Palestiniens.
Migron n’est que l’un des cas où le
gouvernement israélien essaie de
contourner les décisions de la Cour
suprême sur l’évacuation des structures
illégales pour favoriser à la place les
intérêts des colons. Pour la première
fois depuis 1996, au mois d’avril, le
gouvernement, dirigé par le Premier
ministre Benjamin Nétanyahou, a créé
officiellement de nouvelles colonies en
légalisant les trois avant-postes de
Rechalim, Sansana et Bruchin.
« On assiste à un véritable changement
de politique, » a dit à IRIN Talia
Sasson, ancienne procureure-générale
israélienne, auteur de l’important
rapport Sasson sur le soutien
apporté par le gouvernement aux
avant-postes illégaux. « Je pense que
pour le gouvernement israélien, le prix
à payer pour déménager un avant-poste
illégal est devenu trop élevé. »
Quand M. Netanyahou a formé un
gouvernement de coalition avec le parti
centriste Kadima le 8 mai, certains
analystes ont indiqué que cela pourrait
provoquer des changements et les
responsables palestiniens ont
immédiatement exhorté le nouveau
gouvernement à
geler totalement la colonisation.
Cependant, beaucoup ont rappelé que les
colons ne faisaient que gagner en
puissance ; ils s’accrochent aux terres
occupées et sont prêts à tout pour les
garder.
Désormais, disent les observateurs, le
soutien de l’Etat vis-à-vis des colonies
et des avant-postes illégaux a atteint
un point de non-retour, violant l’état
de droit et menaçant la démocratie
israélienne.
« Ce qui s’est passé autour de Migron et
d’autres avant-postes est un véritable
bouleversement de l’équilibre
constitutionnel d’Israël, » a dit à IRIN
Dror Etkes, spécialiste israélien des
questions foncières dans le TPO. « On
s’achemine vers à un conflit majeur
entre le gouvernement, les colons et la
Cour suprême. En légalisant les
avant-postes, le gouvernement a
clairement indiqué qu’il n’avait rien à
faire ni du droit national ni du droit
international. »
Le gouvernement avait demandé à la Cour
suprême de retarder la démolition de
Migron de trois ans, proposition que la
Cour a rejetée ; puis il a essayé de
retarder la mise en oeuvre d’une autre
décision de la Cour concernant la
démolition du quartier illégal d’Ulpana
dans l’implantation de Beit El. Lee
gouvernement serait en train de faire
passer un décret légalisant Ulpana de
façon rétroactive. Ceci obligerait la
Cour suprême à déclarer le projet de loi
comme anticonstitutionnel.
Selon les experts, la légalisation des
colonies met en danger toute résolution
future du conflit israélo-palestinien
dans le cadre d’une solution à deux
Etats.
« Dix-neuf ans après Oslo et 13 ans
après la mise au point d’un accord
soi-disant définitif, la perspective
d’une solution à deux Etats est plus
éloignée que jamais, » a déclaré
l’International Crisis Group (ICG) dans
un
récent rapport appelant à un
changement de paradigme.
Le « compromis »
de Migron
Les caravanes de Migron sont installées
tout en haut de la colline près des
villages palestiniens de Burqa et Ein
Yabrud. A peine deux kilomètres plus
bas, des engins creusent le sol
caillouteux, pour construire un nouveau
Migron pour les 50 familles de
l’avant-poste ; c’est là qu’elles
doivent emménager le 1er août, selon
l’accord établi entre les colons et le
gouvernement, après la décision de la
Cour suprême israélienne intimant que
soient détruites toutes les
installations illégales.
Les habitants de Migron sont convaincus
que l’ancien Migron subsistera, en plus
du nouveau Migron qu’on est en train de
leur construire.
« L’actuel Migron devrait devenir un
centre éducatif pour les soldats ou bien
nous pouvons le transformer en ferme, »
a dit à IRIN Itai Hemo, un des habitants
de Migron. « De toute façon,
l’évacuation va provoquer une violente
réaction de la part des communautés de
colons dans toute la région. Nous ne
serons pas en mesure de contrôler ça. »
Le « compromis » gouvernemental avec les
colons a effectivement bloqué la
décision de la Cour suprême de démolir
l’avant-poste illégal, ce qui a encore
contribué à renforcer l’arrogance des
colons.
« M. Nétanyahou a légalisé les
avant-postes et montré clairement ses
intentions. C’est une manière de
déclarer à tous les colons et tous les
résidents des avant-postes illégaux que
le gouvernement va continuer à les
soutenir, » a dit à IRIN Lior Amichai,
qui travaille pour le projet de
surveillance des implantations de Peace
Now (Paix maintenant).
Les observateurs font remarquer que les
avant-postes illégaux ont un impact
négatif sur les communautés
palestiniennes avoisinantes.
« Voici la région de Migron en 1999, » a
indiqué Dror Etkes, en regardant une
photo satellite montrant de vastes
champs cultivés qui appartenaient
autrefois aux villages palestiniens
voisins. « Et voici Migron aujourd’hui,
» a t-il poursuivi, montrant sur une
autre photo satellite la zone urbanisée
de Migron. « Des centaines de dunams de
terres agricoles ont été volés aux
villages, ce qui a eu de graves
conséquences sur leurs moyens de
subsistance. Et une route destinées aux
colons a fermé l’accès aux Palestiniens.
»
« Le cœur
d’Israël »
Les habitants de Migron sont des colons
nationaux-religieux qui constituent près
de 80 pour cent des Israéliens vivant à
l’est de la barrière de séparation, sur
des terrains qui feraient partie de
l’Etat palestinien dans le cadre de tout
accord réaliste sur le statut définitif.
Ils sont absolument convaincus qu’il est
de leur devoir national et religieux de
coloniser la terre et si on les compare
aux colons séculaires ou aux colons
ultra-orthodoxes, ils sont plus
réticents à quitter la terre même contre
une indemnisation, comme l’ont montré
plusieurs études.
« Quatre-vingt pour cent de ce qui s’est
passé dans la Bible s’est passé ici.
C’est le cœur d’Israël, même
géographiquement. Si nous ne maintenons
pas une présence ici, cela signifierait
la fin d’Israël, » a dit à IRIN Miri
Maoz Ovadia, officier de liaison de la
coalition d’organisations de colons, le
Conseil de Yesha.
Installés de façon stratégique, comme
les colons de la plupart des
avant-postes, sur une colline, les
habitants de Migron vivent dans des
implantations illégales depuis 2002. Le
ministère du Logement et de la
Construction leur a généreusement
accordé plus d’un million de dollars,
selon le rapport connu sous le nom de
rapport Sasson.
« Ce qui s’est passé autour de
Migron et d’autres avant-postes
est un véritable bouleversement
de l’équilibre constitutionnel
d’Israël . On s’achemine vers à
un conflit majeur entre le
gouvernement, les colons et la
Cour suprême. En légalisant les
avant-postes, le gouvernement a
clairement indiqué qu’il n’avait
rien à faire ni du droit
national ni du droit
international. » |
« Ce n’était pas une décision
idéologique qui m’a poussé à venir ici.
J’adore cet endroit, tout simplement, »
a déclaré Itai Hemo, assis sous l’auvent
de sa caravane à admirer le paysage
pittoresque.
« Quand on cherche dans la Bible, on y
trouve beaucoup des lieux saints qui
sont en réalité par ici, » a t-il
ajouté. « Mais le conflit concernant les
terres est un conflit politique.
N’importe quel historien vous dira que
les Palestiniens viennent d’autres pays
arabes. Cela ne veut pas dire que nous
devions les expulser. La coexistence est
possible. »
Toutefois les détails de cette «
coexistence » sont très loin de ce qui
pourrait être acceptable pour les
Palestiniens.
« La Cisjordanie est séparée en zone A,
zone B et zone C. Israël annexerait la
zone C, où vivent actuellement tous les
colons et proposeraient la citoyenneté
aux Palestiniens qui vivent là. Les
zones A et B obtiendraient une certaine
forme d’autonomie, » a expliqué Miri
Maoz Ovadia.
On estime que 150 000 Palestiniens
vivent dans la
zone C qui est sous contrôle israélien,
une zone qui couvre plus de 60 pour cent
de la Cisjordanie. Les Palestiniens ont
interdiction de construire sur environ
70 pour cent de cette zone.
L’influence sur
l’Etat
Les colons israéliens qui vivent dans
les implantations et les avant-postes
illégaux à l’est de la barrière semblent
disposer de canaux d’influence efficaces
sur le gouvernement, l’armée et les
institutions d’Etat.
« Avant l’évacuation des colonies de
Gaza en 2006, nous avons organisé des
manifestations. Mais l’évacuation de
Gush Katif (implantations de Gaza) a
cassé le mouvement, » a fait remarquer
Miri Maoz Ovadia. « Nous avons également
compris que Gaza, sentimentalement
parlant, n’était pas au cœur d’Israël,
contrairement à la Cisjordanie.
Aujourd’hui, nous avons d’autres canaux
d’influence. »
De nos jours, les conseils régionaux et
le Conseil de Yesha concentrent de plus
en plus leurs efforts sur le plaidoyer ;
ils s’efforcent de faire venir des
hommes politiques dans les avant-postes
illégaux pour parler aux colons et
d’attirer les Israéliens par le tourisme
et le volontariat. « Nous voulons faire
la Judée et de la Samarie (la
Cisjordanie) le cœur d’Israël, » a
ajouté Mme Ovadia.
Depuis que la Cour suprême israélienne a
ordonné l’évacuation de Migron, des
hommes politiques sont venus pour rendre
hommage [aux colons] ; beaucoup
appartiennent au Likoud, le parti de M.
Nétanyahou. « Nous avons eu aussi
beaucoup de membres de la Knesset [le
parlement israélien] ici. Au moins 30, »
a dit Itai Hemo.
L’un d’entre eux était Reuven Rivlin, le
porte-parole du parlement israélien. En
visite en janvier à l’avant-poste, M.
Rivlin a appelé le gouvernement à «
prendre ses responsabilités » et à ne
pas relocaliser ni évacuer Migron.
L’influence de l’idéologie des colons
sur le Likoud a encore été renforcée par
la montée en puissance du leader
politique national-religieux Moshe
Feiglin.
« Le fait que M. Feiglin ait obtenu 25
pour cent des votes au Likoud affecte le
parti tout entier. Il pousse tous ses
autres concurrents à adopter une
position encore plus extrême, » a
expliqué Talia Sasson. M. Feiglin prône
un Grand Israël et encourage tous les
Palestiniens à partir.
« Sur les 130 000 membres du parti du
Likoud, 9 000 sont des colons. Et comme
ils font toujours bloc quand ils votent,
ils sont très forts, » a indiqué Dror
Etkes. D’autres analystes estiment qu’au
moins 20 pour cent des membres du Likoud
sont des colons.
L’armée israélienne, dans laquelle les
colons peuvent s’engager comme
volontaires, constitue une autre sphère
d’influence. De plus, les conseils de
colons poussent de plus en plus
d’Israéliens à participer à des
programmes volontaires de formation
prémilitaire.
A la question de savoir si une
confrontation entre les colons et les
soldats était envisageable à propos de
Migron, Miri Maoz Ovadia a répondu : «
61 pour cent des colons d’ici sont
volontaires dans des unités de combat.
Ce serait comme si nous nous battions
contre nous-mêmes. »
L’influence croissante [des colons] sur
l’armée et sur la politique pourrait
compliquer les démolitions et les
évacuations futures.
« De Gaza, on a évacué environ 8 000
personnes. Mais la Cisjordanie, c’est
différent. C’est au cœur du pays. C’est
impossible d’évacuer 350 000 colons, » a
t-elle ajouté.
Radicalisation
Si la plupart des colons poursuivent
leurs intérêts de façon non violente,
des colons radicalisés ont organisé des
attaques contre les Palestiniens, les
Israéliens de gauche et l’Etat
israélien.
La moyenne hebdomadaire de ce genre
d’attaques de colons provoquant des
victimes et des dégâts matériels chez
les Palestiniens
a augmenté de 144 pour cent en 2011 par
rapport à 2009. Un mouvement
radicalisé aux motivations idéologiques
s’est développé dans les avant-postes de
Cisjordanie au fil des ans, suivant une
stratégie qu’on appelle les attaques «
avec un prix à payer » (price-tag
attacks) ; celles-ci sont censées faire
monter le prix que le gouvernement doit
payer pour démolir les avant-postes
illégaux.
« Nous sommes confrontés ici à deux
dimensions idéologiques majeures, venant
toutes deux des enseignements religieux
juifs qui placent le conflit avec les
non-Juifs au centre de leur
enseignement, » a indiqué Ofer Zalzberg,
analyste pour l’ICG.
« La première vient des enseignements de
leaders religieux anti-étatiques comme
le rabbin Ginszburg de l’avant-poste de
Yitzhar. La seconde des enseignements du
rabbin Meir Kahane. Les jeunes
activistes qui suivent ce genre de
théologies politiques sont souvent issus
de familles brisées ou marginalisées, »
a t-il ajouté. Ces deux rabbins
justifient la violence et s’opposent à
ce que le pays soit divisé.
Selon les analystes, la radicalisation
chez les jeunes colons est liée à une
baisse de la loyauté envers l’Etat, qui
s’explique en partie par le soutien du
gouvernement aux accords d’Oslo dans le
passé ; or beaucoup de colons
national-religieux considèrent ces
accords comme incompatibles avec la
conception messianique du droit juif.
La plupart des colons
nationaux-religieux sont opposés au
mouvement du « prix à payer » mais ils
ont un objectif commun : faire pression
sur le gouvernement pour que les
avant-postes ne soient pas démolis.
« Les colons jouent un jeu dangereux :
Ils condamnent la radicalisation et la
violence, mais dans le même temps, ils
les utilisent de façon tacite pour
empêcher le gouvernement de démolir les
avant-postes, » a dit à IRIN Hagit Ofran,
directeur du projet de surveillance des
implantations de Peace Now.
Pour Dror Etkes, la plupart des colons
sont représentés par le Conseil de Yesha
qui s’efforce d’influencer l’Etat via
les canaux officiels, mais il existe
aussi une minorité plus radicale dans
les avant-postes de la région d’Hébron
et de Naplouse.
« Le Conseil se sert des radicaux pour
dire au gouvernement : ‘Si vous ne
faites pas de compromis dans notre
intérêt, vous allez avoir à faire à ces
radicaux’, » a t-il ajouté. « Chacun y
trouve son intérêt. »
[Cet article ne reflète pas
nécessairement les vues des Nations
Unies]
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2012. Tous droits réservés.
Publié le 17 mai 2012 avec l'aimable
autorisation de l'IRIN
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