Analyse
Cisjordanie, entre
réforme sécuritaire et occupation
IRIN
Équiper et
entraîner la police antiémeute
palestinienne s’inscrit dans la réforme
du secteur de la sécurité palestinienne.
Photo: Ryan Rodrick
Beiler/Shutterstock.com
DUBAÏ, 10 juillet 2012 (IRIN)
« Je
n’ai jamais vu de ma vie autant de
brutalité, sauf de la part des forces
israéliennes », déclare choquée au lendemain de la marche de
protestation dans la ville de Ramallah,
en Cisjordanie, durant laquelle les
manifestants ont été violemment attaqués
par les forces de sécurité
palestiniennes. « Ils nous ont frappé
encore et encore ».
Aliya et quelques centaines de jeunes
gens avaient manifesté dimanche 1er
juillet pour protester contre la
brutalité policière qui avait éclaté
lors d’une manifestation précédente.
La réaction des policiers s’est faite
encore plus violente lorsque les
manifestants ont commencé à réclamer la
démission d’Abdul Latif al-Qadumi, le
chef de la police de Ramallah. Parmi les
slogans scandés par les manifestants, on
pouvait entendre : « Non à la police de
Dayton ! Arrêtez la coordination ! ».
Le lieutenant général Keith Dayton -
l’ancien coordinateur américain de la
sécurité pour Israël et l’Autorité
palestinienne (USSC) - supervisait
l’aide américaine pour la reconstruction
des forces de sécurité palestiniennes.
Il est arrivé à la fin de son mandat
mais son héritage demeure : une police
palestinienne et des agents du
renseignement nouvellement entraînés et
équipés. D’autres acteurs ont également
contribué à réformer la police
palestinienne : la Mission de police de
l'Union européenne pour les territoires
palestiniens EUPOL COPPS (Bureau de
coordination de l'Union européenne pour
le soutien de la police palestinienne),
et plus de 17 États différents.
Le Bureau de coordination a été créé en
2005 en vertu de la feuille de route
pour la paix, suite à la déclaration des
bailleurs de fonds affirmant leur
volonté d’aider l'Autorité palestinienne
(AP) à rétablir des forces de sécurité
opérationnelles en Cisjordanie et dans
la bande de Gaza. Depuis la prise de
contrôle de la bande de Gaza par le
Hamas en 2007, l’aide apportée par USSC
et EUPOL COPPS a été limitée à la
Cisjordanie. Les six services de
sécurité palestiniens actuels sont
différents les uns des autres et souvent
concurrents, un héritage de l’époque
Arafat et sa stratégie de ‘diviser pour
mieux régner’. L’objectif de ces
missions est de réformer ces services de
sécurité, de les entraîner et de les
équiper afin qu’ils puissent maintenir
l’ordre public.
À l’instar de la nouvelle AP, la plupart
des services de sécurité palestiniens
n’ont pas été officiellement instaurés
avant les accords d’Oslo II de 1995. À
mesure que la seconde Intifada, survenue
en 2000, s’intensifiait et que bon
nombre de recrues nouvellement équipées
prenaient part aux affrontements contre
les forces israéliennes, ces dernières
firent en sorte que les infrastructures,
comme les capacités opérationnelles,
soient détruites. S’ensuivit l’anarchie
et le règne des bandes armées - dont
beaucoup étaient liées à des milices
armées du parti.
La sécurité non sans
contrepartie
Aujourd’hui, dans la quasi-totalité de
la zone A – les 17,5 pour cent de
territoires contrôlés par les forces de
l’AP en Cisjordanie – la situation est
différente. Les forces de sécurité
palestiniennes patrouillent dans les
rues tandis que les miliciens armés sont
seulement visibles sur des affiches à la
gloire des ‘martyrs’.
Un sondage du Programme des Nations
Unies pour le développement (PNUD),
réalisé en 2010 dans la zone, a montré
que 52 pour cent des personnes
interrogées pensaient que les services
de sécurité garantissaient un
environnement sûr. Mais cette nouvelle
sécurité n’est pas sans contrepartie :
les services de police et du
renseignement assurent également la
protection d’Israël.
La coordination avec les services de
sécurité israéliens est l’un des piliers
de ces réformes. Les policiers sont
entraînés et équipés pour répondre aux
demandes des agences israéliennes pour
éradiquer les groupes armés. Pendant le
mois du ramadan, au cours duquel
beaucoup de Palestiniens tentent de
franchir les postes de contrôle et de se
rendre à Jérusalem-Est pour des raisons
religieuses, c’est désormais la police
palestinienne qui contrôle les allées et
venues. C’est elle qui décide si les
Palestiniens remplissent les conditions
exigées par Israël pour l’obtention d’un
droit de passage.
Beaucoup de Palestiniens et d’experts
externes affirment que les changements
qui s’opèrent au sein de l’AP et de ses
services de sécurité sont préoccupants.
Un expert international en sécurité,
basé à Ramallah et qui souhaite garder
l’anonymat, a dit à IRIN : « C’est sûr,
ce que nous vivons ici n’est rien en
comparaison de la situation en Égypte ou
en Syrie, mais il y a de fortes dérives
autoritaires, à l’intérieur de l’AP
comme dans les services de sécurité ».
Cet avis n’est pas isolé comme le montre
un récent sondage réalisé auprès de 1
200 Palestiniens. Seuls 29 pour cent des
personnes interrogées en Cisjordanie
considéraient qu’elles pouvaient
critiquer sans crainte leur
gouvernement.
Pour l’instant, la répression a été
dirigée, dans une large mesure, contre
les opposants politiques et leurs
milices armées : le Hamas, le Jihad
islamique et même le groupe armé du
parti Fatah du président Abbas ; les
Brigades des martyrs d’Al-Aqsa.
Cependant, cette récente manifestation à
Ramallah est le signe que les choses
sont peut-être en train de changer. Les
manifestants étaient de jeunes
Palestiniens, nombre d’entre eux fils et
filles de l’élite de Ramallah. Selon
l’expert interrogé par IRIN, ce n’est un
secret pour personne que l’équipement,
comme la formation aux opérations
antiémeute, est fourni par EUROPOL COPPS
et les bailleurs de fonds bilatéraux.
Le soutien de la police de
l’Union européenne
EUPOL COPPS a déclaré à IRIN : « EUPOL
COPPS soutient les Forces spéciales de
police (SPF) palestiniennes en lui
offrant équipements spécialisés et
formations. Les SPF remplissent
plusieurs rôles au sein de la police
civile palestinienne (PCP), notamment la
maîtrise des foules. Les SPF ont couvert
des centaines d’évènements en maintenant
l’ordre public sans aucun problème et
dans le respect total des droits de
l’homme et des normes éthiques en
vigueur dans la police ».
Selon Aliya, les SPF sont arrivées tard
sur les lieux de la manifestation ; ce
sont des agents de sécurité en civil et
des membres de la police civile
palestinienne en uniforme qui s’en sont
pris aux manifestants.
Un porte-parole de EUPOL COPPS a fourni
des renseignements à IRIN montrant que
la mission investissait massivement dans
des programmes destinés à garantir que
la police assume mieux ses
responsabilités et intègre le respect
des droits de l’homme dans chacune de
ses actions.
Shirin Abu-Fannouna, qui travaille pour
l’organisation palestinienne des droits
de l’homme al-Haq, a déclaré à IRIN que
les forces de sécurité avaient tendance
à prendre pour cible les dissidents
politiques qui manifestaient contre
l’AP.
Dans ces conditions, il est difficile
d’apporter des conseils pour améliorer
le secteur de la sécurité. Même si la
mission EUPOL COPPS est devenue ces
dernières années une composante de
l’état de droit, la plupart des
bailleurs de fonds ont beaucoup de mal à
s'assurer que les équipements et les
formations proposées ne soient pas
utilisés pour réprimer des
manifestations légitimes.
Officiellement, les six services de
sécurité de l’AP emploient un total de
29 500 personnes en Cisjordanie. Mais
l’AP continue également de payer les
salaires de 36 500 personnes chargées de
la sécurité et qui sont inactives depuis
la prise de contrôle du Hamas en 2007.
Dans un tel contexte, la réforme du
secteur de la sécurité, au lieu d’être
une aide purement technique, se
transforme en véritable ‘exercice
politique’, comme l’a remarqué
l’organisation International Crisis
Group (spécialisée dans la prévention et
la résolution des conflits armés) dans
un rapport de 2010. C’est
particulièrement le cas compte tenu de
la faiblesse du contrôle de légalité des
différents services. En effet, le
Conseil législatif palestinien
(parlement) est en sommeil depuis 2007
et le président Abbas gouverne par
décrets.
Création d’emplois
Du fait de la conjoncture économique
morose en Cisjordanie, les services de
sécurité constituent l’une des rares
possibilités d’emploi pour les hommes
palestiniens n’ayant pas fait d’études
supérieures, et la pression politique
permet de déterminer qui seront les
heureux élus. Les affiliations
politiques continuent à jouer un rôle
majeur, et la plupart des services de
sécurité recrutent parmi les membres du
mouvement Fatah du président Abbas.
Néanmoins, il y a « une modification des
identités » comme l’a remarqué l’expert
en sécurité. « Il ne s’agit plus
seulement d’une milice du Fatah agissant
contre des opposants politiques. Les
miliciens sont aussi prêts à s’attaquer
à d’autres membres du Fatah, si
nécessaire. Nous assistons désormais un
curieux mélange où les services de
sécurité sont devenus beaucoup plus
professionnels et technocratiques, mais
où les intérêts personnels jouent un
rôle beaucoup plus grand ».
Les raisons qui motivent la réforme des
services de sécurité par les dirigeants
palestiniens sont doubles :
premièrement, il s’agit de reprendre le
contrôle des différentes milices
ennemies, et deuxièmement, d’écarter
tout argument sécuritaire que pourrait
avancer le gouvernement israélien dans
le but de reporter les négociations de
paix.
Cependant, les dirigeants palestiniens
ont réalisé que la communauté
internationale n’était pas en mesure de
remplir sa mission avec succès en ce qui
concerne les négociations de paix. Par
conséquent, la stratégie de l’AP semble
être de garder la situation actuelle
sous contrôle.
L’expert en sécurité s’interroge : « La
question essentielle est de savoir quel
impact peut avoir la réforme du secteur
de la sécurité dans ces circonstances.
Dans quelle mesure cette réforme
est-elle durable ? ».
*le nom a été changé
[Cet article ne reflète pas
nécessairement les vues des Nations
Unies]
Copyright © IRIN
2012. Tous droits réservés.
Publié le 10 juillet 2012 avec l'aimable
autorisation de l'IRIN
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