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IRIB
Tunisie: chroniques d'une
révolution maîtrisée
Noam
Chomsky
Mardi 2 août
2011
IRIB- Interrogé sur les révolutions en
Tunisie et en Egypte, Noam Chomsky, un
des plus grands philosophes et
intellectuels de notre époque, donne un
avis terriblement clair et déroutant: «
La CIA a tout intérêt à faire échouer
toute tentative de transition
démocratique dans le monde
arabo-musulman pour une raison toute
simple: la majeure partie des peuples de
la région considèrent les USA et leurs
alliés comme une menace contre leurs
intérêts.
Les US et leurs alliés ne veulent pas
faire émerger des gouvernements qui
défendent la volonté de leurs peuples.
Si une telle situation arrive, non
seulement les US perdraient leurs
hégémonie sur la région, mais ils seront
écartés définitivement ».
« Pour la Tunisie et l’Egypte, il existe
une stratégie, exécutée systématiquement
et avec minutie, qui ne demande pas
d’être un génie pour la déceler: lorsque
ton dictateur favori a des problèmes,
supporte-le au maximum, et ensuite
lorsque cela devient impossible
(conflits avec les hommes d’affaires ou
l’armée par exemple) alors envois-le
quelque part, et matraque la population
avec des discours ronflants sur la
démocratie et la liberté, et enfin
essaye de restaurer l’ancien régime,
peut-être avec de nouvelles têtes ». Et
Chomsky de continuer « La même stratégie
a été appliquée avec Samoza au
Nicaragua, Le Chah d’Iran, Marcus au
Philippines, Mobutu au Congo, Ceaucescu
en Roumanie, Sohartu en Indonésie… C’est
de la routine, et c’est exactement ce
qui se passe en Tunisie et en Egypte. »
Mais y a-t-il eu une révolution? Il y a
eu un complot contre Ben Ali au niveau
stratosphérique qui a permis de le «
dégager » du pouvoir, la CIA y a
contribué, les Français ont eu un wagon
de retard, c’est un fait. Le complot a
eu lieu au même moment que la ferveur
populaire a atteint son apogée. Le
peuple a poussé, et le « miracle » a eu
lieu. Bien entendu, Ben Ali et Leila,
les plus gros parasites qui ont saigné
la Tunisie et les Tunisiens pendant deux
décennies sont cuits, et pour longtemps.
Une révolution a bien eu lieu. Les plus
sceptiques diront que c’était juste une
« révolution de palais », une
redistribution partielle des pouvoirs et
des honneurs au niveau du gouvernement.
Fouad Mebazza, un ancien du régime, est
président par intérim. Deux
gouvernements Ghannouchi se sont
succédés et ont échoué sous la pression
de la rue, les sit-in Kasbah1 et Kasbah2
ont été incontestablement deux succès
populaires. Et puis vint Beji Caid
Sebssi, un vieux de la vieille,
paternaliste à la Bourguiba à son début,
fin stratège en coulisses. Il commença
par museler la puissante centrale
syndicale l’UGTT qui avait largement
contribué au niveau régional à prendre
le relais des mouvements populaires. En
coulisses, des « atraf » que personne ne
connait font et défont les nominations.
Un certain Kamel Ltaief a été désigné
comme l’homme de l’ombre. Il s’en est
défendu vigoureusement, Farhat Rajhi a
été mis au frigo. L’intérieur a été
remanié en partie, mais le commandement
a été donné à un ancien du régime,
membre du ex-RCD.
Parallèlement, une panoplie de partis
politiques est apparue, plus de 100 en
tout, on en connait très peu. Derrière
certains de ces partis, des anciens
faucons de l’ancien régime, des poids
lourds comme Friaa, Jgham et Morjane.
D’autre partis de la droite libérale,
comme Afek Tounes, ont réussi à se faire
entendre sur la scène politique, poussés
par de riches hommes d’affaires, son
image reflète la bourgeoisie tunisoise
en majeure partie, mais souffre d’une
posture trop élitiste donc peu
représentative des Tunisiens de
l’intérieur, jusque là les piliers du
mouvement populaire. Le PDP dérange,
trop proche du pouvoir par tradition, on
reprochera toujours à Chebbi sa position
trop laxiste face du discours de Ben Ali
le 13 Janvier, il n’a pas pris assez de
risques au moment opportun, sans doute
une mauvaise lecture qui pèsera lourd
sur l’image de son parti.
La guerre en Lybie a boosté le commerce
dans les régions frontalières:
transferts de marchandise de toute
sorte, alimentaire pour la plupart, on
dit que des armes y passent également.
Des accords de coopération ont été
signés entre le ministère de l’intérieur
Tunisien, et le ministère de la défense
Français… Une coopération militaire a
lieu également. On dit aussi que de
courts séjours de formation de rebelles
libyens, notamment sur des
lance-missiles de fabrication Française,
sont organisés clandestinement dans le
sud Tunisien. Bien entendu, la France
s’en défend parce qu’officiellement,
l’OTAN n’est pas autorisé à intervenir
sur le terrain. D’un autre côté, et face
à la demande Libyenne, les prix de la
denrée alimentaire ont flambé. Le porte
monnaie du Tunisien moyen de ne peut
plus suivre. Avec l’arrivée du mois du
Ramadhan, très « néfaste » pour le-porte
monnaie du Tunisien moyen, le
gouvernement a marqué un point en
augmentant le salaire des fonctionnaires
et de certains secteurs du privé.
L’événement a été annoncé en fanfare
dans les médias de masse, on marque des
points importants.
Mais qu'en est –il du système électoral?
Le 23 Octobre aura lieu les élections de
l’assemblée constituante qui se chargera
de rédiger la nouvelle constitution. Le
mode de scrutin adopté (découpage en
circonscription, listes
proportionnelles, etc.) a été pensé de
façon à éliminer les indépendants du jeu
politique, et à minimiser les deltas
entre les partis. Cette manière de
procéder permettra d’avoir une assemblée
constituante « panachée », à savoir que
les sièges seront répartis d’une façon
quasi homogène entre tous les partis,
exception faite du parti Ennahdha qui,
même s’il réalise des scores faramineux,
son avantage au niveau du nombre de
sièges sera amoindri. Le parti islamiste
risque même de voir des coalitions
s’organiser contre lui, notamment de la
part des partis satellites du RCD et des
autres partis laïques proches du régime.
Bref, le gouvernement Sebssi durcit le
ton et le mouvement populaire
s’essouffle: le Tunisien est fatigué, il
veut en finir avec l’insécurité et
l’instabilité économique, il est plus
que jamais prêt à faire des concessions.
En face, l’appel a s’inscrire aux urnes
s’est fait par une campagne médiatique
massive. A quelques jours de la fin de
la deadline, sur plus de sept millions
d’électeurs, seulement un million et
demi se sont inscrits. La deadline ayant
été prolongée jusqu’au 14 août, ce
nombre s’accroitra sans aucun doute.
Reste la question centrale: s’inscrire
ou ne pas s’inscrire? Rentrer ou pas
dans le jeu du gouvernement? Faire
confiance ou pas aux partis? Chacun est
libre de son choix, après tout, c’est
bien cela ce que voulaient les
Tunisiens. La situation est encore
instable, bien malin celui qui saura le
dénouement exact de cette dure épreuve.
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Reçu de l'IRIB le 2 août 2011 pour
publication
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