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Impressions de Russie
Plios, une bourgade
hors du temps
Hugo Natowicz
© Hugo Natowicz
Lundi 10 janvier 2011
"Impressions de Russie" par Hugo Natowicz
Mon passage par Plios, bourgade à sept heures d’autobus de la
capitale russe, semble obéir à un hasard artistique. Peu avant
ma venue, j’avais visité à Moscou l’exposition organisée à
l'occasion des 150 ans de la naissance d'Isaak Levitan,
rassemblant des joyaux provenant de différents musées de Russie
mais aussi d’Israël et de Biélorussie.
Je fus frappé par la puissance de ses couleurs et l’absence
presque totale de personnages dans ses toiles. Levitan est un
artiste misanthrope, le paysage étant pour lui l’unique
protagoniste. Il est certainement l’un de ceux qui ont le mieux
capté la puissance de la nature de Russie. En observant les
toiles « Automne doré » ou « Au-dessus du repos éternel »,
auxquelles les restaurateurs ont donné une seconde vie, il
semblerait que l’artiste ait transposé, sans intermédiaire,
cette lumière russe si particulière sur la toile. Cette lumière
qui me semble être la source dans laquelle ont puisé les visions
d’artistes tels qu’Aïvazovski, Répine, ou encore Polenov.
Isaak Levitan est né en août 1860 en Lettonie, alors intégrée
à l’Empire russe, dans une famille juive. Fils d’un professeur
de français autodidacte, il déménage à Moscou avec sa famille
dans les années 1870 avant d’intégrer en 1873, dans le sillage
de son grand frère Avel-Leïb, l’Ecole de peinture, de sculpture
et d’architecture de la capitale. Il compte parmi ses
professeurs Pérov, mais aussi Polenov, qui lui transmettra le
virus du paysage.
La famille est si pauvre que l’Ecole exempte les frères de
frais de scolarité. En 1875, la mère de Levitan décède, le père
meurt du typhus deux ans plus tard, plongeant les deux frères et
leurs deux soeurs dans une situation critique. C’est peu après,
sous la tutelle d’Alexeï Savrassov qui avait remarqué son
talent, qu’interviennent les premiers succès: deux de ses toiles
sont exposées en mars 1877 et Levitan se voit décerner une
médaille de bronze ainsi qu’une bourse pour la poursuite de ses
études.
Suite à l’attentat contre le tsar Alexandre II en 1879, les
juifs sont expulsés de Moscou. En 1885, l’artiste achève
l’Ecole, mais la quitte sans diplôme, les experts estimant que
ses origines étaient mal vues dans un domaine artistique aussi
sacré que le paysagisme. Il devra se contenter du diplôme de «
professeur d’écriture », ironie du sort pour celui que beaucoup
considèrent comme un des plus grands peintres russes. Toujours
en 1885, alors qu’il réside non loin du village de Maksimovka,
il y rencontre Anton Tchékhov, avec lequel se nouera une amitié
indéfectible.
Pendant cette période, la situation matérielle de l'artiste
s'améliore. Mais sa santé, diminuée par les exils, la pauvreté,
et le décès de ses parents, s’aggrave. Un voyage en Crimée
viendra temporairement raffermir l’état d’un artiste décrit
comme mélancolique et dépressif. En 1887, Levitan réalise
un voyage sur la Volga, si chère à son professeur Savrassov. La
déception est au rendez-vous, la Volga pluvieuse lui donne
l’impression d’un fleuve « triste et morne ».
C’est un an plus tard qu’intervient l’illumination.
Accompagné de Sofia Kouvchinnikov, sa maîtresse pendant de
longues années, il s’arrête dans la bourgade de Plios. Comme
envoûté, il y restera tout l’été, avant d’y revenir les deux
saisons suivantes, la quittant avec regret par le dernier bateau
à l’automne. C’est une période féconde, dont sortiront plus de
200 travaux. « Levitan a rendu célèbre Plios, et vice-versa »,
aiment à rappeler les fiers habitants de cette bourgade d’un peu
plus de 2.500 habitants. Sur la rive de l'immense Volga, Isaak
Levitan retrouve la santé et la bonne humeur.
L’artiste devra par la suite faire face à de nombreuses
épreuves: nouvelle expulsion des juifs de Moscou en 1892,
rupture douloureuse avec Sofia Kouvchinnikov et brouille avec
Tchékhov. Levitan réalisera fin 1889-début 1890 un voyage en
France et en Italie d’où il reviendra influencé par
l’impressionnisme. Mais Plios a été le lieu de la deuxième
naissance du peintre. L'artiste, si intimement intégré à la
conscience artistique russe qu'il a donné naissance aux notions
de « paysage Levitan » et d’ « automne Levitan », mourra en
1900, d’une maladie cardiaque qui le tourmentait depuis de
longues années, à l’âge de 40 ans.
Outre la beauté de ses paysages et la sympathie de ses
habitants, on comprend aisément aujourd’hui où Plios va puiser
son charme. Il semble que cette petite ville ait été épargnée
par les tourments de l’histoire. Le fil reliant la Russie
actuelle à ses origines tsaristes, que les communistes ont tenté
de rompre aussi bien dans les mentalités dans l’architecture
urbaine, est intact. Ici, les maisons de marchands à un étage,
devenues rares à Moscou, n’ont pas été détruites, et les izbas
paisibles complètent cette impression d’unité et d’harmonie. La
continuité va d’ailleurs plus loin: comme en témoignent les
fouilles menées en ces lieux, Plios est un site de peuplement
millénaire, ce qu'illustre le Musée de la famille russe ancienne
(en plein air).
Qu’est-ce qui a mené « Isaak Ilitch », comme l’appellent
affectueusement les habitants de Plios, dans ce village perdu ?
Le hasard. Mais en mettant le pied ici, en ressentant la
tendresse des habitants et en admirant la lumière inimitable des
environs, on comprend ce qui l’a retenu. Une énergie
particulière qui fascine et repose. Un charme qui attira
également des personnalités telles que Répine et le chanteur
Fédor Chaliapine, et qui continue d’opérer : le Français André
Magnenan, ancien correspondant de l’agence russe Tass à Paris, y
a ouvert une maison d’hôtes.
Rien d’étonnant si cette petite ville, qui puise son identité
dans l’histoire la plus ancienne, garde son attrait intact au
XXIe siècle.
© 2010 RIA Novosti
Publié le 13 janvier 2011
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