Egypte
Salafistes vs
Frères musulmans
Hicham
Mourad
Mercredi 20 février
2013 L’exacerbation
de la tension entre les différents
protagonistes de la scène politique en
Egypte a commencé à produire des
phénomènes jusque-là inobservés. Le
premier desquels est le remodelage de
l’échiquier politique entre majorité et
opposition. Jusqu’à récemment, la
majorité était composée de partis
islamistes (Frères musulmans et
salafistes, toutes tendances confondues)
alors que l’opposition était presque
exclusivement libérale. La situation
semble cependant évoluer vers plus de
complication de la scène politique, avec
l’entrecroisement de plusieurs lignes de
division politique. Le premier, et
plus important symptôme, de cette
évolution de la scène politique concerne
le repositionnement du parti d’Al-Nour,
la principale formation salafiste
d’Egypte (25 % des sièges de la Chambre
basse du Parlement, dissoute mi-juin).
Al-Nour s’est joint à
l’opposition libérale pour réclamer des
concessions politiques au pouvoir, tenu
par les Frères musulmans. Le 30 janvier,
le parti a annoncé conjointement avec le
Front National du Salut (FNS), la plus
importante formation d’opposition
libérale, une initiative visant à mettre
un terme à la grave crise politique que
vit le pays, et à l’escalade de la
violence. Par cette initiative, la
formation salafiste s’est entièrement
rangée du côté des revendications de
l’opposition libérale. Elle a ainsi
épousé ses demandes de révocation du
gouvernement actuel et de formation d’un
gouvernement d’union nationale, où
seraient représentées les différentes
forces politiques, et de limogeage du
procureur général, illégalement nommé
par le président Mohamad Morsi, et son
remplacement par un autre qui serait
choisi par le Conseil suprême de la
magistrature, conformément à la loi.
L’initiative, qui comprend huit points,
demande aussi aux Frères musulmans de
cesser leurs tentatives de dominer les
institutions de l’Etat, en allusion à ce
qui est communément appelé la «
frérisation » de l’Etat, et leur
propension à dominer la vie politique.
Le porte-parole d’Al-Nour a
ainsi accusé les Frères musulmans de
vouloir « monopoliser » la vie
politique en Egypte.
Cette accusation remonte à loin.
Depuis la prestation de serment du
président Morsi, le 30 juin, Al-Nour
s’attendait à obtenir la part qu’il
estime lui revenir dans le pouvoir,
étant donné qu’il est la deuxième force
politique après le Parti Liberté et
Justice (PLJ), bras politique des Frères
musulmans. Il s’attendait aussi à ce
qu’il soit récompensé pour le soutien
qu’il avait apporté au candidat de la
confrérie au second tour de la
présidentielle. Or, il n’en était rien.
Le président a ignoré Al-Nour
dans le nouveau gouvernement, formé le
1er août, ainsi que dans la nomination
de certains gouverneurs. Le portefeuille
du ministre d’Etat aux Affaires de
l’environnement, proposé aux salafistes,
a été rejeté par Al-Nour, qui
espérait bien mieux. Seul le président
d’alors du parti, Emadeddine Abdel-Ghafour,
s’est vu attribuer le poste important de
vice-président pour les affaires du
dialogue sociétal. Deux autres
dirigeants d'Al-Nour ont été
nommés comme conseillers du président :
Bassam Al-Zarqa, pour les affaires
politiques, et Khaled Alam-Eddine, pour
l'environnement. Celui-ci a été limogé
dimanche dernier, 17 février, pour avoir
cherché, selon la présidence, à profiter
de sa position pour réaliser des gains
personnels, alors qu'Al-Zarqa a
démissionné le lendemain, 18 février,
par solidarité avec Alam-Eddine. Ce
dernier a accusé le président de l'avoir
révoqué pour des raisons politiques, en
allusion à des critiques qu'il avait
récemment adressées à la présidence et
au gouvernement.
Déjà, l’acceptation par Abdel-Ghafour
du poste de vice-président était
contestée par les parrains du parti, les
religieux de « l’Appel salafiste
», la plus importante organisation
salafiste d’Egypte, ainsi que par
plusieurs dirigeants d’Al-Nour,
qui invoquaient un conflit d’intérêts.
Cette question était parmi les raisons
qui ont incité Abdel-Ghafour à faire
dissidence, avec quelque 150 autres
membres d’Al-Nour, pour fonder
un nouveau parti salafiste, Al-Watan
(la patrie) début janvier. La
direction actuelle d’Al-Nour
accuse les Frères musulmans d’avoir
encouragé cette scission pour
l’affaiblir.
Le recentrage de l’opposition, avec
l’inattendue participation des
salafistes aux côtés des libéraux,
annonce une alliance de circonstance
contre un adversaire commun, les Frères
musulmans, que les deux protagonistes
cherchent à affaiblir. Les salafistes d’Al-Nour
s’efforcent ainsi de prendre leur
revanche contre ceux qui s’emploient à
les marginaliser et à les affaiblir,
malgré leur affinité. Certes, le PLJ et
Al-Nour, en tant que forces
islamistes, ont fait alliance contre les
forces libérales lors de la campagne
électorale des législatives de
novembre-décembre 2011. Ils ont
également fait cause commune sous la
coupole jusqu’à la dissolution de
l’Assemblée du peuple (chambre basse du
parlement) ainsi que dans l’assemblée
constituante qui a rédigé la nouvelle
Constitution controversée, ratifiée par
référendum populaire fin décembre. Mais
leur alliance est devenue de plus en
plus difficile, en raison des tendances
hégémoniques des Frères musulmans, qui
ont largement désappointé les
salafistes. Leurs relations n’étaient et
ne sont jamais dénuées de concurrence
entre deux forces politiques qui jouent
sur le même terrain islamiste. Les
salafistes se voient les vrais
islamistes puritains sans compromission,
contrairement aux Frères musulmans
qu’ils jugent laxistes aux politiques
politiciennes. Ce trait des salafistes
d’Al-Nour ne devrait pas leur
permettre d’aller loin dans leur
alliance contre nature avec les
libéraux. L’une des dispositions de leur
initiative commune porte sur
l’amendement des articles controversés
de la nouvelle Constitution. Or, pour
les libéraux, le refus de ces
dispositions tient justement aux
restrictions aux libertés fondamentales
et au caractère religieux de l’Etat,
insérés par les islamistes au texte et
auxquels tiennent fermement les
salafistes. Plus généralement, les
salafistes et les libéraux portent des
visions de la société et de l’Etat
diamétralement opposées.
La manoeuvre d’Al-Nour de
faire alliance, même de circonstance,
avec les libéraux, tend à acculer le
pouvoir à faire des concessions. La
formation d’un gouvernement d’union
nationale est dans ce sens destinée à
empêcher le PLJ de profiter d’une
éventuelle impartialité des autorités en
sa faveur lors des prochaines
législatives, attendues en avril ou mai
prochains. Le stratagème est toutefois
risqué. Certains partis et personnalités
islamistes ont critiqué l’attitude d’Al-Nour
de faire cause commune avec les «
laïcs » du FNS pour des
objectifs qualifiés d’opportunistes. Ce
qui risque de se retourner contre le
parti. Le pari d’Al-Nour est de
profiter du discrédit dont souffrent les
Frères musulmans auprès de l’électorat
pour gagner plus de sièges lors de la
prochaine échéance électorale. Mais
c’est sans prendre en considération la
recomposition de la scène salafiste en
Egypte, qui risque de compromettre ce
dessein. Lors des dernières
législatives, Al-Nour
s’accaparait le soutien des principaux
cheikhs salafistes. Aujourd’hui, il doit
faire face à l’apparition de nouvelles
formations salafistes et à l’éventuelle
division entre les prédicateurs
soutenant telle ou telle formation.
Outre la formation dissidente d’Al-Watan,
le prêcheur salafiste controversé, mais
très populaire, Hazem Salah Abou-Ismaïl,
ancien candidat disqualifié à la
présidentielle, devrait créer son propre
parti à l’approche des législatives. Il
a d’ores et déjà annoncé son alliance
électorale avec Al-Watan. Cette
multiplication des partis salafistes
risque de désorienter et de rendre
confus leurs électeurs potentiels au
profit, peut-être, des Frères musulmans,
qui restent, eux, unis.
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reproduction et de diffusion réservés. ©
AL-AHRAM Hebdo
Publié le
21 février 2013 avec l'aimable
autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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