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In London Review Of Books

La grande arnaque du ‘processus de paix’ au Moyen-Orient
Henry Siegman*

In London Review Of Books, vol. 29, n° 16, 16 août 2007
http://www.lrb.co.uk/v29/n16/sieg01_.html
LRB | Vol. 29 No. 16 dated 16 August 2007 | Henry Siegman

Lorsqu’Ehud Olmert et George Deubeuliou Bush se rencontrèrent, à la Maison Blanche, en juin de cette année, ils tirèrent la conclusion que l’éviction violente du Fatah de la bande de Gaza par le Hamas – qui mit fin au gouvernement palestinien d’union nationale goupillé par les Saoudiens à la Mecque, au mois de mars – venait de donner au monde une nouvelle « fenêtre d’opportunité » *. (Jamais un processus de paix calamiteux n’avait jusqu’ici bénéficié de si nombreuses fenêtres d’opportunité !). L’isolement du Hamas dans Gaza, pensèrent ensemble Olmert et Bush, leur permettrait d’accorder des concessions généreuses au président palestinien Mahmoud Abbas, ce qui lui aurait donné la crédibilité dont il avait bien besoin auprès du peuple palestinien pour s’imposer au Hamas.

Tant Bush qu’Olmert ont été intarissables sur leur engagement en matière de solution à deux Etats pour le conflit israélo-palestinien, mais c’est leur détermination à en finir avec le Hamas, plutôt que celle d’édifier un Etat palestinien, qui anime leur enthousiasme tout neuf à donner une bonne image d’Abbas. C’est la raison pour laquelle leur espoir que le Hamas finisse par perdre est totalement illusoire. Les modérés palestiniens ne prévaudront jamais sur les Palestiniens considérés extrémistes, dès lors que ce qui définit la modération, chez Olmert, c’est l’approbation par les Palestiniens du démembrement par Israël de leur propre territoire. A la fin des fins, ce qu’Olmert et son gouvernement sont prêts à offrir aux Palestiniens sera rejeté non moins par Abbas lui-même que par le Hamas, et cela ne fera que confirmer aux yeux des Palestiniens la futilité de la modération d’Abbas, et justifier le rejet de cette modération fatale par le Hamas. Tout aussi illusoires sont les expectatives de Bush concernant ce qui sera apporté par la conférence qu’il a récemment annoncée pour l’automne (conférence qui vient d’être ramenée à une simple « réunion », sans plus). A ses yeux, toutes les initiatives de paix précédentes ont échoué, dans une large mesure, sinon exclusivement, parce que les Palestiniens n’auraient pas été prêts à prendre en charge un Etat qui leur fût propre. Cette réunion, par conséquent, se concentrera étroitement à l’édification d’institutions palestiniennes et aux réformes attendues dans leur gouvernance, sous la tutelle de Tony Blair, nouvellement nommé envoyé spécial du Quartette…

En réalité, toutes les initiatives de paix précédentes n’ont abouti à rien, pour une raison que ni Bush, ni l’Union européenne n’ont eu le courage de reconnaître. Cette raison, c’est le consensus réalisé depuis fort longtemps par les élites décisionnaires en Israël, sur le fait qu’Israël ne permettra jamais l’émergence d’un Etat palestinien qui remît en cause son contrôle effectif, tant militaire qu’économique, sur la Cisjordanie. A n’en pas douter, Israël est prêt à permettre – que dis-je, il insistera sur – la création d’un certain nombre d’enclaves isolées, que les Palestiniens pourraient toujours appeler « Etat », si ça leur chante, mais à seule fin d’empêcher la création d’un Etat binational, dans lequel les Palestiniens seraient démographiquement majoritaires.

Le processus (dit) de paix au Moyen-Orient risque fort de devenir la couillonnade la plus spectaculaire de toute l’histoire de la diplomatie moderne. Depuis le flop du sommet de Camp David, en 2000, et même en réalité, bien avant ce sommet calamiteux, l’intérêt d’Israël dans un quelconque processus de paix – mis à part celui d’obtenir des Palestiniens et du concert des nations une acceptation du statu quo – n’est qu’une fiction qui a essentiellement servi à fournir une couverture à sa confiscation systématique de territoires palestiniens et à une occupation dont l’objectif, d’après l’ancien chef d’état major de l’armée israélienne, Moshe Ya’alon, est de « faire rentrer profondément dans la conscience des Palestiniens qu’ils sont un peuple vaincu ». Par son adoption sans enthousiasme des accords d’Oslo, et par son dégoût pour les colons, Yitzhak Rabin a sans doute été l’exception qui confirme la règle, mais même lui n’a jamais envisagé une restitution de territoire palestinien allant au-delà du plan dit Allon, qui permettait à Israël de conserver la vallée du Jourdain ainsi que d’autres parties de la Cisjordanie.

Quiconque connaît un tant soit peu les confiscations incessantes de territoire palestinien par Israël – fondées sur un plan imaginé, supervisé et mis en œuvre par Ariel Sharon – sait bien que l’objectif de son entreprise de colonisation en Cisjordanie est d’ores et déjà en grande partie atteint. Gaza, dont l’évacuation des colonies a été si naïvement saluée par la communauté internationale qui s’est plu à y voir la geste héroïque d’un homme tout récemment converti à une paix honorable avec les Palestiniens, n’était que la première création de toute une série de bantoustans palestiniens. La situation à Gaza nous donne une idée de ce dont auront l’air ces bantoustans au cas où leurs habitants ne se comporteraient pas conformément aux desiderata d’Israël. C’est, précisément, l’engagement hypocrite d’Israël dans un soi-disant processus de paix et une solution à deux Etats qui a rendu possible son occupation à durée indéterminée et son démembrement du territoire palestinien.

Et le Quartette – l’Union européenne, le secrétaire général de l’Onu et la Russie suivant avec obéissance la ligne de Washington- a trempé dans cette tromperie, lui accordant une couverture en acceptant le prétexte invoqué par Israël qu’il n’aurait pas été en mesure de trouver un partenaire de paix palestinien méritant.

Un an, tout juste, après la guerre de 1967, Moshe Dayan, un ancien chef d’état major de l’armée israélienne qui était, à l’époque, ministre de la Défense, interrogé sur ses projets pour le futur, répondit qu’il s’agissait « de la réalité présente dans les territoires ». « Le projet », avait-il dit, « est en train d’être mis en œuvre, sous la forme de faits accomplis. Ce qui existe aujourd’hui doit demeurer un arrangement permanent au Moyen-Orient. » Dix ans plus tard, lors d’une conférence à Tel-Aviv, le même Dayan déclara : « La question n’est pas de savoir « Quelle est la solution ? », mais « Comment pouvons-nous vivre sans solution ? » ». Geoffrey Aronson, qui a surveillé l’entreprise de colonisation depuis le début, résume ainsi qu’il suit la situation :

Vivre sans solution, à l’époque comme de nos jours, c’était compris par Israël comme la clé permettant de maximiser les bénéfices de la conquête, tout en minimisant les charges et les dangers d’un retrait, comme ceux d’une annexion formelle. Ce pari sur le statu quo, toutefois, masquait un programme d’expansion, que des générations successives de dirigeants israéliens ont soutenu, car elle permettait, à leurs yeux, la transformation dynamique des territoires et l’extension d’une souveraineté israélienne effective jusqu’au Jourdain.

Au cours d’une interview accordée au quotidien israélien Ha’aretz, en 2004, Dov Weissglas, chef de cabinet d’Ariel Sharon, Premier ministre à l’époque, présenta l’objectif stratégique de la diplomatie sharonienne comme consistant à garantir du soutien de la Maison Blanche et du Congrès américain à des mesures israéliennes susceptibles de mettre tant le processus de paix que l’Etat palestinien « dans le formol ». C’était là une métaphore diaboliquement adéquate : en effet, le formaldéhyde a pour principal intérêt d’empêcher les corps morts de se détérioré, allant jusqu’à créer, parfois, l’illusion qu’ils seraient encore en vie. Weissglas explique que l’objet du retrait unilatéral de Gaza et du démantèlement de plusieurs colonies isolées en Cisjordanie, était de conquérir l’acceptation de l’unilatéralisme israélien par les Etats-Unis, et non de créer un quelconque précédent en vue d’un éventuel retrait de Cisjordanie. Ces retraits partiels visaient à fournir à Israël l’espace politique lui permettant d’approfondir et d’élargir sa présence en Cisjordanie, et c’est effectivement ce qu’ils ont permis. Dans une lettre adressée à Sharon, Bush écrivait : « A la lumière des nouvelles réalités sur le terrain, y compris en ce qui concerne les grands centres de population israéliens, il serait irréaliste d’escompter que les négociations finales aient pour effet un retour total et complet aux lignes d’armistice de 1949. »

Dans une interview récemment publiée par Ha’aretz, James Wolfensohn, qui était représentant du Quartette au moment du désengagement unilatéral (israélien) de Gaza, déclara qu’Israël et les Etats-Unis avaient systématiquement sapé l’accord qu’il espérait obtenir, en 2005, entre Israël et l’Autorité palestinienne, et transformé, en revanche, Gaza en une immense prison. Le responsable de cet état de fait, déclara-t-il à Ha’aretz, c’était Elliott Abrams, vice-conseiller en matière de sécurité nationale des Etats-Unis. « Jusque dans les moindres détails, tous les aspects, sans exception, de l’accord sponsorisé par Wolfensohn, furent « abrogés ».

Une autre interview récente publiée par Ha’aretz, cette fois-ci de Haggai Alon, qui fut un conseiller important d’Amir Peretz au ministère de la Défense, est encore plus révélateur. Alon accuse l’armée israélienne (dont un nombre croissant d’officiers supérieurs sont eux-mêmes des colons) d’œuvrer clandestinement à la promotion des intérêts des colons. L’armée israélienne, dit Alon, ignore royalement les instructions de la Cour Suprême au sujet du tracé que doit suivre l’ainsi dite ‘muraille de sécurité’, choisissant, au contraire, un tracé rendant impossible la création d’un quelconque Etat palestinien ». Alon a déclaré à Ha’aretz qu’après que des hommes politiques israéliens eurent signé, en 2005, un accord avec les Palestiniens prévoyant d’alléger les restrictions imposées aux déplacements des Palestiniens dans les territoires (comme partie du marché auquel avait œuvré Wolfensohn), l’armée avait allégé les restrictions de déplacement imposées… aux colons ! Pour les Palestiniens, le nombre des barrages routiers doubla. D’après Alon, l’armée israélienne « est en train de mettre en œuvre une politique d’apartheid », qui vide Hébron de ses habitants arabes et judaïse (c’est le terme qu’il a employé lui-même) la vallée du Jourdain, tout en coopérant exclusivement avec les colons, dans la claire intention de rendre impossible toute solution basée sur deux Etats.

Une nouvelle carte de la Cisjordanie (de l’Onu), dressée par le Bureau pour la Coordination des Questions Humanitaires, donne une vision globale de la situation. L’infrastructure israélienne, civile et militaire, a exclu non moins de 40 % du territoire palestinien inaccessibles aux Palestiniens. Le reste du territoire palestinien [ce qualificatif, « palestinien », désigne, sous la plume de l’auteur, les territoires arabes confisqués à la suite de l’agression de l’entité sioniste, en juin 1967, et non pas, au sens propre, les territoires arabes (appelons-les palestiniens) usurpés par l’entité sioniste à la suite de son implantation par les stalino-américains, en 1948. ndt] Le reste du territoire, y compris des centres de population importants, tels les villes de Naplouse et de Jéricho, est éclaté en enclaves disjointes ; les mouvements entre ces enclaves-bantoustans sont entravés par quelque 450 barrages routiers et 70 checkpoints militaires. L’Onu a fait le constat que ce qui reste des territoires ‘palestiniens’ constitue une superficie très similaire à celle qui était jetée comme os à ronger à la population palestinienne, dans les propositions sécuritaires israéliennes consécutives à la guerre de 1967. Elle a également constaté que les changements en cours apportés à l’infrastructure desdits territoires – dont un réseau d’autoroutes contournant et isolant les villes palestiniennes – ne sauraient avoir d’autre but que celui de formaliser le saucissonnage de facto de la Cisjordanie.

Telles sont les réalités, sur le terrain, qu’un blabla non-informé et / ou cynique, à Jérusalem, Washington et Bruxelles, au sujet des attentes vis-à-vis des Palestiniens qu’ils réforment leurs institutions, démocratisent leur culture (sic !), démantèlent les « infrastructures terroristes » et mettent un terme à la violence et aux incitations à la violence en préalable à des négociations de paix cherche à faire oublier. Etant donné l’immense déséquilibre de pouvoir entre Israël et les Palestiniens – pour ne pas parler de la très large prépondérance du soutien diplomatique dont jouit Israël, précisément des pays dont on aurait attendu qu’ils compensent, diplomatiquement, le déséquilibre militaire criant – rien ne changera en mieux tant que les Etats-Unis, l’Union européenne et les autres actants internationaux ne regarderont pas en face quels sont depuis fort longtemps les obstacles fondamentaux à la paix.

Parmi ces obstacles, il y a l’assomption, implicite dans l’occupation israélienne, qu’à défaut de l’obtention d’un accord de paix, le « règlement par défaut » campé par la Résolution 242 du Conseil de Sécurité serait la poursuite sine die de l’occupation israélienne. Si cette lecture avait une once de vérité, cette résolution ne serait pas autre chose que l’invitation lancée à toute puissance occupante le désirant à conserver le territoire de son adversaire, tout simplement, en évitant soigneusement tous pourparlers de paix – ce qui est, à la lettre, ce qu’Israël est en train de faire. De fait, la déclaration préliminaire de la Résolution 242 dit qu’un territoire ne saurait être acquis par la force armée, ce qui implique qu’au cas où les parties au conflit ne parviennent pas à un accord, l’occupant doit se retirer jusqu'au rétablissement du statu quo ante : tel est, en toute logique, la véritable implication par défaut de la Résolution 242. Y eût-il eu une intention sincère, de la part d’Israël, de se retirer des territoires qu’il occupe, alors, assurément, quarante ans auraient été plus que suffisants pour parvenir à un accord.

Les récusations israéliennes consistent depuis longtemps à invoquer le fait qu’il n’existait pas d’Etat palestinien avant la guerre de juin 1967, et qu’il n’existe donc pas de frontière internationalement reconnue sur laquelle Israël puisse se retirer, la frontière antérieure au conflit n’étant rien de plus qu’une ligne d’armistice. De plus, étant donné que la 242 en appelle à une « paix juste et durable », qui permette « à tout pays dans la région de vivre en sécurité », Israël maintient qu’il doit être autorisé à modifier la ligne d’armistice, soit bilatéralement, soit à défaut unilatéralement, afin de la rendre sûre avant de mettre fin à l’occupation. C’est là un argument spécieux à plus d’un titre, mais principalement en raison du fait que la Résolution 181, de Partage de la Palestine, adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies en 1947, qui a établi la légitimité internationale de l’Etat juif, reconnaissait le territoire palestinien situé au-dehors des frontières du nouvel état comme le patrimoine légitime de la population arabe palestinienne, sur lequel celle-ci était fondée à créer son propre Etat, et cette résolution cartographiait les limites de ce territoire avec une très grande netteté. L’affirmation par la 181 du droit de la population arabe de Palestine à l’autodétermination nationale était fondée sur le droit normatif et sur les principes démocratiques garantissant une nationalité à la population majoritaire. (A l’époque, les Arabes représentaient les deux tiers de la population de la Palestine). Ce droit ne saurait s’évaporer au seul motif de retards apportés à sa mise en application.

Dans le cours d’une guerre lancée par des pays arabes cherchant à empêcher la mise en application de la résolution de partage de l’Onu, Israël a agrandi son territoire de 50 %. S’il est illégal d’acquérir du territoire en résultat d’une guerre, alors on ne saurait concevoir que la question posée aujourd’hui soit celle de savoir quelle superficie additionnelle de territoires palestiniens Israël serait-il fondé à confisqué, mais bien au contraire, quelle proportion des territoires palestiniens conquis durant la guerre de 1948 Israël est-il autorisé à conserver ! Si, à l’extrême rigueur, des « ajustements » doivent absolument être apportés à la ligne d’armistice de 1949, alors qu’ils soient opérés du côté israélien, et certainement pas du côté palestinien de ladite ligne !

A l’évidence, l’obstacle à la résolution du conflit israélo-palestinien n’a pas été un manque d’initiatives de paix, ou d’envoyés spéciaux de paix. Ce n’a pas non plus été la violence à laquelle les Palestiniens ont dû avoir recours dans leur combat pour se débarrasser de l’occupation israélienne, même lorsque cette violence a bassement pris pour cible la population civile israélienne. Ce n’est en aucune manière approuver l’assassinat de civils que d’observer qu’une telle violence finit par se produire, tôt ou tard, dans la plupart des situations où l’aspiration d’un peuple à son autodétermination est frustrée par une puissance occupante. De fait, le combat d’Israël lui-même en vue de son indépendance nationale n’a pas échappé à cette règle. D’après l’historien (israélien) Benny Morris, dans ce conflit, c’est l’Irgoun qui, le premier, prit pour cible des civils. Dans son ouvrage Righteous Victims, [Victimes. Histoire revisitée du conflit arabo-sioniste. Editions Complexe, 29,90 €uros, 20,93 €uros sur Numilog http://www.numilog.com/fiche_livre.asp?id_livre=7157&id_theme=&format=3&id_collec=&rubzone=STD ], Morris écrit que l’irruption du terrorisme arabe, en 1937, « déclencha une vague d’attentats à la bombe de l’Irgoun contre des foules et des autobus arabes, introduisant une dimension nouvelle dans le conflit. » Si, par le passé, des Arabes avaient « visé des voitures et des piétons, et éventuellement lancé une grenade ici ou là, tuant, souvent, ou blessant quelques badauds ou quelques passagers », désormais, « pour la première fois, des bombes puissantes étaient placées dans des centres arabes où évoluaient une foule de civils, et des dizaines de personnes furent ainsi assassinées ou mutilées de manière aveugle ». Morris note que « cette innovation ne tarda pas à trouver des Arabes pour l’imiter. »

Venant souligner la volonté israélienne de conserver les territoires occupés, il y a le fait que ce pays n’a jamais véritablement considéré que la Cisjordanie fût un territoire occupé, en dépit de son acceptation pro forma de cette désignation. Les Israéliens voient plutôt dans les territoires palestiniens un territoire « contesté », sur lequel ils ont des revendications non moins légitimes que celles des Palestiniens, quoi qu’en disent le droit international et les résolutions de l’Onu. C’est là une vision des choses qui fut rendue explicite pour la première fois par Sharon dans une tribune publiée en première page du New York Times le 9 juin 2002. L’utilisation des termes bibliques de Judée et Samarie pour désigner les territoires – des termes qui n’étaient jadis employés que par le seul Likoud, mais qui sont aujourd’hui ‘de rigueur’ [en français dans le texte, ndt] y compris chez les piliers du parti travailliste – reflète l’opinion unanime en Israël. Le fait que l’ancien Premier ministre Ehud Barak (aujourd’hui, ministre de la Défense d’Olmert) décrive sans cesse les propositions territoriales qu’il avait formulées lors du sommet de Camp David comme des preuves de la « générosité » d’Israël, et jamais comme une reconnaissance des droits des Palestiniens, n’est qu’un exemple supplémentaire de cette mentalité. De fait, l’entrée « droits des Palestiniens » semble inexistante dans le dictionnaire israélien.

Le problème n’est pas, contrairement à ce qu’affirment souvent les Israéliens, que les Palestiniens ne sachent pas faire de compromis (un autre ancien Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, s’était illustré en se plaignant du fait que « les Palestiniens ne savent que prendre, et Israël ne cesse de donner »). C’est là, en l’occurrence, une accusation parfaitement indécente, étant donné que ce sont les Palestiniens qui ont fait le plus gros du compromis allant loin s’il en fut, lorsque l’OLP reconnut de manière formelle la légitimité d’Israël à l’intérieur des frontières d’armistice de 1949. Par cette concession, les Palestiniens renonçaient à leur revendication portant sur plus de la moitié du territoire assigné à la population arabe par la résolution de partage de la Palestine adoptée par l’Onu. Cette concession extrême n’a jamais été portée à leur crédit, alors qu’ils l’avaient faite plusieurs années avant qu’Israël eut reconnu le droit des Palestiniens à une nationalité dans n’importe quelle partie de la Palestine. La notion selon laquelle de futurs ajustements de frontières pourraient être opérés au détriment des 22 % du territoire encore palestinien est profondément offensant à leur égard, on le comprendra aisément.

Néanmoins, au sommet de Camp David, les Palestiniens ont accepté des ajustements à la frontière antérieure à 1967, qui permettraient à de nombreux colons en Cisjordanie – environ 70 % d’entre eux – de rester à l’intérieur de l’Etat juif, pour peu que les Palestiniens se voient allouer des territoires comparables du côté israélien de la frontière. Barak a rejeté cette proposition. A n’en pas douter, par le passé, l’exigence par les Palestinien de leur droit au retour représentait un obstacle sérieux à tout accord de paix. Mais l’initiative de paix de la Ligue Arabe, en 2002, ne laisse aucun doute sur le fait que les Arabes accepteront un retour nominal et symbolique de réfugiés palestiniens en Israël, comme pays de résidence, ou dans d’autres pays prêts à les accueillir.

C’est l’incapacité de la communauté internationale de rejeter (sinon dans une rhétorique vide) la notion israélienne selon laquelle l’occupation et la création de « faits accomplis sur le terrain » pourrait se poursuivre indéfiniment, dès lors qu’il n’y a pas d’accord qui soit jugé acceptable par Israël, qui a fait échouer toutes les initiatives de paix jusqu’ici, ainsi que les efforts de tous les envoyés de paix, sans exception. Des initiatives futures sont vouées au même sort, si cette question fondamentale n’est pas réglée.

Pour une réelle avancée, ce qui est indispensable, c’est l’adoption, par le Conseil de Sécurité, d’une résolution affirmant ce qui suit : 1) des modifications ne peuvent être apportées à la situation antérieure à 1967 qu’à la condition expresse d’un accord entre les deux parties et que des mesures unilatérales ne sauraient se voir reconnues internationalement ; 2) la clause par défaut de la résolution 242, réitérée par la résolution 338 (résolution de cessez-le-feu après la guerre d’octobre 1973), consiste en le retour des forces d’occupation israéliennes à l’intérieur des frontières antérieures à la guerre de juin 1967 ; enfin, 3) si les parties ne parviennent pas à un accord dans les douze mois (la mise en application de ces accords prenant naturellement beaucoup plus de temps, la mise en application par défaut sera imposée par le Conseil de Sécurité. Celui-ci adoptera alors ses propres termes en vue d’une fin du conflit, et il se mettra d’accord sur une force internationale chargée de pénétrer dans les territoires occupés afin d’y établir l’état de droit, et d’y aider les Palestiniens à mettre sur pied leurs institutions, de garantir la sécurité d’Israël en empêchant toute action violente transfrontalière, et en surveillant et supervisant la mise en application des mesures assurant la fin du conflit.

Si les Etats-Unis et leurs alliés voulaient bien prendre une position suffisamment ferme pour faire comprendre à Israël qu’il ne saurait être autorisé à apporter le moindre changement à la situation prévalant antérieurement à 1967, sauf en cas d’accord avec les Palestiniens, dans le cadre de négociations sur le statut définitif, il ne serait nul besoin de formules de paix alambiquées ni de médiateurs pipoles pour remettre le processus de paix en marche. La seule chose qu’un émissaire de paix tel Blair puisse faire pour remettre le processus de paix sur les rails, c’est de dire la vérité en ce qui concerne les véritables obstacles à la paix. Cela serait par ailleurs une contribution historique à l’Etat juif, dès lors que le seul espoir que puisse nourrir Israël en matière de sécurité sur le long terme consiste à avoir un Etat palestinien viable à ses côtés.

Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier

Notes :

Voir par ailleurs, à la page 31 de ce même numéro, l’article de Rashid Khalidi consacré au Hamas et au Fatah.

Henry Siegman, directeur du US/ Middle East Project, a été doyen du Council on Foreign Relations de 1994 à 2006. Il a été, par ailleurs, directeur du Congrès Juif Américain, de 1978 à 1994.



Source et traduction : Marcel Charbonnier


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