Opinion
Fais gaffe mon
frère Tunisien !
Henri Diacono
Mercredi 7 novembre
2012
Les nations
gouvernées selon des préceptes
uniquement religieux se comptent sur les
doigts d'une seule main et enterrent à
tout jamais leurs peuples dans
l'ignorance.
Par
Henri Diacono*
Fais gaffe mon frère! Très gaffe même,
mon frère tunisien!
Une parenthèse tout d'abord. Pourquoi
«mon frère», cadet de
préférence?
Parce que, né en Tunisie, tout comme
mes père, grand-père et une multitude
d'ascendants (italiens et maltais)
recensés à partir de... 1753, avec une
tombe portant mon patronyme dans la
région de Sfax...
Parce que j'y ai poussé jusqu'à l'âge
de 23 ans, que j'ai donc vécu son
indépendance et que j'y suis revenu
vivre... et mourir (le plus tard
possible) voilà 16 ans, après avoir
bourlingué à travers le monde comme
journaliste, dans la peau d'un éternel
émigré solitaire...
Parce que donc, j'ai trois amours, la
France qui m'a offert sa culture ô
combien précieuse, l'Italie pour une
bonne partie de mes lointains gènes et
la Tunisie qui m'a inoculé sa
multiplicité avant de me façonner dans
la tolérance, tout comme elle l'a fait
pour la grande majorité des branches de
mon arbre généalogique...
La révolution
récupérée par ceux qui ne l'ont pas
faite
Alors donc, mon frère, fait gaffe.
L'Histoire de la planète est formelle.
Toutes les révolutions, ou presque
toutes, ont été récupérées par ceux...
qui ne l'avaient pas faite.
Quartier
italien de la Petite Sicile à la
Goulette. Tel est le
cas chez nous où il y a eu une révolte
plutôt qu'une révolution qui, elle,
nécessite d'être bien organisée derrière
des chefs. Voilà des mois que des hommes
ayant vécu ailleurs ou dans des prisons
essaient de récupérer à leur vil profit
les fruits de ta juste colère. Et que
d'autres rompus à tous les exercices et
intrigues qui constituent la «politique
politicienne» attendent leur tour.
Dénués de toute expérience de
dirigeant et même de simple citoyen, les
premiers tentent de remplacer la
république qui était tienne avant que la
dictature ne s'en empare, par un mal
plus profond, une sorte de cancer
dévastateur, celui qui est proche de
l'obscurantisme religieux. Le tout dans
la tartufferie la plus alambiquée et
avec la complicité d'hommes prêts à
toutes les bassesses et violences,
notamment celles des salafistes, des
voyous pour la plupart, afin de siéger
sur les strapontins du pouvoir
Le goût de
dominer la plèbe et de profiter d'elle
Or ces hommes feront tout pour
conserver ce pouvoir (pourtant encore
provisoire) auquel ils ont toujours
rêvé. Non pour «bonifier» leur pays et
faire évoluer son peuple, mais
uniquement pour satisfaire leur goût de
dominer la plèbe et de profiter d'elle,
jusqu'à la faire retourner aux temps les
plus anciens en se gardant bien de les y
accompagner, à l'instar de ceux qui les
conseillent et les financent, ailleurs,
à partir des déserts de la péninsule
arabique qui regorge de trésors à défaut
d'histoire culturelle.
As-tu remarqué que dans leurs
discours, pareils à ceux des califes,
rois et dictateurs d'antan et
d'aujourd'hui, comme des religieux de
toujours, ils utilisent à foison le «je»
et quelquefois le «nous» (en
référence aux fidèles qui les entourent
et les encensent)? Afin de bien faire
comprendre au peuple, invité à ne pas
protester, qu'ils détiennent eux seuls,
venue de l'au-delà, la science de régner
et donc commander en solitaire ou en
petit comité. En invoquant sans cesse
Allah selon la version du Livre qui leur
convient, dans une lecture d'ignorant
plutôt que celle d'un honnête homme qui
réfléchit comme l'a tant désiré le
Prophète.
Des
prêtres priant à la cathédrale de Tunis
en avril 2005. Et
c'est justement là que le bât blesse
chez ces personnages qui vont jusqu'à
demander à leurs ouailles de «bouffer du
laïc» cet attribut merveilleux que
Bourguiba a offert à la nation. Ils
ignorent totalement la nature profonde
des Tunisiens, dans leur grande majorité
sinon leur totalité. Au fil des
millénaires a été fabriqué dans leur
sang un mélange rare et précieux. Celui
des civilisations, donc de cultures,
parmi les plus grandes de l'Histoire,
qui, bien au-delà de l'antiquité, ont
traversé et nourri leurs terres, objets
de tant de convoitises.
Avant d'être
des Arabes, nous sommes...
méditerranéens
Ils ne savent pas, ces personnages,
que toi, comme moi et tous les autres
qui vivent dans ce pays, n'ont qu'un
très lointain rapport avec les bédouins
d'Arabie dont ils veulent que nous
épousions par la force leur mode de vie
d'un autre temps. Car avant d'être un
lointain parent de la famille des
Arabes, nous sommes... méditerranéens.
Et depuis longtemps, très longtemps
même.
Voilà notre véritable identité.
MEDITERANEENNE.
Musulmans certes, après avoir été
païens, juifs puis chrétiens
(souviens-toi de Saint Augustin), mais
frères de sang des Siciliens, Ibères,
Grecs, Crétois, Libyens, Hébreux,
Vénitiens, Phéniciens puis Carthaginois,
Romains, Etrusques, Normands mâtinés
d'Anglais, Francs, Vandales futurs
Allemands, Arabes de Damas et Bagdad,
puis Andalous, Maltais, Byzantins, des
Maures à la peau foncée, Ottomans donc
Turcs, Français mais surtout, surtout
BERBERES. Une race d'hommes issue de la
préhistoire (les Caspiens), dont la
présence, ici comme au nord de tout ce
qui allait devenir le Sahara,
remonterait à plus de 30.000 ans de
notre ère, et qui se serait mêlée aux
Ibères (Espagnols) et Siciliens entre
4000 et 2500 ans avant Jésus-Christ.
Sais-tu aussi, mon frère, que le nom
attribué à notre nation vient de celui
de la cité de Tunis (Tounés) qui lui
avait été donné par les Arabes à partir
de dialectes utilisés dans certaines
tribus berbères? Que celles-ci, fières
de leur culture, de leur indépendance et
leur langue, se sont toujours, ou
presque, associés aux nouveaux
envahisseurs de la Tunisie afin d'en
chasser les précédents?
Eclairer tous
ceux qui ont été bernés
Dès lors, pourquoi vouloir qu'un
peuple d'une telle richesse, si peu
belliqueux, réputé pour sa tolérance
légendaire et pratiquant sa religion
individuellement soit régenté par une
Constitution ou un Code Civil inspirés
en grande partie d'un royaume très
éloigné, âgé d'à peine 80 ans, croulant
sous l'or et dirigé selon des méthodes
en vigueur... au moyen-âge. Ou bien,
tout aussi ruisselant de pétrodollars,
le soit d'un émirat constitué en tant
que tel en 1971 et où les ancêtres des
quelques 300.000 autochtones, sur une
population actuelle d'un peu plus de
1.350.000 habitants, n'ont connu que les
Perses, Ottomans et Anglais?
Les
Tunisiens de confession juive craignent
pour leur avenir.
L'inexpérience de ceux qui te gouvernent
actuellement mon frère, mais aussi grâce
à ta vigilance et celle importante d'une
multitude de tes sœurs, admirables dans
leur attitude (n'oublie pas que le
matriarcat a toujours fleuri en
Méditerranée), voilà que des élections
très importantes qui devaient se tenir
en octobre ont été reportées au mois de
juin prochain. Celles-ci détermineront
l'avenir de notre pays.
Tu as donc aujourd'hui, tout comme
moi, le temps de courir les cités et les
campagnes pour apprendre à tous ceux qui
ont été bernés depuis qu'ils ont
retrouvé leur liberté ce qu'est
véritablement la démocratie, la liberté
et la justice.
Dis-leur et répète-leur, entre
autres, que la religion est affaire
individuelle, comme l'a toujours indiqué
le Prophète, et non pas affaire d'Etat.
Et que dans le monde moderne, les
nations gouvernées selon des préceptes
uniquement religieux, se comptent sur
les doigts d'une seule main et enterrent
à tout jamais leurs peuples dans
l'ignorance.
Vas y mon frère!
* Résident à Kélibia.
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© 2011 Kapitalis. Tous droits réservés
Publié le 7 novembre 2012 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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