Opinion
Hollande a trouvé
son chemin de Damas
Hedy
Belhassine
© JIM
WATSON / AFP
Mardi 3 septembre 2013
Paris veut infliger une correction
de quelques frappes au mauvais
élève. Il faut « punir Bachar » dit
François Hollande. La désignation du
vilain potache par son seul prénom
minimise la faute qui lui est
reprochée et elle grandit le pouvoir
supposé de l’instituteur donneur de
leçon. C’est également pour le
Président une façon de ne pas mettre
tous les œufs du poulailler El Assad dans
le même panier. L’oncle de Bachar,
un précurseur réducteur de Frères
musulmans à Hama en 1982, (38 000
morts quand même !) prospère depuis
trente ans à Paris, Londres
et Marbella. Il est aujourd’hui un
actif soutien à la coalition pour la
« libération » de son pays. Certes,
la boucherie en Syrie n’est pas
seulement la conséquence d’une
fâcherie au sein d’une illustre
famille hier encore saluée sur tapis
rouge par la communauté
internationale. Depuis Mitterrand,
tous les Présidents se sont prosternés devant
le maître de Damas.
François Hollande qui n’est pourtant
pas un sanguin s’est fâché calmement
avant de déclarer la guerre un peu
hâtivement. Il est conséquent avec
l’image que lui
renvoie le miroir des Français. La
posture d’indignée sied à la France,
gardienne de l’histoire de
la conscience humaine. Car cent
mille morts, ce n’est pas rien !
C’est beaucoup plus que le Kuwait,
le Kosovo et le Mali, c’est bien
moins que le Rwanda, le Congo, le
Soudan, l’Algérie, l’Irak,
la Bosnie…En matière de crime contre
l’humanité, le curseur
du numerus clausus varie selon le
lieu et le calendrier. Reste que
pour autant, nul n’est disposé à
partir se faire trouer la peau.
Le Président de la France et du Mali
libéré affiche sa
conception innovante de la morale
internationale. Son appel à la
croisade punitive a des accents de
charité chrétienne et de devoir
sacré d’ingérence qui sont loin
d’être partagés
par les fidèles français.
La géographie des alliances
religieuses offre une curieuse
représentation :
Agrégées autour de Bachar El Assad de
confession musulmane alaouite, les
familles chiites d’Iran, d’Irak et
du Liban font bloc; solidarité
confessionnelle unanime oblige. La
Russie orthodoxe est un allié
inconditionnel.
Rome et les Eglises d’Orient,
bienveillantes
avec Damas sont farouchement opposées
à toutes interventions étrangères. A
travers la Chambre des Communes,
l’église anglicane britannique s’est
exprimée dans l’abstinence.
Coté va-t-en-guerre :
les musulmans
wahhabites salafistes d’Arabie et
du Qatar, les juifs d’Israël
d’Amérique et de France, les
néoconservateurs évangélistes
américains et l’agnostique Président
Hollande. Il est probable que le
protestant Obama sera mis en
minorité par les catholiques du
Congrès.
Enfin, il y a la masse des autres
musulmans qui ne s’expriment pas ou
alors si bas qu’on ne les entend
pas. Et pour cause ! On oublie de
dire que les cent mille victimes de
la boucherie de Syrie sont presque
tous sunnites. Parmi elles, il y a
aussi quelques
jeunes Français,
des « malgré nous » sacrifiés d’une
communauté ignorée, avant-garde
perdue d’une illusoire expédition
punitive.
La croisade des « punisseurs » offre
un étrange assemblage confessionnel.
On y cherchera
en vain
des motivations humanitaires et
morales.
Les Etats ne sont pas philanthropes,
Hollande n’est pas à la tête
d’une ONG, il dirige un business en
récession. Nécessité fait loi. La
diplomatie française n’a plus les
moyens de jouer les modérateurs et
les bons offices, désormais on exige
qu’elle produise un retour immédiat
sur investissent. Et sur la Syrie,
Paris mise sur les dividendes de la
guerre.
L’alliance avec les Israélo-US est
conforme aux inclinaisons du pouvoir
parisien, mais la prise de position
radicale du Président Français démolit
la traditionnelle amitié
franco-russe.
Paris tourne le dos à Moscou et se
jette dans les bras de Riyad.
Le jeu en vaut-il la chandelle ?
L’Arabie Saoudite reste le premier
client de l’industrie d’armement
française mais ni Chirac,
ni Sarkozy n’avaient réussi à
colmater la calamiteuse gestion des
contrats d’Etat à Etat Sawari. A
peine un an après son élection, le
Président Hollande a fait sauter le
verrou du ressentiment. Les
Saoudiens viennent de commander pour un
milliard et des brouettes
d’infrastructures qui permettront
aux célèbres Frégates de caréner à Jeddah.
D’autres milliards vont suivre.
Paris se met à rêver au Rafale
argumentant que si Ryad s’en était
doté, ils auraient pu ensemble (avec
les Israéliens ?)
bombarder Damas sous cocarde
saoudienne. Ni vu ni connu, comme en
Iran au bon vieux temps de l’amitié
avec Saddam et sans demander l’avis
des américains !
L’Arabie est aussi un gros client
potentiel pour les « trois frères »
français de l’aménagement du
territoire. L’eau, les transports,
la construction mais aussi la grande
distribution, la pharmacie, le
pétrole etc. Tous les PDG du CAC 40
courtisent l’eldorado saoudien riche
d’un excédent annuel de cent
milliards de dollars.
Le Président Hollande, un HEC de
formation, connaît l’art et la
manière de séduire les cercles
d’affaires. En avril dernier il
réunissait à l’Elysée un parterre de
deux cents entrepreneurs saoudiens
cornaqués par des anciens de
l’INSEAD pour rappeler fort
opportunément que « la France
dispose d’une expertise unique au
monde en matière d’énergie
nucléaire ».
Bingo ! Dans quelques mois, l’Arabie
Saoudite lancera un appel d’offres
pour la construction de seize
réacteurs.
A ce prix, Riyad vaut bien une
messe et un retournement de François
sur le chemin de Damas !
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