Opinion
Pourquoi je suis
contre l'aide internationale à la Tunisie
Hassouna Mansouri
Lundi 30 mai 2011
Ce n’est certes pas par hasard que le Premier Ministre
tunisien (du gouvernement provisoire) s’est rendu en France pour
rencontrer Nicolas Sarkozy quelques jours seulement avant le G8
de Deauville. Cela faisait parti des préparatifs du sommet dont
l’une des décisions aura été l’octroie d’une aide de 14
milliards à la Tunisie et à l’Égypte pour financer le processus
de transition dans lequel les deux pays sont engagés. Or, cette
aide participe d’une politique internationale fondée sur le
mécanisme de la « dette odieuse » qui a toujours soutenu,
légitimé et renforcé les anciens régimes. Je suis donc contre
cette aide à la Tunisie …
- Parce qu’il me semble qu’il y a là une contradiction
insoutenable : le G8 ne veut pas changer sa politique à l’égard
de ces deux pays et revoir la logique de la dette
internationale, il ne peut donc aucunement être cohérent avec
lui-même et soutenir le changement que leurs populations
réclament ? . Le G8 n’a en effet jamais écouté les populations,
il a toujours prêté oreille seulement aux régimes corrompus tant
qu’ils servaient ses intérêts…
- Parce que tous les économes du monde entier le disent (et
on le sait depuis Thomas Sankara qui en a payé le prix de sa
vie) : la dette internationale est odieuse au sens où elle est
un handicap majeur pour tout développement durable des pays qui
la perçoivent alors qu’elle est supposée les aider à progresser.
C’est plutôt un investissement non équitable sous l’étiquette
risible de l’aide au développement ; on prend par une main
beaucoup plus que ce que l’on donne par l’autre..
- Parce qu’il est absurde de se montrer comme donateur au
moment même où on demande à la Tunisie de payer une tranche de
la dette contractée par l’ancien régime dont l’Occident
maintenant se dissocie comme s’il na jamais été son complice ou
qu’il ne l’a jamais soutenu tout en étant parfaitement à l’affut
de sa corruption. Cette tranche s’élève à 411 millions de
Dollars.
Selon quel bon sens alors demanderait-on à un pays, dont
l’économie est presque à genoux, de payer un tel montant alors
qu’on estime par ailleurs qu’il a besoin d’une aide financière
encore plus consistante pour pouvoir dépasser la période de
transition qui le mènera vers une nouvelle ère de démocratie et
de redressement économique.
- Parce que ceux qui négocient cette “aide”, en l’occurrence
le premier ministre tunisien, n’est pas élu, n’est pas choisi
suite à des élections démocratiques. Il est un reste de l’ancien
régime avec lequel les “ forces démocratiques” les plus
puissantes du monde, et donc les pays les plus riches de
l’Occident, avaient pactisé pour qu’il spolie les richesses du
peuple tunisien.
- Parce qu’il est d’une contradiction absurde que de
continuer à négocier avec un gouvernement qui pratique encore la
censure de la presse, les arrestations des manifestants, qui
refuse de traiter les dossiers de corruption impliquant les
responsables de l’ancien régime, qui continue à réprimer les
manifestations pacifiques par la violence à force de matraques
et de bombes lacrymogènes,…
- Parce que l’Occident choisit encore la politique de
l’autruche et préfère être sourd et aveugle.
Il refuse encore d’écouter la voix du peuple tunisien, il ne
veut pas encore être honnêtement conséquent ne serait-ce qu’avec
ce que ces propres rapports secrets lui disent sur la situation
réelle de ce peuple et préfère encore avoir affaire à une élite
politique rien que pour qu’elle assure une forme d’ordre qui lui
profite. Peu importe alors la jeunesse et ses aspirations. Peu
importe le développement réel. Peu importe ce pourquoi des
jeunes sont morts. Peu importe ce que la rue tunisienne dit au
sujet de ce gouvernement provisoire l’accusant de trahir et sa
confiance et ses aspirations révolutionnaires.
- Parce que ce qui compte au premier chef c’est d’arrêter le
flux de l’émigration et de l’émigration clandestine. Ce qui
compte c’est la cupidité des multinationales qui iront pomper
continument et impunément l’argent des pauvres comme des
sangs-sues.
- Parce la politique mondiale a les mains liées par le
pouvoir des multinationales et des lobbys.
Les gouvernements occidentaux ont des échéances électorales
et doivent avant tout penser à se faire financer leurs
compagnes. Parce qu’enfin de compte, chacun est condamné à
nettoyer devant chez soi et ce qui compte d’abord ce sont les
prochaines élections de chacun.
-Parce que ce qui compte c’est un pacte entre une politique
internationale au service des multinationales des pays les plus
puissants et une élite politique qui, soit volontairement, soit
par corruption, soit encore par nécessité, contrainte à jouer le
jeu du dispositif postcolonial et servir de simple outil pour le
compte d’un ordre international nécessairement foireux et
injuste.
- Parce qu’il est injuste que ce gouvernement français qui
accueille le G8 veut encore jouer le rôle du protecteur de ce
peuple tunisien. Ce même gouvernement a été surpris il n’y a pas
longtemps en flagrant délit de donner un nième coup de poignard
dans le dos des tunisiens en soutenant logistiquement le régime
policier à réprimer les manifestants dont plusieurs perdaient la
vie dans les rues tunisiennes. Et on croit réparer ce tort en
paraissant dans le rôle de celui qui défend la cause de ces
mêmes tunisiens auprès des créanciers qui, pire encore, ne
cherchent en fait qu’à enfoncer ce pays davantage dans une dette
dont il ne pourra jamais s’acquitter.
- Parce que la tutelle, on le sait depuis le protectorat de
1881 [1] qui légalisait la colonisation, n’a jamais servi sinon
le tuteur lui-même. Même avec l’ancien régime, le soutien était
faussement hypocrite parce qu’il ne s’est jamais appuyé sur des
volontés d’aide réelles mais sur des petits intérêts communs, et
même de petits calculs pas trop catholiques : les élites du Sud
s’enrichissaient sur le dos de leurs populations, celles du Nord
sur le dos de tous le monde. Les premières sont finalement
réduites au statut de petits vilains voleurs cachant les liasses
de devise dans les tiroirs secrets des bibliothèques dont ils ne
lisaient probablement pas les livres ; les autres se présentant
faussement comme les bienfaiteurs des peuples défavorisés et les
soutenants dans leurs soulèvements.
Mais je suis contre cette aide internationale à la Tunisie
surtout parce qu’il ne me parait pas aussi évident que la
Tunisie ait besoin, le moins que l’on puisse dire, d’une aide
qui plus est si malintentionnée :
- Parce qu’une simple opération de calcul montre à quel point
elle est ignoble, cette aide. Le G8 décide, «soit-disant
généreusement” de débloquer 14 milliards pour la Tunisie et
l’Egypte. Or, les biens des deux dictateurs déchus, Ben Ali et
Moubarak et leurs familles, se trouvant pour l’essentiel en
Europe, s’élèveraient à 50 milliards pour le premier et 70 pour
le second. Un élève de l’école de base n’aura pas a réfléchir
deux fois pour dire sans et hésitation que le compte n’y est
pas.
- Parce qu’avec les 411 millions que la Tunisie est tenue de
rembourser (chaque semestre s’il vous plait) à ces créanciers,
qui sont essentiellement la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire
International et la Banque Européenne, le peuple tunisien pourra
facilement redresser son économie au bout de deux ou trois
années pas plus. Ce n’est qu’un petit pays de 11 millions
d’habitants à peine.
- Parce que malgré cette dette injuste et malgré l’hémorragie
économique et financière qui était due à la corruption de son
élite politique, la Tunisie parvenait à un taux de développement
autour de 5/6% par ans [2]. Imaginons un moment qu’après la
révolution, ces deux fardeaux n’existent plus. Ce taux va tout
simplement tripler. Je ne suis certes pas un économiste mais
l’opération de calcul est encore une fois d’une évidence
aveuglante.
Notes:
[1] Date du début du protectorat français sur
la Tunisie.
[2] Presque le même taux que celui du Brésil ou de l’Inde.
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