Opinion
La Tunisie libérée
du joug d'un dictateur
Ginette Hess Skandrani
Mercredi 9 février 2011
La Tunisie
libérée du joug d’un dictateur … par sa jeunesse, les Nouzouhs
venus du Sud.
LA REVOLUTION POURRA-T-ELLE
ABOUTIR ?
Plusieurs de mes amis, opposants
tunisiens de la première heure ou soutien de cette opposition en
France m’ont demandé pourquoi je n’ai rien écrit sur cette
libération de la Tunisie alors que je n’arrêtais pas
de diffuser les textes d’analyse des uns et des autres sur la
situation de ce pays.
J’ai préféré attendre, suivre les
événements, essayer de comprendre, voir si cette révolte pouvait
continuer sans se faire récupérer comme cela est arrivé tant de
fois par le passé.
Cela fait douze ans que je ne peux
me rendre en Tunisie, Ben Ali m’en ayant interdit l’entrée à
cause de engagement concret contre le dictature, mon soutien aux
prisonniers politiques, ma dénonciation d'un régime corrompu,
mes actions publiques contre la banalisation de la répression
policière et de la torture.
CELA FAIT DOUZE ANS QUE JE DÉNONCE
LE SOUTIEN ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE DONT BÉNÉFICIE LE DICTATEUR
SOUS PRETEXTE QU’IL CONSTITUERAIT UN REMPART CONTRE
LA MONTÉE DE L’ISLAMISME ET PAR SES POSITIONS
DE SOUTIEN AU SIONISME comme en témoigne l' installation d'’ un
« Conseil économique israélien » sur l’avenue Bourguiba, alors
que l’encre de ces « accords d’Oslo » qui trahissaient
l’intifada, n’était pas encore séchée.
Ma fille Franco-tunisienne, ainsi
que ma petite fille qui avait tout juste onze ans, ont également
eu des problèmes lors de leur arrivée à l’aéroport et gardées au
commissariat afin d’être interrogées pendant plusieurs heures.
Mon ex-mari a été obligé de produire l’acte de divorce pour
pouvoir rentrer en Tunisie. La famille tunisienne, sur place a
également été soupçonnée à cause de mes engagements contre la
dictature tunisienne. Le pouvoir benaliste était d’une telle
férocité qu’il s’en prenait à toute la famille grande et petite
et également aux amis de tous ceux qui osaient le critiquer. Il
est vrai, qu’étant en France, je prenais moins de risque que la
famille qui était au pays. Mais fallait-il se taire pour autant
?
Nous étions peu nombreux, il y a
une quinzaine d’années, à soutenir les Tunisiens, à accueillir
les réfugiés, à essayer de comprendre comment ce pays qui
prétendait respirer l’hospitalité, la douceur de vivre, qui
vantait ses plages, son sable fin et son ciel bleu pouvait
traiter aussi férocement sa population.
Mes liens avec la Tunisie sont des liens très étroits
qui datent de mon mariage avec un Tunisien. J’ai été souvent
dans sa famille que j’ai toujours appréciée.
J’ai beaucoup aimé ce pays malgré
le fait que l’on ne pouvait s’exprimer ouvertement dans la rue ,
dans les cafés, ou le TGM, le train qui faisait le tour de la
baie de Tunis. Déjà sous Bourguiba les gens chuchotaient quand
ils critiquaient le gouvernement. Sous Ben Al, c’était encore
pire, ils attrapaient des torticolis à force de se retourner
dans tous les sens pour voir s’ils n’étaient pas écoutés. Ayant
été élevée librement en Alsace par des parents engagés
communistes et anticolonialistes, je n’avais pas l’habitude de
ce genre d’attitude et j’étais souvent mal à l’aise, sans
compter que je gênais mes interlocuteurs. Surtout que j’étais
très curieuse de nature et je que je posais plein de questions
sur l’organisation de la société, sur la politique du pays, sur
les liens avec les Palestiniens.
J’ai pris vite conscience que la
décolonisation ou la « déprotectoration » de
la Tunisie n’était pas terminée et que ce pays
dépendait toujours de
la France. J’ai vu également déferler cette
société de consommation occidentale au détriment des
consommations, productions, distributions locales. Le formica
devenait roi, ainsi que le pain industriel et le préfabriqué
dans une société qui avait des traditions ancestrales et surtout
communautaires. C’est cette solidarité familiale, de clan,
communautaire qui me plaisait le plus, vu que j’arrivais d’un
pays où l’individualisme, le matérialisme, la compétition,
l‘élimination des plus pauvres était roi.
J’ai été accueillie dans une
grande famille très ouverte et tolérante. Mes belles sœurs, dont
certaines portaient le hidjab, d’autres non, étaient très
ouvertes et discutaient de tout avec moi, y compris de leurs
relations de couple. Plusieurs membres de la famille étaient
pratiquants, d’autres se disaient laïcs. Les débats étaient très
intéressants. J’avais compris que certains se réfugiaient
également dans la pratique de l’islam pour échapper à cette
occidentalisation déferlante. J’avais également compris avant
l’heure que les accords de partenariat signés entre l’Europe et la Tunisie allaient achever la
petite paysannerie du sud, l’artisanat et la petite industrie et
détruire ce qui faisait la richesse de la société tunisienne :
son hospitalité et sa solidarité avec les plus pauvres.
La pauvreté du Sud est également
issue de ces accords coloniaux signés individuellement par
certains pays du Maghreb au détriment de leurs productions
locales. Au lieu de négocier groupés, les gouvernements ont
préféré aller chacun tout seul à la soupe. Une soupe qui se
révéla bientôt indigeste pour les peuples, surtout le peuple
tunisien. La révolte des jeunes contre la pauvreté, l’exclusion
et le manque d’avenir vient pour beaucoup de cette exploitation
européenne à travers les accords de « partenariat » coloniaux.
Lorsque j’avais compris, avec
l’arrivée au pouvoir de Ben Ali, qui avait d’abord suscité un
énorme espoir, vu ses promesses de changement, que
la Tunisie allait continuer à être traitée
comme une éternelle assistée par l’ancien « protecteur », j’ai
essayé de discuter. Mais comme ils étaient tous attirés par le
progrès, le consumérisme occidental et qu’ils voulaient tous
vivre comme des Français…j’ai compris que c’était trop tôt et
qu’il fallait attendre.
L’ensemble de la « gauche laïque
et démocratique » tunisienne soutint Ben Ali dès sa prise de
pouvoir, signant avec lui un « Pacte national ».
La motivation principale du putsch
médical pour virer Bourguiba avait été d’empêcher les islamistes
du mouvement Ennahda (la
Renaissance) d’arriver au pouvoir par une
révolution populaire. Ben Ali engagea une répression féroce et
efficace contre ces islamistes, soutenu dans cette opération par
la quasi-totalité de la « gauche laïque et démocratique » des
deux côtés de la méditerranée. Quelques avocats courageux
osèrent s'opposer. Les relais internationaux, en premier
lieu la Fédération internationale des
droits de l’homme ont pris position contre les tortures.
La répression était organisée avec
la bénédiction unanime de l’Occident démocratique saluant en lui
un « rempart de notre civilisation » contre l’islamisme
obscurantiste.
Une fois son « travail de
nettoyage » des islamistes achevé, Ben Ali s’occupa à son tour
de cette « gauche » timorée. Les uns furent réduits au silence
et à l’exil, d’autres furent achetés et ont rejoint le pouvoir.
Lorsqu’il y a eu les premières
répressions contre les opposants, arrestations des militants d’Ennahda
suivie par celle des groupes d’extrême gauche, des militants des
droits de l’homme, peu de gens ont bougé en France. Ils ont tous
cru le « Super menteur » qui prétendait empêcher l’islamisation
de la Tunisie
en se servant honteusement de la propagande des généraux
algériens responsables du putsch électoral sous le même
prétexte. Entre dictateurs, on se sert les coudes.
Lorsque j’ai commencé à dénoncer
les arrestations arbitraires, les interrogations dans les
ministères, les tortures dans les commissariats, le flicage de
la population… je me suis fait traiter de sous-marin des
islamistes par cette gauche conditionnée, y compris par LES
VERTS dont j'étais une des dirigeantes. (membre du CNIR)
Nous avons crée des comités, des
associations en soutien aux Tunisiens, toutes tendances
confondues, et lancé une campagne pour le respect des droits de
l’homme en Tunisie.
Nous avons organisé des
manifestations, des rassemblements, des conférences afin de
dénoncer la torture, les arrestations, tout en soutenant les
réfugiés tunisiens qui ont réussi à s’enfuir, souvent à travers
la Libye
et qui se sont regroupés dans une association « Solidarité
tunisienne ». Nous avons soutenu les grèves de la faim pour la
libération des prisonniers tunisiens.
J’ai également participé pendant
deux années à la rédaction du journal de l’opposition « L’Audace
» où je tenais une rubrique mensuelle sur les prisonniers. Je
réalisais également des interviews des femmes libérées de prison
tout en plaçant de temps en temps mes articles de soutien aux
Palestiniens.
Je n’ai jamais fait de différence,
contrairement à d’autres entre les laïcs et les religieux. Pour
moi, ils étaient tous Tunisiens et victimes de la dictature de
Ben Ali et de sa clique mafieuse.
J’ai été menacée par la police
secrète de Ben Ali à Belleville, agressée et surveillée
continuellement.
J’ai également programmé plusieurs
émissions sur « Radio Méditerranée », une des dernières radio
vraiment libre dont j'étais animatrice, en invitant des
opposants tunisiens afin de débattre de la dictature de Ben Ali
et de ses sbires.
Mes enfants et petits enfants
m’ont souvent reproché mon engagement contre le dictateur et ses
ramifications, car ils ne pouvaient plus aller en Tunisie. Ce
pays était également leur pays de par leur naissance. Ils
l’aimaient beaucoup ainsi que la famille qui était restée en
Tunisie.
* L'AVENIR D'UNE TUNISIE
DEMOCRATIQUE POUR L'ENSEMBLE DU PEUPLE TUNISIEN DANS TOUTE SA
DIVERSITÉ
Maintenant que les jeunes ont
libéré le pays et donné un coup de pied à Ben Ali ce voleur qui
a trouvé refuge au pays des intégristes, il faut espérer qu’ils
arriveront également à se débarrasser du système mafieux qu’il
avait tissé, de tous les agents officiels et secrets dont il
avait parsemé le pays, des mouchards, des indics de toutes
sortes et des faux-culs qui arpentaient les trottoirs comme des
prostitués, tout en surveillant tout le monde, y compris les
touristes.
Je me demande si une Tunisie
démocratique s’intégrant dans un futur Maghreb uni, se tournant
résolument vers l’Afrique tout en gardant ses racines
méditerranéennes sera réalisable?
* UN GOUVERNEMENT D'UNITÉ
NATIONALE POURRA-T-IL VOIR LE JOUR DEMAIN?
Lors des manifestations et
rassemblement pour
la Tunisie à
Paris, les militants tunisiens ne sont pas arrivés à faire des
cortèges unitaires. Il y avait d’un côté les associations
laïques, comme la FTCR ou la LTDH ou les syndicalistes de
l’UGTT qui nous reprochaient nos positions sur la décolonisation
de toute
la Palestine
et préféraient que nous ne défilions pas dans leur cortège. De
l’autre côté, les représentants d’Ennadha et de tous leurs
sympathisants, qui eux , nous accueillaient favorablement vu
qu’ils sont également antisionistes. Mes relations avec Ennadha
ont toujours été correctes, alors que je suis une « libre
penseuse » notoire. Je respecte les croyants, qui en principe me
le rendent bien. Je déteste également cette laïcité intégriste
s’attaquant en priorité aux musulmans et qui me rappelle trop
l’inquisition chrétienne qui voulait convertir tout le monde.
Maintenant que la majorité d’entre
eux ont retrouvé leurs passeports et sont retournés chez eux,
j’espère qu’ils arriveront à dialoguer entre eux et à
construire, DÉGAGÉS DU COCON FRANÇAIS
ET EUROPÉEN UNE IDENTITÉ TUNISIENNE plurielle et multiculturelle
pour laquelle ils se sont tous battus.
Le combat pour une démocratie à la
tunisienne, qui n’est pas celle des impérialistes et sionistes
occidentaux, une démocratie crée et discutée par l’ensemble du
peuple tunisien aura bien du mal à émerger.
Mais cette démocratie-là, initiée
par cette jeunesse dans la rue, concrétisée par les nombreuses
discussions et négociations entre toutes les tendances
politiques et sociales du pays finira par émerger.
J’ai toujours fait confiance au
peuple tunisien et je suis sûre qu’il finira par gagner sa
libération. Il a donné l’exemple à tous les peuples arabes dont
certains, comme l’Egypte et le Yémen, commencent déjà à suivre
son exemple. Il a également suscité beaucoup de réflexions chez
la jeunesse européenne qui pourrait bien prendre exemple de son
courage et de sa perspicacité.
Paris le 9 février 2011
Le dossier Tunisie
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