Opinion
Génocide arménien
: l'impossible pénalisation
Gilles Devers
Les oiseaux en cage ne peuvent pas
voler,
Luis Briceno (2000)
(L'Assemblée Nationale en plein
travail)
Mercredi 21 décembre
2011
Pénalisation de la « négation du
génocide »… Et c’est reparti pour un
tour. Le 4 mai dernier, ce n’est pas
vieux, le Sénat, avait renoncé à ce
projet insensé, et tout repart comme si
de rien quelques mois plus tard.
Techniquement, la base est la loi n°
2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la
reconnaissance du génocide arménien de
1915, qui ne comprend qu’un article 1 :
« La France reconnaît publiquement le
génocide arménien de 1915 ». Ses
promoteurs en sont très fiers, mais
cette loi est nulle. Je veux dire
qu’elle est juridiquement nulle.
Le monde politique peut s’exprimer de
maintes manières, et la loi est l’une
d’elles. Mais la « loi » dans une «
démocratie », ce n’est pas n’importe
quoi, contrairement à ce que montrent
nos tout petits députés, de Droite et de
Gauche. La loi, pour être valable, doit
être normative : elle doit fixer une
règle et définir une sanction.
Ceci montre la nullité de la loi
du 29 janvier 2001. La France reconnaît…
La France… L’Etat ? La nation ? Le
peuple ? Merci de préciser. L’Etat est
une personne morale, qui peut passer des
actes juridiques, ce qui ne peuvent
faire ni la nation, ni le peuple. Et
puis reconnaître une série de faits
historiques non jugés, c’est quoi ?
Quelle est la norme ? Pauvre loi qui
énonce une « reconnaissance », ce qui en
droit ne veut rien dire, et refuse de
fixer une sanction...
Non, pas de doute, cette loi est nulle.
Alors pourquoi ne pas l’avoir attaquée ?
Parce qu’il faudrait le pouvoir…
Lorsqu’une loi est sans force normative,
elle n'entre pas dans l’ordre juridique.
C’est un texte pour la stratosphère.
Pour la rendre sérieuse, il faut prévoir
les sanctions. C’est le projet actuel.
Dix ans après...
Il y a eu entre temps, maintes
propositions, et toutes sont tombées
devant cette évidence : une majorité de
députés allumés peut toujours voter un
texte, et l’appeler « loi », mais pour
autant, le texte reste du gaz s’il ne
répond pas aux critères d’une loi.
Entrons dans l’analyse juridique.
Première solution : on ajoute un article
2 à la « loi » du 29 janvier 2001.
De telle sorte, la loi deviendra
exécutoire. Mais rendez-vous est donné
aux premières procédures…
Le Conseil constitutionnel sera
saisi, et sera invoquée la jurisprudence
de la Cour Européenne des Droits de
l’Homme, avec deux motifs très forts :
-
La loi pénale doit répondre au principe
de légalité des infractions et donc, et
elle doit reposer sur des termes très
précis pour assurer la sécurité
juridique qui est inhérente à l’action
pénale. Or, le génocide arménien n’a pas
été établi par les tribunaux,
contrairement au génocide juif, qui l’a
été comme crime imputé à des personnes
par le tribunal de Nuremberg. Le fait
qui est censé être protégé par la loi
n’est pas juridiquement défini, et le
législateur n’a aucune compétence, au
regard du principe de la séparation des
pouvoirs, pour prononcer lui-même des
condamnations.
-
La loi pénale peut apporter des limites
à toutes les libertés, et notamment à la
liberté d’expression, mais elle doit le
faire en respectant les principes du
doit : ces limites doivent être
précises, absolument nécessaires pour
définir un but légitime, et strictement
proportionnées à la protection de ce
but. Or, il sera bien sûr impossible de
répondre à ce critère, dès lors que le
fait n’a pas été jugé, et que la
recherche des historiens ne peut être
que libre.
Et pourquoi ce particularisme ? Faut-il
à chaque génocide sa loi ? Le Cambodge
est entrain de juger des responsables
politiques pour génocide. On fera une
loi pour le génocide cambodgien ? Le
procureur de la CPI estime que le crime
de génocide a été commis au Soudan ? On
fait une quatrième loi pour le Soudan ?
L’esclavagisme a été, et dans plusieurs
pays, de nature génocidaire. Autant de
lois ? Un de ces incultes de députés
parle des génocides répertoriés par
l'ONU... L'ONU est sérieuse, à l'inverse
du parlement français, et elle ne s'est
jamais aventurée sur cette piste.
Enfin, si un additif est voté, c’est la
loi globalement qui sera attaquée, et ce
sera l’occasion de faire tomber cette
loi du 29 janvier 2001. Aussi, le
gouvernement turc a bien tort de
s’agiter… Votez la loi, chers petits
députés ; pénalisez la pensée, chers
petits députés ; devenez juges en
déclarant des culpabilités et des
crimes, chers petits députés. Et laissez
venir le premier procès, qui mettra à
bas toute votre construction infantile.
Deuxième solution : Sanctionner la
négation de tous les génocides
L'autre proposition serait de
sanctionner la négation de tous les
génocides. Je comprends donc que le
législateur va supprimer la loi Gayssot
du13
juillet 1990,
qui joue essentiellement comme un
renforcement de la chose jugée à
Nuremberg.
Ce qui reviendrait à dire que le
génocide des Juifs en Europe par les
nazis est un génocide parmi les autres,
sans plus. Ah bon. J’attends de voir les
analyses et les réactions.
Comme alternative, on laisserait la loi
Gayssot. Cette loi traiterait d’un cas
particulier, et on créait à côté un
régime général pour les autres
génocides, génocides dont personne n’est
en mesure de donner la liste. Quelle
cohérence ? Aucune force juridique.
Au delà de ces aberrations, qui
reprennent vigueur cycliquement à
l’approche des campagnes électorales,
reste l’insupportable prétention de ces
nullards de députés à vouloir imposer
une pensée légale et une pensée
illégale. Ils ont des nouilles à la
place du cerveau, ok, mais qu'ils ne
généralisent pas leur cas.
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