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Opinion
Égalité
Gilles Devers
Mercredi 19 janvier 2011
Demander la démission de MAM est idiot, car
le mal est bien plus profond : c’est la culture de l’inégalité,
qui doit tout à la volonté de domination, selon le modèle du
grand singe dominant.
Les déclarations de MAM à l’Assemblée Nationale le 11 janvier
sont lamentables. Déplorant les violences, elle proposait que
« le savoir-faire de nos forces de sécurité, qui est reconnu
dans le monde entier, permette de régler des situations
sécuritaires de ce type ». Donc, soutien à Ben Ali pour réprimer
son peuple. Alors bien sûr, quand trois jours plus tard, le
peuple a gagné et que MAM refuse l’arrivée de Ben Ali en France,
il y a de quoi se bidonner.
La démission de MAM, c’est non
Ce serait une manière trop simple de masquer l’essentiel.
L’UMP a applaudi les déclarations de MAM. Le PS a attendu tant
qu’il pouvait pour se résoudre à publier un communiqué mou comme
une chique, et dans l’après midi du vendredi, Delanoë Bertrand
saluait encore les mesures annoncées la veille par Ben Ali.
Faut-il aussi ressortir les photos de DSK décoré par ce régime
de crapules ? Hier, l’Elysée a annoncé refuser toute forme
d’autocritique, ce qui a le mérite de la clarté. Le meilleur a
été Juppé, cassant le débat en relevant qu’aucun gouvernement
n’a jamais pris ses distances avec le régime de Ben Ali.
Très important ce que dit Juppé : les dirigeants politiques,
français et européens, n’ont rien pigé à ce qui est arrivé.
J’ajoute : ils ne comprendront rien non plus à ce qui arrivera
demain, car ils sont dépassés. La révolution tunisienne est le
révélateur d’une évidence : ça devient trop compliqué pour eux.
Ils sont perdus pour une raison simple : ils ont dans la tête le
virus du colonialisme, intact. Ils veulent le bonheur des
autres, tel qu’ils le pensent. Ils restent incapables de
considérer un Arabe comme un
alter ego. Eh oui,
tout est là : l’égalité.
Egalité?
« L’égalité ? Oui, bien sûr, et j’en suis ardent partisan. Mais
vous comprenez, nous avons en nous tant de bienfaits de
civilisation, façonnés par notre histoire et nos plus grands
penseurs, que nous souhaitons juste en faire profiter ceux qui
n’ont pas eu cette chance. Je dirais même que c’est notre
devoir. Nous ne pouvons pas les priver de ce qu’offre notre
bonheur ».
Tu parles.
Pour parvenir à ses fins, s’imposer par la force est dépassé. Il
est plus efficace de s’embellir du drapeau de la vertu, et le
clan droit-de-l’hommiste est disponible pour assurer la
sous-traitance. Ce qui compte pour eux, c’est le monde tel
qu’ils le pensent, c’est-à-dire le monde tel qu’il assure les
intérêts de leur boss. Dernier avatar, parmi tant d’autres
exemples, l’offre de service des « 10 000 » avocats européens
pour défendre des Tunisiens, qui ne leur ont rien demandé.
L’Arabe est égal, tout simplement
Devant les évènements de Tunisie, toute notre classe dirigeante
– politique, économique, intellectuelle et juridique – est à la
ramasse, et elle fait semblant de pleurnicher, comme des parents
dépassés : « Nous n’avons pas compris les aspirations de la
jeunesse ».
Le mal est plus grave. Blindés dans leurs certitudes de perdants
peureux, ils n’ont rien compris du tout. Rien compris à la
jeunesse arabe, certes. Mais
idem pour les femmes,
qui obstinément, refusent les beaux habits que leur dessine
Badinter Elisabeth, et sa maison de couture NPNS. Rien compris
aux diplômés des universités, dont le CV est écarté dès la
lecture du nom patronymique. Rien compris aux travailleurs,
délocalisés de leur pays vers la France, ou de ceux qui
connaissent la survie économique par les entreprises françaises
délocalisées au bled. Rien compris non plus aux chibanis. Rien
compris à l’attachement à la religion. Rien.
Notre classe dirigeante s’est tellement excitée à l’idée de
chasser les 1000 femmes en burka ou les 300 fidèles qui prient
dans la rue qu’elle n’a rien vu de la société tunisienne, alors
qu’elle est omniprésente en Tunisie. Ils sont nuls.
L’Arabe est une femme ou un homme comme toi et moi
Gamine ou gamin, l’Arabe crée son identité et ses attachements,
inventant son avenir.
Et c'est universel. A quinze ans, un Palestinien, un Brésilien,
un Iranien, un Malaisien, un Tunisien, un Chilien, un Afghan, un
Coréen, un Algérien … tous cherchent à construire une vie de
liberté. Et ils vont plus vite que nos bien-pensants,
anesthésiés par le confort.
Construire sa vie, dans le rapport à autrui, respecter les
vertus profondes de l’égalité… C’est de Paul Eluard : « Il n'y a
pas de grandeur pour qui veut grandir. Il n'y a pas de modèle
pour qui cherche ce qu'il n'a jamais vu ».
Nous y sommes.
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