Actualités du droit
Des islamistes
radicaux ? Non, des touristes !
Gilles
Devers
Dimanche 8 avril
2012
Dans la belle région de Pau, deux frères
de 28 et 23 ans mènent leur petite vie
tranquille. Saad a son boulot, tout va
bien, et Farid était bien content lundi
d’avoir trouvé un job
via une agence d'intérim.
Mais un tremblement de terre les
attendait mercredi matin.
Saad raconte : « La porte de notre
domicile a été fracturée par une
quinzaine de policiers du GIGN, notre
père jeté à terre, mon frère et moi-même
menottés. »
Nous avons tous vu le plan d’attaque,
qui a été national : « Vague
d’arrestations chez les islamistes
radicaux », a chanté la chorale de la
presse, sous la direction de Guéant. Eh,
chers amis journalistes, vous avez
vérifié quoi, avant de reprendre ces
sornettes ? On colle les affiches de
Sarko ? Pas d’analyse critique ? En
droit, il faut quelques motifs pour
décider d’une garde-à-vue, non ?
Aujourd’hui, on sait tout du motif de
cette arrestation et de cette
garde-à-vue pour les deux frères de Pau.
Ils avaient effectués un séjour en Asie
! Et la police veille ! Ah ah ah… Ils
ont été interrogés pendant 24 heures sur
un voyage de 4 mois qu'ils avaient
effectué en Asie, et ils ont retracé
leur emploi du temps parce que Saad
avait tenu un joli carnet de voyage : «
Après avoir passé au crible notre emploi
du temps qui avait été retracé par mes
soins dans un carnet de voyage, le
parquet anti-terroriste a prolongé la
garde-à-vue pour nous interroger sur
notre culte ».
24 heures pour le carnet de voyage en
Asie et 13 heures sur la pratique
religieuse ! Du délire.
Je précise qu’il y a eu dix personnes
arrêtées, et que toutes ont été
relâchées sans aucune notification de
charge. Vous avez tous vu qu’on peut se
faire encabaner pour un « projet
intellectuel d’enlèvement »
(je ne dis rien de cette affaire, les
infos sont trop partielles), et là
pour ces dix personnes arrêtées on n’a
pas trouvé le moindre « projet
intellectuel » pour justifier même d’une
présentation au parquet.
Conclusions de cette lamentable affaire.
D’abord l’honneur bafoué de ces
personnes, clean au point que même au
scanner des plus suspicieuses
législations antiterroristes, on n’a
rien trouvé. Rien de rien de rien.
Mon confrère Thierry Sagardoytho, du
Barreau de Pau, a très bien réagi. Il
engage un recours en responsabilité
contre l’Etat : « Pour qu'une personne
soit mise en garde à vue, il faut qu'il
y ait des indices plausibles qui
laissent penser que cette personne a
commis ou tenté de commettre une
infraction. Or, aucun indice ne
permettait de penser que mes clients
étaient impliqués dans une affaire
délictuelle ». Dénonçant « une bavure
policière », il explique que ses clients
« ont été victimes d'une opération de
communication judiciaire qui consiste à
vendre la chasse aux islamistes à quinze
jours des élections présidentielles »,
avec une garde à vue « digne d'un
western ». Bien vu Thierry, la réplique
est parfaite. C’est une faute de l’Etat.
Mais c’est aussi l’illustration de la
misère des services du renseignement.
Résumons.
Dans l’affaire Merah, on a vu que les
services ne maîtrisaient rien. Un jeune
un peu en vrac, au casier noir comme un
corbeau, avec deux voyages en
Afghanistan et au Pakistan (et sans
doute d’autres) parvient alors qu’il ne
travaille que fort peu, à amasser du
fric et des armes. Lorsqu’une mère de
famille porte plainte parce que son fils
mineur a été séquestré chez ce jeune
pour, sous la menace
d’un sabre, se faire passer des
cassettes de guérilleros et de
supplices, la plainte reste sans suite.
Et quand le jeune commence à tuer, il
faut huit jours et une petite annonce
dans la presse pour qu’on se rappelle de
son existence.
Quelques jours après, on est allé
arrêter les gus de Forsane Alizza,… un
groupe archi connu, qui a même son site
internet.
Dernier épisode avec cette palinodie des
10 « islamistes radicaux », libérés
radicalement sans aucun grief.
Nos amis palois sont dans le bousin, car
un tel épisode laisse des traces. Je
leur adresse toutes mes amitiés. Mais
j’ai bien l’impression – si j’analyse
ces trois épisodes publics – que les
flics du renseignement sont tout autant
dans le bousin. Je leur adresse toutes
mes amitiés aussi, car chacun a compris
que si ça patauge à ce point, c’est que
ça vient de la hiérarchie.
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