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Opinion
Palestine :
respecter les faits et le droit
Gilles Devers
Richard Goldstone
Mardi 5 avril 2011
Le Goldstone du rapport Goldstone a un doute. La capacité à
douter, qualité du chercheur et du juriste, est une bonne chose.
Celui qui est péremptoire en tout et qui s’interdit de douter
est dangereux. Mais avec l’exploitation politique et médiatique,
le doute perd ses toutes ses qualités.
Annuler le rapport Goldstone !... Quel honneur pour ce rapport,
comme s’il s’agissait d’un jugement, prononçant des
condamnations. Non, gardons le calme, et replaçons ce rapport
dans la réalité des faits, et du droit.
Plomb durci
Plomb Durci,
c’est une opération de l’armée israélienne qui a lourdement
frappé la population qui vit à Gaza : 1 500 mots en moins de
quatre semaines. La première guerre dans laquelle on dénombre
plus d’enfants tués que de combattants.
Le monde entier a réagi : la puissance occupante – Gaza étant,
comme toute la Palestine, un territoire occupé depuis 1967 –
agressait la population occupée, qu’elle avait en toute
illégalité soumise à un blocus.
Plus d’un millier de victimes civiles,… et dans un monde
moderne, ce n’est ni à moi, ni à Goldstone, ni à qui que ce soit
de dire si la loi internationale a été violée et si des crimes
ont, ou non, été commis : c’est à la justice de le dire, selon
les règles que les humains se sont donnés.
La justice n’est pas la guerre, et celui qui n’a pas commis de
méfaits ne redoute pas la justice. Il lui apporte son concours,
pour défendre le droit.
La déclaration de compétence du gouvernement de Palestine
L’opération militaire israélienne sur Gaza a pris fin le 18
janvier 2009. Le 22 janvier 2009, le ministre de la justice de
Palestine remettait au procureur près la Cour Pénale
Internationale une déclaration de compétence. La Palestine n’a
pas ratifié le traité de la CPI. Cette déclaration d’attribution
de compétence est fondée sur l’article 12.3 du statut.
Ci-dessous, le compte rendu selon la CPI.
http://www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/979C2995-9D3A-4E0D-81...
Ici, la page de la Palestine sur le site du
bureau du procureur de la CPI.
http://www.icc-cpi.int/menus/icc/structure%20of%20the%20c...
La CPI est une juridiction indépendante.
Elle ne doit sa souveraineté qu’à la ratification par nombre
d’Etats du Traité de Rome de 1998.
Ici le statut :
http://www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/6A7E88C1-8A44-42F2-89...
Et là, la liste des Etats signataires (Ne
cherchez ni les US, ni la Chine, l’Inde, ni la Russie… Pour la
Turquie, c’est quand elle veut !)
http://www.icc-cpi.int/Menus/ASP/states+parties/
Le
Conseil des Droits de l’Homme
Deux mois après cette déclaration, le
Conseil des Droits de l’Homme, qui est une commission permanente
de l’Assemblée Générale de l’ONU a désigné une
fact finding mission,
à savoir une commission chargée, avant toute procédure, de dire
si des faits violant le droit international ont été commis. Je
précise que le Conseil des Droits de l’Homme est un organe
politique, dépourvu de compétence juridictionnelle, et qui n’a
aucun lien organique avec la CPI. En revanche, désigner une
mission de ce type, c’est son devoir premier.
C’est dans ce contexte qu’a été désigné non
Goldstone, mais la commission Goldstone :
-
Richard Goldstone, ancien juge à la Cour constitutionnelle d’Arique
du Sud, et ancien procureur près du Tribunal pour
l’Ex-Yougoslavie,
-
Christine Chinkin, professeur de droit international
à la « London School of
Economics and Political Science »,
-
Hina Jilani, de la Cour Suprême du Pakistan, chargée de
nombreuses missions au sein de l’ONU et membre de la commission
international d’enquête sur la Darfour,
-
le Colonel Desmond Travers, un ancien officier irlandais, membre
de l’équipe de direction l’Institute for International Criminal
Investigations.
La commission a conclu que des faits
relevant de la qualification de crime de guerre et de crime
contre l’humanité ont été vraisemblablement étécommis. Elle a
été vivement attaquée, et elle a toujours répondu à tout.
Goldstone fait cavalier seul
La semaine dernière, Goldstone se lâche
dans le Washington Post :
http://www.washingtonpost.com/opinions/reconsidering-the-...
Dès hier, Hina Jilani a répliqué :
http://www.middleeastmonitor.org.uk/resources/interviews/...
Que Goldstone ait soudain des doutes, plus
de deux ans après les faits, et au point de renier les
conclusions du rapport, surprend, pour le moins.
Depuis deux ans, les rapports se sont
multipliés, et tous dans le même sens. Entre autres, on peut
citer :
Le rapport dirigé par John Dugard
http://www.arableagueonline.org/las/picture_gallery/repor...
Celui d’Amnesty International
http://www.amnesty.org/en/gaza-crisis
Ou de Human Rights Watch
http://www.hrw.org/en/features/israel-gaza
S’il a un doute sur les faits, Goldstone
doit réunir la commission (Un travail collectif de 4
personnes) et demander de manière argumentée au Conseil des
droits de l’homme d’être redésigné pour un complément de
mission. Mais une tribune solitaire de quelques dizaines de
lignes dans le Washington
Post, ce n’est pas au niveau.
Surtout, le rapport n’est pas une pièce
judiciaire. C’est de l’ordre du renseignement général.
Heureusement, le droit pénal international s'affirme par les
jugements. Il ne dépend pas de tel au tel rapport, aussi bien
rédigé soit-il, mais en dehors de toute pièce d’accusation, de
tout droit de la défense et en dehors de contrôle
juridictionnel.
Alors qu’a fait l’ONU ?
Après bien de la peine, le Conseil de
Droits de l’Homme a homologué le rapport de la Commission
Goldstone, et a transmis le dossier à la maison-mère,
l’Assemblée Générale de l’ONU.
L’AG ONU a à son tour homologué le rapport Goldstone. Elle n’a
aucun lien avec la Cour Pénale Internationale. La seule instance
de l’ONU ayant un lien organique avec la CPI est le Conseil de
Sécurité. Par exemple, il a, avec la résolution 1970, saisi la
CPI de l’affaire libyenne,... sans attendre un quelconque
rapport Goldstone (Le
double standard, on connaît).
Pour ce qui est de Plomb
Durci, L’AG ONU a dit que de tels faits devaient être
jugés, sauf à donner une prime à l'impunité pénale. Elle a
évoqué la compétence de la CPI, mais elle a rappelé que la
justice internationale avait un caractère subsidiaire, et qu’il
fallait privilégier le jugement par les autorités locales,
Israël et la Palestine. C’est seulement en cas d’échec qu’il
faudra appeler aux services de la justice internationale.
Voici cette résolution 64/10 du 5 novembre
2009 de l’AG ONU :
http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N09/462/44/PDF...
Une analyse réitérée par la résolution
64/254 du 25 mars 2010 :
http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N09/477/08/PDF...
Cette résolution du 5 novembre 2009
est tout à fait essentielle.
D’abord, et quelles que soient ses qualités
ou ses défauts, le
rapport Goldstone n’est qu’un élément parmi les nombreuses
informations venues à la connaissance de l’AG ONU.
« Profondément préoccupée par les
informations relatives aux sérieuses violations des droits de
l’homme et aux graves infractions au droit international
humanitaire commises pendant les opérations militaires
israéliennes lancées dans la bande de Gaza le 27 décembre 2008,
notamment
celles qui figurent dans les conclusions de la Mission
d’établissement des faits et de la Commission d’enquête établie
par le Secrétaire général ».
Ensuite, et surtout,
lisez le point 4 :
l’AG ONU reconnaît à la Palestine la fonction juridictionnelle…
. Or cette question est essentielle, car elle anéantit les
critiques tombées sur la déclaration faite par le ministre de la
justice de la Palestine le 22 janvier 2009 à la CPI.
Que disaient ces critiques ? La Palestine n’est pas un Etat, n’a
pas de compétence juridictionnelle étatique et ne pouvait donner
compétence à la CPI.
Et que dit l’AG ONU ? Le gouvernement de Palestine a une
compétence juridictionnelle et doit chercher à l’exercer.
On lit :
« 4. Demande instamment,
conformément aux recommandations de la mission d’établissement
des faits, que la partie palestinienne procède dans les trois
mois à des
investigations indépendantes, crédibles et conformes aux normes
internationales,
sur les graves violations du droit international humanitaire et
du droit international des droits de l’homme qui ont été
signalées par la Mission d’établissement des faits,
afin que les
responsabilités soient établies et que justice
soit faite. »
L’argument essentiel opposé à la déclaration de compétence du 22
janvier 2009 tombe : La Palestine dispose de la compétence
juridictionnelle, et n'ayant pas des moyens matériels de
l’exercer, elle peut confier ce droit à la CPI, dans le cadre de
l’article 12.3 du statut.
Si on raisonne à partir du droit fondamental, historique, on
parvient à la même conclusion. La Palestine était une province
arabe de l’Empire Ottoman, comme les autres qui sont toutes
devenues des Etats indépendants : Egypte, Syrie, Irak Liban,
Jordanie… Lorsqu’après l’éclatement de l’Empire Ottoman, suite
à la première guerre mondiale, la Société des Nations (SDN) a
organisé un partage de la dette de l’Empire en proportion des
territoires des nouveaux Etats, la Palestine était considérée
comme l’un d’eux, à stricte égalité. Un Etat sous mandat de
gestion, comme les autres, car trop faible pour accéder sans
délai à l’indépendance, mais ce mandat ne remettait pas en cause
la souveraineté, qui est inaliénable.
En 1947, l’ONU a recommandé un plan de partage, mais elle ne
pouvait donner ce qui ne lui appartenait pas, la souveraineté du
peuple palestinien sur la Palestine. Seul le peuple palestinien
pourrait, par un référendum librement consenti, renoncer à sa
souveraineté. Il ne l’a jamais fait, et il reste titulaire du
titre, même s’il ne peut librement l’exercer.
Titulaire du titre, il peut en confier l’exercice à la CPI par
le jeu de l’article 12.3 du statut.
Qu’attend le procureur près la CPI ?
C’est la grande et la seule question. Le rapport Goldstone n’est
qu’un document. On attend la justice. Et il ne s’agit pas de
préjuger tel ou tel, car la présomption d’innocence est une
règle universelle. Il s’agit d’instruire des faits de nature
criminelle, au sens du statut, et de faire remonter l’enquête
vers les auteurs, qui disposeront de tous les droits de la
défense.
J’entends souvent : « Mais qu’attend le procureur pour ouvrir
l’enquête ? » La question est autre, car le procureur n’a pas le
droit d’ouvrir seul l’enquête. Ouvrir une enquête pénale
internationale est une responsabilité lourde, et son rôle est
plus limité.
Il existe deux cas dans lesquels le procureur près la CPI est
obligé d’ouvrir une enquête : s’il est saisi par le Conseil de
Sécurité (Cas du Soudan
ou de la Libye) ou par un Etat
(Cas pour le Congo,
l’Ouganda...).
Ici, la situation est différente.
La Palestine n’a pas ratifié le statut de la CPI, mais a
seulement donné compétence par le jeu de l’article 12.3, et un
regroupement de 350 ONG a dénoncé les faits survenus pendant
Plomb Durci.
Dans ce cadre, le procureur ne peut pas ouvrir l’enquête de
lui-même. Après une phase « d’analyse préliminaire », il doit
saisir une formation de la Cour, la chambre préliminaire, qui
seule a capacité de dire si l’affaire relève de la compétence de
la CPI et pour autoriser l’ouverture de l’enquête si les
informations générales paraissent sérieuses. Si après cette
enquête, autorisée par la chambre préliminaire et conduite par
le bureau du procureur, les faits ne font pas apparaitre de
charge, l’affaire bénéficie d’un non lieu. Si les griefs
apparaissent sérieux, ils sont notifiés aux parties concernées,
qui ont tout les moyens de défendre leurs droits.
* *
*
Que Richard Goldstone publie une tribune pour contester les
travaux de la commission qu’il a présidé, sans en parler aux
autres membres de cette commission et sans aviser l’organisme
qui a mandaté cette commission, c’est curieux. Du point de vue
du droit, c'est un épiphénomène.
Que le Procureur près la CPI, qui dispose de tous les éléments
d’informations, qui est saisi par une déclaration du ministre de
la Justice de Palestine, dont la compétence est reconnue par
l’AG ONU, reste plus de deux ans sans prendre de décision, alors
que son devoir statutaire est de saisir la chambre préliminaire
de la CPI, seule compétente pour autoriser une enquête, est
foncièrement anormal.
L'évolution de la Palestine de 1946 à 2005
La force armée contre le droit
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