Les
actualités du droit
Ban Ki-moon fait
une leçon de droit international à Obama
Gilles Devers
Mercredi 4 septembre 2013
Alors que Barack et François s’apprêtent
à mettre leur treillis pour punir
Bachar, Ban Ki-moon a rencontré la
presse au siège de l’ONU pour dire que
cette « punition » serait une grave
violation du droit international. Un
rappel de base, mais les bandits
internationaux se croient les plus
forts… Or, si les armes gagnent les
batailles, aucune victoire n’est durable
sans le droit. Toute l’histoire le
prouve.
1/ L’ONU est le gardien du droit
international
Si on parle de droit international, il
n’est pas de meilleure source que le
droit de l’ONU, et le respect du droit
s’apprécie de manière simple : par le
respect des textes.
Les Etats-Unis (Amérique du Nord)
peuvent-ils se revendiquer du droit
international ? Non, et pour une bonne
raison : ils n’acceptent aucun traité
contraignant. Ils refusent de ratifier
le protocole du Pacte de 1966 sur les
droits civils et politiques qui permet
aux personnes contestant leur jugement
de saisi le Comité des Droits de l’Homme
de l’ONU, le statut de la Cour
Interaméricaine des Droits de l’Homme,
et le statut de la Cour Pénale
Internationale.
Sur le plan technique, c’est ce refus de
la confrontation aux principes du droit
international qui est la cause de la
galère des détenus de Guantanamo : ils
n’ont de recours que devant le juge
national, la Cour suprême (bien
blanche), qui cautionne la violation
des droits et réinvente les principes du
droit pour un usage domestique. Un peu
comme si on supprimait la CEDH, cette
très efficace cour à laquelle se soumet
la Russie.
Aussi, désolé si ça fait déprimer les
fins penseurs du Monde (Occidental),
mais la Russie se place sous le contrôle
du droit international, et peut donc en
parler, alors que les Etats-Unis
refusent ce contrôle, qui conduirait à
des cascades de procès pour les
exactions commises.
Obama parle d’un « pays leader », qui
aurait donc plus de droit que les
autres, et qui pourrait notamment
agresser la Syrie pour la « punir ». Sur
cette affaire, Obama peut d’autant moins
se revendiquer du monde du droit qu’il
n’a pas les cuisses propres : on peut
lui rappeler des ravages de l’agent
orange au Vietnam. Les victimes
attendent toujours une indemnisation.
2/ Le seul processus valable, par l’ONU
Refus de la « punition »
Hier, Ban Ki-moon a demandé à Obama de
se calmer… en termes diplomatiques. Ban
ne veut protéger personne. Il explique
juste que l’utilisation massive d’armes
chimique est particulièrement grave, et
qu’il faut une enquête du plus haut
niveau.
Avant de partir pour Saint-Pétersbourg,
au Sommet du G20, il lancé un appel aux
membres du Conseil de sécurité, pour
« réfléchir à une réponse appropriée en
cas de vérification des allégations
d'utilisation d'armes chimiques ».
Réponse appropriée, ce n’est pas que les
bombes…
Ecoutons la diplomatique leçon : « Je
prends note de l'argument en faveur
d'une action pour prévenir de nouvelles
attaques à l'arme chimique. En même
temps, nous devons prendre en
considération l'impact que pourrait
avoir toute mesure punitive sur les
efforts en cours pour empêcher de
nouvelles effusions de sang et faciliter
la résolution politique du conflit. » Et
il a rappelé que toute décision doit
être prise dans le cadre prévu par la
Charte des Nations Unies : « L'usage de
la force est seulement légal en
situation de légitime défense,
conformément à l'article 51 de la Charte
et après approbation du Conseil de
sécurité ».
Respecter le travail, très complexe, des
enquêteurs
Ban n’est pas impressionné par les
preuves « certaines » que nous vendent
les marchands de mensonges que sont les
services secrets, et il demande que soit
respecté le travail des experts, dirigé
par le scientifique Åke Sellström.
Depuis samedi, l’équipe a préparé les
matériaux collectés en Syrie, et les
échantillons biomédicaux et
environnementaux seront transmis aux
laboratoires d'analyse demain.
Ban a demandé qu’on laisse le temps à
l'équipe de l'ONU de s'acquitter de son
mandat, notant qu'elle « est dans une
position unique pour établir de manière
objective et impartiale les faits et
conduire ses travaux dans le respect le
plus strict des normes internationales
pertinentes ».
Et attention : « Le mandat de cette
équipe est de déterminer si des armes
chimiques ont été utilisées ou non. Il
ne s'agit pas d'établir qui les a
utilisées contre qui. Nous n'avons pas
ce type de mandat à ce moment précis ».
Une fois les analyses des échantillons
terminées, un rapport sera communiqué
aux 193 États Membres des Nations Unies
et aux 15 membres du Conseil de
sécurité.
Si l’usage des armes chimiques est
avéré, il y aura alors une enquête, et
la Haute Représentante des Nations Unies
pour les affaires de désarmement, Angela
Kane, cherchera le meilleur cadre pour
faire toute la lumière et le proposera
aux Etats, qui décideront.
On est loin de l’abrupte « punition ».
Abrupte ? Non, criminelle.
3/ La « punition » est une agression,
soit une violation grave du droit
international
Ban n'invente rien : il rappelle les
bases du droit.
La justice tribale étatsunienne se
satisfait des exécutions sommaires.
Quand l’armée US est allée en terre
étrangère assassiner Ben-Laden dans son
sommeil, avant de le jeter en mer, Obama
a déclaré « Justice has been done », et
aucune enquête n’a été ouverte sur ce
crime revendiqué. On remplace le droit
et la justice par les armes, et on tue.
C’est la « punition » en mode mafia.
On retrouve exactement cette conception
avec l’idée « il faut punir Assad », à
savoir : Les Etats-Unis et le laquais
François vont lancer une opération de
guerre sur un Etat souverain, sans
mandat de l’ONU et hors du contexte de
la légitime défense. Simplifions : un
Etat en attaque un autre.
Ce fait est bien connu, et il est d’une
gravité exceptionnelle : il s’agit du
premier crime de droit international.
Selon les termes du Tribunal de
Nuremberg, « l’inculpation selon
laquelle les accusés auraient préparé et
poursuivi des guerres d’agression
(article 6 a) du statut)est
capitale. La guerre est un mal dont les
conséquences ne se limitent pas aux
seuls Etats belligérants, mais affectent
le monde tout entier. Déclencher une
guerre d’agression n’est donc pas
seulement un crime international : c’est
le crime international suprême, ne
différant des autres crimes de guerre
que du fait qu’il les contient tous »
(Jugement, p. 197).
Le crime de guerre ou le crime contre
l’humanité concernent les méthodes de la
guerre. Là, c’est le principe de
l’agression qui est en cause. En 1945,
on parlait de « crime contre la paix »
dont on s’accorde à dire qu’il
correspond de nos jours au crime
d’agression.
Dans le cadre du procès de Nuremberg, 11
personnes ont été condamnées pour ce
crime contre la paix, avec sept
condamnations à mort, trois peines
d’emprisonnement à vie et une peine de
15 ans. Le Tribunal Militaire de Tokyo
prononcera 24 condamnations pour ce
crime.
Depuis, le droit a précisé la notion.
4/ L’agression
reconnue comme un crime
Les Etats, sous l’égide de l’ONU, ont
poursuivi leurs efforts pour parvenir à
faire connaitre cette violation du droit
comme un crime, et cela s’est fait en
deux temps.
1974 : la résolution 3314 (XXIX)
Cette résolution du 14 décembre 1974,
ponctuant d’importants travaux, a adopté
le premier vrai régime de l'agression
demandant ( § 3) « à tous les Etats de
s'abstenir de tous actes d'agression et
autres emplois de la force contraires à
la Charte des Nations Unies et à la
Déclaration relative aux principes du
droit international touchant les
relations amicales et la coopération
entre les Etats conformément à la Charte
des Nations Unies ».
Rappelant que seul le Conseil de
sécurité, après avoir constaté une
menace contre la paix, peut autoriser le
recours à la force armée, la résolution
souligne que l'agression est la forme la
plus grave et la plus dangereuse de
l'emploi illicite de la force car elle
renferme, étant donné l'existence de
tous les types d'armes de destruction
massive, le risque d’extension des
conflits.
La résolution est claire : « le
territoire d'un Etat est inviolable » et
ne peut être l'objet « même
temporairement » de mesures de force
prises par un autre Etat.
Vient la définition : « L'agression est
l'emploi de la force armée par un Etat
contre la souveraineté, l'intégrité
territoriale ou l'indépendance politique
d'un autre Etat, ou de toute autre
manière incompatible avec la Charte des
Nations Unies »,
L’article 3 liste une série actes
qualifié d’agression, dont au § b) « le
bombardement, par les forces années d'un
Etat, du territoire d'un autre Etat, ou
l'emploi de toutes armes par un Etat
contre le territoire d'un autre Etat ».
L’article 5 conclut avec le caractère
impératif de ces règles :
« 1. Aucune considération de quelque
nature que ce soit, politique,
économique, militaire ou autre, ne
saurait justifier une agression.
« 2. Une guerre d'agression est un crime
contre la paix internationale.
L'agression donne lieu à responsabilité
internationale ».
T’as pigé, Obama ?
2010 : un crime de droit international,
selon le statut de la CPI
Le statut de la CPI, signé à Rome en
1998, prévoyait sa compétence pour juger
le crime d’agression, mais en l’absence
de consensus, la question est restée en
attente. Un accord a été trouvé lors de
la Conférence de Kampala en 2010, avec
un article 8 bis qui définit le
crime d’agression, par référence à la
résolution 3314 (XXIX).
On entend par crime d’agression « la
planification, la préparation, le
lancement ou l’exécution par une
personne effectivement en mesure de
contrôler ou de diriger l’action
politique ou militaire d’un État, d’un
acte d’agression qui, par sa nature, sa
gravité et son ampleur, constitue une
violation manifeste de la Charte des
Nations Unies ».
Parmi les actes qualifiés, on retrouve
au b) « le bombardement par les forces
armées d’un État du territoire d’un
autre État, ou l’utilisation d’une arme
quelconque par un État contre le
territoire d’un autre État ».
Un défi pour le Parlement français
Je vous rassure : le texte n’est pas
immédiatement applicable, et François
Hollande, le chef des armées, ne risque
pas un mandat d’arrêt pour rejoindre
Gbagbo à la Haye, car ce texte ne sera
applicable, au mieux, qu’en 2017.
Mais le problème est bien différent, et
ce devrait être un défi pour le
Parlement français s’il se mettait à
réfléchir, ce qui est une hypothèse
d’école.
La France est un Etat qui a beaucoup
fait pour l’instauration de la CPI, et
s’est tout à son honneur. La qualité du
droit en France doit beaucoup à la
vigueur des garanties internationales :
CEDH, Comité des Droits de l’Homme de
l’ONU et CPI. Bravo.
Vient la question, simple et redoutable.
Bientôt, le Parlement français sera
amené à se prononcer sur la ratification
de l’amendement issu de la conférence de
Kampala, introduisant le crime
d’agression dans le statut de la CPI. La
France, état fondateur de la CPI,
pourrait-elle refuser de ratifier le
texte sur l’agression, qualifiée par le
Tribunal de Nuremberg de « crime
international suprême »? Difficile,
assurément, car ce serait sortir du club
des Etats respectueux du droit. Elle
devra ratifier, ou ce ne serait plus la
France.
Mais alors, comment est-il possible de
commettre aujourd’hui ce qui sera
reconnu demain comme un crime ?
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