Palestine
CPI : Le procureur
Ocampo abandonne la Palestine
Gilles
Devers
Mercredi 4 avril
2012
Ocampo abandonne la Palestine.
Le procureur Ocampo tente d'interdire
aux victimes palestiniennes l’accès à la
Cour Pénale Internationale (CPI), la
seule juridiction capable de se saisir
de la situation en Palestine. Or, il
existe un grand principe, qui est celui
de l’accès au juge. Le procureur près la
CPI est une autorité de poursuite, et
pas un juge, et sa manoeuvre est vouée à
l'échec. Une nouvelle épreuve inutile
pour les Palestiniens.
Hier, le procureur Ocampo a décidé, de
lui-même c’est-à-dire sans saisir les
juges de la Cour, que la compétence de
la CPI sur la Palestine dépendait de
l’avis du Conseil de sécurité… lequel
bloque l’admission de l’Etat de
Palestine –
reconnu par 130 Etats dans le monde
– à l’Assemblée générale de l’ONU. Un
abandon, qui est un reniement. Mais le
besoin de justice est tel que cette
manœuvre sera inévitablement un échec.
Ce sera un échec honteux pour le
procureur Ocampo.
La procédure
A la suite de l’opération militaire
Cast Lead en janvier 2009 – 1 500
morts palestiniens, 5 000 blessés et des
destructions systématiques – tous les
défenseurs de la cause palestinienne
s’étaient adressés au procureur de la
Cour Pénale Internationale pour dénoncer
ces faits, constitutifs de crimes de
guerre et de crime contre l’humanité
(Art. 15.1 du statut).
Le 22 janvier 2009,
le Ministre
de la justice de Palestine avait déposé
(Art. 12‐3
du statut) une déclaration par laquelle
son gouvernement demandait à ce que la
Cour Pénale Internationale exerce sa
compétence à l’égard de « tous les actes
commis sur le territoire de la Palestine
à partir du 1er juillet 2002
». Le 1er juillet 2002 est la
date d’entrée en vigueur du statut de la
Cour. Il s’agit d’une déclaration
rétroactive, comme le permet le statut.
D’autres l’ont fait, et cette
rétroactivité n’est pas discutée.
Les faits
Le fait qu’aient pu
être commis des crimes entrant dans les
incriminations prévues par le statut de
la Cour n’a pas été discuté, sauf par
Israël. Restons légalistes pour deux,
quand le procureur ne l’est plus. A ce
stade, il ne s’agit pas d’accuser, mais
de dire qu’il y a matière à enquête. Les
faits commis par l’armée israélienne à
Gaza méritent une enquête : ils sont
décrits par nombre de rapports :
Goldstone pour le Conseil des Droits de
l’Homme, Dugard pour la Ligue Arabe,
mais aussi par l’ONU et les grandes ONG,
d’Amnesty à Human Right Watch. Dans
d’autres affaires, le procureur s’était
satisfait d’informations communiquées
par le presse ou les services secrets,
et alors que les opérations étaient en
cours, c’est-à-dire qu’aucune
vérification sur place était possible.
C’est une illustration du double
standard, ce qui est la négation de la
justice, monsieur le procureur Ocampo.
Non, le débat n’a pas porté sur les
faits – la matière de l’enquête – mais
sur la compétence de la cour.
Ici, on va voir que le procureur Ocampo
n’est pas sérieux. Notamment, car depuis
la déclaration de janvier 2009, la CPI
s’est prononcé dans d’autres affaires,
et sa jurisprudence est établie. Si la
décision du procureur est inadmissible,
c’est quelle va à l’encontre de la
jurisprudence de la Cour.
Il y aura
beaucoup à dire sur cette décision, sur
le plan juridique, et sur ce que veut
dire cet abandon des fonctions
juridictionnelles par le procureur. Les
Palestiniens savent que rien ne se fera
sans le temps nécessaire. Alors, la
concertation va s’organiser.
Mais il faut s’organiser pour s’adresser
à l’Assemblée des Etats-parties, et à la
Cour elle-même.
Mais pour comprendre,
dès la première ligne l’aberration de la
position prise par le procureur, voici
quelques rappels, basiques, qui
témoignent de l’abandon de ses
fonctions.
La CPI, une cour
indépendante du Conseil de sécurité
La CPI est une
instance indépendante du système de
l’ONU. Il existe un lien avec le Conseil
de sécurité, qui peut saisir la cour et
fonder sa compétence ou suspendre une
procédure en cours pour un an, si cette
procédure est un obstacle à la paix.
C’est tout. La CPI n’a pas existé parce
que le Conseil de Sécurité l’a voulu.
Elle existe car 115 Etats ont ratifié
son statut, et elle ne doit son
existence qu’aux Etats-parties.
Dans son communiqué,
le procureur rappelle que 130 Etats ont
reconnus la Palestine comme Etat. Cela
signifie que pour la majorité des Etats
de la planète, la Palestine est un Etat.
Le Conseil de Sécurité bloque
l’admission à l’ONU, grâce au véto US,
mais c’est seulement un abus de pouvoir.
La réalité objective est simple : tous
les Etats sont juridiquement égaux, et
au nom de cette majorité juridique, la
Palestine est un Etat. Ocampo préfère
les courbettes devant les US,… qui eux
refuse de reconnaître la CPI. Et dire
que quand on avait créé la CPI, la
crainte était que ce procureur soit trop
indépendant…
Le plus simple :
les Iles Cook
D’après Ocampo, il
faudrait être membre de l’ONU pour
reconnaître la CPI. Sauf que c’est
démenti par la réalité. Les Iles Cook,
qui ne sont pas membres de l’ONU, sont
reconnues par la CPI et ont ratifié le
traité. Cet argument devrait suffire,
non ?
J’ai recherché dans
les archives, mais je n’ai pas vu de
démarche d’Ocampo auprès du Conseil de
sécurité lorsque les Iles Cook ont
rejoint la CPI… Un oubli ? Ou alors,
deux poids, deux mesures ?
L’Assemblée
générale de l’ONU s’est déjà prononcée
L’Etat de Palestine
est reconnu par la majorité des Etats,
mais l’Assemblée générale de l’ONU a
elle-même reconnu
que la Palestine avait, au titre
de son inaliénable souveraineté, la
fonction judiciaire. En novembre 2009,
l’Assemblée générale de l’ONU a
homologué le rapport Goldstone, ainsi
reconnu comme une base sérieuse, et elle
a demandé à La Palestine de conduire un
processus juridictionnel pour juger les
faits. Ainsi, la reconnaissance qui
intéresse la CPI, c’est-à-dire,
l’existence d’une fonction
juridictionnelle, est établie par cette
résolution. Or, du fait de l’occupation
israélienne aux fins de colonisation,
l’Etat de Palestine n’est pas en mesure
d’exercer cette fonction. Cela ne veut
pas dire que cette fonction a disparu,…
sauf à reconnaître que le colonisateur
peut tout usurper, même le droit du
peuple à demander justice contre les
crimes commis contre lui.
Aussi, c’est presque
à rire de voir le procureur Ocampo
demander l’avis de l’Assemblée générale
de l’ONU… laquelle s’est déjà prononcée.
Petite précision pas
inutile : au sein de l’Assemblée
générale des Etats-parties à la CPI, on
retrouve, compte tenu du vote à l’OG
ONU, une majorité d’Etats pour avoir
reconnu cette fonction judiciaire
étatique, et avec une majorité plus
forte que pour les Etats ayant reconnu
la Palestine comme Etat. Et le procureur
se pose encore des questions. C’est
d’autant plus anormal, que selon le
statut, ce n’est pas au procureur de se
prononcer mais à la Cour. Et personne ne
confondra le procureur et la Cour…
Le greffe l’avait
écrit : c’est une compétence de la Cour…
pas du procureur
Le pragmatisme, là
encore, est très éclairant. La
déclaration de compétence du 21 janvier
2009 a été enregistrée par le greffe, et
celui-ci a répondu que l’enregistrement
n’établissait pas recevabilité, et que «
les juges » de la Cour se prononceraient
sur la validité de la déclaration de
compétence. Voilà une indication
extrêmement forte et qui vient de la
Cour elle-même. Ce n’est pas au
Procureur de trancher mais aux juges,
c'est-à-dire aux magistrats qui
composent les chambres. Ce courrier du
greffe est cohérent avec les règles
jurisprudentielles les plus établies.
Seule la cour est
compétente pour statuer sur sa
compétence
Cela répond
d’ailleurs à un principe fondamental de
la justice internationale que l’on
appelle le principe
Kompetenz-Kompetenz
qui résulte d’une grande
tradition juridique et qui a été repris
par la CPI. En droit international, il
n’existe pas de législateur, comme dans
l’ordre juridique interne avec le
parlement. Aussi, il revient à chaque
Cour de se prononcer sur sa compétence,
et seule la Cour a compétence pour se
prononcer sur la compétence.
Et la cour s’est
prononcée dans l’affaire Bemba (décision
de confirmation des charges du 15 juin
2009)
23.
Indépendamment de la formulation de
l’article 19‐1
du Statut, la Chambre considère que tout
organe judiciaire est juge de sa propre
compétence, même en l’absence de
référence explicite à cet effet. C’est
là un élément essentiel de l’exercice
des fonctions de tout organe judiciaire.
Un tel pouvoir découle du principe
reconnu de « la compétence de la
compétence.
Pour adopter cette
solution, la CPI fait référence à deux
très importants précédents. La Chambre
d’appel du TPIY dans l’affaire Tadić,
du 2 octobre 1995,
a jugé que le pouvoir
d’un tribunal international de
déterminer sa propre compétence « est un
élément et, de fait, un élément majeur
de la compétence incidente ou implicite
de tout tribunal judiciaire ». La CIJ
dans l’affaire Nicaragua, du 26
novembre 1984, avait affirmé que « la
Cour doit toujours s’assurer de sa
compétence avant d’examiner une affaire
au fond ». La CPI a donné tous les
détails d’application dans les affaires
Kenya (Mars 2010) et Côte d’Ivoire
(Octobre 2011).
La
gravité des faits s’impose au procureur
de saisir la chambre préliminaire de la
Cour
Le Gouvernement de
Palestine a donné compétence à la Cour,
des faits très graves ont été commis. Le
Procureur a ouvert un dossier, a reçu le
Ministre de la justice, l’Assemblée
générale de l’ONU a reconnu la
compétence judiciaire de la Cour, et les
autorités judiciaires palestiniennes,
avec le soutien des victimes, demandent
à la Cour de se prononcer. Le processus
de jugement local, souhaité par
l’Assemblée générale de l’ONU est un
échec, et le Procureur doit transmettre
la situation aux juges de la Cour, dans
la formation qui s’appelle la « chambre
préliminaire » pour ceux-ci, par
application du principe compétence –
compétence, se prononcent sur la
compétence de la Cour à l’égard de la
Palestine. Les défenseurs des droits des
Palestiniens seront présents, les
défenseurs de l’Etat israélien pourront
l’être s’ils le veulent, et ce sera un
débat judiciaire. Dans la société du
droit, le débat contradictoire devant
les juges est fondamental.
Et alors ?
Le procureur Ocampo,
qui veut jongler avant son départ dans
quelques mois, explique que la procédure
est juste survendue. Il doit la
reprendre dès demain, compte tenu des
réponses que lui donne la résolution de
l’Assemblée générale de l’ONU en
novembre 2009… et qu’il a oublié de
viser dans son communiqué.
Les Palestiniens vont
devoir se faire entendre à La Haye, et
l’attitude du procureur qui bloque
l’accès à la Cour pour lier l’action de
la juridiction au bon vouloir du Conseil
de sécurité est une violation telle du
statut qu’elle va conduire,
inévitablement, à s’adresser directement
aux juges de la Cour.
Au final, la décision
de M. Ocampo repose sur une grave erreur
: il est autorité de poursuite, et non
pas juge ; et il n’a pas le pouvoir de
priver les Palestiniens du droit au
juge.
Et
toujours pas de juge ?
Le communiqué du
procureur ocampo
en français
http://www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/C6162BBF-FEB9-4FAF-AFA9-836106D2694A/284388/SituationinPalestine030412FRA.pdf
en anglais
http://www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/C6162BBF-FEB9-4FAF-AFA9-836106D2694A/284387/SituationinPalestine030412ENG.pdf
en arabe
http://www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/C6162BBF-FEB9-4FAF-AFA9-836106D2694A/284389/SituationinPalestine030412ARB.pdf
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