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Site Gilad Atzmon

Il faut dire NON aux chasseurs de Goliath
Gilad Atzmon


Gilad Atzmon

14 août 2007  

http://www.gilad.co.uk/html%20files/saying%20NO.htm

« Plusieurs raisons contribuent à l’obsession (‘dibouk’) au sujet de Nasrallah – cette obsession qui a joué un rôle indéniable dans les décisions prises par les responsables durant la deuxième guerre du Liban. Tout d’abord, Israël a toujours vu dans les dirigeants arabes des individualités privées, et non les représentants de divers systèmes politiques. Même chez les analystes des médias, et même chez les hommes politiques, il était fait référence à « Assad », à « Arafat » ou à « Nasrallah », plutôt qu’aux Etats et aux organisations qu’ils représent(ai)ent. Aux yeux des décideurs israéliens, ainsi qu’à ceux des médias et de l’opinion publique, le monde arabe était dirigé plus par des individus que par des systèmes gouvernementaux et, par conséquent, la meilleure manière d’influencer sur le cours des événements consistait, dans la plupart des cas, à bombarder au bon endroit. »

(Ofer Shelah et Yaov Limor, in « Prisonniers au Liban »).

Les Israéliens ont une fichue tendance à personnaliser tout conflit. Certes, ce faisant, ils ne sont ni particulièrement originaux, ni particulièrement innovateurs. De fait, ils ne font que suivre l’enseignement biblique. Dans la vision juive du monde, l’histoire et l’éthique sont le plus souvent réduites à un unique et banal principe binaire d’opposition. Ainsi, la bataille à mort entre le « juste » David et le « méchant » Goliath personnalise-t-elle le combat entre les « bons » (les Israéliens) et les « mauvais » (les Philistins). Bien que ce récit biblique, en particulier, puisse être compris en des termes purement littéraux, les similitudes avec l’Israélite de notre temps sont particulièrement préoccupantes. En Israël, il existe une voie express, qui mène directement du « rôle de l’assassin » aux fauteuils des ministres. En permanence, nos Israélites des temps modernes supplient leurs criminels bardés de médailles de devenir leurs rois, de prendre la tête de leur armée, et de rejoindre le gouvernement. C’est à l’évidence ce qui arriva à Sharon, à Barak, à Mofaz, à Halutz, à Dichter et à bien d’autres encore…

Notons que les Israéliens ne sont pas les seuls, en la matière. La tendance à personnaliser et à concrétiser l’Histoire est très répandue chez les juifs. Aux yeux de la plupart d’entre eux, le Troisième Reich se résume à deux personnes : Hitler, et Goebbels. L’antisémitisme, quant à lui, est souvent ramené à Wagner, à Marx, à Weininger et consorts. De fait, la personnification ne fait que simplifier la réalité ambiante, le cours de l’Histoire et son interprétation. Exit Hitler, le Troisième Reich est forcément terminé ; une fois Wagner banni, il en va nécessairement de même pour l’antisémitisme. Cette tendance à personnaliser les conflits, les idéologies et les visions du monde obéit à une perception infantile du monde : ce que vous ne voyez plus a dû cesser d’exister. Cela colle à merveille avec le paradigme biblique : « œil pour œil, dent pour dent ». Pourtant, il ne s’agit en l’occurrence de rien d’autre qu’une recette garantie d’auto-intoxication. Cela associe l’abstrait, erronément, avec quelque banale concrétisation. Cette conception des choses exonère ses adeptes de tout effort intellectuel, de toute idéologie, de toute critique et de toute réflexion autonome.

A l’évidence, l’interprétation sioniste de l’Histoire n’embrasse rien de plus que le symptôme concret, la manifestation la plus superficielle et frustre de l’animosité qui l’entoure que le cœur du problème en lui-même. Hitler, c’est un fait, a été vaincu ; les juifs sont plus que bienvenus, aujourd’hui, en Allemagne et en Europe. Pourtant, l’Etat juif et les enfants d’Israël sont au moins aussi impopulaires, au Moyen-Orient, que l’étaient leurs grands-parents voici, de cela, tout juste soixante ans. Apparemment, c’est la personnification de la Seconde guerre mondiale et de l’Holocauste qui a rendu aveugles les Israéliens et leurs partisans, leur empêchant d’internaliser d’entrée de jeu la signification réelle des circonstances et des événements qui les conduisirent à leur destruction. Si les sionistes comprenaient la signification réelle de leur Holocauste, les Israélites contemporains seraient en mesure d’éviter la destruction qui les attend vraisemblablement à plus ou moins long terme. De la même manière, Wagner est, certes, interdit en Israël. Pourtant, les conditions qui amenèrent Marx, Weininger et Wagner à dire ce qu’ils avaient à dire demeurent inchangées. Apparemment, de plus en plus de gens, dans des cercles de plus en plus larges, réagissent aujourd’hui de manière critique, politiquement et idéologiquement, à Israël, au sionisme, au tribalisme juif et aux politiques atrocement inhumaines qui découle tant du nationalisme juif lui-même que des ses avatars politiques et culturels.

Mais regardons les réalités en face. Les Israéliens ne sont pas les seuls à personnaliser les conflits. Grâce aux néocons et à leur effrayant ascendant actuel dans le règne politique anglo-américain, nous sommes tous exposés à quelque hyper-simplification, à quelque ultra-personnalisation de pratiquement tous les conflits générés par l’Occident. Apparemment, tous les conflits occidentaux actuels ont un « visage », qui leur est rattaché/ La « guerre contre la terreur » a le visage barbu d’Oussama Ben Laden. La soi-disant « libération du peuple irakien » avait le visage de Saddam Hussein, tout en haut de l’affiche des « Wanted ». Dans le cadre de la guerre sionisée des néocons, tout conflit idéologique devient un complot à base d’ « assassinat ciblé » d’une personne en particulier. Puis-je rappeler qu’avant que les néocons ne lancent leur opération magnifiquement couronnée de succès visant à sioniser l’Amérique et la Grande-Bretagne, ces deux pays étaient impliqués dans des guerres idéologiques et dans des conflits politiques parfaitement impersonnels. La Grande-Bretagne et les Etats-Unis s’étaient battus courageusement contre l’Allemagne du Troisième Reich (et pas seulement contre un certain Adolf Hitler). De même, ils se sont affrontés froidement avec « Les Rouges », (et non pas avec le seul Joseph Djougashvili [ჯუღაშვილი : ironie de l’histoire, ce patronyme géorgien signifie « fils de juif », ndt], dit Staline).

Mais, à l’évidence, cela n’est plus le cas. Dans monde remodelé par les néocons, le système politique est réduit à une chasse primaire au Goliath biblique. Nous, nous les justes, les Davids, nous poursuivons les Goliaths : Saddam, Ben Laden, Assad et Ahmadinejad.

Cependant, à l’heure qu’il est, nous devrions tous avoir compris à quel point cette philosophie est futile. Autant Israël a échoué à écraser la résistance palestinienne en tuant tout dirigeant palestinien émergent quelque peu crédible, autant Israël a échoué à vaincre le Hezbollah en ciblant ses dirigeants, autant l’Amérique et la Grande-Bretagne sont condamnées à échouer dans leurs batailles sionistes criminelles actuelles. Saddam est mort. Et pourtant, l’Irak et ses champs pétrolifères sont loin d’être dans la poche. Ben Laden ne s’affiche jamais en public. Et pourtant, la guerre contre le terrorisme n’a pas enregistré, à ce jour, la moindre victoire.

Je veux croire que la défaite annoncée d’Israël et de ses lobbies sera comprise de la manière convenable par l’opinion publique occidentale. Nous devons dire NON aux tactiques sionisées, nous devons dire NON aux agents sionistes, nous devons dire NON aux chasseurs de Goliath !

Anatomie d’une colossale défaite

Un an après l’humiliante défaite d’Israël au Liban, il s’est trouvé que j’ai passé en revue le fiasco israélien vu par les yeux de deux analystes militaires renommés, Yoav Limor et Ofer Shelah. Dans un ouvrage récent, intitulé « Captives Of Lebanon », ces deux auteurs ont réussi à mettre sur pied un journal très détaillé de l’enchaînement des événements qui conduisirent à la guerre, de la guerre elle-même et de l’interminable liste des échecs opérationnels, tactiques et stratégiques israéliens. Toutefois, Limor et Shelah ne s’en tiennent pas à l’armée et à ses officiers, ils donnent avec art l’image d’une société dévoyée, d’une société qui s’est détachée progressivement de sa propre réalité et de son environnement. D’une société confrontée aujourd’hui à un total effondrement moral, sous la direction d’un leadership égotiste et autocentré, sur les plans tant politique que militaire.

La défaite militaire d’Israël, l’année dernière, au Liban, a pris le monde par surprise. Initialement, elle choqua l’administration de Bush, ainsi que celle de Tony Blair, qui avaient été extraordinairement prompts et empressés à donner à Israël le feu vert pour détruire le leadership chiite du Liban, pour ne pas parler de l’éradication totale de l’infrastructure civile libanaise. Bush et Blair ne furent pas les deux seuls à être choqués ; le monde arabe le fut tout autant. Les dirigeants arabes n’ont pas l’habitude que l’armée israélienne soit vaincue. Les dirigeants arabes modérés se virent contraints à suivre les informations à la télé, voyant des images dans lesquelles un clerc musulman, seul, enseignait aux Israéliens ce que signifie le mot « défiance ». Apparemment, Sheikh Hassan Nasrallah et un nombre insignifiants de combattants ont été les premiers Arabes à avoir vaincu l’armée israélienne, sur le terrain.

Leur victoire a réduit Israël en lambeaux. La puissance de dissuasion israélienne s’est totalement évanouie. Cela est désormais un sujet de thèse d’histoire. Le commandement suprême de « Tsahal » a été choqué, lui aussi : un mois après la guerre, le général Udi Adam, commandant en chef  du front nord, a présenté sa démission. Dan Halutz, chef d’état-major de l’armée israélienne, ne tarda pas à l’imiter. Amir Peretz, le ministre de la Défense, fut chassé par l’ancien Premier ministre Ehud Barak, qui prit sa place. Il set tout à fait évident que les Israéliens ne savent pas que faire afin de réparer les dégâts. Ils sont totalement amoureux de leur « belle vie », ils sont captivés par des images à base de technologie et de fric.

Bien que je ne sache pas si ce livre sera traduit ou non dans d’autres langues (il est écrit en hébreu), je le classerais dans la catégorie « à lire absolument » par toutes les personnes intéressées par les développements au Moyen-Orient. Cet ouvrage est une plongée dans une société israélienne en proie à ce qui a tout l’air d’être un état de dysfonctionnement extrême, que l’on espère fatal. Je suis convaincu que ceux d’entre les Américains qui soutiennent stupidement l’appareil de guerre israélien depuis près de quarante ans, et qui persistent à croire qu’Israël serait une « superpuissance régionale » doivent lire ce journal de la couardise militaire et du dysfonctionnement politique généralisé qui caractérisent l’Etat d’Israël.

Bien que cet ouvrage ne le dise pas, le message est tout à fait clair : Israël agit à la manière d’un violent ghetto juif mégalomaniaque, motivé par quelque zèle meurtrier bizarre comblé par une pléthore de technologie létale américaine. Comme le révèlent les auteurs, Limor et Shelah, en dépit du fait que le conflit terrestre se soit déroulé sur une superficie de terrain très étroite (la frontière israélienne, au sud, et la rivière Litani, au nord), l’artillerie israélienne n’en a pas moins trouvé le moyen de tirer plus de 170 000 obus. En comparaison, durant la guerre de 1973 où ils étaient opposés aux armées de deux puissants pays, sur deux fronts très étendus, les Israéliens n’avaient lancé « que » 53 000 obus. Les chiffres concernant l’aviation sont encore bien plus frappants.

Bien que très peu de cibles concrètes eussent été utilisables, du point de vue du renseignement militaire israélien, l’aviation israélienne a lancé non moins de 17 550 missions de combat, ce qui donne une moyenne de 520 missions par jour, soit presqu’autant qu’au cours de la guerre de 1973 (où une moyenne de 605 raids par jour avait été enregistrée). Pourtant, en 1973, l’aviation israélienne était confrontée à deux aviations bien équipées ; elle avait été engagée dans un nombre important de combats air-air, et à une lutte incessante contre les missiles sol-air soviétiques dernier cri. Rien de tout cela ne s’est produit durant la seconde guerre du Liban. L’aviation israélienne s’est entièrement vouée au pilonnage et au martelage du sol libanais. Elle a littéralement balancé et lancé tout ce qui lui tombait sous la main, recourant à une méthode impitoyable qui, par endroits (comme dans les faubourgs Sud de Beyrouth) a eu le même effet que les bombardements en tapis des Anglo-Américains, de sinistre mémoire (durant la Seconde guerre mondiale).

Pour quelle raison les Israéliens ont-ils réagi aussi durement à un banal incident de frontière ? Pourquoi les hommes politiques et les chefs militaires israéliens ont-ils ainsi perdu leur capacité de penser en termes stratégiques et tactiques ? Pourquoi ont-ils, tous, échoué à définir des objectifs militaires atteignables, quelque chose susceptible de donner à leur guerre un cadre temporel, formel, et une justification ? Bref, pourquoi les Israéliens sont-ils devenus dingues ? C’est là, effectivement, une question absolument cruciale. Bien que Limor et Shelah s’abstiennent de poser ces questions, leur livre réussit à nous donner certaines réponses. Je vais m’efforcer de résumer certaines de leurs opinions.

L’armée

Pour commencer, examinons l’armée. L’armée israélienne a subi une sérieuse transition, au cours des quatre dernières décennies. Dans les années qui suivirent l’invasion éclair de 1967, ce furent des officiers d’infanterie et des brigadiers des blindés, en particulier, qui furent promus et portés à la tête de l’armée. L’Israël post-1967 croyait en la Blitzkrieg, la guerre éclair, une agression offensive mettant simultanément en action des forces terrestres énormes, appuyées par un soutien aérien rapproché. Après la guerre de 1973, en raison du succès limité des forces terrestres et des divisions de blindés, cette tendance n’était plus de mise. Graduellement, ce furent des vétérans d’unités spéciales et de divisions de blindés israéliennes, qui avaient été promus aux plus hauts postes de commandement. Probablement, le plus célèbre d’entre eux fut Ehud Barak, un officier de commando croulant sous les médailles, qui connut le couronnement de sa carrière militaire au poste de chef d’état-major de l’armée israélienne. Ce fut lui qui, en tant que chef de l’état-major, nomma ses ex-subordonnés aux plus hauts postes du commandement suprême israélien. Les officiers d’infanterie furent, quant à eux, mis au rencart.

Cette mutation de l’armée israélienne était motivée par deux éléments : tout d’abord, le présupposé des services de renseignement, selon lequel aucun pays arabe n’envisagerait de mener une guerre totale contre Israël dans un futur rapproché ; ensuite, depuis la première Intifada et l’ascension générale d’une résistance civile palestinienne, l’armée israélienne se trouvait de plus en plus engluée dans des opérations de basse police. Dans le contexte d’un tel gauchissement, il n’était plus grand besoin d’un entraînement militaire en vue d’opérations terrestres sur une grande échelle. Les brigades de tanks et de l’artillerie semblèrent devenues superfétatoires, voire même totalement incongrues, face aux nouveaux besoins de l’Etat juif, besoins en cours d’émergence. De larges unités de soldats combattants furent détournées à des fins de ‘maintien de l’ordre’ en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Dans le cadre de ce changement de scénario, ce furent, au début, des unités spéciales de sécurité, avec un commandement spécifique, qui prirent la tête de ce que les Israéliens prirent pour leur propre « guerre anti-terroriste ». A la suite de quoi de plus en plus de vétérans des commandos israéliens se frayèrent un chemin vers le commandement en chef de l’armée israélienne, puis, directement, dans une vie politique israélienne politisée à l’extrême.

Mais les choses ne s’en tinrent pas là ; il ne fallut pas bien longtemps pour que les unités spéciales israéliennes aient fait la démonstration de leur incapacité à solutionner ce qui apparaissait comme une résistance civile palestinienne allant sans cesse croissant. Envoyer le sel de la terre juive dans la bande de Gaza à l’heure du premier pipi s’avéra par trop dangereux. Il faut dire qu’autant les Israéliens adorent voir leurs jeunes hommes terroriser des Palestiniens, autant ils ne supportent pas de voir leurs Rambos adorés tomber dans des embuscades et se faire occire.

L’envoi de l’aviation contre le défi palestinien ne fut qu’une simple question de temps. Capitalisant sur quelque technologie américaine avancée, Israël laissa ses F-16 et ses mitrailleuses hélitreuillées Apache lancer des attaques par missile contre des cibles civiles palestiniennes, immédiatement requalifiées de « militaires ». La philosophie en était extrêmement simple : l’aviation israélienne avait pour raison d’être de maintenir les Palestinien dans une terreur permanente. Comme de juste, durant la dernière décennie, l’aviation israélienne est devenue la force en pointe dans la guerre contre la Palestine, contre le peuple palestinien et contre son leadership islamique imminent. Elle mit au point, très rapidement, une nouvelle doctrine militaire israélienne, qui ne tarda pas à être appelée « assassinats ciblés ». D’après la nouvelle doctrine militaire israélienne, tout ce dont on avait besoin, c’était d’un minimum de renseignements glanés sur le terrain, renseignements qui seraient suivis un jet israélien isolé, lançant un missile téléguidé de fabrication américaine sur une bande de Gaza surpeuplée.

Les résultats de cette politique furent particulièrement éloquents. Dans beaucoup de cas, des Palestiniens visés furent assassinés, mais dans beaucoup de cas, aussi, ils trouvèrent la mort en compagnie de civils innocents qui avaient eu la malchance de se trouver dans le voisinage. Ces malheureux s’étaient trouvés au mauvais endroit, juste au mauvais moment ! Dans de nombreux autres cas, les pilotes manquaient de renseignements, ou étaient induits en erreur par eux. Résultat : beaucoup de civils palestiniens, dont principalement des vieillards, des femmes et des enfants, trouvèrent la mort. Bien entendu, tout le monde, en Israël, s’en foutait royalement. Quand on demanda à Dan Halutz, encore commandant de l’aviation à l’époque, ce qu’on ressentait en lançant une bombe ayant pulvérisé quatorze civils palestiniens, il eut cette réponse, brève et très simple : « Vous ressentez une légère secousse, du côté de l’aile gauche ». Halutz, l’officier au sang glacial, l’homme qui donna l’ordre d’assassiner des Palestiniens innombrables, était l’homme idoine à l’endroit idéal : on ne tarda donc pas à le prier de prendre le commandement en chef de l’armée israélienne.

Au fil du temps, le gouvernement  israélien hésita de plus en plus à mettre en danger la vie de ses jeunes soldats. La « guerre anti-terroriste » israélienne était devenue particulièrement sure, et ressemblait de plus en plus à un jeu vidéo. Sheikh Yassine, le Dr. Al-Rantissi et beaucoup d’autres civils tombèrent, victimes de cette forme de tactique meurtrière. Apparemment, le leadership militaire israélien s’est laissé griser par le succès de sa nouvelle méthode de tuerie. Le peuple d’Israël avait un nouveau Dieu, à savoir : la « supériorité technologique ». La dernière fournée de généraux israéliens, dont la plupart étaient d’anciens pilotes et des vétérans d’unités spéciales, s’habitua à l’idée qu’Israël était en mesure de maintenir sa suprématie régionale en capitalisant sur sa supériorité technologique et sur sa puissance de feu écrasante.

Comme le révèlent Limor et Shelah dans leur livre, au cours des dix dernières années, les soldats israéliens avaient littéralement arrêté de s’entraîner à une quelconque forme d’opération tactique de grande envergure. L’aviation israélienne poursuivant les ennemis d’Israël jusque dans leur chambre à coucher, quel besoin avait-on de tanks, et d’artillerie ? De jeunes tankistes furent redéployés, immédiatement après leur entraînement initial minimaliste, dans des tâches élémentaires de surveillance, dans les territoires occupés. En pratique, non seulement ces soldats ignoraient totalement leurs missions militaires d’origine, dans les tanks et dans l’artillerie, mais ils n’étaient absolument pas familiarisés avec une des manœuvres tactiques opérationnelles d’aucune sorte. Autrement dit, en ce qui concerne l’armée israélienne, elle perdit totalement son état de pré-alerte et de préparation à la guerre.

Ainsi, de fait, ce sont les Palestiniens qui ont gagné

Beaucoup d’analystes voient dans la Résistance palestinienne une lutte armée futile. En effet, à la fin des fins, une bande de gamins lançant des pierres ne peuvent pas faire beaucoup de mal. Mais à la lecture de Limor et Shelah, on comprend qu’en réalité la lutte des Palestiniens était, de fait, tout, sauf futile. En réalité, c’est précisément la résistance civile palestinienne, qui a réussi à épuiser l’armée israélienne. C’est la résistance palestinienne, qui a mis l’armée israélienne dans un état de paralysie pure et simple. C’est la résistance palestinienne, qui a fait disperser les hommes de l’armée israélienne jusqu’aux limites extrêmes, et qui l’a empêché de s’entraîner en vue de « la prochaine ». Ce sont les Palestiniens, qui ont fait des soldats israéliens et de leurs officiers une bande de lâches préférant gagner des guerres confortablement installés devant les écrans de leurs chignoles, en actionnant des manches à balai. De fait, ce sont les Palestiniens qui ont démantelé la préparation à la guerre de l’armée israélienne, d’une manière totalement dévastatrice.

C’est tout à fait comme l’a suggéré Sheikh Hassan Nasrallah dans un de ses discours les plus déclamatoires. Israël, véritablement, « se cachait derrière sa supériorité technologique, à la seule fin de dissimuler sa couardise et son incompréhension des implications, pour lui, du fait qu’il vivait au Moyen-Orient ». L’armée israélienne s’est habituée à écraser des civils palestiniens sous les décombres de leur maison, à assassiner leurs leaders en cours d’émergence, à terroriser des femmes enceintes aux barrages routiers, à bombarder de jeunes enfants dans leurs salles de classe, si bien que tout cela était devenu, pour elle, extrêmement facile. Pourtant, quand on demanda à l’armée israélienne de combattre quelques petits groupes d’enthousiastes paramilitaires faiblement formés, elle s’effondra lamentablement. Elle s’effondra, en dépit de sa supériorité technologique ; elle fut battue, en dépit de sa puissance de feu écrasante, en dépit, aussi, du soutien outrageant que leur apportaient Bush et Blair. Si l’armée israélienne s’est effondrée, c’est parce qu’elle était incompétente, parce qu’elle n’était pas prête au combat, parce qu’elle ne savait pas comment combattre et, plus grave, pour les Israéliens, parce qu’elle n’avait pas même compris dans quelle but elle était censée se battre.

Peu de temps après que le conflit au Liban ait pris une dimension de guerre totale (tout du moins, aux yeux des Israéliens), il devint clair, pour la plupart des généraux israéliens, que l’armée israélienne ne disposait pas des moyens de faire cesser la pluie des roquettes Katyusha lancées par le Hezbollah. Si l’objectif initial des Israéliens avait été d’arrêter les roquettes Katyusha et de ramener à la maison les deux réservistes israéliens faits prisonniers, ces objectifs s’avérèrent hors d’atteinte. Le commandant israélien comprit très tôt qu’en l’absence de renseignement pertinent et de qualité, la supériorité de la puissance de feu et des technologies israéliennes n’avait plus aucune importance. Aussi curieux que cela paraisse, il fallut seulement quelques jours aux dirigeants israéliens pour adopter un vocabulaire quelque peu néo-structuraliste. Au lieu de fournir au peuple d’Israël une simple « victoire » immédiate, ils se mirent – tous, sans exception – à communiquer en termes de « narratif de victoire ». Plusieurs jours après le lancement de la campagne armée, les militaires israéliens se mirent à parler en termes d’ « image de victoire », plutôt qu’en termes de « victoire » tout court. Shimon Peres ses mit, quant à lui, à utiliser l’expression « perception d’une victoire ». Rien n’y fit : même la « perception », même l’ « image » d’une improbable victoire s’avérèrent totalement hors d’atteinte.

L’ « unique Démocratie » au Moyen-Orient

Aussi pitoyable qu’ait été l’armée israélienne, le gouvernement israélien ne fit guère mieux. Ehud Olmert, le Premier ministre, l’homme qui avait voté le « désengagement » israélien de certains territoires palestiniens, n’entravait pas grand-chose aux questions militaires. Comme si cela ne suffisait pas, Amir Peretz, le ministre travailliste, cet homme qu’Olmert avait nommé ministre de la Défense, était tout aussi dépourvu de toute connaissance en matière de défense. Pour la première fois de toute son histoire, Israël était dirigé par deux politiciens professionnels sans aucune formation militaire. A première vue, on pourrait s’attendre à ce qu’un changement aussi dramatique aurait eu pour effet de calmer les tendances israéliennes bellicistes tant dans l’armée que dans l’arène politique. Dans la pratique, c’est le contraire qui s’est produit. Tant Peretz qu’Olmert se virent manipuler et entraîner dans un conflit à grande échelle par un chef d’état major assoiffé de sang.

Considérant leur inexpérience et leur peu de temps au pouvoir, ni Olmert, ni Peretz n’étaient en mesure d’apporter des solutions alternatives créatives, qui auraient, faute d’autre chose, éviter le conflit. Bien loin de retenir l’armée et de donner une chance à la diplomatie, ils ont tous deux laissé Halutz entraîner le pays dans une escalade totalement superflue. Sans avoir une vision globale du tableau, le gouvernement israélien finit par promettre à Halutz le temps et le soutien nécessaires pour obtenir des objectifs totalement hors d’atteinte, dès le départ.

Mais il faut dire la vérité : Olmert et Peretz n’étaient pas les seuls à décider, dans le secret de leur cabinet. De fait, ils étaient entourés d’analystes militaires, d’experts du renseignement, d’anciens généraux et de vétérans des services de sécurité. Olmert avait, dans son gouvernement, le général de réserve Shaul Mofaz, ancien chef d’état major, un homme qui passa la dernière phase de sa carrière militaire à combattre le Hezbollah. Il disposait aussi d’Avi Dichter, un vétéran des services de sécurité, pour lui commenter les suggestions opératoires de l’armée israélienne. Ils avaient aussi, dans le gouvernement, Benjamin Ben Eliezer, un brigadier de réserve, qui avait été un expert de la question libanaise, tout au long des trente années écoulées. Shimon Peres avait été lui-même Premier ministre, et ministre de la Défense, par le passé. Le général de réserve Ami Ayalon, un ancien général de l’armée israélienne, ainsi qu’ancien chef des services de la sécurité intérieure, proposa son aide à Amir Peretz. Pourtant, aucun de ces experts ne réussit à constituer un organisme de prise de décision, aucun d’entre eux ne réussit à modérer l’enthousiasme militaire des Halutz, Olmert et autre Peretz. Telle une feuille emportée par le vent, le gouvernement israélien était manipulé par les généraux, puis par l’opinion publique, qui se retourna de manière dramatique contre le leadership et ses insuffisances.

Le temps passant, et la défaite militaire entrant dans le domaine public, Olmert, Peretz et Halutz tentaient, d’une manière de plus en plus désespérée, de modifier le cours de la guerre, à seule fin de sauver leur carrière future. Bien qu’ils aient pris conscience que les chances d’obtenir la victoire étaient en train de s’effondrer d’heure en heure, ils étaient déterminés à présenter à l’opinion publique quelque chose qui ressemblerait, de loin, à une victoire, voire même, simplement, à une réalisation quelconque. C’est là, apparemment, ce que signifie réellement la survie politique dans la démocratie israélienne : vous devez absolument avoir quelque chose à montrer, qui ressemble peu ou prou à une victoire… Pour ne pas les citer, Peretz, Halutz et Olmert donnèrent à l’armée l’ordre de causer de réelles dévastations, quelles qu’elles fussent, supposant que cela gratifierait l’électeur israélien. Les commandements de l’artillerie et de l’aviation réagirent instantanément : d’intenses barrages de bombes à fragmentation, de missiles et de mines s’abattirent dans l’ensemble du Sud-Liban. Dans les quarante-huit heures ayant précédé le cessez-le-feu, Israël utilisa totalement son équipement militaire. D’après Shelah et Limor, les stocks de munitions israéliens se retrouvèrent tous « dans le rouge ».

Pour sauver les carrières politiques d’Olmert et de Peretz, l’armée israélienne lança de plus en plus d’opérations risquées et absurdes, quasiment dépourvues de valeur tactique. Ces opérations échouèrent, l’une après l’autre, sans obtenir le moindre résultat. Elles eurent toutefois le résultat, très important, de révéler les faiblesses de l’armée israélienne. Elles révélèrent une armée et une direction politique en proie à la panique la plus totale. Dans les heures ultimes de la guerre, certaines parties d’unités spéciales israéliennes se retrouvèrent encerclées et affamées, tout au long de la frontière méridionale avec le Liban, sans aucun accès à de l’eau ou à du ravitaillement. Quelques unités de combattants du Hezbollah avaient réussi à encercler des commandos de choc israéliens. Apparemment, personne, en Israël, n’osa prendre le risque d’envoyer des convois logistiques sur le champ de bataille. De la nourriture et les munitions, largués d’avions cargos israéliens, tombèrent entre les mains du Hezbollah. Dans certaines zones, les commandos israéliens blessés restèrent étendus à même le sol, attendant des secours pendant d’interminables heures. La défaite israélienne fut totale. L’humiliation, colossale. Non seulement l’ « Armée Israélienne de Défense » [« Tsahal », ndt] n’était plus capable de défendre Israël, mais elle n’avait même pas pu se défendre elle-même !

Limor et Shelah exposent d’autres questions, tout aussi intéressantes :

Certains brigadiers ne sont pas aller combattre avec leurs soldats ; en lieu et place, ils ont préféré diriger la bataille depuis des bunkers isolés, à l’intérieur d’Israël.

Certains hélicoptères armés n’ont pas été autorisés à pénétrer dans l’espace aérien libanais, à seule fin de leur éviter de se faire descendre. Résultat : des commandos israéliens furent abandonnés au combat contre le Hezbollah, à armes égales (c’est-à-dire : privés de couverture aérienne…)

Un lieutenant colonel, qui avait refusé de pénétrer au Liban à la tête de ses hommes, a reconnu avoir été déficient en matière de connaissances opérationnelles tactiques.

Certains réservistes se dirigeaient vers le front quasi totalement démunis de leur uniforme militaire, en raison de graves pénuries dans les entrepôts d’urgence de l’armée. Certains de ces réservistes en furent amenés à en être de leur poche, pour acheter l’indispensable uniforme de « Tsahal ».

Plus de détails concernant l’affaire boursière de Dan Halutz, le 12 juillet 2006. Apparemment, le chef d’état major, le général Halutz, avait téléphoné à sa banque, lui donnant l’ordre de vendre son portefeuille d’actions, après avoir appris la nouvelle des affrontements armés dans le Nord d’Israël. Et ceci se passait juste avant qu’il n’eût lui-même donné l’ordre de procéder à un degré supplémentaire dans l’escalade.

En apparence, l’armée israélienne est « étalée partout », elle manque d’entraînement, elle est lourde, elle est bordélique, et ses dirigeants sont pourris jusqu’à la moelle. La direction politique israélienne ne vaut guère mieux. Même si Peretz n’est plus ministre de la Défense, Olmert, Mofaz, Dichter et, désormais, Barak – tous, des massacreurs de masse patentés – sont encore ministres. Vu l’état de son armée, Israël devrait considérer un changement radical de direction, il n’est plus en mesure de combattre. Il manque d’endurance. Mais, apparemment, rien de tel ne se dessine. Il semble qu’au cours des prochaines élections israéliennes, nous allons probablement voir l’éloquent et néanmoins belligérant Benjamin Netanyahu affronter le belligérant et néanmoins piètre orateur Ehud Barak.

Des années durant, nous avons eu tendance à croire qu’Israël était invincible, sur le champ de bataille. Etudier dans le détail les événements de la guerre de l’été dernier nous permet d’entrevoir que tel n’est vraisemblablement pas le cas. L’Etat juif a d’ores et déjà été battu, au cours d’une guerre. Et cela risque de reproduire, plus rapidement encore que nous le pensons.

Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier



Source et traduction : Marcel Charbonnier


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