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Counterpunch

De la Reine Esther à l’Aipac
(Une friandise, à l’occasion de la fête [juive] de Pourim [laquelle commémore – pour changer – un massacre !])

Gilad Atzmon

on Counterpunch, 3 mars 2007

http://www.counterpunch.org/atzmon03032007.html

« Dans certains contextes, la mémoire peut être subversive ou, au contraire, garantir le statu quo. Quand certains individus et certaines communautés sont investies d’une mémoire, en tant que forme d’identité et de spécificité, alors d’autres souffrances risquent de déplacer le caractère central de notre expérience. Au lieu de représenter un pont de solidarité envers d’autres, en train de souffrir – actuellement –, notre  souffrance passée peut devenir notre point d’honneur, qui nous protège contre les défis qui se dressent devant nous. Alors notre témoignage – pourtant puissant originellement, car posant des questions au sujet de Dieu et du pouvoir – se dilue, peut être perçu comme fallacieux, controuvé, quand bien même serait-ce de manière délibérée. Une industrie se constitue autour de vous, qui vous honore mais qui, en même temps, utilise votre témoignage à des fins détournées. Au final, il en résulte une confusion, à l’extérieur et à l’intérieur, si bien que le témoin lui-même ne peut plus faire de différence entre le monde d’interprétation qu’il a contribué à organiser et le monde qui, désormais, s’exprime en son nom. Est-ce là ce qui est advenu à Wiesel ? Ou l’analyse de Finkelstein, autrement plus acerbe encore, n’est-elle pas dans le vrai ? » [1]

‘Judéité’ est un terme particulièrement élastique. Ce terme désigne en effet : une culture aux multiples facettes, divers groupes humains distincts, différentes croyances, des camps politiques opposés, des classes sociales différentes et des ethnies variées. Néanmoins, le lien entre les très nombreuses personnes qui se trouvent s’identifier elles-mêmes en tant que juives ne manque pas d’intriguer. Dans les paragraphes suivants, je tenterai de pousser plus loin la recherche en matière de judéité. Je m’efforcerai de déceler le lien collectif, intellectuel, spirituel et mythologique qui fait de la judéité la puissante identité que nous connaissons.

De toute évidence, la judéité n’est ni une catégorie raciale, ni une catégorie ethnique. Bien que l’identité juive soit racialement et ethniquement orientée, le peuple juif ne constitue nullement un groupe homogène. Il n’y a en effet de continuum, ni racial, ni ethnique. La judéité peut être considérée par d’aucuns comme un prolongement du judaïsme. J’ai personnellement tendance à penser que ça n’est pas non plus nécessairement le cas. Bien que la judéité comporte certains éléments fondamentaux du judaïsme, elle n’est pas le judaïsme ; elle en diffère même de manière catégorique. De plus, comme nous le savons, beaucoup de ceux qui se définissent juifs non sans fierté connaissent fort mal le judaïsme ; beaucoup d’entre eux sont athées, agnostiques, voire rejettent ouvertement le judaïsme comme d’ailleurs toutes les religions. Or, il se trouve que beaucoup de ces juifs qui s’opposent au judaïsme conservent leur identité juive et en sont extrêmement fiers [2]. Cette aversion envers le judaïsme englobe bien évidemment le sionisme (tout au moins, dans sa version première). Mais elle constitue aussi fondamentalement la base de l’antisionisme juif socialiste.

Bien que la judéité diffère du judaïsme, on n’en reste pas moins fondé à s’interroger sur ce qui la constitue, au juste : s’agit-il d’une nouvelle forme de religion, d’une idéologie de la religion, ou simplement d’un simple ‘état d’esprit’ ?

Si nous admettons que la judéité est bien une religion, il conviendra de poser les question suivantes : « Quel genre de religion est-ce là ? » ; « Quelles en sont les implications ? » ; « A quoi ses adeptes croient-ils ? » S’il s’agit effectivement d’une religion, on est fondé à se demander s’il est possible d’en divorcer, tout comme il est possible d’abandonner le judaïsme, le christianisme, ou l’Islam, avec au minimum la même facilité

Si la judéité est une idéologie, alors les bonnes questions à poser sont les suivantes : « Quelle en est la finalité ? » ; « Détermine-t-elle un discours donné ? » ; « Ce discours est-il monolithique ? » ; « Dessine-t-il un nouvel ordre du monde » ? ; « Vise-t-il la paix, ou la violence ? » ; « Est-il le vecteur d’un message universel à destination de l’humanité, ou bien n’est-il qu’une énième manifestation de quelque précepte tribal ? »

Si la judéité est un état d’esprit, alors la question à poser est celle de savoir si cet état d’esprit est rationnel, ou irrationnel ? S’il ressortit à l’exprimable, ou bien plutôt à l’ineffable ?

A ce point de mon exposé, permettez-moi de suggérer de prendre en considération l’éventualité (peu probable) que la judéité soit une sorte d’hybride étrange, rassemblant toutes ces qualités à la fois [une religion + une idéologie + un état d’esprit].

La Religion de l’Holocauste

« Le philosophe – juif strictement orthodoxe – Yeshayahu Leibowitz m’a dit, un jour : « La religion juive est morte, voici de cela deux siècles. Aujourd’hui, plus rien n’unifie les juifs du monde entier, mis à part l’Holocauste. » (cité par Uri Avnery [3]).  

Le philosophe Yeshayahu Leibowitz, ce professeur à l’Université Hébraïque de Jérusalem né Allemand, fut sans doute le premier auteur à suggérer l’idée que l’Holocauste avait acquis le statut de nouvelle religion juive. L’ « Holocauste » est bien plus qu’un récit historique : il contient, de fait, bien plus que ses éléments religieux fondamentaux. Il a ses propres prêtres (Simon Wiesenthal, Elie Weisel, Deborah Lipstadt, etc.), ses prophètes (Shimon Peres, Benjamin Nethanyahu et ceux qui mettent en garde contre le judéocide iranien à venir), ses commandements et ses dogmes (« plus jamais ça » ; « les six millions », etc). Il a ses rituels (journées commémoratives, pèlerinages à Auschwitz, etc.), ses autels et ses temples (Yad Vashem, Musée de l’Holocauste, et même, depuis peu : l’Onu !). Comme si cela ne suffisait encore pas, la religion holocaustique est, de plus, perpétuée par un réseau économique massif et des infrastructures financières aux ramifications planétaires (c’est l’Industrie de l’Holocauste décrite par Norman Finkelstein). Plus significativement, la religion holocaustique est suffisamment cohérente pour définir les nouveaux « antéchrists » (les Négationnistes) et elle est assez puissante pour pouvoir les persécuter (lois condamnant le négationnisme de l’Holocauste).

Des spécialistes critiques contestant la notion de « religion holocaustique » suggèrent que si la nouvelle religion émergente conserve bien des caractéristiques d’une religion organisée, elle n’invente toutefois pas de Dieu externe à montrer, à adorer ou à aimer. Je suis entièrement d’accord. J’y insiste : la religion holocaustique incarne l’essence de la vision libérale démocratique du monde. Elle n’a d’autre fonction que de proposer une nouvelle forme de dévotion religieuse : elle a fait de l’amour de soi une croyance dogmatique, dans laquelle l’adepte observant ne fait que s’adorer lui-même. Dans la nouvelle religion, c’est « le juif » qu’adorent les juifs. Il n’est nullement question d’autre chose que de « moi-même, myself, bibi » ; de ce moi, sujet d’une interminable souffrance / rédemption.

Cependant, bien des intellectuels juifs, tant en Israël qu’en dehors d’Israël, admettent l’observation faite par Leibowitz. Parmi eux, mentionnons Marc Ellis, un éminent théologien juif, qui propose une plongée extrêmement révélatrice dans la dialectique de la nouvelle religion : « La théologie holocaustique », explique-t-il, « comporte trois thèmes qui sont entre eux dans une relation de tension dialectique : souffrance / pouvoir ; innocence / rédemption ; particularité / normalisation. » [4]

Bien que la religion holocaustique n’ait pas remplacé le judaïsme, elle a conféré à la judéité une signification nouvelle : elle instaure un narratif juif contemporain, situant le sujet juif dans un projet juif. Elle alloue au juif un rôle central au sein de son propre univers autocentré. La ‘victime’ et l’ ‘innocent’ sont en marche vers la « rédemption » et la « prise du pouvoir ». Dieu est manifestement hors-jeu. Dieu a été viré ; il a échoué dans sa mission historique : il n’était pas là, quand il aurait fallu sauver les juifs. Dans la nouvelle religion, le juif devient le « nouveau Dieu ‘des juifs’ » : il n’y est jamais question d’autre chose que de juifs se sauvant (et se rédimant) eux-mêmes.

L’adepte juif de la religion holocaustique idéalise la condition de son existence. Après quoi, il pose le cadre d’une future lutte pour sa reconnaissance. Pour l’adepte sioniste de la nouvelle religion, les implications semblent relativement durables. Il n’a d’autre mission que de « schleper » l’entièreté de la juiverie mondiale vers Sion, au détriment du peuple palestinien indigène. Pour le juif socialiste, le projet est un petit peu plus compliqué. Pour lui, la rédemption signifie, en effet, l’instauration d’un nouvel ordre mondial – à savoir un havre socialiste, un monde régi par la politique dogmatique de la classe laborieuse, dans lequel les juifs ne sont rien d’autre qu’une minorité parmi beaucoup d’autres. Pour ses adeptes humanistes, la religion holocaustique signifie que les juifs doivent se placer au premier rang du combat contre le racisme, l’oppression et le mal, de manière générale. Bien que cela semble prometteur, cela s’avère problématique, pour une raison évidente : dans l’ordre mondial actuel, c’est précisément Israël et l’Amérique qui se trouvent figurer au rang des principales puissances maléfiques oppressives ; attendre des juifs qu’ils se tiennent au premier rang du combat humaniste, cela revient à les faire se battre contre leurs frères et contre l’unique superpuissance qui les protège. Il est toutefois particulièrement évident que les trois Eglises de l’Holocauste assignent bien aux juifs un projet majeur, non dénué d’implications planétaires. 

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Ainsi, nous le constatons, l’Holocauste joue le rôle d’interface idéologique. Il fournit un logos à ses adeptes. Au niveau de la conscience, il suggère une vision purement analytique du passé et du présent. Mais il ne s’en tient pas là : il définit, aussi, le combat futur. Il brosse une vision d’un avenir juif. Néanmoins, par voie de conséquence, il remplit l’inconscient du sujet juif de l’anxiété par excellence : celle de la destruction de l’ « ego ».

Inutile de préciser qu’une foi stimulant la conscience (Idéologie) et fouaillant l’inconscient (Esprit) est une excellente recette pour une religion triomphante. Ce lien structurel entre l’idéologie et l’esprit est fondamental, dans la tradition judaïque. La relation entre la clarté juridique de la Halakhah (l’idéologie) et le mystère qui entoure Jéhovah, voire même la Kabala (l’esprit), font du judaïsme un tout, un univers en soi. Le bolchevisme (en tant que mouvement de masse, et non en tant que théorie politique) est construit selon la même structuration alliant la lucidité du matérialisme pseudo-scientifique à la crainte de l’appétit capitaliste. La politique de peur, inhérente au néoconservatisme, consiste essentiellement à enfermer le sujet dans le chiasme entre l’évidence quasi clinique d’armes de destruction massive et la peur indicible suscitée par la « terreur annoncée ».

C’est ce lien même entre conscient et inconscient qui évoque la notion de réel chez Lacan. Le « réel » est ce qui ne peut être symbolisé, autrement dit : ce qui ne peut être exprimé au moyen de mots. Le réel, c’est l’ « inexprimable », l’inaccessible. Pour reprendre l’expression de Zizek, « le réel est impossible » ; « le réel, c’est le trauma ». C’est néanmoins ce trauma qui configure l’ordre symbolique. C’est ce trauma qui donne sa forme à notre réalité.

La religion holocaustique cadre impeccablement avec le modèle lacanien : son noyau spirituel est profondément enraciné dans le domaine de l’inexprimable et sa doctrine nous enseigne de voir dans toute chose une menace. On a affaire, ici, à la conjonction ultime entre l’idéologie et un esprit matérialisé en pur et simple pragmatisme.

Très curieusement, la religion holocaustique va bien au-delà du discours juif à usage interne. De fait, la nouvelle religion opère à la manière d’une mission ; elle dresse des oratoires en des contrées lointaines. Comme nous le constatons, cette religion émergente est d’ores et déjà en train de devenir un nouvel ordre mondial. C’est l’Holocauste qui est utilisé, désormais, en guise de prétexte pour vitrifier l’Iran [5]. A n’en pas douter, la religion juive sert le discours politique juif, tant de droite que de gauche, mais elle interpelle, tout aussi bien, les Goyim, en particulier ceux qui se sont rendus responsables de massacres impitoyables « au nom de la liberté » [6]. Dans une certaine mesure, nous sommes tous assujettis à cette religion ; certains parmi nous sont des adorateurs, d’autres sont simplement sous sa puissance. Très significativement, ceux qui nient l’Holocauste sont eux-mêmes en butte aux persécutions des grands prêtres de cette religion. La religion holocaustique représente le « Réel » occidental : nous n’avons pas le droit d’y toucher, ni même de l’examiner de manière critique (d’une manière très semblable aux Israélites, auxquels il est permis de critiquer leur Dieu, mais auxquels il est interdit de jamais lui poser la moindre question).

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Les spécialistes qui s’adonnent à l’étude de la religion holocaustique (sa théologie, son idéologie et son historicité) s’intéressent principalement à ses formulations structurales, à ses significations, à sa rhétorique et à son interprétation historique. Certains en étudient la dialectique théologique (Marc Ellis), d’autres en reformulent les commandements (Adi Ofir), d’autres en étudient l’évolution historique (Lenni Brenner), d’autres enfin en explorent la structure financière (Finkelstein). De manière très frappante, la plupart des spécialistes qui étudient la question de l’Holocauste ont eu à se pencher sur une liste d’événements survenus entre 1933 et 1945. La plupart des universitaires qui s’en chargent sont eux-mêmes des orthodoxes pratiquants. Même s’ils peuvent se montrer parfois critiques sur différents aspects pris par l’exploitation de l’Holocauste, ils acceptent unanimement la véridicité du Judéocide Nazi, ses interprétations consensuelles et ses implications. La plupart des spécialistes – sinon, tous – ne remettent aucunement en question le narratif sioniste – à savoir le judéocide nazi – et pourtant, ils sont nombreux à être critiques quant à la manière dont des institutions (tant juives que sionistes) se servent de l’Holocauste (à leurs fins propres). 

Même si certains d’entre eux remettent en question les chiffres (Shraga Elam) et si d’autres contestent la validité de la mémoire (Ellis, Finkelstein), aucun ne s’aventure jusqu’au révisionnisme – aucun spécialiste de la religion holocaustique n’ose engager un dialogue avec les ainsi dits « négationnistes » afin de débattre de leur vision des événements ou d’une quelconque recherche révisionniste du même type.

Bien plus intéressant encore est le fait qu’aucun des spécialistes de la religion holocaustique n’a jugé bon de dépenser la moindre énergie à étudier le rôle joué par l’Holocauste à l’intérieur du continuum juif, lequel remonte très loin dans le passé. Dorénavant, j’affirmerai que la religion holocaustique était déjà bien établie, bien longtemps avant la Solution Finale (1942), bien avant la Nuit de Cristal [Kristalnacht (1938)], bien avant les Lois de Nuremberg (1936), bien avant que la première loi anti-juive n’ait encore été édictée par l’Allemagne nazie, bien avant que le Congrès juif américain ait déclaré une guerre financière contre l’Allemagne nazie (1933), et même bien avant la naissance d’Hitler (1889).

Archétypes juifs

Dans un précédent article, j’ai défini la notion de « Syndrome de Stress Pré-Traumatique » [SSPT] [Pre-Traumatic Stress Disorder (Pre-TSD)] [7]. Dans ce syndrome, le stress résulte d’un épisode fantasmatique mis en scène dans le futur – événement qui n’a jamais eu lieu. Contrairement au Syndrome de Stress Post-Traumatique [SSPoT], dans lequel le stress intervient en réaction à un événement qui a eu (ou peut avoir eu) lieu dans le passé, dans l’état de SSPT, le stress résulte d’un événement potentiel, imaginaire. Dans le SSPT, une illusion préempte les conditions dans lesquelles la fantasmagorie d’une terreur à venir modèle la réalité présente.

Apparemment, la dialectique de la peur domine l’existence juive, également, en temps que disposition mentale, depuis bien plus longtemps que nous sommes enclins à le reconnaître. Bien que la peur soit politiquement exploitée par les dirigeants ethniques juifs depuis les tous premiers jours de l’émancipation ; la dialectique de la peur est bien plus ancienne que l’histoire juive contemporaine. De fait, c’est l’héritage du Tanach (la Bible hébraïque) qui sert à place le juif dans un état pré-traumatique. C’est la Bible hébraïque qui installe un cadre binaire d’Innocence / Souffrance et de Persécution / Conquête du pouvoir. Soyons plus spécifique : la peur du judéocide est intimement mêlée à l’esprit juif, ainsi qu’à la culture et à la littérature juives.

A ce point de mon développement, j’affirme que la religion holocaustique a été instaurée afin de faire des juifs des émules des anciens Israélites.

L’anthropologue américain Glenn Bowman, spécialiste de l’étude des identités exiliques, propose une vision cruciale du sujet de la peur et de sa contribution à la question de la politique identitaire. « L’antagonisme », explique Bowman, « est fondamental au processus de fétichisation sous-jacent à l’identité, parce que l’on a précisément tendance à parler de qui on est, ou de ce que l’on est, précisément quand notre être même semble menacé. Alors, je commence à me dénommer moi-même comme telle ou telle personne, ou tel ou tel représentant d’une communauté imaginée, dès lors que quelque chose semble menacer ou rendre illicite l’être remplacé par le nom que je prononce. Les termes d’identité entrent dans l’usage précisément au moment où, pour une raison quelconque, on en vient à ressentir le fait que ces termes d’identité désignent un être ou une entité pour laquelle il faut se battre, afin de la défendre. » [8]

En bref ; Bowman souligne que c’est la peur qui cristallise la notion d’identité. Cependant, une fois que la peur a atteint le stade d’un stress collectif pré-traumatique, l’identité se reforme d’elle-même. Quant au peuple juif, c’est la Bible qui sert à l’installer dans un état de SSPT ; c’est, en effet, la Bible elle-même qui est à l’origine de la peur d’un judéocide.

***

De plus en plus nombreux, des spécialistes de la Bible commencent à en contester l’historicité. Niels Lechme, dans « Les Cananéens et leur terre » [The Canaanites and Their Land], affirme que la Bible a été « écrite, en très grande partie, après l’Exil (des juifs) à Babylone » et que ces écrits remettent en forme (et, dans une large mesure, inventent purement et simplement) l’histoire israélite de façon à ce qu’elle reflète et réitère les expériences de ceux des juifs qui revenaient de leur exil babylonien. » [9]

Autrement dit, la Bible, écrite par des gens rentrant « à la maison », incorpore dans un récit historique une partie de l’idéologie exilique pure et dure. Cela ressemble fortement aux premiers idéologues sionistes, qui voyaient dans l’assimilation des juifs une menace de mort ; « les communautés qui s’étaient rassemblées sous la direction des prêtres de Yahvé (à l’époque de l’exil babylonien) voyaient dans l’assimilation et l’apostasie non seulement une mort sociale pour eux-mêmes, en tant que juifs, mais même une tentative de déicide. Ils résolurent d’affirmer une fidélité absolue et exclusive envers Yahvé, dont ils étaient certains qu’il les ramènerait sur les terres dont ils avaient été chassés. La pureté du sang, prescrite en tant que moyen permettant de maintenir les frontières de la communauté nationale, interdit dès lors tout mariage mixte avec les communautés voisines des juifs. Les juifs instaurèrent également une série de rituels exclusivistes qui avaient la vertu de les séparer de leurs voisins ; ces rituels comportaient non seulement un succédané de l’adoration dans le Temple, mais aussi un calendrier distinct, qui leur permettait de vivre rituellement dans un cadre temporel différent de celui des communautés avec lesquelles ils se partageaient l’espace. Tous ces appareils diacritiques servirent à signaler les différences et à les entretenir, mais ils n’empêchaient nullement les juifs de commercer avec ces peuples – activité indispensable à leur survie parmi les Babyloniens. » 

L’examen de la lecture spectaculaire que Bowman et Lechme font de la Bible et du narratif judaïque en tant que manifestation d’une identité exilique et marginale peut expliquer le fait que la judéité soit florissante, dans l’exil, mais qu’elle perde son impétuosité, dès lors qu’elle devient une aventure domestique. Si la judéité est bien, en effet, centrée sur une idéologie de survie collective d’émigrés, alors, ses adeptes devraient prospérer dans l’Exil. Toutefois, ce qui maintient l’identité collective juive, c’est la peur. Semblable à la religion holocaustique, la judéité installe la peur du judéocide au cœur de la psyché juive, mais elle offre également les moyens spirituels, idéologiques et pragmatiques permettant de faire face à cette peur, et de la traiter.

Le Livre d’Esther

Le Livre d’Esther est un récit biblique qui sert de fondement à la fête de Pourim, laquelle est probablement la plus joyeuse des festivités juives. Ce livre relate une tentative de judéocide, mais il raconte aussi une histoire dans laquelle des juifs réussissent à modifier le sort qui leur est imparti. Dans ce livre, les juifs réussissent non seulement à se sauver, mais même à se venger.

Le récit se situe dans la troisième année du règne du roi Ahasuerus, l’Empereur de Perse étant généralement identifié à Xerxès [Cyrus] Premier. C’est une intrigue de palais, avec un complot, une tentative de massacrer les juifs et une courageuse et très belle reine juive (Esther), qui réussit à sauver le peuple juif in extremis.

Dans cette histoire, le roi Ahasuerus est l’époux de Vashti, qu’il répudie après qu’elle eut refusé son exigence qu’il puisse la ‘visiter’ durant une fête. Esther a été sélectionnée parmi les candidates pour devenir la nouvelle épouse d’Ahasuerus. Tandis que l’histoire se déroule, Haman, le premier ministre d’Ahasuerus, complote afin d’obtenir du roi qu’il massacre tous les juifs, sans savoir qu’Esther est en réalité une juive. Dans l’histoire, Esther, en compagnie de son cousin Mordechaï [Mardochée], sauve la mise à son peuple. Au péril de sa propre vie, Esther avertit en effet Ahasuerus du complot anti-juif ourdi par Haman. Haman et son fils sont pendus à la potence de cinquante places qu’il avait originellement fait ériger à l’intention du cousin d’Esther, Mordechaï. Et, comme de juste, voilà notre Mordechaï qui prend la place d’Haman et devient le nouveau premier ministre… L’édit proclamé par Ahasuerus décrétant l’élimination des juifs ne peut être invalidé ; aussi Mordechaï édicte-t-il un autre décret, permettant aux juifs de s’armer et de tuer leurs ennemis –, ce dont ils s’acquittent avec joie et entrain.

La morale de cette  histoire est très claire : si les juifs veulent survivre, ils ont intérêt à se trouver des infiltrés dans les arcanes du pouvoir. Dès lors qu’on a Esther, Mordechaï et Pourim présents à l’esprit, l’Aipac et la notion de « pouvoir juif » semblent bien être l’incarnation d’une profonde idéologie culturelle et biblique.

Toutefois, c’est ici que se produit un renversement intéressant. Bien que cette histoire soit présentée comme un récit historique, la véridicité historique du Livre d’Esther est très largement remise en cause par la plupart des biblistes contemporains. C’est dans une très large mesure l’absence de corroboration claire de l’un quelconque des détails de l’histoire relatée dans le Livre d’Esther par ce que l’on connaît de l’Histoire de la Perse à partir des sources classiques qui a conduit beaucoup de spécialistes à la conclusion que ce récit est en très grande partie (sinon totalement) fictionnel.

Autrement dit ; bien que la morale soit claire, le génocide prétendument envisagé est fictif. Apparemment, le Livre d’Esther installe ses adeptes dans un Syndrome de Stress Pré-Traumatique collectif ; d’une destruction imaginaire, il fait une idéologie de la survie. Et, de fait, d’aucuns voient dans cette histoire une allégorie de juifs parfaitement assimilés, qui découvrent qu’ils sont en butte à l’antisémitisme, mais qui sont aussi en position de sauver leur peau, ainsi que celle de leurs coreligionnaires juifs.

Il peut être éclairant de conserver Bowman à l’esprit, en l’occurrence. Le Livre d’Esther a pour finalité de former l’identité exilique. Il sert à implanter le stress existentiel ; il introduit la religion de l’Holocauste ; il réunit les conditions qui feront de l’Holocauste une réalité.

De manière très intéressante, le Livre d’Esther (dans sa version hébraïque) est un des deux seuls livres de la Bible qui ne mentionnent jamais Dieu directement (l’autre étant le Cantique des Cantiques). Dans le Livre d’Esther, ce sont les juifs qui croient en eux-mêmes, en leur propre pouvoir, en leur caractère unique, en leur sophistication, en leur propre aptitude à conspirer, à leur habileté à prendre le contrôle de royaumes entiers, à leur capacité à sauver leur peau par eux-mêmes. Dans le Livre d’Esther, mis à part ces juifs qui croient en leur propre puissance, il n’est question que d’une seule chose : la prise du pouvoir.

De Pourim à Birkenau

Dans un article intitulé : « Une leçon (à tirer) de Pourim : Du lobbying, contre le génocide. Alors et maintenant » [10][A Purim Lesson : Lobbying Against Genocide, Then and Now], le Dr. Rafael Medoff partage avec ses lecteurs ce qu’il considère être la leçon transmise aux juifs en héritage par le Livre d’Esther. Pour être plus précis, c’est l’art du lobbying qu’Esther et Mordechaï sont chargés de nous enseigner. « La fête de Pourim », écrit Medoff, « célèbre l’effort couronné de succès de juifs éminents, dans la capitale de la Perse antique, afin d’empêcher un génocide contre le peuple juif. » Mais Medoff ne s’en tient pas là. Cet exercice de ce que d’aucuns appellent « le pouvoir juif » a été repris et mené à bien par des juifs émancipés contemporains : « Ce qui est peu connu, c’est qu’un effort de lobbying [cet terme anglo-saxon pourrait se traduire par « entrisme », ndt] comparable a eu lieu, à l’époque moderne – à Washington, District of Columbia. Et, ce, au plus fort de l’Holocauste ».

Dans cet article, Medoff explore les similarités entre le lobbying déployé par Esther en Perse et le lobbying de ses frères contemporains à l’intérieur de l’administration de FDR [Franklin Delano Roosevelt], au plus fort de la Seconde guerre mondiale. « L’Esther du Washington des années 1940 était Henry Morgenthau Junior », dit Medoff, « un riche juif assimilé d’ascendance allemande, qui (comme l’a plus tard raconté son propre fils) était particulièrement anxieux d’être bien considéré comme « Américain à 100 % ». Cachant sa judéité, Morghenthau s’éleva, progressivement, passant d’ami et conseiller de F.D. Roosevelt à Secrétaire d’Etat au Trésor public. »

Manifestement, Medoff repéra tout aussi bien un moderne Mordechaï, « un jeune émissaire sioniste venu de Jérusalem, Peter Bergson (répondant au nom réel de Hillel Kook), lequel prit la tête d’une série de campagnes de protestation visant à pousser les Etats-Unis à sauver des juifs fuyant l’Allemagne hitlérienne. Les placards publiés de l’association de Bergson, publiés dans les journaux, ainsi que des manifestations publiques, suscitèrent la prise de conscience de l’Holocauste dans l’opinion publique – en particulier après qu’eut été organisée une marche de protestation de plus de quatre cents rabbins jusqu’au portail de la Maison Blanche, juste avant le Yom Kippour de 1943. »

La lecture que Medoff fait du Livre d’Esther nous permet de former une idée très claire du code interne de la dynamique de survie du peuple juif, dans laquelle l’assimilée (Esther) et le juif observant (Mordechaï) assemblent leurs forces, en ayant à l’esprit des intérêts manifestement judéo-centrés.

Selon Medoff, les similarités sont particulièrement frappantes : « La pression de Mordechaï finit par convaincre Esther d’aller auprès du roi ; la pression qu’exercèrent sur Morgenthau ses assistants finirent par le convaincre d’aller trouver le président, armé d’un rapport explosif de dix-huit pages, qu’ils avaient délicatement intitulé : « Rapport au Secrétariat (de la présidence) concernant l’assentiment de l’actuel gouvernement (américain) au massacre des juifs ».

Le Dr. Medoff est désormais prêt à tirer ses conclusions historiques : « Le lobbying d’Esther a été couronné de succès. Ahasuerus a annulé le décret de génocide (des juifs), et il a exécuté Haman et ses sbires. Le lobbying de Morgenthau a, lui aussi, réussi. Une résolution du Congrès (à l’initiative de Bergson), appelant à une action de secours a promptement passé l’épreuve de la Commission sénatoriale des Affaires étrangères – permettant à Morgenthau de dire à F. D. Roosevelt : « Vous avez intérêt à vous manier le train, sinon le Congrès des Etats-Unis le fera à votre place ! ». Dix mois avant le jour des élections, Roosevelt fit ce que voulait la résolution du Congrès : il publia un ordre exécutif créant le Bureau des Réfugiés de Guerre, une agence gouvernementale des Etats-Unis dont la finalité était de sauver des réfugiés ayant fui Hitler. »

Il est absolument clair que Medoff voit dans le Livre d’Esther un guide général en vue d’un avenir juif florissant. Medoff conclut son article ainsi : « L’affirmation que rien n’eût été possible afin d’aider les juifs européens avait été démolie par des juifs s’étant débarrassés de leurs peurs et ayant pris la parole pour leur peuple – tant dans la Perse antique que dans la Washington contemporaine. » Autrement dit, les juifs sont capables de se démerder par eux-mêmes ; ils en sont capables, et ils doivent le faire. C’est là, de fait, la morale du Livre d’Esther, et aussi celle de la religion de l’Holocauste.

Mais la question de savoir ce que les juifs sont censés faire par eux-mêmes, demeure, de fait, sans réponse. Les Néocons sont partisans d’entraîner l’Amérique et l’ensemble de l’Occident dans une guerre sans fin contre l’Islam. Emmanuel Levinas, au contraire, pense que les juifs devraient se placer à l’avant-garde du combat contre l’oppression et l’injustice. De fait, la conquête du pouvoir par les juifs n’est qu’une réponse, parmi bien d’autres réponses possibles. Pourtant, c’est là une réponse très radicale, pour ne pas dire dangereuse. Cette réponse est particulièrement dangereuse, dès lors que le Comité juif américain [AJC – American Jewish Committee] se comporte en Mordechaï des temps modernes et s’engage publiquement dans un effort généralisé de lobbying en vue d’une guerre contre l’Iran.

En analysant l’action et l’influence de l’Aipac au sein du monde politique américain, c’est le Livre d’Esther que nous devrions avoir présent à l’esprit. L’Aipac est plus qu’un simple lobby politique. L’Aipac et l’AJC sont les Mordechaï des temps modernes. Tant l’Aipac que l’AJC se situent de manière inhérente dans la lignée de l’école de pensée biblique hébraïque. Toutefois, alors que les Mordechaïs sont de nos jours plutôt faciles à repérer, il est un peu plus difficile de pister les Esthers des temps modernes, qui agissent certes dans l’intérêt d’Israël, mais dans les coulisses. 

Je pense que dès lors que nous serons parvenus à examiner le lobbying israélien en fonction des paramètres décrits par le Livre d’Esther (par la religion holocaustique), nous serons à même de voir dans Ahmadinejad la figure de l’Haman / Hitler actuelle. L’AJC est Mordechaï ; Bush est, de toute évidence Ahasuerus. Mais Esther, quant à elle, peut être n’importe qui, depuis le plus obscur des néocons jusqu’à Dick Cheney, et au-delà.

Brenner et Prinz

Dans le paragraphe introduisant le présent article, je pose la question de la judéité. Bien que j’admette la complexité de la notion de judéité, j’ai tendance à accepter également la contribution de Leibowitz à cette question : l’Holocauste est la nouvelle religion juive. Toutefois, dans le développement de cet article, j’ai pris la liberté d’étendre la notion d’Holocauste. Plutôt que de référer principalement à la Shoah, c’est-à-dire au judéocide nazi, j’affirme ici que l’Holocauste est, de fait, gravé dans le discours juif et dans la mentalité juive. L’Holocauste, c’est l’essence du syndrome de stress pré-traumatique juif, et il est antérieur à la Shoah. Etre juif, c’est voir dans l’ « autre » une menace, et non un frère. Etre juif, c’est être constamment sur ses gardes. Etre juif, c’est faire sien le message véhiculé par le Livre d’Esther ; c’est aspirer aux conjonctions les plus susceptibles d’influer sur l’hégémonie du moment. Bref ; être juif, c’est collaborer avec le pouvoir en place.

L’historien marxiste américain Lenni Brenner est fasciné par la collaboration entre les sionistes et le nazisme. Dans son livre Zionism in the Age of Dictators [Le sionisme à l’ère des dictatures], il cite un extrait d’un ouvrage publié par le rabbin Joachim Prinz en 1937, après son départ d’Allemagne et son installation aux Etats-Unis.

« En Allemagne, tout le monde savait que, seuls, les sionistes pouvaient représenter en toute responsabilité les juifs, tout en traitant avec le gouvernement nazi. Nous étions tous persuadés qu’un jour le gouvernement [nazi] organiserait une table ronde avec les juifs, au cours de laquelle – une fois les émeutes et les atrocités de la révolution calmées – le nouveau statut de la juiverie allemande pourrait être pris en considération. Le gouvernement [nazi] fit savoir très solennellement qu’il n’y avait au monde aucun autre pays où l’on tentât d’apporter une solution à la question juive aussi sérieusement qu’en Allemagne. La solution de la question juive ? Mais c’était précisément là notre rêve sioniste !… Dans une déclaration remarquable en raison de sa fierté et de sa dignité, nous appelâmes donc de nos vœux l’organisation d’une [telle] conférence. » [11]

Brenner cite ensuite des extraits d’un Mémorandum envoyé au parti nazi par l’organisation sioniste allemande ZVfD, le 21 juin 1933 :

« Le sionisme n’entretient nulle illusion quant à la difficulté inhérente à la condition juive, consistant avant tout en un profil des professions anormal et dans la faille que représente une posture intellectuelle et morale non-enracinée dans la tradition [nationale]… Avec l’institution du nouvel Etat [nazi, ndt], qui a établi le principe racial, nous souhaitons voir notre communauté s’insérer dans la structure d’ensemble de manière à ce que nous puissions, nous aussi, dans la sphère qui nous est impartie, apporter une contribution aussi fructueuse que possible à la Patrie[allemande]… Notre reconnaissance d’une nationalité juive est garante d’une relation claire et sincère avec le peuple allemand et avec ses réalités nationales et raciales. C’est précisément parce que nous souhaitons ne falsifier en rien ces fondamentaux, parce que nous sommes, nous aussi, opposés aux mariages mixtes et favorables au maintien de la pureté du groupe [ethnique] juif… que nous croyons en la possibilité d’une relation honnête, faite de loyauté, entre une juiverie consciente d’elle-même et le Reich… » [12]

Brenner n’approuve ni l’approche de Prinz, ni l’initiative sioniste. Plein de reproche, il écrit : « Ce document, qui est une trahison des juifs d’Allemagne, a été écrit en clichés sionistes standard : ‘profil des professions anormal’, ‘intellectuels sans racines, ayant grand besoin d’une régénération morale’, etc. Les sionistes allemands y offrent une collaboration calculée entre le sionisme et le nazisme, ceinte du halo d’un Etat juif : nous ne te livrerons aucune guerre, nous ne ferons la guerre qu’à ceux qui oseraient te résister. »

Mais Brenner se refuse à admettre l’évidence : le rabbin Prinz et l’organisation sioniste allemande ZVfD n’étaient nullement des traîtres : c’étaient tout simplement des juifs authentiques. L’un et l’autre suivaient à la lettre leur code culturel, juif de chez juif. Ils suivaient le Livre d’Esther ; ils se contentaient d’endosser le rôle de Mardochée. Ils tentaient de trouver une manière de collaborer avec ce qu’ils avaient identifié, à juste titre, comme un pouvoir émergent prééminent. En 1969, le rabbin Prinz avoua que jamais, « depuis l’assassinat de Rathenau, en 1922, il n’y eut le moindre doute, dans nos esprits, sur le fait que l’Allemagne évoluerait vers un régime totalitaire antisémite. Quand Hitler commença à émerger, et, comme il le disait, à « réveiller » la nation allemande à « la prise de conscience raciste de sa propre supériorité raciale », nous n’avions plus le moindre doute que cet homme deviendrait, tôt ou tard, le chef de la Nation allemande. » [13]

Que cela plaise (ou non) à Brenner (ou à  qui que ce soit d’autre), le rabbin Prinz s’avère un authentique chef juif. Il démontre qu’il possède un mécanisme radar de survie hautement sophistiqué, qui colle parfaitement à l’idéologie exilique. En 1981, Lenni Brenner a interviewé le rabbin Prinz. Voici ce qu’il avait à nous dire, à l’époque, au sujet de ce rabbin kollabo :

« Prinz a terriblement évolué, au cours des quarante-quatre années consécutives à son expulsion d’Allemagne. Il m’a dit, off the record, qu’il n’avait pas tardé à prendre conscience du fait que rien de ce qu’il avait déclaré là-bas [en Allemagne] n’avait le moindre sens, aux Etats-Unis. Il devint un Américain libéral [comprendre : ‘de gôche’, ndt]. Finalement, en sa qualité de chef de l’American Jewish Congress, on lui demanda de défiler au côté de Martin Luther King – ce qu’il fit volontiers. »

Encore une fois, Brenner ne voit pas ce qui est pourtant évident : Prinz n’a absolument pas changé ; Prinz n’a absolument pas évolué, durant ces quarante-quatre années. Il était un authentique juif – un authentique juif extrêmement intelligent – et tel il était resté, à savoir un homme ayant fait sienne l’essence de la philosophie de l’émigré juif : être un Allemand, en Allemagne, mais être un Américain, en Amérique. Etre flexible, s’adapter et adopter une pensée éthique éminemment relativiste. Prinz, en sa qualité d’émule dévoué de Mardochée, a compris que ce qui est bon pour les juifs [quoi que ce soit…], c’est bon, point barre ! 

J’ai repris, afin de les réécouter, les précieux interviews du rabbin Prinz réalisés par Brenner, qui sont aujourd’hui disponibles on line [14]. J’ai été particulièrement choqué de découvrir qu’en réalité, Prinz présente sa position non sans éloquence. C’est Prinz, plutôt que Brenner, qui nous donne un aperçu de l’idéologie juive et de son interaction avec la réalité ambiante. C’est plutôt Prinz, que Brenner, qui s’avère comprendre le ‘volk’ allemand et ses aspirations. Prinz présente ses prises de position passées en juif fier de l’être. De son point de vue, collaborer avec Hitler, c’était précisément ce qu’il y avait de mieux à faire. Il marchait dans les brisées de Mardochée ; il était probablement à la recherche d’une nouvelle Esther. Ainsi, rien d’autre que de très naturel dans le fait que le rabbin Prinz soit devenu, par la suite, président du Congrès juif américain. Il est devenu un dirigeant américain éminent, en dépit de sa « collaboration avec Hitler ». Pour cette raison, évidente : d’un point de vue idéologique juif, il avait, tout simplement, fait ce qu’il convenait de faire.

Quelques mots, pour conclure, au sujet du sionisme

Dès lors que nous avons appris à voir dans la judéité une culture exilique, une incarnation de l’ « altérité absolue », nous pouvons comprendre la judéité en tant que continuum collectif profondément ancré dans un fantasme d’horreur. La judéité, c’est la matérialisation d’une politique de la peur, sous la forme d’un agenda pragmatique. La religion holocaustique n’a nul autre fondement et, en réalité, elle est aussi vieille que les juifs [c’est dire… ndt]. Le rabbin Prinz fut capable de prévoir l’Holocauste. Tant Prinz que l’organisation sioniste allemande, la ZVfD, furent en mesure d’anticiper un judéocide. Ainsi, d’un point de vue idéologique juif, ils eurent le comportement qui convenait. Ils furent fidèles à leur éthique ésotérique, au milieu d’une rhétorique culturelle [nazie, ndt] ésotérique. [Voilà tout…]

Le sionisme était, véritablement, une promesse grandiose ; il avait pour seule fin de convertir les juifs en Israélites. Il allait faire des juifs un peuple semblable à tous les autres peuples. Le sionisme avait pour mission d’identifier la Galut [la Diaspora], afin de la combattre, ainsi que les caractéristiques et la culture exiliques du peuple juif. Mais le sionisme était condamné à l’échec. Pour une raison qui tombe sous le sens : au sein d’une culture métaphysiquement fondée sur une idéologie exilique, la dernière chose à quoi on puisse s’attendre, c’est à un « retour à la maison » qui soit couronné de succès. Pour être à la hauteur de ce qu’il promettait, le sionisme aurait dû se libérer de son idéologie juive exilique, il aurait dû s’émanciper de la religion holocaustique. Mais c’est là, précisément, ce dont il est parfaitement incapable. Exilique jusqu’au trognon, le sionisme a dû se convertir à l’antagonisme avec les indigènes palestiniens afin de maintenir son fétiche : son identité juive fantasmée.

Le sionisme ayant échoué à divorcer d’avec l’idéologie de l’émigré juif, il a laissé passer l’opportunité d’évoluer dans le sens d’une quelconque forme de culture locale. Conséquence : la culture et la politique israéliennes sont un étrange amalgame entre indécision, pouvoir colonial et mentalité victimaire de la Galut. Le sionisme est le produit séculier d’une culture exilique incapable d’évoluer en une perception authentiquement enracinée en un quelconque lieu.

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Notes

[1] Marc Ellis, Marc Ellis on Finkelstein
[2] http://www.counterpunch.org/
[3] http://www.ramallahonline.com
[4] Marc H. Ellis, Beyond Innocence & Redemption - Confronting The Holocaust And Israeli Power, Creating a Moral Future for the Jewish People (San Francisco: Harper & Row, 1990).
[5] http://peacepalestine.blogspot.com/
[6] http://www.amin.org/
[7] http://www.imemc.org/article/21744
[8] Glenn Bowman-Migrant Labour: Constructing Homeland in the Exilic Imagination, Antrhropological Theory II:4. December 2002 pp 447-468.
[9] Ibid
[10] http://www.wymaninstitute.org/articles/2004-03-purim.php
[11] http://www.marxists.de/middleast/brenner/ch05.htm
[12] Ibid
[13] http://www.marxists.de/middleast/brenner/ch03.htm
[14]
http://cosmos.ucc.ie/cs1064/jabowen/IPSC/php/clip.php?cid=512

[* Gilad Atzmon est né en Israël, et il y a effectué son service militaire. Auteur de deux romans : Le Guide des Egarés et My One and Only Love, Gilad Atzmon est également un des plus brillants saxophonistes de jazz en Europe. Son récent CD, Exile, a été distingué comme meilleur CD de jazz de l’année par la BBC. Gilad vit actuellement à Londres, où vous pouvez le contacter à l’adresse e-mail suivante :  atz@onetel.net.uk ]

 


Source et traduction : Marcel Charbonnier


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