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Palestinethinktank
« Nous errons », qu'ils disaient... Euh... : qui ça, « nous »,
déjà ??
A propos de l’ouvrage de Shlomo Sand : « Comment le peuple juif
fut inventé »
Gilad Atzmon
on Palestinethinktank.com, 2
septembre 2008
Shlomo Sand, professeur à l’université de Tel-Aviv, introduit la
remarquable somme qu’il a consacrée au nationalisme juif en
citant Karl W. Deutsch :
« Un peuple est un groupe de personnes unies par leur erreur
commune quant à leur origine, ainsi que par leur hostilité
collective envers leurs voisins » [1].
Aussi simple, voire même simpliste, que cela puisse paraître,
cette citation résume éloquemment cette vue de l’esprit qui est
congénitale au nationalisme juif et, en particulier, au concept
d’identité juive. Elle pointe manifestement le doigt sur
l’erreur collective que les juifs ont tendance à faire
lorsqu’ils font référence à leur « passé collectif » et à leur
« origine commune » fantasmatiques. Pourtant, dans le même
souffle, la lecture du nationalisme que fait Deutsch braque le
projecteur sur l’hostilité qui, malheureusement, va de pair avec
quasiment n’importe quel groupe juif vis-à-vis de la réalité qui
l’entoure, que cette réalité soit humaine, ou qu’elle soit
géographique. Si la brutalité des Israéliens à l’égard des
Palestiniens est d’ores et déjà connue de tout le monde, le
traitement violent que les Israéliens réservent à leur « terre
promise » et au paysage commence tout juste à apparaître dans
toute son horreur. Le désastre écologique que les Israéliens
s’apprêtent à laisser derrière eux sera une cause de souffrances
pour de nombreuses générations à venir. Mis à part la muraille
mégalomaniaque qui déchiquette la Terre Sainte en enclaves de
désolation et de famine, Israël a réussi à polluer ses
principaux cours d’eau [
main rivers ],dans
lesquels il déverse des effluents chimiques [chemical
waste], et même des déchets radioactifs.
« Comment le peuple juif fut inventé » [“When And How the Jewish
People Was Invented”] [la parution du livre en français est
annoncée pour le 3 septembre 2008, aux éditions Fayard,
collection Documents] est une étude très sérieuse réalisée par
le Professeur Shlomo Sand, un historien israélien. Il s’agit de
l’étude la plus sérieuse du nationalisme juif à avoir été
publiée jusqu’ici, et du commentaire le plus courageux – et de
très loin – du narratif historique juif.
Dans son livre, Sand démontre au-delà de tout doute possible que
le peuple juif n’a jamais existé en tant que « peuple-race », et
que les juifs n’ont jamais eu en partage une origine commune.
Non, il s’agit d’un mélange haut en couleurs de différents
groupes humains qui, à différentes époques de l’histoire, ont
adopté la religion juive.
Au cas où vous adopteriez la manière de penser de Sand et où
vous vous poseriez à vous-même la question : « quand le peuple
juif a-t-il été inventé ? », la réponse que Sand apporte à cette
question est extrêmement simple : « A un certain moment, au
XIXème siècle, des intellectuels d’origine juive vivant en
Allemagne, sous l’influence du caractère
völkish [populiste]
du nationalisme allemand, se sont donné la mission d’inventer
« rétrospectivement » un peuple, dans leur désir de créer un
peuple juif moderne. » [2]
Par conséquent, le « peuple juif » est une notion
« artificielle » consistant en un passé fictionnel et
imaginaire, avec très peu de preuves à conviction, tant
historiques que textuelles. Bien plus, Sand – qui s’est fondé
sur des sources remontant à l’Antiquité – en vient à la
conclusion que l’exil juif est, lui aussi, un mythe, et que les
Palestiniens d’aujourd’hui ont beaucoup plus de chances d’être
les descendants du peuple sémitique ancien de la Judée/Canaan
que la bande d’Ashkénazes d’origine khazare, à laquelle il
reconnaît appartenir lui-même. Très étonnamment, en dépit du
fait que Sand démantibule la notion de « peuple juif »,
pulvérise la notion de « passé collectif juif » et ridiculise
l’élan national chauvin juif, son livre est un best-seller, en
Israël… Ce fait, à lui seul, pourrait suggérer que ceux qui
s’auto-qualifient de « peuple du livre » commence aujourd’hui à
découvrir les philosophies trompeuses et dévastatrices, ainsi
que les idéologies qui ont fait d’eux ce que Khalid Amayreh et
bien d’autres considèrent comme les « nazis de notre époque ».
En fin de compte, le vainqueur, c’est Hitler
Bien souvent, si vous demandez à un juif « laïc » et
« cosmopolite » ce qui, au juste, fait de lui un juif, vous
recevez, en retour, cette réponse, superficielle et usée jusqu’à
la corde : « C’est Hitler, qui a fait de moi un juif… ». Bien
que le juif « cosmopolite », en tant qu’internationaliste, ait
tendance à passer par pertes et profit les inclinations
nationales des autres peuples, il ne démord pas de son propre
droit à l’ « autodétermination ». Toutefois, ce n’est pas
lui-même, qui se trouve au centre de cette exigence exclusive
d’orientation nationale… Non : c’est, de fait, le pernicieux, le
monstrueux antisémite nommé Adolf Hitler. Apparemment, notre
juif cosmopolite peut célébrer sa légitimité nationaliste, mais
il faut, pour cela, qu’il y ait un Hitler à blâmer dans les
parages…
Concernant le juif laïc cosmopolite, c’est donc Hitler qui a
gagné, en fin de compte. Sand réussit magnifiquement à souligner
ce paradoxe. Il suggère l’idée pénétrante que « si, au XIXème
siècle, qualifier les juifs « d’identité raciale aliène » aurait
immédiatement classé quelqu’un dans la catégorie des
antisémites, dans l’Etat juif, c’est cette philosophie elle-même
qui est profondément intégrée, mentalement et
intellectuellement » [3]. En Israël, les juifs célèbrent leur
différenciation et leur condition sans pareil. De plus, explique
Sand, « Il y a eu des époques, en Europe, où l’on pouvait se
faire taxer d’antisémitisme pour avoir affirmé que tous les
juifs appartiennent à une nation de type allogène. Aujourd’hui,
affirmer que les juifs n’ont jamais été, et ne sont toujours pas
un peuple ou une nation vous ferait aisément cataloguer dans la
catégorie des haïsseurs des juifs ». [4] De fait, il est
absolument extraordinaire que les seuls à avoir réussi à
maintenir et à entretenir une identité nationale racialement
orientée, expansionniste et génocidaire, qui ne diffère en rien
de l’idéologie ethnique nazie, soient précisément… les juifs,
qui furent, parmi (bien d’)autres, les victimes ciblées en
priorité par l’idéologie nazie et par le nazisme en actes.
Du nationalisme, en général. Et du nationalisme juif, en
particulier
Louis-Ferdinand Céline a observé qu’au Moyen Age, durant les
rémissions entre deux guerres de grande ampleur, les chevaliers
se faisaient payer très cher le fait qu’ils étaient prêts à
mourir au nom de leurs royaumes respectifs, tandis qu’au XXème
siècle, des petits jeunes s’étaient empressés d’aller se faire
zigouiller en masse, pour la beauté du geste, sans rien demander
en retour… Pour comprendre ce glissement dans la conscience de
masse, nous avons besoin d’un modèle méthodologique éloquent qui
nous permette de comprendre ce qu’est, au juste, le
nationalisme.
A l’instar de Karl Deutsch, Sand voit dans la nationalité un
narratif phantasmatique. Il est établi que les études
anthropologiques et historiques des origines de divers
soi-disant « peuples » et « nations » a conduit à l’effondrement
pitoyable de toute notion d’ethnicité et d’identité ethnique.
Partant, il est très intéressant de découvrir que les juifs ont
tendance à prendre leur propre mythe ethnique très au sérieux.
L’explication est sans doute simple, comme Benjamin Beit
Halachmi l’a repéré, voici fort longtemps.
Le sionisme n’avait d’autre fonction que de transformer la
Bible, de texte spirituel qu’elle était, en « registre du
cadastre ». A ce sujet, précision que la véridicité de la Bible,
ou de tout autre élément du narratif historique juif, n’importe
qu’extrêmement peu, dès lors que cela n’interfère pas avec la
cause ou la pratique politique nationale juive. Il serait aussi
loisible de conjecturer que l’absence de toute origine ethnique
bien définie n’est pas de nature à empêcher un peuple donné de
ressentir une appartenance ethnique ou nationale. Le fait que
les juifs sont très loin d’être ce que l’on peut qualifier de
Peuple, et que la Bible contient une quantité infime de vérité
historique, cela n’empêche pas réellement des générations
d’Israéliens et de juifs de s’identifier, par exemple, avec le
Roi David, ou avec le massacreur Samson…
A l’évidence, l’absence d’origine ethnique non-ambiguë n’empêche
pas les gens de se voir comme faisant partie d’un même peuple.
De même, cela n’empêchera pas le juif nationaliste d’avoir le
sentiment qu’il appartient à on ne sait trop quelle collectivité
abstraite supérieure.
Dans les années 1970, Shlomo Artzi, un jeune chanteur israélien,
à l’époque, qui allait devenir la plus grand rock star
israélienne de tous les temps, lança une chanson qui se retrouva
au zénith du hit-parade en quelques heures.
En voici le début :
Soudain,
Un homme se réveille,
Un beau matin :
Il a l’impression d’être un peuple
Alors, il se met à marcher
Et, à tous ceux qui croisent son chemin,
Il dit : « Shalom ! » !
Jusqu’à un certain point, Artzi exprime, innocemment, dans ses
paroles, la soudaineté et la quasi-contingence impliquées dans
la transformation des juifs en un peuple. Toutefois, presque
dans le même souffle, Artzi contribue au mythe national
illusoire de la nation aspirant à la paix. Artzi aurait dû
savoir, à son âge et vu l’époque, que le nationalisme juif était
une idéologie colonialiste agissant aux dépens du peuple
indigène palestinien.
Apparemment, le nationalisme, l’appartenance nationale, et en
particulier le nationalisme juif génèrent une mission
intellectuelle primordiale. De manière très intéressante, les
premiers à s’être colletés théoriquement et méthodiquement à des
questions ayant trait au nationalisme furent des idéologues
marxistes. Bien que Marx lui-même n’ait pas su traiter de cette
question de manière convaincante, l’irruption des exigences
nationalistes, au début du XXème siècle, en Europe orientale et
en Europe centrale, prit Lénine et Staline totalement au
dépourvu.
La contribution des « Marxistes » à l’étude du nationalisme peut
être considérée comme le point central de la profonde
corrélation entre l’émergence de l’économie libre et l’essor de
l’Etat national » [5]. En réalité, Staline veillait : il allait
reprendre la tache des Marxistes, sur cette question. « La
nation », affirme Staline, « c’est une solide collaboration
entre des êtres, créés et formés par l’Histoire, selon quatre
phénomènes fondamentaux : le partage d’une langue commune, le
partage d’un territoire, le partage d’une économie et le partage
d’une intercompréhension psychique… » [6].
Conformément à l’attente, une vision historique globale adéquate
fait défaut à la tentative déployée par les matérialistes
marxistes pour comprendre le nationalisme. En lieu et place, ils
ont tendance à prendre pour point de départ une lutte entre
classes. Pour des raisons évidentes, une telle vision des choses
étaient populaire chez ceux qui croient au « socialisme dans une
nation unique », parmi lesquels nous pouvons repérer les
partisans d’une branche de gauche du sionisme. Pour Sant, le
nationalisme s’est développé en raison de « la déchirure créée
par la modernité, qui coupa les peuples de leur passé le plus
immédiat. » [7]
La mobilité générée par l’urbanisation et l’industrialisation
ont écrasé le système hiérarchique traditionnel, ainsi que le
continuum entre le passé, le présent et le futur. Sans met le
doigt sur le fait qu’avant l’industrialisation, le paysan féodal
ne ressentait pas nécessairement le besoin d’un narratif
historique à base d’empires et de royaumes. Le sujet féodal
n’avait nul besoin d’un narratif historique abstrait et extensif
à propos de larges collectifs qui n’avaient qu’n rapport
extrêmement lointain avec ses besoins existentiels concrets et
immédiats. « En l’absence de toute perception d’un progrès
social, ils se contentaient d’un récit religieux imaginaire, qui
renfermait une mosaïque de mémoire à laquelle manquait toute
dimension réelle du passage du temps. La « fin » était le
commencement, et l’éternité assurait une transition entre la vie
et la mort » [8].
Dans notre monde séculier et urbanisé, le « temps » était devenu
le principal vecteur de vie à illustrer une signification
symbolique imaginaire. Le temps historique collectif était
devenu l’ingrédient élémentaire de la vie personnelle et intime.
Le narratif collectif forme la signification personnelle et ce
qui semble être le « réel ». Bien que certains esprits un peu
simplets maintiennent que le « personnel est politique », il
serait bien plus intelligible de dire que, dans la pratique,
c’est en réalité le contraire. Dans les conditions postmodernes,
le politique est personnel et le sujet est parlé, bien plus que
lui-même parlant. L’authenticité, mentionnons-le au passage, est
un mythe qui se duplique lui-même, sous la forme d’un
identifiant symbolique.
La lecture que fait Sand du nationalisme en tant que produit de
l’industrialisation, de l’urbanisation et du sécularisme, est
particulièrement pertinente si l’on a présente à l’esprit la
suggestion faite par Uri Slezkin, selon laquelle les juif sont
les « apôtres de la modernité », du sécularisme et de
l’urbanisation. Dès lors que les juifs se sont retrouvés dans la
cabine de pilotage de l’urbanisation et de la sécularisation, il
n’y a rien d’étonnant, dès lors, à ce que les sionistes aient
été particulièrement inventifs, au moins autant que d’autres,
dans l’invention de leur propre récit collectif phantasmatique.
Toutefois, tout en insistant sur leur droit à être « un peuple
comme les autres », les sionistes ont trouvé le moyen de
transformer leur passé collectif imaginaire en un agenda
politique global, expansionniste et impitoyable, ainsi qu’en la
plus grande menace pesant sur la paix mondiale.
Arrêtez de chercher : l’histoire juive n’existe pas !
Il est un fait absolument irréfutable : pas le moindre texte
historique juif n’a été écrit, entre le Ier siècle et le début
du XIXème. Le fait que le judaïsme soit basé sur un mythe
historico-religieux y est sans doute pour quelque chose. Un
examen adéquat du passé juif, voilà qui n’a jamais été la
préoccupation première de la tradition rabbinique. Une des
raisons en est, probablement, l’absence de besoin d’un tel
effort méthodologique. Pour les juifs de l’Antiquité et du Moyen
Age, la Bible suffisait amplement à répondre aux questions du
moment, relatives à la vie au jour-le-jour, à la raison d’être
et au destin des juifs. Comme le dit Shlomo Sand : « toute
notion de chronologie séculière était rigoureusement étrangère
au « temps diasporique », un temps particulier, auquel
l’anticipation de la venue du Messie donnait sa forme. »
Toutefois, à la lumière de la sécularisation, de l’urbanisation
et de l’émancipation allemande, et en raison de l’autorité
déclinante des dirigeants rabbiniques, un besoin émergent d’une
cause alternative se fit jour chez les intellectuels juifs qui
commençaient à s’éveiller. Le juif émancipé se demandait qui il
était, et d’où il venait ? Il se mit, par ailleurs, à spéculer
sur le rôle qui pouvait bien être le sien dans une société
européenne en train de s’ouvrir, très rapidement.
En 1820, l’historien juif allemand Isaak Markus Jost (1793-1860)
publia la première étude historique sérieuse consacrée aux
juifs, intitulée « L’Histoire des Israélites ». Eludant les
temps bibliques, Jost préféra faire débuter sa fresque
historique avec le Royaume de Judée ; il compila, par ailleurs,
le récit historique de différentes communautés juives, dans le
monde entier. Jost prit conscience du fait que les juifs de son
époque ne provenaient pas d’un continuum ethnique. Il comprit
que les Israélites différaient énormément, d’un lieu à un autre.
Partant, il pensa qu’il n’y avait rien, dans le monde, qui fût
en mesure d’empêcher les juifs de s’assimiler totalement. Il
pensait qu’au sein de l’esprit des Lumières, tant les Allemands
que les juifs tourneraient le dos à l’institution religieuse
oppressante et qu’ils formeraient une nation saine, fondée sur
un sentiment d’appartenance déterminé par la géographie. Bien
que Josse eût été conscient des évolutions du nationalisme
européen, ses adeptes juifs n’adhéraient pas du tout à sa façon
libérale et optimiste d’envisager l’avenir juif. »
A partir de l’historien Heinrch Graetz, les historiens juifs
commencèrent à dépeindre l’histoire du judaïsme sous les traits
de l’histoire d’une nation qui avait été un ‘royaume’, qui avait
été expulsée en ‘exil’, qui était ainsi devenue un peuple errant
et qui, enfin, aurait fait le trajet inverse et serait rentrée
dans sa patrie ancestrale. » [9]
Le passage idéologique de l’orientation raciste
pseudo-scientifique de Hess à l’historicisme sioniste saute aux
yeux. Si les juifs sont bien, effectivement, une entité raciale
aliène (comme Hess, Jabotinsky et d’autres auteurs l’affirment),
alors ils ont intérêt à rechercher leur foyer national naturel,
et ce foyer naturel n’est pas autre chose qu’Eretz Yizrael.
Manifestement, l’assomption hessienne au sujet d’un continuum
raciale n’avait pas été approuvée scientifiquement. Afin de
perpétuer le narratif phantasmatique émergent, un mécanisme
orchestré de déni avait dû être mis sur pied, à seule fin de
s’assurer que certains faits gênants n’interférassent point avec
la création nationale émergente.
Sand avance l’idée que le mécanisme du déni fut manifestement
orchestré, et très bien pensé. La décision, prise par
l’Université Hébraïque dans les années 1930, de séparer
l’Histoire juive et l’Histoire générale dans deux facultés
distinctes ne fut pas une simple question de praticité. Le logos
sous-jacent à cette séparation offre une échappée sur
l’autoréalisation juive. Aux yeux des universitaires juifs, la
condition juive et la psyché juive étaient uniques, et devaient
donc, nécessairement, être étudiées séparément.
Apparemment, même au sein du monde académique juif, un statut
suprême est réservé aux juifs, à leur histoire et à la
perception qu’ils ont d’eux-mêmes. Comme le révèle Sand de
manière pénétrante, au sein des facultés des Etudes juives, le
chercheur est tiraillé entre le mythologique et le scientifique,
tandis que le mythe maintient sa primauté. Pourtant, cela
aboutit souvent à un dilemme paralysant, provoqué par ces
« petits détails dans lequel se cache le diable ».
Le Nouvel Israélite, la Bible et l’archéologie
En Palestine, les nouveaux juifs et, plus tard, les Israéliens,
étaient déterminés à recruter l’Ancien Testament et à en faire
le code général du juif nouveau. La « nationalisation » de la
Bible devait servir à inculquer aux jeunes juifs l’idée qu’ils
étaient les successeurs directs de leurs grandioses ancêtres.
Gardant à l’esprit le fait que la nationalisation fut un
mouvement séculier, dans une très large mesure, la Bible fut
débarrassée de ses significations spirituelle et religieuse. En
lieu et place, on en vint à la considérer comme un texte
historique décrivant un enchaînement d’événements réels, dans le
passé. Les juifs qui avaient désormais réussi à tuer leur Dieu,
apprirent à croire en eux-mêmes. Massada, Samson et Bar Kokhba
devinrent des narratifs-maîtres suicidaires. A la lumière de
leurs ancêtres héroïques, les juifs apprirent à s’aimer
eux-mêmes au moins autant qu’ils haïssaient autrui, à ce détail
près que, désormais, ils possédaient les moyens militaires leur
permettant d’infliger une douleur tout-à-fait incidiblement
réelle à leurs voisins.
Plus préoccupant était le fait qu’au lieu d’une entité
supranaturelle – à savoir Dieu – qui leur commandait d’envahir
le territoire et d’y perpétrer un génocide, puis de voler leur
« terre promise » à ses habitants indigènes, dans leur projet de
revivification nationale, c’était eux, personnellement, eux,
Herzl, Jabotinsky, Weizman, Ben Gurion, Sharon, Peres ou Barak,
qui décidaient de qui expulser, détruire et tuer. En lieu et
place de Dieu, c’était dès lors les juifs qui assassinaient, au
nom du peuple juif. Ils le faisaient en arborant des symboles
juifs sur leurs avions de chasse et sur leurs tanks. Ils
obéissaient à des ordres qui étaient donnés dans la langue de
leurs ancêtres, qui avait repris du service, après avoir été
récemment remise au goût du jour.
De manière très suprenante, Sand, qui est, à n’en pas douter, un
chercheur remarquable, omet de mentionner que le piratage de la
Bible fut, en réalité, une réplique juive désespérée au
romantisme allemand précoce. Toutefois, autant les philosophes,
les poètes, les architectes et les artistes allemands étaient
idéologiquement et esthétiquement frapadingues de Grèce
présocratique, ils savaient parfaitement bien qu’ils n’étaient
pas précisément les fils et les filles de l’hellénisme. Le juif
nationaliste alla donc plus loin, il s’attacha lui-même à une
chaîne phantasmatique du sang avec ses ancêtres mythiques, et il
ne tarda pas à en restaurer, y compris, la langue morte. Au lieu
de langue liturgique, de langue sacrée, l’hébreu était devenu
une langue parlée. Jamais les premiers romantiques allemands
n’étaient allés aussi loin.
Les intellectuels allemands du XIXème siècle étaient
parfaitement conscients de la distinction à opérer entre Athènes
et Jérusalem. Pour eux, Athènes représentait l’universel,
c’était un chapitre épique dans l’histoire de l’humanité et de
l’humanisme. Jérusalem, au contraire, était le grand chapitre de
la barbarie tribale. Jérusalem incarnait le Dieu banal,
non-universel, monothéiste et impitoyable, ce Dieu qui tue le
vieillard et l’enfant. L’ère du préromantisme allemand nous a
donné Hegel, Nietzcsche, Fichte et Heidegger, et quelques juifs
haineux d’eux-mêmes, dont le principal fut Otto Weininger. Son
équivalent jérusalémite ne nous a pas légué ne serait-ce qu’un
seul penseur majeur. Certains universitaires juifs allemands de
seconde catégorie, parmi lesquels on trouve Herman Cohen, Franz
Rosenzveig et Ernst Bloch, tentèrent de prêcher Jérusalem dans
l’exèdre germanique. Manifestement, ils n’avaient pas remarqué
que ce que les pré-romantiques allemands méprisaient tout
particulièrement, c’était les traces de Jérusalem, dans le
christianisme.
Dans leurs efforts pour ressusciter « Jérusalem », l’archéologie
fut mise de la partie, afin de fournir à l’epos sioniste les
fondements « scientifiques » qui lui faisaient cruellement
défaut. L’archéologie ainsi asservie avait pour mission de
relier les temps bibliques à l’époque de la renaissance juive.
Le moment probablement le plus étonnant de cette tentative
bizarre fut l’enterrement militaire solennel (en 1982) des
ossements de Shimon Bar Kokhba, un juif rebelle mort depuis deux
millénaires… [‘military
burial ceremony’ of the bones of Shimon Bar Kochva].
Tandis qu’officiait le rabbin en chef de l’armée israélienne,
les hommages funéraires télévisés furent accordés à des
ossements erratiques retrouvés dans une grotte, non loin de la
Mer Morte. Ainsi, des restes plus que douteux d’un rebelle juif
du Ier siècle furent traités comme s’il se fût agi d’une victime
des Forces Israéliennes de Défense. Manifestement, l’archéologie
était investie d’un rôle national : elle avait été recrutée afin
de cimenter le présent au passé, tout en maintenant
soigneusement la Galut (les juifs diasporiques) hors-champ.
Chose extrêmement surprenante, il ne fallut pas très longtemps
avant que les choses se retournent totalement. La recherche
archéologique devenant de plus en plus indépendante du dogme
sioniste, la vérité embarrassante finit par suinter. Il serait
impossible de fonder la véridicité du récit biblique sur des
faits scientifiques démontrés. A tout le moins, l’archéologie
réfute l’historicité de l’intrigue biblique. Les fouilles ont
prouvé cette réalité dérangeante : la Bible n’est rien d’autre
qu’une anthologie de fictions littéraires, fussent-elles
particulièrement imaginatives.
Comme le fait observer Sand, l’histoire biblique primitive est
totalement imbibée de Philistins, d’Araméens et de chameaux.
Chose particulièrement dérangeante, les fouilles archéologiques
nous éclairant sur ce point, les Philistins ne sont pas apparus,
dans la région, avant le XIIème siècle avant JC, les Araméens
apparaissent un siècle plus tard, et les chameaux n’y ont pas
montré leur minois joviaux avant le VIIIème siècle. Ces faits
scientifiques mettent les chercheurs sionistes dans un état de
confusion particulièrement sévère. Toutefois, pour des
chercheurs non-juifs, tel Thomas Thompson, il était tout-à-fait
évident que le texte biblique était « un recueil tardif d’une
littérature imaginative écrite par un théologien
particulièrement doué. » [10] La Bible semble bien être un texte
idéologique, qui avait pour fonction de servir une cause sociale
et politique. Chose très gênante, on n’a pas trouvé grand-chose,
au Sinaï, qui prouvât l’histoire du légendaire Exode d’Egypte :
apparemment, trois millions d’hommes, de femmes et d’enfants
hébreux auraient déambulé dans le désert, durant quarante
années, sans laisser le moindre objet derrirèe eux. Pas la
moindre boule de matzo abandonnée dans un coin ? Hmm : pas très
juif, ça…
L’histoire biblique de la réinstallation [des juifs, de retour
d’exil, ndt] et du génocide des Cananéens, qui les Israélites
contemporains imitent avec le succès indéniable que l’on sait,
n’est qu’un mythe de plus. Quant à Jéricho, cette ville
fortifiée formidable, qui aurait été applatie au sol par des
trompettes et quelque intervention supranaturelle du
Tout-Puissant, ça n’avait été qu’un minuscule village paisible,
durant tout le XIIIème siècle avant JC…
Autant Israël considère être la résurrection du monumental
Royaume de David et de Salomon, autant des fouilles, exécutées
dans la Vieille Ville de Jérusalem, dans les années 1970, ont
révélé que le Royaume de David n’était rien de plus qu’un
minuscule campement tribal. L’attribution mordicus de certains
vestiges au Roi Salomon par Yigal Yadin a été réfutée, plus
tard, par des tests au carbone 14. Le fait dérangeant a été
démontré scientifiquement : la Bible est une fiction, et il n’y
a pratiquement rien qui fût de nature à attester une quelconque
existence glorieuse d’un quelconque peuple hébreu, en Palestine,
à quelque époque historique que ce soit.
Alors, QUI a inventé les juifs ?
Très rapidement, dans son ouvrage, Sand soulève les questions
cruciales, qui sont, à n’en pas douter, les questions les plus
pertinentes. Qui sont les juifs ? D’où venaient-ils ? Comment se
fait-il qu’à différentes périodes historiques, ils apparaissent
dans des lieux très différents et très éloignés les uns des
autres
Bien que la plupart des juifs d’aujourd’hui sont absolument
convaincus que leurs ancêtres étaient les Israélites de la
Bible, qui auraient été brutalement exilés par les Romains, il
faut cesser de plaisanter, et dire la vérité.
Les juifs actuels n’ont strictement rien à voir avec le
Israélites de l’Antiquité, qui n’ont jamais été envoyés en exil,
parce qu’une telle expulsion n’a jamais eu lieu. L’exil des
juifs par les Romains n’est qu’un mythe. Juif. Un de plus…
« J’ai commencé à examiner les recherches historiques consacrées
à l’Exil », explique Sand dans une interview accordée au
quotidien israélien Haaretz [11], « mais, à mon grand
étonnement, j’ai découvert qu’une telle littérature scientifique
n’existait pas. La raison en est toute simple : pesronne n’a
jamais exilé qui que ce fût, de ce pays. Les Romains n’ont exilé
aucun des peuples qu’ils avaient conquis, et ils n’auraient pas
pu le faire, quand bien même l’eussent-ils voulu. Ils n’avaient
pas de trains, ni de camions, qui leur permissent de déporter
des populations entières. Ce genre de logistique était
inexistante, jusqu’au XXème siècle. C’est même, en fait, de là
que découle tout le récit biblique : de la prise de conscience
que la société juive n’avait pas été dispersée, ni exilée. »
De fait, à la lumière de la vision simple des choses qu’a Sand,
l’idée d’un exil juif est cocasse. L’idée qu’une Marine
Impériale Romaine aurait bossé 24/24 et sept jours sur sept afin
de ‘schlepper’ [expédier, en argot ashkenaze, ndt] Moishe’le et
Yanka’le à Cordoue et à Tolède peut certes aider les juifs à se
sentir importants, tout autant que ‘schleppables’, mais le bon
sens suggérerait plutôt que l’armada romaine avait bien d’autres
chats à fouetter…
Toutefois, bien plus intéressant encore, il y a le résultat
logique : si le peuple d’Israël n’a pas été expulsé, alors, les
véritables descendants des habitants du Royaume de Juda ne
peuvent être que… les Palestiniens !
« Aucune population ne peut demeurer pure et sans mélange durant
plusieurs millénaires », affirme Sand [12]. « Mais la
probabilité que les Palestiniens soient les descendants du
peuple judaïque antique est bien plus élevée que celle que
vous-même, ou moi, nous en descendions. Les premiers sionistes,
jusqu’à la grande Révolte arabe [1936-1939] savaient qu’il n’y
avait eu nul exil [des juifs] et que les Palestiniens
descendaient des habitants de cette terre. Ils le savaient fort
bien, que des paysans n’abandonnent jamais leur terre, à moins
qu’ils n’en soient chassés par la force. Même Yitzhak Ben-Zvi,
le deuxième président de l’Etat d’Israël, a écrit, en 1929, que
« l’immense majorité des paysans ne descendent nullement des
conquérants arabes, mais bien plutôt, avant leur arrivée, de
paysans juifs, qui étaient très nombreux, puisqu’ils
représentaient la majorité de ceux qui avaient défriché et
construit ce pays. »
Dans son ouvrage, Sand va plus loin : il suggère que jusqu’à la
Première Insurrection Arabe (de 1929), les dirigeants sionistes
soi-disant « de gauche » avaient tendance à croire que les
paysans palestiniens, effectivement « juifs, de par leurs
origines », s’assimileraient dans la culture hébraïque émergente
et rejoindraient, finalement, le mouvement sioniste. Ber
Borochov pensait qu’un « fellâh (un paysan) palestinien (il
disait « falakh », avec son accent hébreu), qui s’habille comme
un juif, et se comporte comme un juif de la classe ouvrière, ne
pourra être distingué en rien d’un juif. »
C’est cette idée-même qui réapparut dans un écrit de Ben Gourion
et de Ben-Zvi, en 1918. Ces deux dirigeants sionistes avaient
conscience du fait que la culture palestinienne était imprégnée
de vestiges bibliques, tant linguistiquement que
géographiquement (noms de villages, de villes, de rivières, de
montagnes…) L’un comme l’autre, Ben Gurion et Ben-Zvi voyait,
tout du moins au début de leur carrière, dans les indigènes
palestiniens des parents ethniques, très attachés à la terre, et
des potentiellement des frères. Ils voyaient, de même, dans
l’Islam, une « religion démocratique » et amicale.
Manifestement, après 1936, l’un comme l’autre mit une sourdine à
son enthousiasme « muticulturel ». Dans le cas de Ben Gurion,
l’épuration ethnique des Palestiniens fut manifestement bien
plus sexy.
On est fondé à s’interroger : si ce sont les Palestiniens, qui
sont les juifs authentiques, alors, qui sont ces gens qui
insistent à revendiquer cette identité ?
La réponse de Sand est très simple, et pourtant, elle est
particulièrement convaincante. « Ce n’est pas je ne sais trop
quel « peuple juif », qui s’est répandu : c’est la religion
juive. Le judaïsme pratiquait le prosélytisme. Contrairement à
ce que beaucoup de gens croient, dans le judaïsme primitif, il y
avait une véritable frénésie de conversion de non-juifs ». [13]
Manifestement, les religions monothéistes étant moins tolérantes
que les religions polythéistes, ont, en elles, un élan expansif.
L’expansionnisme juif, à ses débuts, n’était pas similaire à
l’expansionnisme chrétien, mais c’est bel et bien lui,
l’expansionnisme judaïque, qui a semé les graines qui allaient
germer dans la pensée et dans les pratiques chrétiennes
primitives.
Les Hasmonéens, explique Sand [14], « furent les premiers à
produire de grands nombres de juifs, à travers une conversion en
masse, sous l’influence de l’hellénisme. C’est cette tradition
de conversion au judaïsme qui prépara le terrain à la
dissémination ultérieure, très large, du christianisme. Après la
victoire du christianisme, au IVème siècle, la dynamique des
conversions au judaïsme cessa presque totalement, dans le monde
chrétien, et on assista à une chute vertigineuse du nombre des
juifs. On présume que beaucoup des juifs qui avaient fait leur
apparition tout autour de la Méditerranée devinrent chrétiens.
Mais c’est alors que le judaïsme commença à pénétrer dans
d’autres régions – des régions païennes, par exemple, comme le
Yémen et l’Afrique du Nord. Si le judaïsme n’avait pas continué
à progresser, à ce stade, et s’il n’avait pas continué à
convertir des gens, dans le monde païen, nous serions restés une
religion totalement marginale, et encore : peut-être
n’aurions-nous même pas survécu… »
Les juifs d’Espagne, dont nous pensions qu’ils étaient
génétiquement reliés aux premiers Israélites, semblent être des
Berbères convertis au judaïsme. « Je me suis demandé », explique
Sand, « comment des communautés juives aussi importantes avaient
bien pu apparaître en Espagne. Et puis j’ai vu que Tariq ibn
Ziyad, le commandant-en-chef des Musulmans qui avaient conquis
l’Espagne, était un Berbère, ainsi que la plupart de ses
soldats. Le Royaume berbère de la reine (juive) Dahia al-Kahina
(en Afrique du Nord, ndt) avait été vaincu quinze années
auparavant. Et la vérité, c’est qu’un grand nombre de sources
chrétiennes disent que beaucoup des soldats « arabes » qui
conquérirent l’Espagne étaient des juifs [berbères] convertis.
La source profondément enracinée de la nombreuse communauté
juive d’Espagne, c’était ces soldats berbères, convertis au
judaïsme. »
Conformément à l’attente, Sand approuve l’hypothèse largement
reconnue selon laquelle les Khazars judaïsés ont constitué la
principale origine des communautés juives d’Europe orientale,
qu’il appelle la nation yiddish. A la question de savoir comment
il se fait qu’ils parlent le yiddish, qui est très largement
considéré par les spécialistes comme un dialecte allemand
médiéval, il répond : « les juifs constituaient une classe de
gens qui dépendaient de la bourgeoisie allemande, dans l’Est de
l’Europe, et c’est pourquoi ils ont adopté des mots allemands. »
Dans son ouvrage, Sand donne un récit détaillé de la saga
khazare, chapitre fondamental de l’histoire juive. Il explique
ce qui a amené le royaume khazare à se convertir au judaïsme. En
gardant à l’esprit le fait que le nationalisme juif est, très
majoritairement, dirigé par une élite khazare, il serait sans
doute utile d’étendre notre familiarité avec ce groupe politique
tout-à-fait unique en son genre, et néanmoins extrêmement
influent. La traduction de l’ouvrage de Sand en langues
étrangères est une nécessité absolue et urgente. (L’édition
française est annoncée, [elle a paru, le 3 septembre 2008, ndt],
comme l’indique l’article d’Eric Rouleau, publié dans le Monde
diplomatique daté du mois de mai 2008, intitulé « A-t-on inventé
le peuple juif ? », que l’on trouvera, à ce lien :
http://www.monde-diplomatique.fr/2008/05/ROULEAU/15885 )
Et après ?
Le professeur nous livre la conclusion, inéluctable : les juifs
contemporains n’ont aucune origine commune, et leur origine
sémitique est un mythe. Les juifs n’ont aucune origine que ce
soit en Palestine, et par conséquent leur soi-disant « retour »
sur leur soi-disant « terre promise » ne peut s’effectuer
autrement que sous la forme d’une invasion perpétrée par un clan
idéologico-tribal.
Toutefois, bien que ne constituant aucun continuum racial, les
juifs, pour une raison ou pour une autre, se trouvent avoir une
détermination raciale. Comme nous pouvons le remarquer, beaucoup
de juifs continuent à voir dans les mariages mixtes le summum de
la trahison. De plus, en dépit de la modernisation et de la
sécularisation, une vaste majorité de ceux qui s’identifient en
tant que juifs laïcs n’en continuent pas moins de succomber à un
rituel sanglant (la circoncision), une procédure religieuse
unique en son genre, qui implique rien de moins qu’une succion
de sang par un Mohel [il s’agit du circonciseur, chez les juifs,
le rite pratiqué sur des bébés mâles (auxquels on donne à cette
occasion leur nom de baptême) âgés de huit jours (sauf raison de
santé) étant nommé Brit-milah, ndt].
Pour Sand, Israël devrait devenir « un Etat de tous ses
citoyens ». Comme Sand, je crois, pour ma part, en cette même
vision utopique futuriste. Toutefois, à la différence de Sand,
je pige dûment que, pour cela, l’Etat juif et les lobbies qui le
soutiennent doivent être vaincus idéologiquement. La fraternité
et la réconciliation sont des notions totalement étrangères à la
vision du monde tribale juive, et elles n’ont aucune place à
l’intérieur du concept de renaissance nationale juive. Aussi
dramatique que cela puisse paraître, il faut qu’un processus de
déjudaïsation intervienne, avant que les Israéliens puissent
adopter une quelconque notion moderne universelle de vie civile.
Sand est indubitablement un intellectuel de très haute tenue, il
est probablement le penseur israélien de gauche le plus avancé.
Il représente la plus haute forme de pensée qu’un Israélien laïc
puisse atteindre avant de se tailler, voire même avant de passer
du côté palestinien (cela est déjà arrivé à une petite poignée
d’entre eux, dont moi-même). L’intervieweur du Haaretz, Ofri
Ilani, a dit, parlant de Sand, qu’à la différence d’autres
« nouveaux historiens », qui ont tenté de saper les assomptions
de l’historiographie sioniste, « Sand ne se contente pas de
revenir dans le passé, en 1948, ou aux débuts du sionisme, mais
il va beaucoup plus loin : il remonte de plusieurs
millénaires. » C’est effectivement le cas, contrairement à ces
« nouveaux historiens » qui « révèlent » la vérité que tout
enfant de palestinien de quatre ans connaît, c’est-à-dire la
vérité d’avoir été victime d’une épuration ethnique, Sand édifie
un corpus de travail et de pensée qui vise à la compréhension de
la signification du nationalisme juif et de l’identité juive.
Telle est, en vérité, l’essence de la recherche universitaire.
Au lieu de se contenter de collecter des fragments historiques
sporadiques, Sand recherche la signification de l’histoire. Plus
qu’un « nouvel historien » à la recherche de quelque nouveau
fragment, c’est un authentique historien, motivé qu’il est par
une mission humaniste. Plus crucialement, contrairement à ces
historiens juifs qui se targuent de contribuer au soi-disant
discours de gauche, la crédibilité et le succès de Sand sont
fondés sur son argumentation, et non pas sur son arrière-plan
familial. Il évite de persiller son propos avec ses parents
rescapés de l’Holocauste. En lisant l’argumentation féroce de
Sand, on doit admettre que le sionisme, parmi tous ses péchés, a
réussi à produire, en son propre sein, un discours dissident,
fier et autonome, qui est bien plus éloquent et brutal que le
mouvement antisioniste, pris dans sa globalité, dans le monde
entier.
Si Sand a raison, et je suis personnellement convaincu par la
force de son argumentation, alors les juifs ne sont pas une
race, mais bien plutôt un collectif d’un très grand nombre de
gens qui sont pris en otages par un mouvement nationaliste
phantasmatique prolongé. Si les juifs ne sont pas une race, ne
constituent nul continuum racial et n’ont rien à voir avec le
sémitisme, alors l’ « antisémitisme » est, catégoriquement, un
signifiant vide. Il réfère, manifestement, à un signifié
inexistant. Autrement dit : notre critique du nationalisme juif,
du lobbying juif et du pouvoir juif ne peut être qu’une critique
légitime d’une idéologie et d’une pratique.
Une fois encore, je ne me lasserai jamais de le répéter, nous ne
sommes pas, et nous n’avons jamais été, contre les juifs (les
personnes), ni contre le judaïsme (la religion). Pourtant, nous
sommes contre une philosophie collective animée par des intérêts
mondiaux parfaitement clairs. Certains voudraient l’appeler
sionisme, mais je préfère ne pas le faire. Le sionisme est un
signifiant très vague, qui est bien trop étroit pour capturer
toute la complexité du nationalisme juif, avec sa violence, son
idéologie et ses pratiques. Le nationalisme juif est un état
d’esprit, et l’esprit n’a pas de frontières clairement définies.
De fait, nul parmi nous ne sait où s’arrête la judéité, et où
commence le sionisme ; exactement de la même manière dont nous
ignorons où s’arrêtent les intérêts israéliens, et où commencent
les intérêts des néocons.
En ce qui concerne la cause palestinien, le message est
parfaitement dévastateur. Nos frères et sœurs palestiniens sont
sur le front d’un combat contre une philosophie particulièrement
dévastatrice. Néanmoins, ce ne sont manifestement pas les seuls
Israéliens qu’ils ont à combattre, ces Israaéliens qui sont
dotés d’une philosophie pragmatique impitoyable, capable de
déclencher des conflits mondiaux sur une échelle gigantesque.
Non, ils ont à se battre contre une pratique tribale, qui
recherche l’influence dans les couloirs du pouvoir, en
particulier dans les superpuissances : par exemple, l’American
Jewish Committee n’est-il pas en train de pousser à la guerre
contre l’Iran ?
Simplement afin d’être du bon côté, David Abrahams, un « Ami
travailliste d’Israël » donne de l’argent au parti travailliste
britannique via un comparse. A peu près au même moment, deux
millions d’Irakiens meurent à cause d’une guerre illégale mise
en scène et en musique par un certain Wolfowitz. Tandis que tout
cela se déroule, des millions de Palestiniens sont affamés dans
des camps de concentration, et Gaza est au bord de la crise
humanitaire. Tandis que tout cela se produit, des juifs
soi-disant « antisionistes » et des juifs dits « de gauche »
(dont Chomsky) s’acharnent à dézinguer la puissante critique de
l’Aipac, du lobbying juif et du pouvoir juif, rédigée par les
chercheurs américains Mearsheimer et Walt [15].
S’agit-il seulement d’Israël ? S’agit-il réellement du
sionisme ? Ou devons-nous admettre que c’est quelque chose de
bien plus vaste que tout ce que nous sommes autorisés à
envisager, à l’intérieur des frontières intellectuelles que nous
nous sommes imposées à nous-mêmes ? Les choses étant ce qu’elles
sont, nous n’avons pas le courage intellectuel de contrer le
projet national juif et ses nombreux missi-dominici dans le
monde entier. Toutefois, dès lors que tout n’est qu’une
conscience de glissement de la conscience, les choses ne vont
pas tarder à changer. De fait, cet ouvrage est, en lui-même, la
preuve que les choses sont déjà en train de changer.
Soutenir les Palestiniens, nous tenir à leurs côtés, c’est
sauver le monde. Mais, pour ce faire, nous devons avoir assez de
courage pour prendre de la hauteur, et reconnaître qu’il ne
s’agit pas simplement d’un combat de nature politique.
Il ne s’agit pas seulement d’Israël, de son armée ou de ses
dirigeants.
Il ne s’agit pas même seulement de Dershowitz, de Foxman et de
leurs ligues de censeurs.
Il s’agit, en réalité, d’une guerre contre un forme d’esprit
cancérigène, qui a pris l’Occident en otage, espérons-le,
momentanément, qui l’a détourné de son inclination humaniste et
de ses aspirations athéniennes. Lutter contre une forme
d’esprit, c’est beaucoup plus difficile que de lutter contre des
gens, tout simplement parce que l’on peut être amené à lutter
contre les traces-mêmes que cette idéologie pernicieuse a pu
laisser en nous-mêmes.
Si nous voulons combattre Jérusalem, nous risquons fort d’avoir
à nous affronter au Jérusalem qui est en nous.
Nous devrions sans doute nous installer devant le miroir, et
regarder autour de nous.
Peut-être conviendrait-il que nous recherchions quelque trace
d’empathie, en nous-mêmes. On ne sait jamais : il en reste
peut-être un peu ??
Traduit de l’anglais par Marcel
Charbonnier
[1] When And How The Jewish People Was
Invented? Shlomo Sand, Resling 2008, pg 11
[2]
http://www.haaretz.com/hasen/spages/966952.html
[3] When And How The Jewish People Was Invented? Shlomo
Sand, Resling 2008, pg 31
[4] Ibid pg 31
[5] Ibid pg 42
[6] Ibid
[7] Ibid pg 62
[8] Ibid
[9]
http://www.haaretz.com/hasen/spages/966952.html
[10] When And How The Jewish People Was Invented? Shlomo
Sand, Resling 2008, pg 117
[11]
http://www.haaretz.com/hasen/spages/966952.html
[12] Ibid
[13] Ibid
[14] Ibid
[15]
http://www.lrb.co.uk/v28/n06/mear01_.html
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