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Ha'aretz
Enfants
de guerre
Gideon
Lévy
Haaretz, 2
septembre 2007
www.haaretz.co.il/hasite/spages/899832.html
Version
anglaise : Children of war
www.haaretz.com/hasen/spages/899694.html
De
nouveau des enfants. Cinq enfants de Gaza tués en huit jours.
L’insensibilité du public face à ces meurtres – les trois
derniers, par exemple, n’ont eu droit qu’à un entrefilet en
marge de la page 11 du « Yediot Aharonot », ce qui est
en soi écœurant – ne peut estomper le fait que l’armée israélienne
mène une guerre contre des enfants. Il y a un an, un cinquième
des tués de l’opération « Pluies d’été » étaient
des enfants ; ces deux dernières semaines, ils constituent
un quart des 21 tués. Si, le ciel nous préserve, des enfants
devaient être touchés à Sderot, nous devrions nous en souvenir,
avant de remuer ciel et terre.
L’armée
israélienne explique que les Palestiniens ont l’habitude
d’envoyer des enfants ramasser les lanceurs de roquettes Qassam.
Pourtant, dans ce cas-ci, les enfants qui ont été tués ne
ramassaient pas de lanceurs. Les deux premiers récoltaient des
caroubes et les trois autres – selon la propre enquête de
l’armée israélienne – jouaient à chat perché. Mais même
en admettant, comme le prétend l’armée israélienne (la chose
n’est pas prouvée), que d’une manière générale il y aurait
une telle tendance à envoyer des enfants ramasser des lanceurs de
roquettes, pareille situation devrait entraîner l’arrêt immédiat
des tirs contre ceux qui ramassent les lanceurs.
Mais
il est indifférent pour l’armée israélienne que ses victimes
puissent être des enfants – il est un fait qu’elle ouvre le
feu sur des silhouettes suspectes à ses yeux, tout en sachant –
selon ses propres dires – qu’il peut s’agir d’enfants.
L’armée israélienne qui tire en direction de ceux qui
ramassent les lanceurs de roquettes est par conséquent une armée
qui tue des enfants. Il ne s’agit dès lors pas de regrettables
erreurs (en série) comme on tend à présenter la chose, mais
d’un mépris pour la vie des enfants et d’une terrible indifférence
à leur sort de la part de l’armée.
Une
société pour laquelle les considérations morales sont tenues en
haute considération devrait au moins se demander s’il est
permis de tirer sur ceux qui s’approchent des lanceurs de
roquettes quand on sait que certains d’entre eux sont de petits
enfants n’ayant pas encore de jugement et dès lors non
punissables, ou si nous lâchons la bride à toutes nos opérations
de guerre. Même si nous acceptons les arguments de l’armée qui
déclare que ses moyens de vision sophistiqués ne permettent pas
de distinguer entre un enfant de 10 ans et un adulte, on ne peut dégager
l’armée israélienne de sa responsabilité dans cet acte
criminel. Même si nous faisions la supposition – totalement
distordue – que toute personne qui s’approche des lanceurs mérite
la mort, le fait qu’il s’agisse d’enfants devrait nous
amener à changer de règles. Si on ajoute à cela le fait que les
tirs visant ceux qui ramassent les lanceurs de roquettes n’ont
pas amené l’arrêt des tirs de Qassam, pas même à leur
diminution, on en vient au soupçon affreux que l’armée israélienne
ouvre le feu – même en sachant qu’il est possible qu’il
s’agisse d’enfants – pour se venger et pour punir. La vie
d’aucun enfant de Sderot n’est plus sûre du fait de ses
tueries, au contraire.
Celui
qui en toute bonne foi examinera le développement des événements
des deux derniers mois découvrira que les Qassam s’inscrivent
dans un contexte : ils sont presque toujours lancés après
des opérations d’assassinats menées par l’armée israélienne
– et il y en a eu beaucoup. La question de savoir qui a commencé
n’est pas une question puérile dans ce contexte. L’armée
israélienne a repris ses assassinats, et à grande échelle, et
c’est à la suite de cela que les tirs de Qassam se sont accrus.
La vérité est là mais, chez nous, cette vérité est cachée.
Depuis que Gabi Ashkenazi [chef
d’état-major de l’armée israélienne] et Ehoud Barak [ministre de la Défense] sont entrés en fonction, la bride a été
lâchée. Si Barak était un représentant de la Droite, peut-être
y aurait-il eu déjà un tollé général contre le déchaînement
de l’armée israélienne à Gaza. Mais à Barak tout est permis
et même le fait que les victimes soient des enfants ne change
rien – ni pour Barak ni pour le public israélien.
Oui,
les enfants de Gaza s’attroupent près des Qassam. C’est à
peu près la seule chose qu’ils aient dans leur vie. C’est
leur parc d’attractions à eux. Ceux qui, plein d’arrogance,
exhortent les parents de ces enfants à « veiller sur eux »
n’ont jamais mis les pieds à Beit Hanoun. Il n’y a rien là-bas,
sinon des ruelles et de pauvres maisons. Même s’il était vrai
que les responsables des tirs de Qassam utilisent ces enfants misérables
(ce qui n’est pas prouvé), il ne serait pas admissible que cela
modèle notre propre image morale. Oui, la retenue est permise et
la prudence aussi. Non, il n’est pas toujours nécessaire de
riposter, en particulier lorsque cela aboutit à une tuerie
d’enfants.
La
voie qui mène à l’arrêt des tirs de Qassam ne consiste pas à
tuer à l’aveuglette. Un lanceur de roquette, ça se remplace.
L’année scolaire s’ouvre chez nous comme chez eux, lourde de
présages. Ceux qui veulent vraiment mettre fin aux tirs de
roquettes Qassam doivent aboutir à un accord de cessez-le-feu
avec le gouvernement en fonction à Gaza. C’est la seule voie et
cette voie est possible. Les assassinats, les bombardements et les
tueries d’enfants vont exactement dans la direction opposée. Et
en attendant, voyez ce qui nous arrive, à nous et à notre armée.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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