Opinion
Quelques
réflexions autour de l'islam
Dr
Ghada El Yafi
Ghada El
Yafi
Mardi 6 décembre
2011
Le Moyen-Orient est le berceau des trois
religions monothéistes et les adeptes de
ces trois religions
ont vécu côte à côte plus de
quatorze siècles.
Comment
se fait-il qu’ils puissent se connaître
si peu ? Que les responsables, les
érudits, les ulémas aient tellement
amenuisé les ressemblances et tellement
exagéré les différences était-ce un
hasard ? Cette question et beaucoup
d’autres seront posées au cours de notre
causerie.
Je voudrais aussi, pour éviter de prêter
à confusion, faire la distinction entre
choix politique et appartenance
religieuse. Le choix politique engage un
ensemble de citoyens dans une
orientation déterminée indépendamment de
leur appartenance religieuse.
L’appartenance religieuse vous lie à une
communauté, même si vous n’adoptez pas
les mêmes options politiques.
Je ne cherche pas à relater l’histoire
de l’islam, je n’ai pas la prétention
d’être « spécialiste » dans ce domaine
et je ne me permettrai pas d’ouvrir une
nouvelle école d’interprétation de
l’islam. Tout ce que j’ai envie
d’exprimer sont quelques remarques qui
peuvent être des sujets de réflexion,
autant aux croyants musulmans qu’aux
personnes appartenant à d’autres
religions. Peut-être mes réflexions
pourraient-elles motiver des
« spécialistes » à chercher à nous
donner des réponses.
Aujourd’hui l’extrémisme, la violence,
l’oppression de la femme, la haine de
l’autre, sont jumelées avec
l’islam et colportés à travers le
monde par les medias et sur le net.
Vrais ou faux, on est bien loin
du message de l’islam.
Dieu a pourtant dit à Mahomet, parlant
de ses messagers : « Wa ma arsalnakom
illa ra7matan lil 3aalamin »,
qui
signifie : « Nous ne vous avons
envoyé que par miséricorde pour
l’humanité » Sourate les prophètes,
verset 7. C’est par ces paroles que l’on
doit comprendre
aussi le message de l’Islam.
Pourquoi
cet amalgame ? Qu’est ce que l’Islam ?
D’où vient la Charia ?
Mouslim et mouslimoun
Sont musulmans (mouslimoun : pluriel de
mouslem, et mouslima, le féminin) tous
ceux qui ont reconnu l’unicité de Dieu
dès avant l’Islam proprement dit, et qui
ont suivi les principes d’une éthique
universelle, dans leur conduite
quotidienne, tout au long de leur vie.
Ainsi, Abraham, le patriarche,
le père des religions
monothéistes est considéré « mouslem ».
La vierge Marie également. Mouslem vient
du verbe aslama, aslama lillah, mot
arabe qui signifie, s’en remettre à
Dieu.
Étaient également « mouslimoun», tous
les prophètes cités dans le Coran et qui
ont vécu avant Mahomet. Après lui,
l’acte de témoignage, la « chahada »,
signifie la reconnaissance de l’unicité
de Dieu ainsi que la légitimité de la
révélation qui fut faite à tous les
prophètes et messagers depuis Adam.
Le croyant est celui qui croit en
Dieu, en ses messagers et ses messages,
ses anges, la destinée et le jour du
jugement dernier.
Ainsi, en réalité, tout musulman croyant
croit aussi en Moïse, Jésus et en tous
les prophètes et leurs messages. L’islam
est donc une foi et une conduite.
Pour les musulmans croyants, le Coran
est une révélation divine et non un
texte historique ; sinon, il perdrait sa
valeur universelle et éternelle. Tout
croyant est invité à le lire, le
comprendre et à en appliquer les
préceptes dans un contexte temporel.
L’islam tel que suggéré par le Coran,
incite la société et l’individu à faire
le Bien, à se préserver du Mal ; il
recommande la protection du maillon le
plus faible de la société.
Il incite aussi à la protection de
toute vie, telle que la faune et
la flore,
mais aussi le
respect de tout ce qui existe sur
terre et de considérer les richesses de
la nature comme un patrimoine universel,
car, dans le concept de l’islam, tout
appartient à Dieu, même notre corps et
par conséquent la richesse devrait être
gérée pour que ses rendements aillent à
toute l’humanité et non à un groupe qui
se permettrait de dominer les autres.
Et la Charia alors, qui représente les
lois appliquées aux musulmans, dans les
détails de leur vie, d’où vient-elle ?
Que dit le Coran ?
La racine du mot « charia » signifie
montrer un chemin, ouvrir une voie. La
charia représente les règles établies
par des législateurs. Elle a pour but
d’établir des lois dans le sens de la de
la protection
des plus faibles dans la
société tels que l’enfant, la personne
âgée, le handicapé ainsi que de toute
personne
humaine que la vie a privée de
l’opportunité d’un vie digne et décente.
La charia peut varier d’une
interprétation à l’autre. C’est ainsi
que se développèrent les quatre grandes
écoles de jurisprudence islamique dès
les premiers siècles de l’islam. Ces
juristes et penseurs d’autrefois avaient
relevé le défi de l’innovation continue,
prenant leur source dans l’esprit
universel du Coran et des exemples de la
vie du Prophète Les différences résident
dans l’interprétation de chacun d’entre
eux,
de ce qui convient le
mieux à la société dans laquelle ils ont
vécu.
Ces
écoles essayaient de résoudre les
problèmes conjoncturels de la société.
Le dynamisme représenté par cet effort a
permis la diffusion de l’islam dans des
sociétés et des cultures aussi diverses
que les Uigurs de la Chine que les
Touaregs du Sahel.
Un mot rapide pour mieux comprendre :
ces écoles sont des écoles
sunnites, les sunnites
représentant environ 80% des musulmans.
Elles sont apparues dans l’ordre
suivant : Malikite, Hanafite, Chafiite
et Hanbalite.
Elles diffèrent par leurs sources, par
l’acceptation ou non du « ijtihad » ou
de l’opinion personnelle qui découle de
la réflexion, de l’effort
d’interprétation et du raisonnement par
analogie pour adapter la charia aux
besoins de la société, ils diffèrent par
la rigidité plus ou moins grande dans
l’application des dogmes. Toutes se
basent sur le Coran sur sur le hadith
qu’il est impossible de vérifier de
façon absolue. Elles se sont aussi
inspirées de la sunna connue
principalement par les coutumes
médinoises.
L’école Hanafite avec l’école Malikite
est la plus ouverte et la plus souple
dans son adaptation aux réalités locales
et temporelles, à la réflexion
personnelle et
à l’évolution du monde.
Abou Hanifa avait rejeté beaucoup de
Hadith qu’il avait jugés douteux.
Ces écoles ne couvraient pas
géographiquement les mêmes régions.
Ainsi le rite Hanafite prévaut surtout
en Turquie, au Proche-Orient, en Chine,
tandis que le Hanbalite est plus diffusé
en Iran, le Chafiite en extrême-orient,
et le
rite Malikite, couvre surtout
l’Afrique du Nord et de l’Ouest.
Le ijtihad
s’est poursuivi un certain temps,
les ulémas continuant ainsi à s’adapter
aux nouvelles réalités sociales.
Mais, malheureusement, de crainte
d’aller trop loin il a été interrompu au
début du second millénaire.
De nos jours, le nombre sans cesse
croissant des musulmans, ainsi que la
diversité des adeptes de l’islam rend
nécessaire de relever le défi de la
modernisation et de réformer les
législations en cours pour les adapter
selon le lieu et l’évolution de la
société en question, sans toutefois
trahir les principes universels du
Coran. En dehors des grands principes
fondamentaux, il ne saurait donc y avoir
ni uniformité, ni rigidité.
On retrouve peu de préceptes clairs de
la juridiction ou de la « charia » dans
le Coran. Outre les règles générales
d’éthique, de clémence et de justice ou
celles qui respectent
l’intelligence humaine et
la
science, communes à toutes les
religions monothéistes, on y
retrouve des recommandations concernant
la vie des hommes pour un monde
meilleur.
Le message n’a d’autre objectif
que le bonheur de l’humanité.
Les hommes de
religion et l’islam
Il n’y a pas de clergé dans l’islam. Il
ne devrait pas y avoir, en principe,
d’intermédiaire entre le croyant et
Dieu.
D’une part parce qu’il incombe à
l’individu de prendre la responsabilité
de sa conduite et de ses actes dans sa
vie, pour lesquels il sera jugé dans sa
vie future, et d’autre part, pour
écarter la domination de certaines
personnes sur les autres, au nom de la
religion ; mais aussi et surtout, parce
que nul ne peut prétendre détenir la
Vérité, nul ne peut se mettre à la place
de Dieu et dire : « Voici l’explication,
aucune autre n’est valable».
Historiquement, les ulémas étaient
assignés pour porter conseil au
gouvernant et lui éviter d’établir des
lois qui contrediraient
l’esprit
et les recommandations du Coran
lorsque
la nécessité d’innover devenait
pressante.
Ainsi, avec le temps et la succession
des gouvernants de la « oumma », les
besoins d’innover ont multiplié les lois
pour gérer des sociétés de plus en plus
complexes. Ces législations,
purement civiles, donc humaines,
ont été attribuées à l’islam comme
inhérente au dogme.
Certains ulémas avaient parfois
montré quelque complaisance au Calife
ou Émir en place. Ainsi les lois
de la charia ont été progressivement
instituées, tantôt sévères et rigides,
tantôt plus accommodantes, selon
la personnalité du « alem » en question
(singulier de uléma) son sens éthique,
son intelligence, sa culture et aussi
son effort intellectuel.
Ces doctes de l’islam ont parfois fait
dire à la religion musulmane des
hérésies et ont de par ce fait entraîné
leurs adeptes vers un fanatisme, une
déformation et une déviation complète de
l’esprit de l’islam. Qui n’a pas entendu
parler, par exemple, des « hachachines »
ou « assassins » ?
Ceci nous amène à la question : faut-il
accepter aveuglément l’interprétation
humaine de la charia dans un monde
aussi mouvementé, aussi varié et
fluctuant?
Les textes des anciens chercheurs et
leurs interprétations
du Coran sont la base de la charia
d’aujourd’hui. La référence aux
écritures transmises est devenue
fondamentale et bien plus importante que
le texte sacré lui-même. Cependant, s’il
est acceptable de consulter les écrits
des anciens chercheurs,
le Coran devrait rester l’ultime
référence.
Mais le monde a évolué et les sociétés,
avec le développement des moyens de
communications ont suivi cet élan
et
peu d’efforts sont faits par la classe
cléricale musulmane, instituée de facto,
pour suivre ce changement.
Au lieu d’adapter les lois aux besoins
naissants de cette société nouvelle, et
éviter les transgressions qui pourraient
en résulter, on a l’impression d’une
résistance de la part des chefs
religieux, garants de la charia, pour
empêcher les adeptes de l’islam de
suivre cette évolution forcée. C’est
comme si, ne sachant plus comment
contenir une échappée possible à leur
emprise, il valait mieux user de
conservatisme. Par leur attitude, ils
semblent refuser que les populations
sous leur autorité puissent être
influencées par cette marée montante.
Cette influence concerne
principalement la libération de la
femme, que les sociétés musulmanes
refusent toujours d’accorder, invoquant
la religion. Ils oublient que le Coran
s’adresse aux femmes autant qu’aux
hommes et que la femme est autant
responsable de ses actes que l’homme
devant Dieu, que nul n’a le droit de lui
imposer ses décisions puisque c’est elle
qui sera jugée et nul n’a sur elle un
droit de tutelle! Dieu a envoyé Mahomet
comme avertisseur et non comme
mandataire de la parole divine ( mounzer
wa laysa wakil), cela signifie bien que
la liberté de l’individu est sacrée.
Si Dieu a refusé au prophète lui-même,
le droit de tutelle sur les gens comment
admettre, sans la discuter, l’autorité
de la classe cléricale sur les fidèles?
Le
Coran nous dit : « Nous avons faits de
vous des peuplades et
des tribus pour que vous vous
découvriez » (ja3alnakom chou3oub wa
qaba2el lita3arafou) ( Sourate
al7oujrat, verset 13). Autrement dit, ne
vous tournez pas le dos les uns aux
autres. L’esprit du Coran invite les
peuples à se rencontrer, à se connaître.
Au lieu de cela, on observe des
scissions même entre
musulmans.
Si ces schismes datent de quatorze
siècles, quel effort ont fait les ulémas
pour aplanir les différences purement
politiques qui se sont transformées en
schismes religieux ? Qu’ont-ils fait
pour rapprocher entre eux, les musulmans
et les non musulmans ? Comment accepter
comme guides
ou conseillers, des personnes qui
ne combattent pas fermement les discours
doubles, l’hypocrisie?
Aujourd’hui devant une classe cléricale,
organisée en institution et devant la
rareté de ulémas d’envergure, dans leur
savoir,
leur audace, leur courage, pour
adapter l’interprétation du texte sacré
aux besoins actuels de la société,
devant le sens éthique
émoussé de certains ou de leur
conduite quotidienne
douteuse, les musulmans ont été
déviés de l’esprit du message. Une
partie de la classe cléricale a été
contaminée par le virus du pouvoir qui
porte en lui les gènes de la corruption.
Le rôle des chefs religieux ne sert plus
qu’à
inféoder une population croyante
(mais surtout crédule) au bon vouloir
des plus payants ou des plus puissants.
Ainsi ces dernières années, on a entendu
des fatwas, des délibérations, en dépit
du bon sens à travers tout le monde
arabe, pour plaire au chef politique ou
tout au moins pour éviter de lui
déplaire.
Malheureusement, les croyants ont été
orientés, en général,
vers des préceptes secondaires au
détriment des fondements du message de
l’islam, et plus ces chefs prennent de
l’autorité, plus ils deviennent rigides,
s’attachant à la forme plutôt qu’au
fond, insistant davantage sur l’habit,
la coiffure et autres symboles tout en
ignorant la lutte contre la corruption,
l’intolérance, l’obscurantisme, la
superstition, l’injustice et
l’oppression.
Ainsi, nous ne comprenons plus
aujourd’hui cette inégalité entre
garçons et filles tant au sein de la
famille que dans la vie professionnelle.
Nous ne comprenons pas la suprématie
accordée aux garçons devant le rôle
subalterne de la fille dans la plupart
des foyers, inégalité, qui aboutit, dans
le monde du travail, à une inégalité
dans les revenus financiers à qualité et
rendement, égaux
entre homme et femmes. Elle se
traduit par la difficulté d’accès à des
postes clés, tels que celui de directeur
général,
de chef d’entreprise,
de chef de parti, et ainsi de
suite…. Nous comprenons encore moins ce
tollé soulevé par les hommes de religion
lors d’un tentative de faire passer une
loi contre la violence domestique ou
leur résistance à l’application de
textes qui visent à unifier les lois
concernant l’état civil. Ce ne sont que
quelques exemples pris au hasard, qui
permettent aux hommes de se sentir
privilégiés avec une
tendance naturelle
à en abuser, laissant aux
femmes des sentiments de frustration et
d’infériorité ce que contredit l’esprit
universel du Coran qui prêche pour la
bienveillance, l’équité, la justice et
le bonheur de l’humanité.
Le côté énigmatique et symbolique du
Coran
nécessite un labeur et un
perfectionnement continus
de la compréhension du texte
ainsi que de la connaissance et du
savoir en général. Le verset suivant
dit : «laqad darabna lilnas fi haza
alqour2an min koulli mathalen la3allahom
yatazakaroun » , « nous avons donné aux
gens, dans ce Coran, des exemples de
tout bord, qu’ils s’en souviennent »
(Sourate alzoumar, verset 27). Il
faudrait donc faire des analogies,
extrapoler. Dans ce sens, les
législateurs de la charia ont du retard
par rapport aux besoins présents de la
société civile et, malheureusement, le
message dans ses interprétations
actuelles a considérablement perdu de sa
force libératrice.
Comment
comprendre le texte, à la lumière de la
modernité ?
Prenons un exemple : celui de l’héritage
des enfants.
Il est écrit dans le Coran que la part
du fils équivaut à celle de deux filles
avec, en contrepartie, des devoirs de la
part du frère envers sa sœur. Or, les
responsables de l’application de la
charia ont fait appliquer aux adeptes de
l’islam uniquement la part concernant la
fille et ne se sont jamais préoccupés de
l’application de la contrepartie. On
devrait comprendre que si le frère
n’honore pas sa partie du contrat,
celui-ci tombe à l’eau.
De plus, il n’a été écrit nulle part que
la fille ne puisse accéder à une part
égale et sinon supérieure à celle de son
frère, si elle est amenée à gérer le
patrimoine d’un frère incompétent ou
attardé par exemple.
Cet
exemple et tant d’autres devraient faire
réfléchir les législateurs. Le lecteur
du Coran est en droit de se poser la
question suivante:
Comment accepter que le Coran,
d’inspiration divine, n’eut pas prévu
l’évolution et donné des parts égales
aux successeurs des deux sexes ?
C’est ce que les efforts des juristes
devraient tenter d’expliquer.
Pour nous, en ce qui concerne l’exemple
choisi, la part qui revient à la fille
serait le minimum, exigé et pouvant être
appliqué à cette époque-là, pour amorcer
des réformes dans une société où la
femme n’était considérée que comme un
objet : l’histoire raconte qu’elle
faisait partie de l’héritage au même
titre que le bétail ou les biens
matériels. Exiger qu’elle reçoive une
part d’héritage était en soi, un acquis
extraordinaire pour l’époque ; avec une
part égale, le message n’aurait jamais
pu passer.
Dans le même état d’esprit, si un délit
est commis qui
nécessite, dans les mentalités
des arabes du sixième siècle, des
sanctions physiques maximales, le Coran
recommande, avant de procéder aux
sanctions, d’apporter des preuves
irréfutables et
vérifiables avec nombre de
témoins à l’appui, avant de procéder à
l’application de la peine, tout en
exhortant à la clémence et la
réhabilitation en priorité.
C’est comme si, sans interdire
clairement ce qui avait cours à
l’époque, il fallait élever devant les
juristes des barrières
impossibles à franchir pour appliquer
ces sanctions. Les sanctions physiques
qui étaient une coutume au sixième
siècle sont devenues inadmissibles de
nos jours et ne contredisent absolument
pas le texte sacré puisque
clémence
et réhabilitation priment.
Il n’est pas de notre propos de
reprendre tout le texte coranique pour
l’expliquer mais de montrer que la
charia peut et doit être évolutive, sans
entrer en contradiction avec l’esprit du
Coran et qu’à l’époque du Prophète, pour
faire admettre le message il eut fallu
le faire progressivement.
Les fondements étaient posés ; il
incombait aux hommes de faire évoluer la
juridiction dans l’esprit de justice, de
clémence, de bonté, pour consentir la
modernité et pour un monde meilleur.
Sans ce message, la
société arabe tribale, n’aurait
jamais pu sortir de son moyen-âge, ni
être diffusée aux quatre coins du monde.
C’est cet appel universel de l’islam, et
son essence
libératrice de la peur, de
l’injustice, de la superstition,
ainsi que son appel à la solidarité
entre les hommes, à la justice
sociale, qui l’ont permis.
Toute question que peut se poser
l’individu de nos jours est légitime et
justifiée. Justifiée pour qui refuse la
violence contre les femmes, justifiée
pour le
débat sur le port du voile, ou la
polygamie ; justifiée pour qui milite
pour le mariage mixte ou pour la liberté
individuelle. A-t-on le droit, de nos
jours, de refuser une loi réclamée par
la société civile qui stipule l’égalité
des citoyens ?
C’est cette résistance contre
l’évolution qui a fait que la charia aux
yeux de certains, est devenue une sorte
de geôle spirituelle qui séquestre tout
sujet appartenant à la religion
musulmane, qui lui interdit de penser,
d’objecter,
d’arguer et même d’évoluer dans
sa foi et dans ses actes, sauf avec ce
qui correspond à l’interprétation des
doctes.
Suivre la charia telle quelle, à
la lettre, de nos jours, est devenu
difficilement acceptable et contesté par
la logique, la raison. Il s’en est suivi
une désertion de l’islam : désertion
complète pour certains : le regard
qu’ils portent sur l’islam est celui que
porte n’importe quelle personne
pour des traditions révolues.
Pour d’autres, l’islam se réduit à des
mœurs et des coutumes, suivies et
appliquées par habitude ; il représente
davantage une culture qu’une foi,
laquelle prend une importance
secondaire. La majeure partie, reste
dominée par les superstitions et les
menaces de l’enfer que leur inculquent
les hommes de religion. Pour eux, suivre
les dogmes et les rites garantit leur
vie future : ils peuvent pécher, par
exemple, un nombre illimité de fois, il
leur suffit d’aller au pèlerinage
à la Mecque une fois par an pour
que Dieu leur pardonne,
croient-ils. C’est malheureusement
une déformation du message que ne
rectifient pas les hommes de religion
assignés, en principe, pour expliquer le
message divin,
et qui
prêchent tous les vendredis.
Seule une petite partie des musulmans,
grâce à une éducation ouverte et
responsable, à un esprit critique,
utilisant la raison et l’intelligence,
vivent leur foi, comprise dans son
essence.
Les pratiques
de l’Islam et la foi
L’islam dogme est basé sur 5 pratiques
personnelles : la chahada ou témoignage
qu’il n’y a d’autre
dieu que Dieu et que Mahomet est
son messager, la prière, le jeun durant
le mois du Ramadan, la zakat ou l’aumône
(la donation, et enfin le pèlerinage à
« la maison » (la Mecque), pour qui en a
les moyens.
La
prière consiste à réciter des
versets du Coran. Elle est l’occasion
pour chaque individu de se recueillir,
de se remettre en question, de rectifier
son parcours. C’est une opportunité pour
se retrouver entre lui et sa conscience.
C’est la prière qui va faciliter le fait
de rester dans le droit chemin. Récitée
à cinq reprises durant la journée, elle
implique la sourate Al Fati7at, la
première sourate du Coran dans laquelle
l’homme implore Dieu de lui montrer la
voie de la rectitude.
Malheureusement, pour certains elle
n’est plus qu’une pratique de routine.
Tous les pratiquants, qui récitent ces
versets se posent-ils toujours la
question de savoir s’ils sont
réellement entrain de chercher
cette voie et de l’appliquer dans leur
vie ?
Certes, on donne beaucoup de bonnes
raisons en faveur du jeun du Ramadan.
Une sorte de diète qui est bonne pour la
santé, ou souffrir de la faim et de la
soif pour penser à ceux qui en sont
privés, etc. Je pense que c’est
aussi et surtout un exercice pour
que l’esprit apprenne à maîtriser le
corps, à dominer ses envies. C’est un
effort de volonté qui ne peut
qu’affermir la personnalité pour mieux
supporter les aléas de la vie et
éviter de tomber dans les pièges de la
facilité.
Pour mieux comprendre l’aumône, la
« zakat » je propose de recourir à
l’excellente étude du Dr Ziad Hafez sur
« l’éthique dans l’économie telle
qu’évoquée dans
le Coran ». ( al alkhlaq fi
al2iqtisad kama ja2a fi alqour2an
alkarim ). L’article a été publié dans
la revue Al-Adaab il y a quelques mois.
C’est tout un système
de solidarité qui peut arriver,
s’il est correctement appliqué, à
éradiquer la pauvreté dans le monde et
ce n’est pas peu dire. La zakat est une
contribution au bien-être général, une
sorte d’impôt consenti sur la fortune
bien avant l’institution des impôts dans
n’importe quelle société occidentale.
Le pèlerinage, lui, est un lieu où tous
les hommes mettent de coté leurs
différences sociales et se retrouvent
égaux devant Dieu, sans distinction de
race, de couleur ou de
statut économique, c’est le lieu
du symbole de la modestie. Au lieu de
perfectionner cette pratique dans sa
forme, et tout en en expliquant le
symbolisme, le pèlerinage pourrait
être
un atout extraordinaire pour la
rencontre des musulmans. Il pourrait
devenir une occasion pour la tenue d’un
congrès annuel des spécialistes de la
charia afin de discuter des changements
à introduire selon les besoins du
moment. Il pourrait être accessoirement
l’occasion d’échanges constructifs des
sociétés, sur le plan culturel,
intellectuel, scientifique et même
pourquoi pas commercial ; ceci pourrait
faciliter l’évolution des esprits et le
développement de ce monde dit musulman
(et arabe en particulier) au lieu de le
laisser à la traîne.
Ces pratiques ne sont en réalité, que
des moyens, des outils, qui aident
le croyant à trouver le droit chemin et
essayer de le suivre, elles ont été
confondues avec l’essence de l’islam.
C’est à ce niveau que les musulmans sont
induits en erreur.
C’est cette confusion qui
facilite la déviation du droit chemin.
L’individu qui pratique ces dogmes sans
se soucier d’aller plus loin, se croit à
l’abri pour sa vie future.
Pour certains,
ces contraintes dans la pratique du
dogme, semblent avoir pour contrepartie,
un certain laisser aller qui ne pèse
guère sur la conscience de ces personnes
qui croient
avoir rempli leur partie de
contrat avec Dieu.
Avant de clore le chapitre des relations
entre l’islam et les musulmans, je
voudrais dire un mot sur « l’État
musulman ».
Dans le Coran, il n’y a pas de
règles pour la fondation d’un état
islamique. Il n’y a que des conseils
apportés
aux individus qui forment la société
pour plus de solidarité entre eux, pour
un mieux être général,
en établissant des droits qui
n’existaient pas, en recommandant la
protection des plus faibles, en
bannissant l’exagération, l’extrémisme,
dans les deux sens, pour agir au mieux
pour la société.
Malgré
ces recommandations, très peu de
dirigeants du monde musulman qui se sont
succédés à travers les siècles ont
réellement suivi les préceptes de
l’islam. Ils ont laissé dominer leur
soif de pouvoir, leur avidité ; ils ont
eu recours à des ruses ou même des
assassinats, pour éliminer leurs
concurrents, au même titre que tous les
dirigeants du monde à travers
l’histoire.
Ce qui distingue les hommes les uns des
autres c’est leur conduite et non leur
religion.
Rien n’empêche aujourd’hui l’accès des
citoyens du monde musulman à la
modernité : les préceptes du Coran n’en
sont certainement pas une entrave. Rien
n’empêche l’évolution vers la vraie
démocratie. Rien n’empêche la libération
de l’homme de ses préjugés,
au contraire, c’est ce qu’on
reconnaît sous le nom du
jihad el akbar, l’effort le plus
grand, celui qui est fait contre soi,
pour se débarrasser de tout ce qui
empêche l’épanouissement de l’individu.
Quant à l’État islamique, il n’a aucune
raison d’exister en tant que tel, sinon
par la conduite des ses croyants.
Qu’en est-il
de l’islam et des non musulmans ?
Le Coran est un message qui s’adresse à
l’humanité entière.
Rappelons le texte : « arsalnakon
ra7matan lil3alamin » ; « al3alamin »
c’est le monde dans son ensemble. Toutes
les règles de l’islam, conduisent vers
ce qu’on appelle le droit chemin (alsirat
almoustaqim): Le droit chemin commence
par un abandon libérateur en Dieu dont
personne n’est exclu et qui est à la
portée de chacun ; c’est une conduite
d’éthique, de tolérance de générosité de
bonté de justice, de solidarité, qui
s’applique autant aux musulmans qu’aux
non musulmans.
Mahomet a dit : « ji2tou li2outamim
makarem al2akhlaq » « je suis venu
compléter
les bienfaits de l’éthique ». Ces
bienfaits ont une portée universelle. Ce
message laisse aux individus la liberté
de l’adopter ou non, sans contrainte
aucune. D’ailleurs, dans le verset 236
de la sourate La Vache, Dieu fait dire à
Mahomet : « La ikrah fi aldin ».
L’entière liberté en est laissée aux
hommes. Ceci confirme le respect de la
liberté individuelle.
Si le droit chemin préconisé par le
Coran tend vers l’idéal, il n’est pas
l’apanage des musulmans. Toutes les
religions tendent vers un monde meilleur
et vers la perfection. Même les
religions autres que monothéistes
tendent vers le même but, vers
l’accomplissement suprême, vers le
Nirvana.
Le chemin est ouvert à toute
personne qui veut accéder à cette chose
qui dépasse les hommes, à cette chose
suprême qu’est Dieu. C’est pour
appliquer des principes de justice,
d’équité, de solidarité entre les hommes
que la charia a été instituée sur terre,
c’est en l’appliquant avec amour que les
hommes pourraient se rapprocher de Dieu.
Pour terminer, on n’a pas besoin de se
convertir pour être musulman. Notre
conduite quotidienne si elle suit le
droit chemin, suffit. Ainsi l’abbé
Pierre, fondateur des « chiffoniers
d’Emmaüs » est mouslem, mère Térésa, qui
a consacré sa vie aux plus démunis en
Inde, est mouslima,
toute personne qui se conduit
dans sa pratique quotidienne avec
justice générosité et bonté et surtout
si elle tend activement à combattre
l’injustice, est mouslima . En revanche
beaucoup de personnes inscrites comme
musulmanes dans le registre de leur état
civil, sont loin des préceptes de
l’islam. Dieu nous a créés libres, il
nous a donné l’intelligence et la raison
ainsi que la liberté de choix. A nous
d’assumer nos responsabilités en toute
liberté, dans notre monde terrestre et
Dieu seul restera juge dans l‘autre.
Tout en confirmant les messages
précédents, Dieu, à travers Mahomet, a
posé les prémisses du chemin à suivre
dans notre vie terrestre pour une
harmonie plus satisfaisante entre les
hommes. Les éléments de base ont été
prescrits,
aux hommes de les faire progresser
avec l’époque qu’ils seraient amenés à
vivre dans le futur. (Sourate : Le temps
( al 3asr). Cette complémentarité
terrestre des précédentes religions
monothéistes signifie bien la fin du
message à travers ces mots que Dieu a
fait dire au prophète : « Alyawm
akmaltou lakom dinakom » (Ce jour, j’ai
complété pour vous votre religion).
Il y a certainement des détails que j’ai
manqués ou que je n’ai pas compris lors
de ma lecture du Coran. En effet chaque
nouvelle lecture m’a fait découvrir de
nouveaux aspects, de nouvelles
possibilités d’explications. Des
personnes plus compétentes ont pu y
trouver beaucoup plus d’éléments.
Pour ma part, j’ai simplement tenté de
dire que l’islam n’est pas
incompatible avec la modernité. Si
dans la charia, il y a des lacunes,
c’est que les juristes ont pris du
retard pour réformer les textes
afin qu’ils puissent impliquer
l’ensemble des citoyens.
D’ailleurs, si nous devons
admettre que le message du Coran est
universel, c’est ainsi qu’il doit être
compris.
Beyrouth, le 5 décembre
2011
Ghada El Yafi
Le dossier religion musulmane
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