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The New York Times

Le nouveau lobby sioniste
Gavin Bond


Cachés aux regards de la presse consensuelle. Réunion de travail dans les bureaux de J Street,
à Washington (à partir de la gauche) : Isaac Luria, directeur des campagnes ;
Rachel Lerner, Daniel Kohl et Jeremy Ben-Ami (photo : James Traub*)

in The New York Times, 9 septembre 2009

http://www.nytimes.com/2009/09/13/magazine/13JStreet-t.html?_r=1&emc=eta1

Au mois de juillet, le Président Obama a rencontré, durant trois-quarts d’heure, les dirigeants des organisations juives américaines. Tous les présidents américains ont pour coutume de rencontrer les avocats d’Israël. Obama, toutefois, avait pris son temps, et les gens puissants, au sein de la communauté juive, grommelaient ; la froideur d’Obama semblait correspondre à sa volonté d’exercer des pressions au vu et au su de tout le monde sur Israël afin de lui imposer de geler l’accroissement de ses colonies, ainsi qu’avec ce qui fut interprété comme une sollicitude excessive pour le calvaire des Palestiniens. Durant cette rencontre, en juillet, tenue dans la chambre de Roosevelt, Malcolm Hoenlein, vice-président directeur général de la Conférence des Présidents des Plus importantes Associations Juives Américaines, a dit à Obama qu’ « un désaccord public entre Israël et les Etats-Unis ne saurait profiter ni à l’un ni à l’autre » et que ces différends « devaient être résolus directement par les deux parties ». Le président, a rapporté Hoenlein, s’est renfoncé dans son fauteuil, disant : « Je ne suis pas d’accord. Nous avons eu huit années sans une seule éclaircie – entre George W. Bush et les gouvernements israéliens successifs – et l’on n’a pas avancé d’un pouce ».


L’équipe de J Street : Daniel Kohl (directeur politique) ;
Jeremy Ben-Ami (fondateur et secrétaire général) et Rachel Lerner (chef du personnel)
(photo : Henry Leutwyler, pour le New York Times)

L’on peut affirmer sans craindre de se tromper qu’au moins un participant, lors de cette rencontre, a énormément apprécié cet échange : Jeremy Ben-Ami, le fondateur et le secrétaire général de J Street, un groupe de lobbying qui vient de souffler sa première bougie, et qui a des opinions progressistes au sujet d’Israël. Certains des groupes consensuels (juifs) ont protesté véhémentement contre la décision prise par la Maison-Blanche d’inviter J Street, dans lequel ils voient une organisation marginale très éloignée du consensus qu’eux-mêmes cherchent à imposer. Mais J Street partage l’agenda de l’administration Obama et l’invitation a été maintenue. Ben-Ami n’a pas desserré les dents de toute la réunion – il est conscient du statut de néophyte qu’a J Street – mais, par la suite, il a été cité abondamment par la presse, ce qui n’a fait que vexer et hérisser les groupes (juifs) consensuels. J Street n’accepte pas plus la règle de l’ « harmonie pour la galerie » qu’Obama. Lors d’une conversation, un mois avant cette réunion à la Maison-Blanche, Ben-Ami m’avait expliqué : « Nous travaillons à redéfinir ce que cela signifie qu’être pro-israéliens. Vous n’avez pas à être acritique. Vous n’avez pas à adopter la « ligne du Parti ». La question n’est pas de savoir si « Israël a raison, ou s’il a tort » ».

Un réel appétit semble exister, pour l’approche de J Street. Au cours de l’année écoulée, son budget a doublé, passant à 3 millions de dollars ; son équipe de lobbying a été doublée, elle aussi, passant à six personnes. Cela reste mini, en comparaison avec l’Aipac, l’American Israel Public Affairs Committee, dont les prouesses en matière de lobbying sont légendaires, à Washington. J Street n’est encore tout au plus qu’une présence sur Internet, qui lance des volées de messages par mél depuis son repaire, s’agissant d’une activité artisanale. Mais il est arrivé au moment propice, car le Président Obama, contrairement à ses prédécesseurs, a décidé de pousser fort dans le sens d’un accord de paix au Moyen-Orient, dès le début de son mandat. Il a nommé George Mitchell au poste de négociateur personnel, et Mitchell a tenté d’arracher des concessions douloureuses à Israël, aux Palestiniens et aux pays arabes. Dans le cas d’Israël, cela signifie le gel des colonies et l’adoption d’une solution à deux Etats. Obama a besoin de suffisamment d’espace politique, en Amérique, pour réussir dans cette initiative ; il a besoin du Congrès pour résister aux appels que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu  lance à ce dernier afin qu’il repousse les demandes présidentielles. Dans ce genre de questions, qui posent un dilemme impossible aux groupes (juifs) consensuels, J Street sait exactement où il se situe. « Notre question n° 1, sur notre agenda », m’a dit Ben-Ami, « a trait à ce que nous sommes en mesure de faire, au Congrès, afin de servir de bloc de soutien permettant au Président (Obama) de réussir».

L’idée qu’il existe bien un « lobby israélien », avec ses sous-entendus de loyauté duplice, est une notion controversée. Elle circule au minimum depuis le début des années 1970, mais elle n’est devenue le sujet de vastes débats qu’après la publication d’un célèbre article dans la London Review of Books, en 2006, sous la plume des scientifiques politiques John Mearsheimer et Stephen Walt. Cet article, qui a été développé et a servi de noyau à un livre, a rendu furieux nombre de lecteurs en raison de son atmosphère de dénonciation de complot, par son affirmation que des néoconservateurs juifs avaient persuadé le Président Bush de partir en guerre contre l’Irak à la seule fin de protéger Israël, et par l’ignorance apparente, par les auteurs, du profond sentiment d’identification de nombre d’Américains – tant juifs que Gentils – avec Israël. Mais les auteurs ont affirmé une chose qui a frappé des gens très au courant, et qui a mis très près du « mille » : le lobby israélien a réussi à proscrire quasiment toute critique d’Israël, en particulier au sein du Congrès des Etats-Unis

« Au final », ont écrit Mearsheimer et Walt, « c’est l’Aipac, un agent de facto d’une puissance étrangère, qui exerce une mainmise sur le Congrès, et cela a pour résultat que la politique américaine n’y est plus débattue, même si cette politique a des conséquences extrêmement importantes pour le monde entier. » Mearsheimer et Walt ont écrit, par ailleurs, que l’Aipac et d’autres organisations ont réussi à faire nommer des responsables officiels estimés « pro-israéliens » à des postes éminents. C’est là, bien entendu, ce que font tous les lobbies qui se respectent. Par exemple, le lobby des Cubains travaille depuis fort longtemps de la même manière. Mais Israël est bien plus crucial que ne l’est Cuba, pour les intérêts de la sécurité nationale américaine. Aucun pays, fusse Israël ou Cuba, n’a des intérêts rigoureusement identiques à ceux des Etats-Unis. Et pourtant, des organisations juives américaines consensuelles ont implicitement accepté de subordonner leurs positions propres à celles du gouvernement de Jérusalem. Le mot d’ordre, dit J. J. Goldberg, rédacteur en chef de The Forward, un hebdo juif américain, c’était : « Nous collons aux positions israéliennes, quoi que nous puissions en penser, par ailleurs. »

Une majorité écrasante des électeurs juifs américains sont libéraux et démocrates, mais tandis que les organisations juives glissaient vers la droite, accompagnant Israël dans ce mouvement, durant les années 1980, ces organisations firent de plus en plus cause commune avec le Parti Républicain, lequel, depuis l’époque de Ronald Reagan, était considéré comme plus fanatiquement pro-israélien que ne l’étaient les Démocrates. Les organisations juives se sont mis aussi, à la même époque, à travailler avec les chrétiens évangéliques, qui formaient la base du parti Républicain et tendaient à être des pro-israéliens fervents. De fait, lorsque j’ai rencontré Malcolm Hoenlein, au mois de juillet, il revenait tout juste d’un énorme meeting, à Washington, sponsorisé par les Christians United for Israel, dont le fondateur, le Révérend John Hagee, a dénoncé le catholicisme, l’Islam et l’homosexualité en des termes si violents que John McCain s’était senti, en fin de compte, dans l’obligation de rejeter son soutien lors de la campagne électorale de 2008.

George Deubeuliou Bush partageait les vues des groupes (juifs) consensuels sur Israël et la Palestine, sur l’Iran et sur la menace de l’extrémisme musulman. Doug Bloomfield, qui fut président de l’Aipac durant les années 1980 – et qui en a été viré, dit-il, parce qu’il était trop « pro-paix » - décrit l’Aipac et les autres organisations juives de « très complaisantes vis-à-vis de l’administration Bush ». L’Aipac et bien d’autres organisations juives trouvaient bien peu de choses à redire chez un président qui, contrairement à Bill Clinton, ne croyait pas à l’utilité de pousser Jérusalem à faire des concessions sérieuses afin de parvenir à la paix. Le Président Bush, de ce point de vue, fut le meilleur président américain dont tant le parti Likoud au pouvoir en Israël que les associations juives américaines consensuelles pouvaient rêver.

Et c’est précisément ce succès qui a eu pour effet de commencer à desserrer le « garrot » décrit par Mearsheimer et Walt. Comme le dit Martin Indyk, ancien ambassadeur américain en Israël et aujourd’hui directeur de la Politique étrangère à la Brookings Institution, « Durant les années Bush, où Israël bénéficiait d’un chèque en blanc permanent, de plus en plus de personnes, au sein des communautés juive et pro-israélienne ont commencé à se demander, puisque c’était là le meilleur Président américain dont Israël eût jamais bénéficié, comment il se faisait que les circonstances, en Israël, semblaient se détériorer avec une telle rapidité ? » Pourquoi Israël était-il plus isolé diplomatiquement qu’il ne l’avait jamais été ? Pourquoi Israël avait-il jugé utile de livrer une guerre barbare et manifestement inutile contre le Hezbollah, au Liban ? Pourquoi les Islamistes du Hamas avaient pris le pas sur le Fatah, plus modéré, en Palestine ? « Il y avait une sorte de dissonance cognitive », explique Indyk, « autour de la question de savoir si un chèque en blanc remis à Israël était nécessairement la meilleure manière d’assurer la longévité de l’Etat juif ».

[* James Traub est l’auteur de l’ouvrage de parution récente “The Freedom Agenda.”]

Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier



Source et traduction : Marcel Charbonnier


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