Propagande coloniale (2/2)
Chrétiens de Syrie
:
le mensonge organisé des médias français
François
Belliot

Au moins 1
700 églises ont été profanées ou
détruites par les "révolutionnaires"
islamistes en Syrie, selon les autorités
ecclésiales.
Samedi 18 mai 2013
Dans ce
second et dernier volet de son étude,
François Belliot montre comment la
presse française a donné la parole
presque exclusivement à un prêtre
italien pour dénoncer le «
régime de Bachar
», alors même que la totalité des
évêques et Patriarches chrétiens de
Syrie le soutient. Il ne s’agit bien sûr
que d’un exemple du biais médiatique
dans les pays de l’OTAN, ce prêtre ayant
été invité identiquement en Amérique du
Nord et en Europe. La presse chrétienne
n’a pas échappé au jeu colonial, ses
journalistes étant les mêmes que ceux
des organes profanes.

Il existe bien des façons de démontrer
que la Syrie est victime depuis deux ans
d’une campagne de propagande intense
visant à persuader l’opinion otanienne
de la nécessité d’armer l’opposition et
de renverser Bachar el-Assad, «
l’ignoble-dictateur-qui-torture-et-massacre-son-propre-peuple
». On peut évoquer l’imposture que
constitue le prétendu Observatoire
syrien des Droits de l’homme (OSDH), on
peut rapporter des témoignages qui vont
dans le sens inverse de la version
officielle, on peut remonter l’histoire
et constater que la déstabilisation
actuelle de la Syrie depuis l’étranger
s’inscrit dans une dynamique très
ancienne (Sykes-Picot, 1916) dont la
crise actuelle ne constitue que la
dernière étape, on peut faire la
comparaison avec d’autres campagnes de
propagande ayant abouti aux
renversements de chefs d’Etat sur la
base de fausses preuves (Saddam Husseïn,
Mouammar el-Kadhafi), on peut évoquer le
jeu d’alliances de la Syrie avec le
Hezbollah et l’Iran, qui gêne les
velléités expansionnistes d’Israël et
s’oppose au plan de remodelage par les
États-Unis du « Moyen Orient élargi,
on peut souligner les intérêts gaziers
et pétroliers dans la région, qui font
de la Syrie une proie d’autant plus
convoitable que ses ressources d’énergie
fossile restent largement à exploiter.
On peut aussi pointer la loupe sur
certains personnages mis en avant
dans les médias commerciaux. La
propagande pour être crédible s’appuie
sur des témoins de choix, souvent
minoritaires dans le camp qu’ils sont
censés représenter. En comparaison,
d’autres personnes, souvent plus
nombreuses et plus représentatives, sont
systématiquement écartées des plateaux,
voire diffamées sans qu’elles aient la
possibilité de se défendre
médiatiquement.
Le cas du père Paolo Dall’Oglio, censé
représenter le point de vue des
chrétiens de Syrie, omniprésent dans les
grands médias commerciaux à l’automne
dernier, et de nouveau en ce mois de mai
2013, à la différence d’autres
personnalités bien plus représentatives,
permet de démontrer de façon
irréfutable que le traitement de la
crise syrienne par les médias
commerciaux otaniens est presque
intégralement mensonger et orienté.
L’histoire que je vais raconter
commence par une conférence organisée à
Paris en septembre dernier.

Père Paolo
Dall’Oglio s.j.
Une conférence sur la
Syrie à la mairie du XXème
arrondissement de Paris
Le 25 septembre dernier était
organisée, dans la salle des fêtes de la
mairie du XXème arrondissement de Paris,
une conférence intitulée « Regards
croisés sur la Syrie ». Elle mettait
en scène un intervenant unique, le père
Paolo Dall’Oglio. Elle était prévue pour
durer 2 heures, une heure de parole pour
le père Paolo suivie d’une heure
d’échange avec le public.
Habitué depuis des mois à passer chaque
matin devant cette mairie, j’avais
forcément remarqué une immense banderole
qui en recouvrait la façade, et qui
appelait par un biais tendancieux à la
fin des massacres en Syrie. La mairesse
du XXème arrondissement, Frédérique
Calandra avait à l’évidence choisi son
camp : celui de l’ « opposition
», contre celui du « régime de Bachar
el Assad » [1].
Je savais plus ou moins à quoi à
m’attendre en me rendant à cet événement
; mais c’était tout de même une bonne
occasion d’entendre quelqu’un qui avait
vécu longtemps en Syrie et qui pouvait
donner le point de vue d’un témoin
direct confortant la version officielle.
Je n’avais jamais entendu parler du père
Paolo Dall’Oglio. Son nom m’avait
échappé dans le flot d’actualités
quotidien sur la Syrie, et les médias
indépendants eux-mêmes n’y avaient guère
prêté attention.
La salle des fêtes de la mairie du
XXème était très bien remplie, 300
personnes au jugé. A proprement parler
ce n’était pas une conférence, mais un
jeu de questions réponses entre un
journaliste et le père Paolo. Il ne
s’agissait donc pas de « Regards
croisés », comme suggéré dans
l’intitulé de la conférence, mais du «
regard » du père Paolo, qui
n’était affligé d’aucun strabisme
convergent. Le journaliste, étant
complètement acquis à la cause du père
il n’y avait pas de contradicteur dans
ce « croisement ».
Je commençai à prendre des notes. La
salle était mal insonorisée, et le père
Paolo, en plus de s’exprimer dans un
français parfois incertain, était dur à
suivre dans son exposé. Il rendit
hommage à la révolution tunisienne et à
la révolution égyptienne , plus
généralement au printemps arabe, dans
lequel s’inscrivait naturellement selon
lui la révolution syrienne [2].
Il insista sur la pratique systématique
de la torture et l’emprisonnement des
opposants par le « régime de Bachar
el-Assad ». Il se félicita d’avoir
en juin 2011 tiré la sonnette d’alarme :
« le régime » était construit
exclusivement sur le mensonge, cela
faisait partie de son ADN. A deux
reprises il compara ceux qui remettaient
en cause la version officielle de la
révolution syrienne à ceux qui
remettaient en cause la version
officielle du génocide des juifs, qu’il
assimila ainsi à du négationnisme et à
une pathologie de l’esprit. Il expliqua
que la négation de la version officielle
était le fait de forces d’extrême gauche
et d’extrême droite coalisées pour
l’occasion. Il fustigea le rôle de la
Russie, qui mettait régulièrement des
vetos aux résolutions de l’ONU contre la
Syrie, car elle pensait à tort avoir été
bernée sur l’affaire libyenne, l’année
précédente, et sur l’affaire du Kosovo,
il y a quelques années. Il expliqua,
quoiqu’il fût prêtre et par nature
religieuse opposé à l’usage de la force,
qu’il fallait cependant armer les
rebelles (en ne se trompant pas sur les
destinataires) et qu’il y avait un
devoir d’ingérence à intervenir en
Syrie. Il se paya d’une diatribe sur le
Réseau Voltaire, qu’il semblait tenir
(puisque c’est le seul organe de presse
indépendant qu’il nomma) pour le
principal responsable de la campagne de
désinformation sur la Syrie ; il nia
absolument le fait qu’il pût exister une
alliance entre le Qatar, l’Arabie
saoudite, la France et le Royaume Uni
(je rajoute la Turquie et la Jordanie
qu’il a omises dans sa liste), pour
déstabiliser la Syrie. Et si l’ONU ne
pouvait résoudre le problème... c’était
une théorie du complot diffusée par «
le régime » pour cacher ses
exactions, il devenait urgent de «
passer outre le droit international
».
Pour être juste, le journaliste osa
poser une question cruciale : comment
lui, chrétien, prêtre qui plus est,
pouvait-il appeler à armer l’opposition
? N’y avait-il pas là une contradiction
fondamentale ? Une personne du public
relaya cette préoccupation. Cette
question fut posée en préambule, et le
père Paolo y répondit avec certains des
arguments que je viens d’énumérer. Je
passe sur la séance de questions qui
s’ensuivit. Elles furent pour la plupart
extrêmement consensuelles, et beaucoup
dans la même veine persuasive plus que
convaincante qu’avait employée le père
Paolo. Je me souviens en particulier
d’une dame explosant sur un ton
hystérique : « Vous attendez quoi ?
Les chambres à gaz ? Le Christ était le
premier martyr ! Il y a des milliers de
Christs en Syrie ! » Elle avait sans
doute lu la chronique de désinformation
de Caroline Fourest dans l’édition du
Monde du 25 février 2012 , suggérant
que l’Iran avait fourni un four
crématoire à la Syrie qui «
tournerait déjà à plein régime »
dans la région d’Alep.
La seule question un peu dissidente fut
posée par une femme qui pointa la
responsabilité éventuelle de puissances
étrangères dans la déstabilisation de la
Syrie. Elle put s’exprimer mais fut la
seule que l’on pressa de remettre le
micro alors qu’elle déroulait son
intervention. Elle fut moquée par le
père Paolo qui, sans le moindre
argument, l’accusa de pratiquer des
amalgames, alors que lui-même n’avait
fait que ça pendant son intervention.
Quand la conférence fut terminée, je
découvris des Syriens contestant la
version officielle, que j’avais eu
l’occasion pour certains de rencontrer
lors de diverses manifestations et nous
nous retrouvâmes autour d’un verre dans
une brasserie de la place Gambetta.
Je m’enquis du personnage et l’on m’en
fit une brève présentation, que je
complète avec certains détails utiles :
Paolo Dall’Oglio est un religieux
jésuite italien né à Rome en 1954. Après
un passage par le Liban en 1982, il
découvre le monastère Deir Mar Moussa en
Syrie, et décide de consacrer sa vie à
sa restauration. En 1992 il fonde une
communauté œcuménique religieuse mixte
qui promeut le dialogue islamo-chrétien.
Dans le prolongement de cette démarche,
il publie, en 2009, Amoureux de
l’Islam, croyant en Jésus. Quand les
troubles commencent, début 2011, il
prend parti pour l’opposition, allant
jusqu’à demander publiquement qu’on lui
fournisse des armes. En juin 2012, à la
demande de l’ensemble des Eglises de
Syrie et du gouvernement, son visa n’est
pas renouvelé et il doit quitter le
pays. Depuis, l’homme a été très
massivement relayé dans les médias
commerciaux de masse (New York Times,
Le Figaro, etc .) et a été reçu par
les plus hautes autorités de divers
Etats engagés dans le conflit aux côtés
de l’Arabie saoudite, du Qatar, et de la
Turquie.
Chacun y alla ensuite de son
anecdote, touchant soit son expérience
personnelle en France ou en Syrie, soit
sur un aspect de la conférence.
L’un des Syriens m’apprit qu’il avait
levé la main pour poser une question
(qui fatalement n’irait pas dans le sens
des organisateurs de la conférence), et
qu’alors il fut montré du doigt par un
des organisateurs, avec un signe
d’interdiction. L’homme était intervenu
dans des circonstances comparables et
avait été repéré comme un contestataire
gênant de la pensée unique officielle,
que l’on devait en conséquence contenir
ou réduire au silence. Consigne fut
ainsi donnée de l’empêcher de prendre la
parole.
Je me souvenais alors que ce n’était pas
la première fois que j’étais confronté à
ce genre de censure, et je rapportais ce
qui m’était arrivé à la Fête de
l’Humanité.
Rencontre de
l’association Souria Houria à la Fête de
l’Humanité
Me promenant dans le « Village
international » de la Fête de
l’Humanité, j’étais entré, curieux, dans
un stand « syrien ». Il
s’agissait d’un groupe de personnes
soutenant la version officielle de
l’OTAN et d’al-Jazeera. Ils appelaient à
la mobilisation contre Bachar el-Assad,
invoquaient les devoirs de la «
Communauté internationale », la
nécessité du « droit d’ingérence
humanitaire ». Quatre intervenants
s’étaient succédé en l’intervalle de 40
minutes. Au terme de cette tribune
commune, j’avais pris la parole (nous
n’étions guère nombreux, et le stand d’à
côté avait une sono tonitruante), pour
contester leur vision de la situation,
qui passait sous silence le fait que
d’horribles massacres étaient perpétrés
par des mercenaires fanatiques financés
par le Qatar et l’Arabie saoudite et
appuyés logistiquement par l’OTAN et les
services de renseignement alliés. La
réaction des tenanciers du stand avait
été éloquente : dans un premier temps
l’un d’entre eux m’avait pris gentiment
par le bras pour m’inviter à quitter les
lieux. Comme j’avais protesté du
procédé, on m’avait confronté à un «
militant de l’ASL » qui pendant 10
minutes m’avait reseriné la version
officielle. Je n’avais pu
malheureusement lui répondre de façon
développée. Alors que j’avais patiemment
écouté son discours, je n’avais pu, en
guise de réponse, prononcer plus de
trois phrases. Un concert de huées
s’était allumé. Des gens s’étaient senti
le devoir de m’interrompre, visiblement
émus et hors de raison. Sentant qu’il me
serait difficile de m’exprimer, j’étais
sorti, bruyamment accompagné par une
chanson qu’ils s’étaient mis soudain à
entonner en chœur et à pleins poumons.
Les tenanciers de ce pavillon
n’étaient autres que les organisateurs
de cette conférence du 29 septembre, qui
s’appelait Souria Houria (Syrie
Liberté). Dans la pratique de la censure
et le mépris de la liberté d’expression,
nous avions affaire là à une cohérence
indéniable. Ces gens qui critiquaient le
régime massacreur, désinformateur, qui
agonisaient le Réseau Voltaire
d’injures, d’amalgames et d’accusations
sans fondement, qui appelaient naïvement
au devoir d’ingérence humanitaire, pour
parvenir à leurs fins n’hésitaient pas à
trier les questions du public de leurs
conférences, et refusaient de débattre
avec des gens ayant un autre point de
vue que le leur (tout en laissant passer
des réactions hystériques du genre de
celle de la femme que j’ai rapportée
plus haut). Et quand ils se trouvaient
dans l’obligation de répondre, ils se
mettaient immédiatement en colère,
faisaient des comparaisons avec le
négationnisme, coupaient la parole, ou
se mettaient à entonner des chants en
troupeau.
Je me souviens qu’à un moment de la
conférence de Paolo dall’Oglio, ils se
sentirent d’entamer la même chanson avec
laquelle ils avaient fêté ma fuite.
Cependant ils n’étaient plus entre eux
et l’initiative était déplacée. Peu
suivis (et compris) par les 300
assistants, ils se turent après quelques
syllabes.
Il faut s’arrêter un peu sur cette
association Souria Houria, qui soutient
aveuglément, avec un argumentaire
minimal, et des pratiques douteuses, la
version officielle relayée par les
grands médias commerciaux. Cette
association est depuis sa création en
mai 2011 de toutes les actions et
manifestations organisées en France
appelant à la chute du régime. Lors
d’une journée de soutien place de la
Bourse, on entendit l’un de ses membres
à la tribune se vanter qu’à présent ils
brassaient des millions. Elle était au
centre du « Train pour la liberté du
peuple syrien », le 12 décembre
dernier, qui emmenait des citoyens et
des parlementaires français de Paris à
la rencontre de parlementaires européens
à Strasbourg. Elle était au cœur du
débat truqué organisé à l’Institut du
Monde Arabe (IMA) le 24 février (voir
mon article précédent ) dernier au cours
duquel un des membres de Souria Houria
siffla violemment une personne qui
prenait la parole pour contester la
version officielle. Enfin, c’est cette
association qui est motrice de la «
Vague blanche pour la Syrie » , «
manifestation internationale (lancée) le
vendredi 15 mars à l’occasion des deux
ans de la « révolution syrienne
», que relaieront massivement les
organes habituels de la propagande de
guerre de l’OTAN : TV5 monde, Bfmtv,
France 24, LCP, en partenariat avec
Le Nouvel Observateur, Libération,
Mediapart, Rue89, Radio France.
L’association Souria Houria a été fondée
en mai 2011 par Hala Kodmani,
journaliste franco-syrienne qui
travaille en France depuis 30 ans et
elle en en a jusqu’à récemment assuré la
présidence. Hala Kodmani a été
rédactrice en chef de France 24
d’octobre 2006 à septembre 2008, et
chargée de la rubrique Syrie au journal
Libération pendant une grande
partie de la crise qui secoue ce pays
depuis 2 ans. Mais la place centrale
qu’elle occupe dans la contestation
syrienne en France s’explique surtout
par l’influence de sa sœur Bassma
Kodmani, qui a participé à la fondation
du Conseil National Syrien lancé en
octobre 2011 à Istanbul. Bassma Kodmani
(je renvoie à mon précédent article sur
le débat truqué à l’IMA ), est
considérée comme la principale
représentante des intérêts des USA dans
cet organisme. Il est savoureux (outre
les conflits d’intérêt évidents), de
remarquer que dans le même temps où
l’opposition dénonce que « Bachar n’a
pas le droit d’être président de la
Syrie car il a hérité le pouvoir de son
père ! », les sœurs Kodmani (qui ne
représentent strictement rien pour le
peuple syrien), font ce qu’elles
dénoncent en parole en se distribuant
familialement les rôles au sein de la «
rébellion » en France.
Les Syriens avec qui je discutais,
place Gambetta ce 25 septembre,
défendaient une position aux antipodes
de celle de Souria Houria et du
gouvernement et des médias français.
La discussion roula évidemment sur la
situation en Syrie et sur notre curieux
conférencier en soutane. Cet homme ne
représente rien, m’affirma-t-on. Il ne
représente en aucun cas les chrétiens de
Syrie, qui soutiennent majoritairement
(à l’instar du reste du peuple syrien)
le gouvernement d’el-Assad, et pour
cause, avec les alaouites, les chrétiens
dès le début du conflit étaient une
cible privilégiée des mercenaires
islamistes.
Ils me rapportèrent diverses
exactions commises par les mercenaires,
exactions toutes plus horribles les unes
que les autres et qui montraient, au
moins, que la présentation de la crise
syrienne par le père Paolo Dall’Oglio
était une caricature illégitime et
dépourvue de toute nuance. Au vu du
caractère édifiant de ces témoignages,
on comprenait aisément pourquoi on n’en
entendait jamais parler dans les grands
médias commerciaux. Ils étaient si forts
et si nombreux que les relayer même en
passant porterait un coup fatal à la
propagande otanienne.
En rentrant chez moi je décidai de
m’intéresser plus en détails à
l’histoire de ce curieux prêtre, et
j’entamai une recherche internet.
La campagne médiatique
autour du père Paolo dall’Oglio
Il est peu question du père Paolo
dall’Oglio avant son départ de la Syrie
en juin 2012, pour non-renouvellement de
visa. On relève un article dans
Pèlerin du 10 août 2011
favorablement intitulé : « En Syrie
la parole se libère »" . Les
troubles agitent le pays depuis la fin
du mois de mars. Il vient de publier
avec une dizaine de Syriens laïcs et
religieux une contribution intitulée «
Démocratie consensuelle pour l’unité
nationale », dans laquelle il
appelle à la mise en place « d’un
système pour amener la Syrie vers une
démocratie parlementaire. Car la
démocratie est la seule voie possible
pour mettre un terme à ce bain de sang
et faire respecter les droits de
l’homme, qui sont universels : tous, que
nous soyons d’Orient ou d’Occident, nous
nous retrouvons dans cette idée
humaniste. » L’homme n’appelle pas
encore à « armer l’opposition »,
mais comme des membres de son groupe
appellent ouvertement à « la chute du
régime », il est rabroué par les
autorités et les différentes Eglises
chrétiennes qui désapprouvent son
initiative. Le 8 janvier 2012, Rue 89
publie un article de Nadia Braendel
intitulé « Mar Moussa, un monastère
pris dans la révolution » . Le père
Paolo y est présenté comme une «
icône de la contestation ». On
apprend que le père Paolo a pu rester en
Syrie, malgré une décision d’expulsion
envoyée à l’évêque de Homs. Il s’est
engagé à ne plus prendre de position
politique. Mme Braendel rapporte
pourtant les propos ambigus suivants : «
Il faudra peut-être une force
d’interposition pacifique arabe et
occidentale, car aujourd’hui il y a
100000 Syriens prêts à tuer, et 100000
qui se vengeront. Les deux camps sont
bloqués ». Le 21 mai 2012 le site
RMC.fr fait paraître un article
complaisant de Nicolas Ledain intitulé :
« Syrie : des religieux chrétiens
font de la résistance » . Le
journaliste relate les problèmes
rencontrés par les religieux de Mar
Moussa, victimes de menaces et de
pillages de la part de bandes armées non
identifiées, et clôt son article en
faisant un rapprochement avec la
situation des moines de Tibhérine en
1996.
On ne peut pas dire jusque là que le
père Paolo occupe une place de choix
dans la couverture des événements en
Syrie. C’est son expulsion du territoire
syrien le mois suivant qui va donner le
coup d’envoi d’une impressionnante
campagne médiatique dans plusieurs pays.
Cette expulsion est relatée dans Le
Point du 16 juin . Très amer, le
père Paolo déclare : « C’est mon
cadavre qui a quitté la Syrie ».
Tel Paul en son temps, le père Paolo
prend son bâton de missionnaire et,
financé on ne sait comment, entame une
série de voyages en zone OTAN (Europe et
Amérique du Nord), au cours desquels il
va dispenser largement la bonne parole
appelant à la chute du « régime »
en Syrie, en armant au besoin
l’opposition. Il effectue une longue
tournée qui va le mener aux Etats-Unis,
au Canada, en Italie, en France et en
Belgique. A chacun de ces passages, le
témoignage du père Paolo fait l’objet
d’une couverture médiatique massive et
unanimement louangeuse.
Je m’intéresse essentiellement dans
cette étude à son passage en France, en
septembre dernier.
Le coup d’envoi de cette campagne est
lancé par notre ministre des Affaires
étrangères en personne. Invité au Quai
d’Orsay par Laurent Fabius, notre
religieux a l’honneur et le privilège de
pouvoir tenir un point presse de 20
minutes en sa compagnie . Il le présente
comme « une personne réputée » et
« bien informée », et après ces
propulsions louangeuses lui donne la
parole. Le père Paolo savait-il alors
qu’il se tenait à côté d’un homme qui
avait indument expulsé l’ambassadrice
syrienne après les massacres de Houla,
qui ont été corrompus par un
médiamensonge ? Savait-il qu’il se
trouvait, lui, le prétendu « homme de
paix », à côté de celui qui avait
appelé un mois plus tôt, de façon
indirecte, au meurtre du président
syrien , et qui allait apporter son
soutien résolu, le 12 novembre, à la
fantoche Coalition nationale syrienne
(CNS) intronisée à Doha , capitale d’une
des dictatures les plus inégalitaires du
monde, le Qatar ? Ce coup de projecteur
bienvenu lance la campagne médiatique.
Le lendemain, 12 septembre 2012, il est
interviouvé sur France inter , et
sur RTL par Yves Calvi, et des
articles lui sont consacrés dans La
Croix et Le Parisien . Le 24
septembre, deux blogs du journal Le
Monde et de Médiapart
annoncent la tenue de la conférence dans
la salle des Fêtes de la mairie du XXème
arrondissement de Paris . Le 25
septembre, le Courrier International
publie un long entretien (l’entretien
n’est plus accessible que sur le site
ConspiracyWatch ). Le 26 septembre,
le quotidien gratuit 20 Minutes
lui consacre un article, et il est
longuement interviouvé sur la chaîne
France 24 . Le 27 septembre
l’Express lui consacre un article dans
lequel il est présenté comme « la
conscience de la révolution » . Le
28 septembre, c’est Pélerin qui
relaie ses positions appelant à armer
l’opposition . Le 30 septembre il est
longuement interviouvé par RFI .
On voit que cette couverture médiatique
se concentre autour de deux pics : le
point presse tenu en commun avec Laurent
Fabius au Quai d’Orsay au début du mois
de septembre, et son second passage en
France après une tournée en Belgique qui
a culminé le 18 septembre avec la
rencontre au parlement de deux
vice-présidents de cette institution :
Gianni Pitella et Isabelle Durant .
C’est à cette occasion, le 29 septembre,
qu’il est invité par l’association
Souria Houria, à tenir une conférence
dans la salle des Fêtes de la mairie du
XXème arrondissement de Paris.
Comme les médias ont l’habitude
d’accorder une couverture massive sur
plusieurs jours à certains événements,
et qu’une fois le matraquage opéré, ils
passent à autre chose pour ensuite n’en
plus jamais parler, la plupart des gens
qui suivent l’actualité dans les grands
médias ont sans doute oublié cette
fenêtre exceptionnelle dont a bénéficié
le père Paolo. Quand on fait toutefois
le bilan de cette couverture, force est
de constater qu’aux alentours de ces
deux dates, il était difficile
d’échapper au personnage si on ouvrait
un journal, allumait une station de
radio, ou de télévision.
Il faut ajouter qu’il a été extrêmement
bien traité par ces médias. Pas une
fausse note (comme dans le débat à
l’Institut du Monde arabe du 24 février
dernier) dans le concert de louanges et
la diabolisation de Bachar el-Assad. Et
si certains montrent tout de même un peu
de retenue, la plupart prennent tout ce
qu’il dit pour argent comptant et lui
sont totalement acquis.
Actualisation
Alors que je suis en train de
finaliser cette étude, je découvre que
le père Paolo nous honore d’un troisième
séjour, tout aussi engagé que les
précédents, et tout aussi massivement
couvert par les grands médias. Ses
aventures seraient incomplètes si
j’omettais ce nouvel épisode qui
conforte ma démonstration.
Les affaires n’ont jamais si bien marché
pour le père Paolo dall’Oglio. Depuis
septembre 2012, il a eu le temps de
roder et d’affuter son discours, mais
surtout d’écrire un livre de témoignage
sur sa perception des événements de
Syrie. Ce livre, intitulé La Rage et
la Lumière, coécrit avec Eglantine
Gabaix-Halié et édité aux éditions de
l’Atelier , est évidemment salué en ce
moment par l’ensemble des grands médias
qui de nouveau se bousculent pour
l’entendre cracher son venin et faire la
promotion du chef d’œuvre.
Le 1er mai il est interviouvé sur
France info ; le 2 mai, en compagnie
de Hala Kodmani sur France Culture
; le 3 mai, par Armelle Charrier sur
France 24 ; le 5 mai, sur France
Inter, en compagnie de Jean-Pierre
Filiu et Fabrice Weissman (deux des
intervenants du débat truqué à l’IMA du
24 février) ; le 7 mai, dans La Vie
par Henrik Lindell . Le 8 mai, le site
Souria Houria publie le programme du
père Paolo dall’Oglio lors de ce nouveau
séjour en France . On y apprend que
l’homme amorce une tournée à travers la
France : le 16 mai conférence-débat au
centre Sèvres à Paris ; le 21 mai,
conférence-débat à Lyon organisée avec
l’Hospitalité Saint-Antoine ; le 22 mai
conférence-débat à Nîmes avec la
librairie Siloë ; le 27 mai,
conférence-débat organisée par Souria
Houria à Paris ; le 28 mai à Strasbourg,
rencontre à la librairie Kleber. Le 9
mai, Pèlerin fait paraître les
bonnes feuilles de son livre témoignage,
accompagné d’un portrait idéalisé.
Vraiment, l’histoire du père Paolo est
une véritable success story ;
alors que, comme nous le verrons plus
loin, toutes les autorités chrétiennes
de Syrie qui contestent la version
officielle sont totalement passées sous
silence ou gravement diffamés, lui à
chacun de ses passages est accueilli par
les grands médias français (renommés
comme chacun sait pour leur intégrité et
leur indépendance), comme le messie, et
traité comme tel. On s’arrache le père
Paolo, au point qu’on se demande s’il
lui reste du temps pour faire ses
prières.
Ce troisième passage en France confirme
de façon éclatante l’impression laissée
par ses deux premiers séjours en
septembre 2012.
Le discours du père
Paolo
Au-delà de la couverture médiatique
exceptionnelle dont a bénéficié à chacun
de ses passages, est du plus haut
intérêt la teneur des discours du père
Paolo Dall’Oglio. Si l’homme est souvent
vague et dur à suivre, si l’on y prête
attention on s’aperçoit que son discours
s’articule autour d’un nombre de
positions constant, qu’il défend à
chaque fois de la même façon. Pour être
plus précis, son discours colle toujours
remarquablement à la version officielle
des médias occidentaux de la zone OTAN.
Comparaison avec les
négationnistes de la Shoah
Presqu’à chacune de ses
interventions, le père Paolo utilise ce
que Viktor Dedaj appelle dans un article
du Grandsoir.info du 10 juillet
2012 des « tazzers idéologiques »
. Un tazzer idéologique est un argument
dont la fonction est de rendre tout
débat impossible en plaçant son
contradicteur devant des accusations
d’une telle gravité qu’elles peuvent le
foudroyer psychiquement et le rendre
impotent dans le débat subséquent. En
l’occurrence le père Paolo n’hésite
jamais à brandir le tazzer idéologique
suprême à savoir l’accusation de
négationnisme et la comparaison avec la
version officielle du génocide des juifs
pendant la Seconde Guerre mondiale :
ceux qui remettent en cause la version
officielle des sanglants événements de
Syrie (c’est « Bachar » et ses
miliciens qui assassinent en masse leur
propre peuple en n’hésitant pas à
recourir aux moyens les plus sales et
les plus répréhensibles), sont les mêmes
que ceux remettant en cause la version
officielle de cet événement.
L’Express rapporte ainsi : « Il
évoque pêle-mêle le Réseau Voltaire et
les responsables ecclésiastiques
chrétiens ou musulmans qui, selon lui,
donnent la parole religieuse au mensonge
d’Etat, nient la révolution et la
réduisent à un fait de sécurité liée au
terrorisme. C’est un négationnisme
incroyable, ajoute-t-il, qui est le fait
d’identitaires à l’extrême-droite et
d’anti-impérialistes à gauche. Ceux qui
ont nié la Shoah nient la révolution
syrienne ! » On retrouve la même
position dans l’entretien publié par le
Courrier International : «
Dans le fond, il n’est pas étonnant que
les derniers alliés objectifs du régime
syrien soient ceux qui ont toujours nié
le génocide du peuple juif et,
aujourd’hui, nient la révolution du
peuple syrien. » et dans La Libre
Belgique : « Je voudrais savoir
aussi pourquoi les tenants en Europe du
négationnisme de la Shoah, parmi les
traditionalistes catholiques extrêmes,
anti-impérialistes et antiaméricains,
alliés aux anticapitalistes et
staliniens, sont aujourd’hui du côté du
négationnisme syrien et sont sensibles à
la sirène Agnès » (soeur
Agnès-Mariam de la Croix, je parlerai de
cette religieuse plus loin). Je me
souviens très bien par ailleurs que le
père Paolo avait fait cette comparaison
lors de la conférence du 24 février à la
mairie du XXème, et qu’un membre clé de
cette association, quand j’avais
prétendu débattre avec eux à la Fête de
l’Humanité, avait usé de ce même tazzer.
Inversion de la
réalité, dénonciation des mensonges des
pro el-Assad et théorie du complot
Le père Paolo semble également
profiter du fait que dans nos sociétés
du spectacle d’Europe et d’Amérique du
Nord, existe un second tazzer
idéologique qui peut s’avérer très
efficace, quoiqu’à force de mensonges il
tende à s’émousser. Sa propagation dans
les médias et, par ricochet, dans les
conversations quotidiennes remonte à peu
près aux attentats du 11 septembre 2001,
il s’agit du concept de théorie du
complot. Comme la comparaison avec
les révisionnistes de Nuremberg, c’est
une accusation que l’on profère
généralement dans le but de couper court
à toute conversation, de l’empêcher
souvent ne serait-ce que de commencer.
Pour étayer sa comparaison avec les
révisionnistes de Nuremberg, le père
Paolo énonce fréquemment que ceux qui
doutent de la version médiatique des
événements de Syrie errent perdus dans
un labyrinthe de mensonges et de
complots : « Nous faisons face à un
mensonge, selon lequel il n’y a pas de
révolution, mais la Syrie qui se défend
contre un complot saoudien, sioniste ou
occidental, et lutte contre le
terrorisme islamique. » « (Dans les
médias du pouvoir syrien) les
théories du complot les plus diverses
circulent. On parle d’une grande entente
entre les États-Unis, Israël, al-Qaïda,
les salafistes, les Frères Musulmans et
la Ligue arabe, dans le but d’abattre le
dernier État arabe qui n’a pas encore
capitulé face au projet sioniste et n’a
pas renoncé à combattre
l’impérialisme... Il est évident qu’à ce
niveau-là, il est difficile de discuter.
»
Les prises de position de ce genre
abondent, pour ce point je me borne à
ces deux citations.
Des allusions et des
calomnies fréquentes envers le Réseau
Voltaire et Thierry Meyssan
L’extrait de L’Express cité
plus haut en donne déjà une idée :
Thierry Meyssan est une cible de choix
du père Paolo Dall’Oglio. S’il n’en
parle pas à chaque intervention, Thierry
Meyssan et le Réseau Voltaire sont en
effet l’une des rares personnes et l’un
des rares médias indépendants que le
prêtre nomme, condamne et insulte, pour
exhiber à son auditoire l’archétype de
la position répugnante et condamnable,
incarnation du dévoiement
journalistique. Voici ce qu’il dit dans
Le Figaro : « Cette thèse est
relayée en Europe par des gens comme
Thierry Meyssan et son Réseau Voltaire,
cette usine à mensonges payée par je ne
sais trop qui (ndlr, on peut lui
retourner la question)… C’est un
négationniste qui vit dans un monde
virtuel. » ou dans La Libre
Belgique : « Comprendre le
mécanisme négationniste contre cette
révolution me paraît très important. Le
Réseau Voltaire est équivoque et d’une
paranoïa totale. Ils sont dans la
chambre du pouvoir. Ils font partie de
la structure idéologique et de la
cellule de crise du régime. Il faut lire
les interviews de Thierry Meyssan (ndlr
: le fondateur du Réseau Voltaire) dans
les journaux syriens. J’espère que la
fin du régime sera aussi sa fin à lui -
pas sa fin physique - mais sa fin en
tant que colporteur du mensonge d’Etat
et du négationnisme. » On appréciera
la lourdeur de la nuance. Lors de la
conférence du 29 septembre, il s’était
de même livré à une diatribe contre le
Réseau Voltaire.
Il est important de préciser, comme pour
ce genre de comparaisons, que Paolo
dall’Oglio n’étaie jamais ses anathèmes
du moindre fait, ni du moindre argument.
Il invective, incite à la haine, envoie
en enfer, puis passe à autre chose,
sautant parfois du coq à l’âne. En
termes d’efficacité médiatique,
l’efficacité du procédé n’est plus à
démontrer. Depuis plus de 10 ans le
Réseau Voltaire est l’association la
plus diffamée de France. Un long travail
de sape a été accompli avec zèle par les
grands médias commerciaux pour le
diaboliser. La plupart des Français qui
ne prennent pas encore assez le temps de
vérifier la fiabilité des informations
délivrées par ces médias, ont une très
mauvaise image (et absolument infondée,
est-il besoin de le préciser) de Thierry
Meyssan et du Réseau Voltaire, qui sont
devenus à l’instar des révisionnistes de
Nuremberg, des repoussoirs ultimes
auxquels la plupart des gens craignent
comme le sida d’être mêlés.
Dans L’Evangile selon Luc
(6/41-42) on peut lire « Pourquoi
vois-tu la paille qui est dans l’oeil de
ton frère, et n’aperçois-tu pas la
poutre qui est dans ton oeil ? 42 Ou
comment peux-tu dire à ton frère :
Frère, laisse-moi ôter la paille qui est
dans ton oeil, toi qui ne vois pas la
poutre qui est dans le tien ? Hypocrite,
ôte premièrement la poutre de ton oeil,
et alors tu verras comment ôter la
paille qui est dans l’oeil de ton frère.
» Le père Paolo enfreint constamment ce
précepte néotestamentaire ; à sa
décharge c’est peut-être un arbre plutôt
qu’une poutre qui lui encombre la vue.
Ou alors il y voit parfaitement clair,
et est au christianisme ce que les
socialistes français sont aux valeurs de
gauche.
Evolution de son
discours entre septembre 2012 et mai
2013
Son troisième séjour en France me
contraint d’actualiser mon analyse. Les
quelques mois qu’il a passé hors de
France n’ont visiblement pas fait de
bien au père Paolo dall’Oglio, qui
atteint désormais des sommets dans les
délires haineux et négationnistes.
Avec le temps le discours du père Paolo
s’est radicalisé, comme si, constatant
les boulevards qui lui sont ouverts par
tous les médias officiels de la zone
OTAN, l’impunité totale dont il
bénéficie dans l’étalage de ses
mensonges, de ses calomnies, et de ses
incitations à la haine, il pouvait à
présent tout se permettre. Peut-être
aussi l’homme est-il furieux de
constater que la situation sur place ne
se décante guère, que ce régime qu’il
déteste continue de tenir, ce qui
retarde d’autant son retour à Mar
Moussa.
Poursuivant sa folle fuite en avant, le
père Paolo va à présent très, très loin
dans ses prises de positions. Les
mercenaires islamistes liés à al Qaida ?
« Dans mes échanges avec eux, j’ai
reconnu des hommes et des femmes qui ont
une passion religieuse, un sentiment
religieux que je partage. Ce sont des
gens enragés mais épris de justice. Ils
se sentent collectivement persécutés,
attaqués et niés. Du coup, ils sont dans
une psychologie d’hyper réactivité
victimaire qui les amène à commettre des
crimes. » La timidité des prises de
position de l’Eglise catholique de Syrie
? « J’ajouterai qu’il y a de la
corruption politique, sexuelle, qui se
cache derrière la soumission au pouvoir.
Cela fait partie d’un système de
cooptation par soumission à un système
autoritaire. » Les chrétiens qui ne
partagent pas son point de vue ? Ce sont
des « islamophobes chrétiens ».
Peut-on dialoguer avec Bachar el-Assad ?
« Auriez-vous accepté de dialogué
avec Hitler en 1944 ? » Qu’en est-il
du terrorisme en Syrie ? « Je propose
de se passer du mot " terrorisme ". Il
faut utiliser " révolutionnaire . »
Le possible usage des armes chimiques
par el-Assad ? « Comment ne pas y
croire ? Si quelqu’un peut envoyer des
missiles balistiques qui enlèvent un
hectare de ville, si quelqu’un peut
envoyer des bombes sur la population
syrienne sans état d’âme, pourquoi
aurait-il un problème pour utiliser des
armes chimiques ? » Il ose dire ça,
alors qu’il est à présent avéré que des
combattants du Front al-Nosra ont
utilisé des armes chimiques contre des
civils syriens dans un village de la
banlieue d’Alep.
Bilan sur les éléments
de langage
Comme je le suggérais en introduisant
ces leitmotivs de ses discours et
réparties, il est manifeste que le père
Paolo n’y exprime pas une opinion
personnelle, mais qu’à l’évidence, il
relaie de manière systématique des
éléments de langage copiés collés des
argumentaires des médias de la zone
OTAN. Il ne s’en écarte jamais, et je
pourrais entrer beaucoup plus dans le
détail. L’indice le plus significatif de
cette coïncidence me semble cette
finesse avec laquelle notre prélat, qui
ne s’occupe que d’affaires syriennes
depuis 30 ans, relaie l’argumentaire
pointant l’association entre extrême
droite et extrême gauche dans la
dénonciation dans la version officielle
martelée en zone OTAN, qui est une
construction des médias commerciaux
français pour discréditer tout point de
vue un peu différent (ce fameux mythe
des rouges-bruns, popularisé par des «
journalistes » comme Ornella Guyet, et
des « intellectuels » comme
Bernard-Henry Levi). C’est typiquement
le genre d’argument qui ne peut que lui
avoir été soufflé, et qu’il relaie sans
vérifier, inconsciemment ou sur
commande.
Le point de vue
d’autres autorités chrétiennes de Syrie
ou connaisseuses de la Syrie
Il est remarquable que les
journalistes qui réalisaient ces
interviews de complaisance, ou
rédigeaient des articles à sa gloire,
prenaient souvent soin de souligner que
le point de vue du père Paolo était très
minoritaire, que les chrétiens de Syrie,
majoritairement, ne souhaitaient pas le
renversement du régime qu’ils
considéraient comme un rempart contre
les mercenaires extrémistes venus de
l’étranger.
On pouvait se demander alors : si
l’opinion du père Paolo était à ce point
minoritaire, pourquoi bénéficiait-t-il
d’une couverture médiatique aussi
massive et « diversifiée », et ce
alors qu’aucun autre témoignage de
religieux connaissant bien la Syrie, y
vivant, ou y ayant vécu, n’était jamais
rapporté.
Trois explications possibles à ce focus
extraordinaire des médias sur ce
personnage.
1. Le père Paolo est l’un des seuls
chrétiens lucides de Syrie. Tous les
autres, comme il le soutient, sont
intoxiqués par la propagande du «
régime ». Les médias ont raison de
relayer massivement et exclusivement ce
témoignage
2. Le père Paolo est l’un des chrétiens
les moins lucides de Syrie. Il ne
comprend rien à ce qui se passe sur
place, mais a choisi cette position
tranchée en raison de l’immense amertume
qu’il ressent d’avoir du quitter un lieu
sacré qu’il a contribué à redresser, et
dans lequel il a vécu pendant 30 ans.
3 ; Le père Paolo dall’Oglio est tout à
fait lucide ; quand il lance ses
déclarations fracassantes et
diffamatoires, il sait qu’il ment, il
sait que ses incitations à la haine sont
infondées et qu’en les proférant il
trahit le Christ, il sait que son
analyse de la situation est fausse et
orientée, mais pour des raisons qui
restent à éclaircir (et sans doute pas
très catholiques), c’est la voie du
mensonge et de la haine pour laquelle il
a opté.
J’ai déjà donné beaucoup d’éléments
d’information en faveur de la 3ème
explication, mais avant de trancher pour
de bon, passons en revue quelques
témoignages d’autorités chrétiennes qui,
elles, n’ont bénéficié d’aucune
couverture médiatique, ou ont été
systématiquement caricaturés et diffamés
dans les mêmes médias qui servaient la
soupe au père Paolo dall’Oglio. En
prenant connaissance de ce qu’ils
disent, peut-être comprendrons nous
mieux ce silence qui les environne, et
du degré de supercherie qu’implique
cette focalisation unique et martelée
sur le père Paolo dall’Oglio.
Donnons la parole à cinq personnalités
religieuses syriennes ou très proches de
la Syrie.
Père Elias Zahaloui
-

-
Père Elias Zahlaoui
Le père Elias Zahlaoui est un prêtre
arabe catholique syrien qui officie
depuis 1977 à Notre-Dame de Damas.
Horrifié par ce qu’il a constaté sur
place, et en particulier les massacres
de chrétiens perpétrés par les
mercenaires fanatisés, l’homme a publié
une série de lettres ouvertes à diverses
autorités. Le 23 juin et le 15 septembre
2011 à Alain Juppé quand ce dernier
était ministre des affaires étrangères,
le 17 juillet dernier à François
Hollande , enfin le 30 juillet 2012 à
Benoît XVI . Dans ces lettres, le père
Zahlaoui dénonçait la désinformation des
médias occidentaux sur la situation en
Syrie, et les persécutions des
chrétiens. Certaines phrases étaient
très audacieuses. L’homme faisait le
parallèle entre le cas syrien et le cas
libyen : « N’est-il pas vrai que vous
êtes intervenus en Lybie, pour
soi-disant protéger les droits humains
des civils, contre un dictateur, que,
pourtant, la France et l’Italie n’ont
cessé de flatter, et que l’Angleterre et
les États-Unis ont fini par chérir ! Et
vous vous en êtes acquittés en laissant
sur le sol de la Lybie, un charnier de
50000 morts, pour la plupart des civils.
» Il comparait l’obsession des médias
sur la Syrie à leur silence sur les
graves et répétées violations des droits
de l’homme à l’encontre des Palestiniens
par l’état d’Israël : « si, en
Occident, vous êtes si sensibles au
problème des Droits de l’homme,
pouvez-vous me dire ce qui vous rend
totalement aveugles à ce que fait Israël
en Palestine, depuis plus de 60 ans, en
décimant systématiquement le peuple
palestinien, et en dévorant même la
portion de terre, qui lui a été décidée
par les fameuses Nations Unies en 1947 ?
» _ Enfin, M. Zahlaloui poussait la
témérité jusqu’à comparer le traitement
médiatique unilatéral de l’affaire
syrienne à celui de ces « mystérieux
événements du 11 septembre 2001 ».
Les lecteurs au courant de la censure
draconienne sur ces trois sujets ne
seront pas étonnés que ces lettres
ouvertes soient restées sans réponse,
qu’aucun média commercial ne les ait
relayées, et que seuls des sites comme
legrandsoir.info , michelcollon.info ,
Infosyrie , ou mondialisation.ca en
aient compris le risque et reçu
l’honneur.

Qualifié
de "faux prélat" par L’Oeuvre d’Orient,
Mgr Philippe Tournyol du Clos,
ici en audience avec Jean-Paul II.
Philippe Tournyol du
Clos
Nous n’avons pas là affaire à un
Syrien, mais après tout puisque les
médias commerciaux ne voient pas
d’inconvénient à relayer exclusivement
le point de vue d’un Italien, tout
témoignage de chrétien connaissant bien
la Syrie peut être considéré comme
pertinent. Le Réseau Voltaire avait
relayé, le 2 juin 2012 , le témoignage
de Mgr Philippe Tournyol Du Clos,
archimandrite, grec catholique melkite,
qui se rend fréquemment au
Proche-Orient. Il commençait par
déplorer que : « la paix en Syrie
pourrait être sauvée si chacun disait la
vérité. De retour à Damas en ce mois de
mai 2012, il me faut bien constater
qu’après une année de conflit, la
réalité du terrain ne cesse de
s’éloigner du tableau catastrophiste
qu’en imposent les mensonges et la
désinformation occidentale. » Plus
loin il révélait qu’Alain Juppé, quand
il était ministre des Affaires
étrangères en exercice, avait sciemment
ignoré les multiples communications de
l’ambassadeur de France en Syrie , Eric
Chevallier, démentant absolument la
version officielle : « Il faut dire
et redire que l’idéologie fanatique est
d’importation étrangère et que la Syrie
n’a jamais été confrontée à un cycle de
manifestations/répression, mais à une
déstabilisation sanguinaire et
systématique par des aventuriers qui ne
sont pas syriens. Cette information, qui
va à l’encontre des journaux et des
reportages télévisés, l’ex-ambassadeur
de France, Éric Chevallier, n’avait eu
de cesse de la faire entendre à Monsieur
Juppé ; mais le ministre français refusa
toujours de tenir compte de ses rapports
et falsifiait sans vergogne ses analyses
pour alimenter la guerre contre la Syrie.
» Il affirmait que les chrétiens qui
n’avaient pas encore fui sous la menace
des combattants étrangers
reconnaissaient dans l’armée syrienne
leur dernier rempart : « Un habitant
me confie : « Si l’armée quitte notre
village, nous risquons d’être égorgés.
Si la répression sauvage dont l’accusent
vos médias était réelle, pourquoi les
militaires seraient-ils les bienvenus
dans nos villages ? ». Ils sont, j’ai pu
le constater de mes yeux, sous la
protection attentive des troupes fidèles
au Président Bachar. Pourtant, le jour
de l’Ascension, une roquette est arrivée
dans le jardin, heureusement sans faire
de dégâts, mais l’explosion a terrifié
les enfants. » Pour être honnête le
témoignage de M. du Clos n’a pas été
complètement ignoré. L’hebdomadaire
chrétien La Vie, par exemple,
sous la plume du théologien belge proche
de L’Oeuvre d’Orient Christian Cannuyer,
a publié le 27 juin 2012 un article sur
ce religieux . Toutefois, ce n’était pas
pour reprendre des éléments dérangeants
de son témoignage, comme ceux que je
viens de citer, mais pour faire de
l’homme un portrait horrible propre à
dépouiller de toute valeur son
témoignage. Notre homme serait un «
prétendu évêque », « transfuge
des milieux ingristes et catholiques
d’extrême droite ». « Ses
allégations sont fausses et manipulées.
» L’article allait jusqu’à mettre en
doute, qu’il se fût rendu réellement à
Homs. Le nom du père Paolo apparaît dans
cet article où il est complaisamment
évoqué comme « notre ami ».
Toutes les allégations de L’Oeuvre
d’Orient mettant en cause l’identité de
Mgr Philippe Tournyol du Clos ont été
démenties par un communiqué du
Saint-Siège.
Je m’attarde quelques lignes sur cet
article de La Vie. Son caractère
outrageusement caricatural fait deviner
quelque chose de tout à fait surprenant
: certains milieux ecclésiastiques
eux-mêmes semblent résolument engagés
dans la machine de propagande de l’OTAN.
Je suis ainsi tombé à plusieurs reprises
sur L’Oeuvre d’Orient , dirigée par le
père Pascal Gollnich (le frère de
l‘homme politique du Front National), et
j’ai constaté son positionnement
extrêmement trouble et équivoque dans
cette histoire. Je ne me suis intéressé
qu’en passant à cet aspect du problème,
mais je suis certain qu’une étude plus
approfondie amènerait son lot de
révélations surprenantes.

S. B. le
patrairche melchite Grégoire III Laham
Grégoire III Laham
Grégoire III Laham est le patriarche
de l’Eglise catholique melkite qui
compte seulement 180 000 fidèles. C’est
néanmoins une personnalité importante de
l’Eglise catholique : ainsi, présida
t-il la messe de funérailles du pape
Jean Paul II ou joua t-il un rôle clé
lors du dernier synode des Evêques pour
le Proche-Orient. Dans un appel du 9
juillet 2012 , Mgr Laham, dénonce avant
toute chose « l’ingérence d’éléments
arabes et occidentaux », une
ingérence qui « se traduit par les
armes, l’argent et les moyens de
communications à sens unique, programmés
et subversifs. » Cette ingérence est
« nuisible même à l’opposition »,
et « affaiblit aussi la voix de la
modération qui est spécifiquement celle
des chrétiens et, plus particulièrement,
la voix des Patriarches et des Evêques
». Il dénonce par ailleurs le procès qui
est fait aux chrétiens de Syrie d’être
des suppôts du régime : « Nous
considérons que ce sont les positions de
certaines personnalités, d’une presse
déterminée et d’institutions
particulières qui nuisent aux chrétiens
en Syrie et les exposent au danger, à
l’enlèvement, à l’exploitation et même à
la mort. Ces positions accablent les
chrétiens de fausses accusations, semant
le doute dans leurs cœurs et diffusant
la peur et l’isolement. Par suite, elles
aident à leur exode à l’intérieur du
pays ou à l’extérieur ». On ne peut
s’empêcher de penser aux positions du
père Paolo sur ce point... Cette
présentation systématique des chrétiens
comme « collés au régime » les
désigne comme une cible pour les groupes
armés : « Ce sont ces positions
elles-mêmes qui prétendent
intempestivement s’intéresser aux
chrétiens qui peuvent augmenter le
radicalisme de certaines factions armées
contre les chrétiens. Elles exacerbent
les relations entre les citoyens,
particulièrement entre les chrétiens et
les musulmans comme ce fut le cas à
Homs, à Qusayr, à Yabrud et Dmeineh
Sharquieh. » Comme la mère
Agnès-Mariam (voir plus loin), il place
ses espoirs dans le mouvement Mussalaha
(réconciliation) : « C’est ce qui
prépare la voie à la résolution du
conflit. Nous avons beaucoup d’espoir
dans la création de ce nouvel organe
qu’est le ministère de la
Réconciliation. » Mgr Laham pointe
par ailleurs l’influence écrasante du
conflit israélo-palestinien dans les
malheurs de la Syrie : « La division
du monde arabe a toujours été la cible
majeure interne et externe. Cette
division est la raison des dangers qui
guettent la région et elle est la cause
de l’absence d’une solution juste et
globale au conflit israélo-palestinien.
Ce conflit est le fondement et la cause
primordiale de la plus grande partie des
malheurs, des crises et des guerres du
monde arabe. » Ce conflit « est
la cause primordiale de l’exode des
chrétiens ». Cet appel de Mgr Laham
a été pratiquement ignoré par les grands
médias commerciaux français. Seul le
journal La Croix, le 23 juillet
2012, lui a consacré un article . Le
journaliste François-Xavier Maigre y
fait une présentation équilibrée des
positions de l’homme, sans y mettre une
quelconque réserve comme c’est presque
toujours le cas. Quand on constate ces
positions, on comprend mieux pourquoi
les médias commerciaux l’ont
complètement passé sous silence. Au-delà
du fait qu’il dénonce l’infiltration
d’éléments non syriens et occidentaux,
qu’il évoque comme le plus grand danger
pour les chrétiens, il dénonce l’analyse
la plus courante du point de vue des
chrétiens par les grands médias de masse
occidentaux, qui à l’instar du père
Paolo, les présentent comme des collabos
ou des brutes assommées par la
propagande du régime. Mgr Laham suggère
ainsi que ces médias ont une
responsabilité indirecte dans les
persécutions dont les chrétiens sont
victimes.

Mgr
Antoine Audo
Mgr Antoine Audo
Monseigneur Audo est l’évêque des
chrétiens chaldéens de Syrie. Il est
également le président de Caritas pour
la Syrie, ce qui l’amène à venir en aide
aux victimes de la guerre de diverses
manières : achats de médicaments,
couvrements des frais de scolarité, aide
aux personnes âgées, aide à la
reconstruction. Mgr Audo est donc une
personne très bien informée. Il a
effectué un séjour en France en juin
2012, ce qui a donné l’occasion à des
médias indépendants et/ou chrétiens de
recueillir son point de vue sur la
situation en Syrie. Les citations
suivantes sont extraites d’une interview
réalisée par l’Eglise catholique de
Moselle , et d’un entretien accordé au
site Aide à l’Eglise en Détresse (AED) .
Aucun média commercial de masse n’a
relayé cette prise de position.
Il affirme que le président syrien est
largement soutenu par le peuple syrien
toutes tendances confondues : «
Quatre-vingt pour cent de la population
est derrière le gouvernement, comme le
sont les chrétiens ». Il dénonce la
partialité de la couverture des
événements par les médias occidentaux ou
arabes : « Dans certains médias, tels
que la BBC ou Al-Jazeeera, on constate
une certaine orchestration visant à
déformer le visage de la Syrie. Le
gouvernement respecte les personnes qui
respectent la loi et l’ordre. La Syrie a
beaucoup d’ennemis, et le gouvernement
doit se défendre, ainsi que le pays. Il
y a une guerre d’information contre la
Syrie. La retransmission des médias
n’est pas objective. Nous devons
défendre la vérité en tant que Syriens
et chrétiens. » Il dénonce
l’ingérence étrangère en Syrie : « Le
régime continue de se défendre contre
des groupes armés dont certains membres
viennent des pays qui entourent la
Syrie. J’ai parfois le sentiment que ces
groupes utilisent les médias pour servir
leur cause et provoquer un changement
dans le pays. Le réel est toujours plus
complexe et plus nuancé quand on le vit
de l’intérieur. » Il redoute que
l’effondrement du régime ne plonge la
Syrie dans un enfer à l’irakienne et ne
soit cause d’un exode massif des
chrétiens : « Le risque est de
remplacer une dictature militaire par
une autre dictature théocratique. C’est
ce que l’on craint. En étant réaliste,
voyez ce que l’Irak a donné : la moitié
des chrétiens a quitté le pays et moi je
les ai vu arriver, nombreux, en Syrie.
» Caritas (et donc Antoine Audo) avait
en effet en 2005 participé à l’accueil
des chrétiens qui fuyaient en masse
l’Irak en proie aux violences
interconfessionnelles. La Syrie, ce
qu’on oublie trop souvent, à l’époque a
accueilli 1 200 000 réfugiés irakiens
sur son sol.
La position de Mgr Audo a été
complètement ignorée par les grands
médias commerciaux. Seul le journal
La Croix, dans son édition du 14
juin 2012, lui a consacré un petit
article, transcription d’un entretien
avec François Xavier Maigre à l’occasion
du passage de l’évêque en France . Son
propos y est extrêmement modéré par
rapport en comparaison de ce qu’il peut
déclarer sur des médias indépendants.

Mère
Agnès-Mariam de la Croix
Mère Agnès-Mariam de la Croix
Mère Agnès-Mariam de la Croix est
une religieuse franco-libanaise,
prieure du monastère
Saint-Jacques-le-Mutilé, à Qara, à
70 km de Homs, où elle réside depuis
12 ans. Le cas de cette religieuse
est différent des précédents, dans
la mesure où les grands médias ont
été obligés d’en parler à l’occasion
de l’affaire Jacquier, du nom de ce
reporter tué par des éléments de la
« rébellion » à Homs en
janvier 2012. Elle avait obtenu des
visas pour un groupe de journalistes
français venant rendre compte des
événements, et les accompagnait
parfois dans leurs déplacements
divers. Gilles Jacquier a trouvé la
mort à Homs, au moment où les
combats faisaient rage. Désireux de
se rapprocher du feu de l’action,
malgré les avertissements de mère
Agnès-Mariam, il est tué par un
mortier thermobarique. L’affaire
fait grand bruit en France : Gilles
Jacquier est le premier journaliste
français à périr dans la Syrie en
guerre. A cette occasion, de
nombreux articles sont publiés dans
les médias commerciaux de masse, et
fatalement son cas y est évoqué.
Quand ils l’évoquent rapidement ils
se contentent de préciser que mère
Agnès-Mariam est « une proche du
régime » (Libération) , «
une religieuse libanaise
favorable au régime » (Le
Point) , « une religieuse
favorable au régime syrien »
(id) (L’Express) . Quand ils
entrent un peu dans le détail, de
façon systématique, ils recourent à
des expressions péjoratives, et
dénoncent la position qu’elle
occupe. Angela Bolis, du journal
Le Monde la qualifie ainsi «
de personnalité ambiguë qui affiche
son soutien au régime » . Pour
l’association Souria Houria, sans
surprise, mère Agnès-Mariam est «
la grande avocate du régime de
Bachar el-Assad » . Pour
Christian Cannuyer, dans La Vie,
elle serait (avec d’autres), «
manifestement stipendiée ou
manipulée », et son comportement
« confine à la collaboration
» . Certains articles vont jusqu’à
laisser planer l’hypothèse qu’elle
serait peut-être responsable de la
mort de Gilles Jacquier. Le
Dauphiné rapporte ainsi que,
pour la compagne du journaliste
décédé, « La thèse du guet-apens
ne fait pas de doute : « Il ne
voulait pas aller à Homs. Il a été
contraint par la sœur Marie-Agnès.
Face à son refus, elle lui a dit
qu’il ne lui restait que deux jours
avant de quitter la Syrie. Cette
religieuse lui avait permis
d’obtenir son visa d’entrée et celui
de Christophe Kenck, son collègue
» . Le magazine Envoyé Spécial
a lui aussi relayé cette accusation.
Cette version de l’histoire est
réfutée par l’intéressée : « La
réalité, c’est que Monsieur Gilles
Jacquier, que Dieu ait son âme,
avait fait par écrit une demande de
visa pour aller à Homs.(…) Avant
qu’ils y aillent, j’ai demandé et
j’ai informé expressément le délégué
de l’AFP, qui parle l’arabe, et la
responsable de l’information, qu’il
fallait être de retour à 15 heures :
le couvre-feu à Homs commençait en
effet à 15 heures de l’après-midi et
il ne fallait surtout pas y circuler
au-delà de 15 heures. Cela a été dit
et il y avait des témoins.(…) Cette
équipe a fait fi des directives des
militaires qui les avaient
accompagnés à leur demande et elle
s’est perdue. Pourquoi était-il
impératif de rentrer avant 15 heures
? ça je l’ai expérimenté moi-même,
quand je suis passée à Homs : à 15
heures, tous les jours, les rebelles
commençaient à attaquer de toutes
parts et cela, personne, aucune
presse ne l’a dit. » Du reste il
est maintenant avéré, si l’on en
croit George Malbrunot pour Le
Figaro du 17 juillet 2012 , que
M. Jacquier n’a pas été tué dans un
guet-apens organisé par l’armée,
mais par une roquette tirée par des
rebelles de Homs. Le Réseau
Voltaire, dans un article d’Arthur
Lepic, était arrivé à cette
conclusion dès le 11 janvier .
On peut également relever quelques
portraits réalisés par des
journalistes, qui la présentent
comme proche des milieux d’extrême
droite, proche de Thierry Meyssan,
ou citée dans des sites qui parlent
de façon complaisante de Robert
Faurisson. Rien de neuf sous le
soleil…
Si le nom de « Marie-Agnès » a été
abondamment cité dans les médias
commerciaux de masse, c’est donc,
soit de façon succincte et toujours
en la définissant par son «
soutien au régime d’Assad »,
soit comme une personne douteuse et
peu digne de confiance, et parfois
comme une auxiliaire active du
régime éventuellement responsable de
la mort de Gilles Jacquier.
De façon frappante, pratiquement pas
un seul article ne développe
certaines des prises de position et
analyses qu’elle a pu faire de la
situation sur place. Elle a ainsi
pris à plusieurs reprises des
positions tranchées dans lesquelles
elle dénonce la partialité et les
mensonges des médias commerciaux. «
Les journalistes de la propagande
atlantique, les propagandistes à la
Goebells n’ont montré que la moitié
de ce qui se passe en Syrie. Et
encore, ils ont truqué leurs
reportages. » Elle fait le
parallèle, comme le père Zahlaoui,
entre le médiamensonge syrien et
ceux qui ont permis l’invasion de
l’Irak et de la Libye : « C’est
faux qu’il y avait des armes de
destruction massive en Irak, et on a
attaqué Saddam Husseïn. C’était faux
que Kadhafi allait faire un génocide
contre son peuple en Libye. l’ONU a
fait 150000 morts. » Elle
dénonce également le traitement
horrible que réservent les
mercenaires étrangers aux chrétiens,
par exemple à Homs : « Suite à
une mission d’information avec des
médias catholiques j’ai été amenée à
visiter la ville de Homs et ses
environs. J’ai été remuée au plus
profond de ma conscience par la
tragédie que vit la population
civile, notamment les chrétiens. Ces
derniers sont surtout concentrés
dans les quartiers centraux de la
ville qui sont devenus le repaire de
bandes armées que personne jusqu’à
présent n’a réussi à identifier.
Toujours est-il que ces bandes
imposent une loi martiale en vertu
de laquelle les fonctionnaires qui
rejoignent leur travail sont
susceptibles de représailles, les
enseignants dans les écoles
publiques, inclus. De même les
artisans, les vendeurs et même ceux
qui ont une profession libérale sont
la cible d’actes terroristes qui
visent à paralyser la vie sociale.
Les résultats de ces méthodes
coercitives sont des plus terribles
: chaque jour des innocents sont
égorgés ou kidnappés. Des familles
perdent ainsi le père, le fils ou le
frère. Les veuves et les orphelins
sont dans la nécessité. Ceux qui
n’ont pas affronté le spectre de la
mort doivent faire face à la
séquestration forcée dans leurs
domiciles où ils cherchent à
survivre sans travail. » Cette
dernière citation est extraite d’un
Appel qu’elle a lancé le 26 décembre
2011 , pour qu’enfin le monde prenne
conscience de ce qui se passe
réellement en Syrie. Cet appel,
comme les lettres du père Zahlaoui,
ne sera jamais relayé dans un média
commercial.
Ce passage sous silence intégral des
positons de Mère Agnès-Mariam est
d’autant plus choquant qu’elle a
effectué plusieurs passages en
France depuis le début de la crise.
Recueillir son témoignage n’avait
rien de compliqué. Ainsi en décembre
dernier, lors de son avant-dernier
passage dans la capitale, elle a
participé à un colloque organisé par
L’Institut pour la Démocratie et la
Coopération (IDC) en compagnie de
l’ambassadeur de Russie en France,
et deux médias indépendants ont pu
l’interviewer : le journal
L’Audible , et la chaine Méta
TV . L’ignorance de ce
témoignage aux antipodes de la
version officielle se comprend
mieux, si l’on a en tête la
présentation caricaturale et
diffamatoire qui en est faite depuis
l’affaire Jacquier par les grands
médias.
Retour au père
Paolo
Nous nous posions la question au
départ de savoir pourquoi le père
Paolo était la coqueluche de
certains journalistes encartés, et
pourquoi toutes les autres autorités
chrétiennes de Syrie étaient
intégralement passées sous silence.
Au terme de ce parcours il n’est pas
très difficile de répondre à cette
question, même si c’est difficile à
admettre.
Le père Paolo a bénéficié de cette
couverture médiatique exceptionnelle
car c’est la seule « autorité
» chrétienne de Syrie (bien que
non-Syrien par ailleurs
rappelons-le) à appuyer la version
officielle faisant peser toute la
responsabilité de la crise et des
massacres sur le régime de Bachar
el-Assad. La plupart des
journalistes qui ont écrit sur lui
ou qui l’ont interrogé prennent
eux-mêmes souvent soin de le
reconnaître. Cela implique que les
médias commerciaux (ceux qui
occupent les postes clés, pas la
majorité des journalistes qui
souffrent de cette censure), dans
leur totalité, ont reçu pour
consigne de ne rapporter que cette
sorte de témoignage, et que tous ont
obéi à la lettre.
C’est la raison pour laquelle,
inversement, tous les témoignages
que je viens de citer ont été
ignorés, et leurs auteurs pour
certains caricaturés ou diffamés.
Les médias qui ont aveuglément et
complaisamment relayé les positions
du père Paolo pouvaient d’autant
moins donner une tribune à leurs
auteurs que tous mettent en cause la
partialité du traitement médiatique
de la crise syrienne par les médias
de la zone OTAN. Fait aggravant pour
ces médias, ces autorités
religieuses avancent que la crise
syrienne est couverte par un
médiamensonge comparable à celui qui
a précédé l’invasion de l’Irak et de
la Libye. Impensable pour l’instant
de remettre en cause dans les grands
médias à la fois la version
officielle des événements de Syrie
et de Libye. Ne parlons même pas du
témoignage informant qu’Alain Jupé a
ouvertement menti pour la Syrie, au
mépris des rapports de l’ambassadeur
Éric Chevallier (information énorme
, tout de même !), et de celui
comparant le médiamensonge de la
crise syrienne à celui échafaudé
pour étouffer les doutes légitimes
que doit susciter dans tout esprit
sain la version officielle des
attentats du 11 septembre 2001.
Quant au poids du conflit
israélo-palestinien dans cette
dramatique équation…
Certains journalistes influents
des médias commerciaux français ont
reçu pour consigne de mentir sur le
témoignage des chrétiens de Syrie,
comme ils ont reçu pour consigne de
mentir sur les autres aspects de la
crise syrienne. Les médias français,
une nouvelle fois, comme dans
l’affaire libyenne, comme pour les
attentats du 11 septembre 2001, ont
joué pleinement le rôle moderne qui
est désormais le leur : celui de
relais de l’impérialisme pour
justifier aux yeux de l’opinion
publique une guerre illégale
accompagnée d’exactions horribles,
de massacres de masse, et entrainant
l’exode de centaines de milliers de
réfugiés.
Épilogue
Au terme de cette étude, dont les
conclusions sont malheureusement
accablantes pour les milieux
journalistiques et politiques
français, nous appelons
solennellement le CSA à envoyer à
tous les médias qui se sont fait
abuser par les boniments du père
Paolo, ou qui ont relayé (et
relayent encore) avec zèle ses
positions une note de sévère mise en
garde. Si les gens du CSA manquent
d’imagination et se retrouvent
devant l’angoisse de la page
blanche, nous leur suggérons
d’envoyer la missive suivante :
« Le Conseil supérieur de
l’audiovisuel a adressé un courrier
à tous les présidents de grandes
radios et chaînes de télévision au
sujet de leur couverture des
positions du père Paolo Dall’Oglio
pendant les neuf derniers mois. Ce
dernier a en effet été reçu à
d’innombrables reprises pour relayer
ses positions appelant à la chute du
régime en place en Syrie. Les grands
médias du PAF et de la presse écrite
n’ont fait que reprendre à leur
compte, sans la moindre distance
critique ni précaution de langage,
la propagation d’informations à
l’évidence fausses, après avoir
explicitement accordé à son auteur
des labels de légitimité et de
respectabilité. Le Conseil a rappelé
au président des chaînes les termes
du préambule du cahier des missions
et des charges de la chaîne qui
précisent notamment que " les
sociétés nationales de programme ont
vocation à constituer la référence
en matière d’éthique " et ceux de
l’article 2 qui disposent que " la
société assure l’honnêteté,
l’indépendance et le pluralisme de
l’information ". Il lui a demandé de
prendre des mesures pour que la
vérité soit rétablie et que de tels
dérapages ne se renouvellent pas
».
Ce texte n’est autre (en
changeant les noms et une poignée de
termes) que la directive 151 envoyée
à France Télévision en avril 2002
par le CSA après le passage de
Thierry Meyssan sur le plateau de
l’émission de Thierry Ardisson ,
dans laquelle il présentait
L’Effroyable Imposture, ouvrage
dans lequel il contestait qu’un
avion de ligne se fût écrasé sur le
Pentagone . Quoiqu’elle n’ait pas
été envoyée à tous les autres
médias, France Télévision a eu
apparemment le courage de prendre
l’initiative de la relayer à tous
les autres organes du PAF, de sorte
que depuis cette émission, cela fait
10 ans que Thierry Meyssan est
interdit d’expression sur les
chaînes de radio et de télévision
française.
Cette directive 151 n’a aucun sens
appliquée à Thierry Meyssan ; en
revanche, elle me semble à merveille
s’appliquer au père Paolo dall’Oglio.
Nous suggérons donc au CSA d’envoyer
telle quelle cette missive, en
transmettant par la même occasion
les amitiés les plus chaleureuses du
Réseau Voltaire à l’ensemble de la
profession.
Avertissement final
aux chrétiens de France
Ce n’a pas été la moindre de mes
surprises, en menant cette étude, de
me rendre compte qu’il n’existait
finalement en France, concernant les
événements de Syrie, presqu’aucune
différence de traitement de
l’information entre les médias
commerciaux estampillés «
chrétiens » (La Croix, La
Vie, Pèlerin, Radio Notre-Dame),
et les autres grands médias
commerciaux (Charlie hebdo,
Libération, TF1, RMC, France inter,
etc).
Il faut être conscient que la
propagande se loge partout. Les
médias « chrétiens » comme
les autres médias commerciaux, sont
possédés par des gens qui n’ont rien
à voir avec l’information et dont
les valeurs chrétiennes ne sont pas
toujours le premier des soucis. Ce
que l’on appelle la « presse
chrétienne » (quand elle est
commerciale) doit être lue par les
chrétiens de France avec le même
esprit critique que les publications
« profanes ».
Les médias chrétiens sont entrés
dans le bal médiatique
hagiographique du père Paolo avec le
même enthousiasme, la même
confiance, et la même absence
d’esprit critique que leurs
confrères du Monde ou de
France Inter.
Ainsi va la (dés)information en
France.
[1]
Frédérique Calendra a signé en juillet
2001 l’ « Appel pour une Syrie libre »,
lancée par l’association Urgence
Solidarité Syrie. Cet appel a été signé
par des partis politiques et des
associations (LDH, PC, PS, PG, EELV,
ATTAC, CAP21, MRAP, UJFP), et des
personnalités politiques comme François
Hollande, Daniel Cohn-Bendit, Noël
Mamère, Marie George Buffet. Urgence
Solidarité Syrie est alliée avec
l’association Souria Houria, et a
participé plus récemment à la Vague
Blanche.
[2]
Le parallèle entre la crise syrienne et
les cas tunisiens et égyptiens est
grossier et infondé. Pour comprendre
comment la révolution dans ces deux
derniers pays a été manipulée et
détournée en faveur d’intérêts
étrangers, je renvoie au livre de Mezri
Haddad, La
face cachée de la révolution tunisienne
(éditions Apopsix, janvier 2012)
François Belliot
Écrivain, administrateur du site
Observatoire des mensonges d’État,
et coauteur en 2010 avec Charles Aissani
d’un pamphlet inversé sur les attentats
du 11-Septembre, J’accuse la pandémie
conspirationniste. Secrétaire
général du Réseau Voltaire France.
Article sous licence creative commons
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reproduire librement les articles du
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